Digitized by the Internet Archive in 2012 with funding from Media History Digital Library http://archive.org/details/iistoireencyclopOOjean '>,.^ £&&= 37417 NilesBlvd oA'f 510-494-1411 Fremont, CA 94536 www.nilesfilmmuseum.org Scanned from the collections of Niles Essanay Silent Film Museum Coordinated by the Media History Digital Library www.mediahistoryproject.org Funded by a donation from Jeff Joseph MM KUHHmttHfln HISTOIRE ENCYCLOPEDIQUE DU CINEMA DES MfiMES AUTEURS la comedie franchise et le cinema. Editions J. Melot. A paraitre. De REN£ JEANNE cinema, amour et cle, Contes. L. Querelle Edit. Paris, 1929. tu seras star ! Introduction a la vie cinematographique. CEuvres Libres, Paris, 1930, et Nouvelle Societe d'Edition, Paris, 1930. le cinema allemand. Collection « L'Art Cinematographique ». A lean Edit. Paris, 1931. le cinema francais. Histoire des Spectacles. Editions du Cygne, Paris, 1932. De CHARLES FORD breviaire du cinema, avec un avant-propos de Marcel L'Herbier. Editions J. Melot, Paris, 1945. on tourne lundi. Ecrire pour le Cinema. Jean Vigneau Edit. Paris, 1947- RENE JEANNE et CHARLES FORD HISTOIRE encyclopedique du CINEMA I Le Cinema Francais 1895-1939 ROBERT LAFFONT MCMXLVII 7e edition IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE cent exemplaires sur velin blanc Teka dont vingt exemplaires hors commerce numerotes de I a XX et quatre-vingts exemplaires numerotes de 21 a 100. Copyright 1947 by Robert La/ font, Paris. Tons droits reserves pour tons pays. N° 103 « Le Film est un art, le Cinema une Industrie. » Luigi Chiarini. « ...appele par la plenitude de ses moyens a une fonction planetaire, le Cinema fait exactement figure d 'agent de liaison de VHumanite. » Marcel L'Herbier Introduction a « Intelligence du Cinema ». «... cela ne te fera ni chaud ni froid que ton nom soit ou non imprime dans les « Histoires du Cinema » futures qui, au surplus, seront ecrites par des imbeciles pretentieux. » Denis Marion « Si peu que rien ». AVERTISSEMENT AU LECTEUR Une encyclopedic est un « ouvrage qui expose les principes et les resul- tats de toutes les sciences htimaines » et par analogie, un ouvrage « qui embrasse toutes les parties d'une science speciale ou d'une serie de con- naissances. » Avons-nous eu tant de pretention ? Certes non ! Si nous avions eu V ambition de r assembler dans les pages qui vont suivre « tous les principes et tous les resultats » de ce qui a ete fait dans le domaine du Cinema et d'y « embrasser toutes les parties » de « la serie de connaissances » qui le concernent, nous aurions tout simplement appele notre ouvrage « Encyclopidie ». Alors, pourquoi avoir ajoute Vepithete « encyclopedique » au mot « Histoire » qui constitue Vessentiel du titre de ce volume ? Histoire, cela ne dit-il pas tout ? Non. La preuve en est que les amateurs de cinema ont deja sur les rayons de leurs bibliotheques plusieurs « Histoires» dont aucune ne leur fournit tous les renseignements qu'ils souhaitent dans chacun des domaines ou s'exerce I'activite complexe du cinema : « L' His- toire du Cinematographe » de G. Michel Coissac (1925) est plutot un precis de V invention et de la technique ainsi que du mouvement industriel nede cette invention qu'une veritable histoire ; « L' Histoire du Cinema », de Bardeche et Brasillach (1935-1943) est un compte rendu critique de revolution du cinema vue a travers un temperament — un temperament en deux personnes — compte rendu plein d'apergus tour a tour ingenieux et profonds mais qui ne se fixe que sur un certain nombre d'hommes, d'ceuvres et de faits ; « V Histoire de V Art Cinemato graphique » de Carl Vincent, laissant de cote tout ce qui touche aux aspects technique, industriel et commercial de la question n'en considere que I'aspect artistique et s' attache plus particulierement a la recherche des grands courants intel- lectuels et artistiques qui ont conditionne revolution de I'art des images ; « V Histoire du Cinema » de Lo Duca est un resume, un «Liebig» dont les cent trente pages ont ete redigees a I'usage des gens presses qui veulent tout savoir en trente minutes. Nous reconnaissons les merites de ces ou- vrages. Et de quelques autres qui ont ete publies en divers pays, et dont la plupart sont plutot de caractere national qu international, mais nous ne croyons pas qu'ils aient tout dit ni qu'ils suffisent a decourager ceux qui croient avoir encore quelque chose a dire apres eux ( 1) . II ne faudrait pourtant pas deduire de ce que Von vient de lire que nous (j) Au moment ou le present ouvrage jut entrepris, Georges Sadoul n'avait pas encore publie le premier volume de son « Histoire Generale du Cinema », paru au mois de mars 1946. Ce volume qui a pour titre « U Inven- tion du Cinema, 1832-1897 » et qui, conformement a ce titre, traite de la prehistoire et de la naissance du cinema, donnejous les details sur la periode qui y est etudiee. io HISTOIRE DU CINEMA nous flattens d' avoir tout dit de ce que, cinquante ans apres sa naissance, il conviendrait de dire du Cinema considere a la fois, comme art, comme moyen d' expression, comme commerce, comme industrie, comme instru- ment de progres social et humain et comme... bien d'aulres choses encore. Non, nous n'avons pas tout dit ! Non, nous n'avons pas cite lesnoms de tous les hommes qui ont ete miles a revolution du cinema ! Non, nous n'avons pas dresse la liste de tous les films qui sont sortis de tous les studios du monde au cours de ces cinquante annees. Et quand on saura, par exem- ple, qu'en 1919, les ecrans jrancais ont accueilli mille cent trente-deux films dont deux cent huit jrancais et huit cent trente-neuf americains ceux-ci ne representant eux-memes qu'une partie de la production d 'outre- Atlan- tique, on ne nous taxera pas d'outrecuidance si nous supposons qu'on nous saura gre de ne pas avoir enumere ces mille cent trente-deux bandes... dont nous tenons la liste a la disposition du lecteur qui voudra la consulter par curiosite ou par incredulite. Ce n'est done pas une « Encyclopedie du Cinema » que nous avons ecrite. Toutefois nous croyons n' avoir rien omis de ce qui peut avoir une importance dans VHistoire du Cinema, et e'est pourquoi nous ne pensons pas avoir cede a une pretention exageree en qualifiant notre Histoire d' encyclopedique. Cette Histoire comportera quatre volumes. Nous ne cacherons pas que nous avons longtemps hesite sur la jacon dont il convenait de repartir la mature devant constituer V ensemble de Vouvrage. La solution que nous avons adoptee est arbitraire, mais du moins nous est-elle apparue rai- sonnable et plus facile que toute autre a defendre aupres des esprits epris de logique. La void : le premier volume a trait a I' histoire du Cinema muet en France et le deuxieme traitera de la meme periode pour tous les pays autres que la France — objet du premier volume — et les Etats-Unis. Ici, la substitution du film parlant au film muet s'etant produite progressive- ment au cours de plusieurs annees (1926-1929), la vie cinemato graphique a pu poursuivre son evolution sans connaitre la coupure brutale dont les autres pays ont eu a soufjrir. C'est pourquoi nous avons reuni en un seul volume — le troisieme — toute I'histoire du Cinema americain du debut jusqu'a 1945. Enfin le quatrieme volume sera consacre a I'histoire du cinema parlant dans tous les autres pays (1930-1945). Nous nous excusons aupres de nos lecteurs de n avoir pas reussi a les delivrer du souci d' avoir a alter chercher en bas de page des details ou des precisions que nous avons cru impossible de ne pas leur fournir, mais si cet exercice leur parait fastidieux, il ne tiendra qu'a eux de s'en dispenser, les notes figurant ainsi en bas de page n'ayant trait qua des faits d'im- portance pour le moins secondaire. Enfin, chaque volume comportera un AVERTISSEMENT u index alphabetique des noms propres qui y sont cites. En outre les deuxieme, troisieme et quatrieme volumes comprendront un repertoire biographique des personnalites (auteurs, realisateurs, producteurs, acteurs, techniciens) dont il est question dans le cours du volume ainsi que la liste des ceuvres qui meritent de rester attachees aux noms de ces personnalites. Seul le premier volume ne comportera pas ces renseignements, ceux-ci se trouvant a la fin du deuxieme volume, la matiere composant ces deux volumes constituant assez souvent un tout, etant donne les relations qui s'etaient etablies enlre les divers pays producteurs d' Europe. En fin , il est une difficulte qui nous a longtemps arretes : celle que pre- sentent les titres des films que nous avions a citer. Beaucoup de films, en effet, ont change de litre soit en cours de realisation, soit en cours d' ex- ploitation; d'autres ont change de titre selon les pays ou Us etaient pro- fetes, non settlement du fait de la traduction dans la langue nationale, mais pour des raisons de convenance ou de gput (i). D' une f aeon generate, nous croyons avoir obtenu le maximum de precision en donnant, chaque fois que cela nous a ete possible, le litre original du film suivi, entre paren- theses, du titre sous lequel il a ete presents en France. Lorsquil s'agit de bandes non presentees en France, nous donnons entre parentheses la tra- duction francaise du titre original, mais cette traduction nest pas imprimee en italiques. Lorsque le titre d'un film Stranger est donne uniquement en jrancais, il s'agit d'une traduction litterale du titre original. Nous nous excusons de ces explications. Mais nous les avons crues in- dispensables et capables de faciliter la lecture et la consultation de notre « Histoire Encyclopedique du Cinema ». (i) C'est frequemment le cas pour la Belgique et la Suisse qui, mime lorsque le film y est prSsente en francais, adoptent un titre different de celui sous lequel il a ete presente en France. PREMIERE PART1E NAISSANCE DU CINEMATOGRAPHE 1895 LE CINEMATOGRAPHE LUMIERE LES Parisiens qui, le 28 decembre 1895, passaient sur le boule- vard des Capucines en se rendant a leurs occupations ou en accomplissant leur traditionnel pelerinage aux petites bara- ques dont les f&tes de Noel et du Jour de l'An avaient, comme chaque annee, encombre les trottoirs, s'arr6taient, en arri- vant a la hauteur du Grand Cafe, devant une affiche qui montrait un agent renseignant un pr&tre a cheveux blancs, breviaire sous le bras, pendant que derriere eux une foule ou se coudoient des types de tou- tes les classes de la societe, se pressait devant une porte au-dessus de laquelle ces deux mots : a Cinematographe Lumiere » posaient une enigme que leur nouveaute rendait parfaitement insoluble. Ceux que cette enigme intriguait au point de ne pouvoir passer devant elle sans chercher a la resoudre imitaient la foule de l'afnche et franchissaient une porte etroite au dela de laquelle ils s'engageaient dans un petit escalier. Une vingtaine de marches les amenaient dans une salle en sous-sol de dimensions modestes,dont les murs etaient tendus de draperies sombres et de tapis venus en droite ligne des « Grands Magasins de la Place Clichy ». Des rangees de fauteuils, semblables a ceux des theatres et concerts, garnissaient cette salle dont une extre- mite — celle vers laquelle etaient orientes les fauteuils — laissait voir un ecran de toile blanche, grand a peu pres comme un drap de lit. Etait-ce done a une seance de lanterne magique que Ton allait assis- ter ?... Le curieux, qui s'etait assis dans un de ces fauteuils, commencait a regretter les vingt sous qu'on lui avait demandes a 1'entree : la lan- terne magique ! Le prenait-on pour un enfant ? Un piano sur les tou- ches duquel s'exercait une main negligente deversait des airs connus dans la penombre dont la salle etait ouatee... Mais brusquement la penombre se muait en la plus opaque des obscurites, un petit bruit semblable au grignotement d'une souris se faisait entendre, un eclair jaillissait d'un trou perce au milieu du mur et, devenant pinceau de lumiere, venait f rapper Tecran sur lequel il inscrivait la formule de l'aniche : « Cinematographe Lumiere » a laquelle succedaientimmedia- tement ces mots : « La sortie des Usines Lumiere a Lyon »... Allons ! Cetait bien une seance de lanterne magique ou de « projec- tions lumineuses » (e'etait l'expression en usage a l'epoque) comme il s'en donnait pour agrementer certaines conferences, qui allait avoir lieu. Decu, le Parisien curieux haussait les epaules ! Ah ! On ne l'y reprendrait plus ! Deja, il s'appr^tait a quitter son fauteuil, 16 HISTOIRE DU CINEMA d'autant plus furieux que le spectacle de lanterne magique qui com- mencait n'etait meme pas de bonne qualite... Pourquoi, en effet, les mots projetes tremblotaient-ils ainsi ? Mais, sans laisser au mecon- tent le temps de repondre a cette question, le titre avait disparu, faisant apparaitre sur l'ecran la porte d'entree d'une usine comme il y en a dans toutes les villes du monde et par cette porte sortaient des femmes, seules ou par groupes, qui se dirigeaient vers les spectateurs comme si ceux-ci les eussent attendues ! Elles marchaient, elles se rapprochaient, grandissaient et on voyait sur leur visage la joie qu'elles eprouvaient a s'echapper de leurs atelieis et a retrouver pour quelques heures leur liberte. Le sourire naissait sur leurs levres, s'y epanouis- sait... Ah ! l'e'trange, la merveilleuse lanterne magique ! Comme elle donnait l'impression de la vie ! Comme elle recre"ait, comme elle refai- sait la vie! Le Parisien, dont la curiosite se trouvait si bellement recom- pensed et qui avait deja oublie sa deception fugitive se rasseyait, tout scepticisme disparu : Le Cinematographe Lumiere: «le Cinema ! » avait fait sa premiere conquete ! Pour la journee du 28 decembre 1895 le nombre de ces conqu&tes se chiffrait par trente-cinq, car en faisant ses comptes, le soir, la cais- siere de l'etablissement constata que sa recette s'elevait a trente-cinq francs ! Trente-cinq francs : trente-cinq spectateurs ! (1) C'etait dans une petite salle — le Salon Indien — situee au sous-sol du Grand Cafe, 14, boulevard des Capucines que s'etait produit ce petit evenement — petit car nul, en cette fin d'annee 1895, ne pouvait ima- giner de quelles promesses, de quelles realites etait grosse l'heure qui venait de sonner au cadran de la vie parisienne ! Mais avant de prendre possession de l'ecran installe un peu au hasard et par un jeu favorable de la chance, en plein cceur de la capitale, le Cinematographe Lumiere, pratiquement au point depuis decembre 1894 et dont le brevet avait (1) Le 6 novembre 1935, au cours de la ceremonie offtcielle qui eut lieu dans le grand amphitheatre de la Sorbonne pour celebrer le quarantieme anniversaire de la naissance du Cinema, M. Charles Delac, president de la Chambre Syndicale francaise de la Cinematographie apporta a ses auditeurs cette interessante precision : « La recette de la premiere journde d' exploitation s'eleva a trente-cinq francs. Quatante ans plus tard, pour la seule journee du 6 novembre 1935, la recette des theatres cinematographiques repandus dans le monde peut s'evaluer approximativement a cent vingt- cinq millions de francs. Trente-cinq francs le 28 decembre 1895 ! Cent vingt- cinq millions le 6 novembre 1935 ! Ces deux chiffres, a eitx seuls, suffisent a "ndiquer le chemin parcouru, en un laps de temps si reduit,par V admirable invention de notre maitre venere, Louis Lumiere ! » i. Les freres Lumiere (Louis Lumiere assis, Auguste Lumiere debout). 2. La premiere affiche de cinema pour les seances du Grand Cafe (28 decembre i8g5). LE ClNfiMATOGRAPHE LUMI&RE 17 6te enregistre lc 13 fevrier 1895 (1) avait deja donne des preuves interes- santes de son existence. C'est ainsi que, quelques semaines plus tard, les freres Lumiere, estimant qu'il n'y avait plus d'inconvenient pour eux a sortir de la reserve en laquelle ils se tenaient, avaient decide d'entrer en contact avec un public de professionnels et, profitant de ce que Tun d'eux — Louis — devait f aire le 22 mars une conference sur « L'Industrie photo- graphique » devant les membres de la Societe d'encouragement a L'lndustrie nationale, reunis 44, rue de Rennes*, sous la presidence de l'astronome Mascart, president de TAcademie des Sciences, ils y avaient presente l'unique bande qu'ils avaient alors enregistree : « La sortie des ouvrieres de l'usine Lumiere ». Cette bande doit done £tre tenue, sans que la moindre contestation soit possible, du moment que Ton admet que les freres Lumiere sont les inventeurs du Cinemato- graphe, pour le premier film cinematographique. Deux mois et demi plus tard, les Societes photographiques de France devant tenir leur congres annuel a Lyon sous la presidence de Janssen, directeur de TObservatoire de Paris, les freres Lumiere s'entendirent avec les organisateurs pour faire figurer au programme des manifes- tations une seance de projection de huit des films qu'ils avaient deja enregistres. Cette seance eut lieu le premier juin. Elle remporta le plus grand succes et, le surlendemain, les congressistes eurent le plaisir de revenir devant l'ecran pour y voir projeter deux bandes nouvelles, « tournees » la veille, qui leur permirent de se voir descendant de bateau au terme d'une excursion sur la Saone et d'assister a une con- versation entre leur president et un conseiller general du Rhone (2). Cinq semaines passent encore et le n juillet, M. Louis Ollivier, directeur de la « Revue generate des Sciences », ayant ete informe de l'invention nouvelleet pressentant Tinteret qu'elle devait presenter, offrait Thospitalite de ses salons aux freres Lumiere pour y proceder a une demonstration devant un public choisi qui lui fit l'accueil le plus sympathique. Mais le bruit souleve dans certains milieux scienti- fiques par ces demonstrations — car en 1895 il ne s'agit en rien de spectacle — etait arrive jusqu'en Belgique ; si bien que TAssociation beige de photographie voulut avoir elle aussi sa seance qui eut lieu le 10 novembre. (1) Les brevets anglais et allemand avaient ete pris respectivement les 8 et 11 avril 189$. (2) Certains de ceux qui assisterent a cette seance ont pretendu qu'en maniere de jeu, Janssen et Lagrange, les deux personnalites dont les silhouet- tes s'animaient sur l'ecran, se placerent derriere cet ecran et y repeterent la conversation au cours de laquelle V operateur les avait saisis, ce qui cons- tituerait la premiere experience de cinema parlant. 18 HISTOIRE DU CINfiMA Enfin, le 16 du m^me mois, la Sorbonne, a l'occasion de la rentree de la Faculte des Sciences, s'ouvrait devant les deux inventeurs lyonnais qui presentment leur appareil et les bandes deja enregistrees a une assemblee de savants parmi lesquels se trouvaient Lippmann et Darboux. C'est seulement alors, et forts de l'approbation qu'ils avaient ren- contree aupres de ces divers publics de professionnels de la science et de la photographie, qu'Auguste et Louis Lumiere, cedant aux sollici- tations de leur entourage, envisagerent de livrer leur invention a la foule. Pour Tun comme pour l'autre, l'appareil qu'ils avaient construit et dont ils commencaient a faire si bon usage ne devait pas sortir du laboratoire et de 1 'amphitheatre. Ce qu'ils voyaient en lui c'etait un auxiliaire pour le savant et le chercheur a qui il permettrait d'enregistrer la realite sous certains aspects insaisissables jusqu'alors et de la repro- duce, cette realite, avec un grossissement qui ne devrait rien a celui du microscope et qui meme pourrait s'afnrmer superieur a celui-ci en ce que l'observation pourrait se poursuivre et £tre renouvelee a peu pres indefiniment alors meme que l'objet a observer aurait cesse d'exis- ter depuis longtemps. Mais leur imagination ne s'etait engagee dans aucun autre domaine que celui de l'observation, de l'etude scienti- fique. Ce ne fut done pas sans resistance qu'ils consentirent a laisser organiser des seances de projection cinematographique publiques. Mais faire sortir le cinematographe du cercle restreint dans lequel il avait evolue de mars a novembre 1895 et le faire penetrer dans le grand public etait une entreprise assez delicate, necessitant des qua- lites dont les freres Lumiere, tres modestement, ne se croyaient pas doues. Ces qualites ils jugerent prudent d'aller les chercher chez un autre et ce fut au photographe Clement Maurice que M. Lumiere pere confia les nouvelles destinees de leur invention. Ce fut done a celui-ci qu'echut la responsabilite d'organiser les seances publiques qui devaient avoir lieu a Paris et de prendre toutes les dispositions indis- pensables au lancement de l'affaire. Persuade, comme tout bon Parisien de cette epoque oil le Boule- vard etait roi, que rien ne pouvait reussir hors de l'atmosphere boule- vardiere, Clement Maurice chercha entre la Madeleine et la rue Drouot le local dont il avait besoin. II le trouva a deux pas de l'Opera, exacte- ment au coin du boulevard des Capucines et de la rue Scribe, dans l'im- meuble du Grand Cafe au sous-sol duquel une petite salle pompeusement denommee « Salon Indien » se trouvait disponible. II s'entendit avec le proprietaire, M. Volpini pour une location d'un an, moyennant la somme de trente francs par jour (1), prit toutes les dispositions mate- (1) Le proprietaire du « Salon Indien » avait si peu con fiance en l'affaire. LE CINEMATOGRAPHS LUMI&RE 19 rielles necessaires et, non sans difficultes, reussit a ouvrir l'etablissement le 28 decembre 1895. Le premier programme offert a la curiosite des Parisiens compre- naitdix films dontle premier etait naturellement : La Sortie des Usines Lumiere a Lyon qui avait deja connu les applaudissements ; puis, 2° Que- relle de bebes ; 30 Le Bassin des Tuileries ; 40 Le Train (1) ; 50 Le Regi- ment ; 6° Le Marechal-f errant ; y° La partie d'ecarte ; 8° Mauvaises herbes ; 90 Le Mur ; io° La Mer (2). Chacun de ces films etait long de seize metres, sa projection durait deux minutes. L'ensemble du programme se deroulait done en vingt minutes. Puis dix minutes s'ecoulaient pour permettre a l'operateur qui actionnait a la main la manivelle de son appareil de se reposer et a une nouvelle serie de spectateurs de remplacer ceux qui venaient d'as- sister au spectacle : l'amche apposee a la porte de 1'etablissement ne mentait done pas en annoncant que les seances avaient lieu « aux heures et aux demies » (3). II y avait ainsi dix-huit seances par jour et la salle ne desemplissait pas : les trente-cinq spectateurs du 28 decembre avaient ete satisfaits et, suivant la vieille formule en usage dans les theatres forains, ils avaient « envoye leurs amis et connaissances ». Le succes avait ete assure par la seule publicite parlee car la Presse qui, en cette fin d'annee riche en f£tes et reunions de tous genres, avait sans qu'il refusa V off re que lui faisait Clement Maurice de lui payer le montant de sa location sous forme d'un pourcentage sur les recettes. S'il avait accepte cette proposition fort honnete, il aurait rapidement fait une gentille fortune car, « trois semaines apres la premiere representation, note G.-M . Coissac dans son Histoire du Cinemato graphe , les entrees se chiffraient quotidien- nement par deux mille a deux mille cinq cents, sans aucune reclame dans les journaux ». « La foule faisait queue souvent jus'qu'a la rue Caumartin, precise Clement Maurice, et se bousculait a tel point qu'il fallut etablir un service d'ordre car la salle ne pouvait contenir que cent vingt personnes au maximum. » (1) Ce film est le plus souvent cite sous le litre Entree d'un train en gare de La Ciotat. (2) Ces petits films avaient ete enregistres par un employe de la Maison Lumiere, Charles Moisson qui, etant le premier « cameraman », merite que son nom ne soit pas oublie. (3) Les seances avaient lieu, le matin de dix heures a onze heures et demie ; V apres-midi de deux heures a six heures trente et, dans la soiree, de huit heures a onze heures. Ainsi, si ce n' etait pas exactement « le permanent », I'initiative que Von devait trouver si hardie quand les dirigeants des grands palaces americains deciderent d' ouvrir leurs portes des le milieu de la mati- nee, e'est a un Francais qu'en revient le merite, si merite il y a, au directeur du premier etablissement de projection cinemato graphique public du monde, a Clement Maurice. Retire des affaires en 191 3, Clement Maurice est mort &n ^933, age de quatre-vingts ans. 20 HISTOIRE DU CINEMA doute autre chose a faire, s'etait montree a l'egard du « Cinematogra- phe » d'une discretion vraiment surprenante. C'est a peine, en effet, si « Le Radical » du 30 decembre publiait un article portant ce titre : « Le cinematographic Une merveille photo- graphique » et dont voici les premieres lignes : « Une nouvelle invention qui est certainement une des choses les plus curieuses de notre epoque, cependant si fertile, a ete produite hier soir, 14, Boulevard des Capucines devant un public de savants, de professeurs et de photographes. II s'agit de la reproduction, par pro- jections, de scenes vecues et photographiees par des series d'epreuves instantanees. Quelle que soit la scene ainsi prise et si grand que soit le nombre des personnes ainsi surprises dans les actes de leur vie, vous les revoyez, en grandeur naturelle, avec les couleurs, la perspective, les ciels lointains, les rues, avec toute l'illusion de la vie reelle. . . A signa- ler specialement la sortie de tout le personnel, voitures, etc., des ateliers ou a ete invente le nouvel appareil, auquel on a donne le nom un peu rebarbatif de « cinematographe »... II est amusant de noter 1'embarras qu'eprouve l'auteur de cet article quand il s'agit de decrire le mecanisme du spectacle qui lui a ete offert : « Scenes vecues et photographiees par des series d'epreuves ins- tantanees... » On imagine tres bien, d'ailleurs, combien tous ceux qui assisterent a ce spectacle auquel rien ni personne ne les avait prepares furent surpris puisque l'auteur de l'article du « Radical » qui, profes- sionnellement, devait avoir l'habitude de voir, fait un merite aux ima- ges qui ont ete projetees devant lui, de lui etre apparues non seulement dans « leur grandeur naturelle » — ce qui est deja quelque peu exagere — mais encore « avec les couleurs » qu'elles ont dans la vie reelle, ce qui est manifestement faux. Cette impression d'etonnement (1), on la retrouve dans un article d'Henri de Parville paru dans la revue « La Nature » : « Le Cinematographe est merveilleux. C'est d'une verite inimagi- nable. Puissance de l'illusion ! Quand on se trouve en face de ces ta- bleaux en mouvement, on se demande s'il n'y a pas hallucination et si on est simple spectateur ou bien acteur dans ces scenes etonnantes de (1) C'est la meme impression d' etonnement qui ressort des declarations faites par Clement Maurice a G.-M. Coissac : « Ce qui m'est reste le plus ty pique c'est la tete du passant arrete devant V entree, cher chant ce que signi- fiait « Cinematographe Lumiere ». Ceux qui se decidaient a entrer en sor- taient un peu ahuris. On en voyait revenir, amenant avec eux toutes les personnes de connaissance qu'ils avaient pit rencontrer sur le Boulevard. » (Histoire du Cinematographe, Paris 1925.) LE CINEMATOGRAPHE LUMIERE 21 realisme. MM. Lumiere avaient projete une rue de Lyon (1). Les tramways, les voitures circulaient et avancaient dans la direction des spectateurs. Une tapissiere arrivait sur nous au galop de son cheval. Un de mes voisins etait si bien sous le charme qu'il se leva d'un bond et ne se rassit que lorsque la voiture tourna et disparut. On distingue tous les details : les tourbillons de fumee qui s'elevent, le fremissement des feuilles sous Taction de la brisc. C'est bien la nature prise sur le fait ; tout cela, vit, marche, court. Voila de vrais portraits vivants ! » Cette surprise emerveillee reflete bien le souci de realisme qui pesait a l'epoque sur les esprits — le cinematographe etait « une merveille photographique », la « demonstration » en etait faite — mais elle etait a peu de chose pres du m§me ordre que celle qui nait dans une salle de music-hall en face des exercices, plus ou moins mysterieux, plus ou moins en contradiction apparente avec les lois de la nature, d'un pres- tidigitateur ou d'un illusionniste : on etait amuse, interesse mais on aurait ete regarde comme un fou si, en quittant le Salon Indien, on avait ose pretendre comme le fera, vingt-cinq ans plus tard, Pierre Seize, qu'avec le cinematographe « un nouvel age de l'Humanite etait ne ! » Cette verite pourtant, un homme l'avait entrevue : Armand Sil- vestre qui, a peine sorti du sous-sol du Grand Cafe, l'avait repandue dans les salles de redaction et les cafes du Boulevard. Mais Armand Silvestre etait poete (2) : les cafes et les salles de redaction, avec leur scepticisme traditionnel, avaient souri a ses vaticinations et Ton avait (1) Ce tableau de rue se trouve dans la bande intitulee La Place de la Bourse a Lyon qui ne figure pas dans le programme d'ouverture du « Salon Indien » mais est une des huit bandes projetees en juin i8g$ devant les membres du Congres des Societes de Photographie reuni a Lyon. Cette bande jut egalement inscrite au programme d'une seance qui jut donnee a quelques invites le 27 decembre. Y figurait egalement L'Arroseur arros6. C'est a I'issue de cette seance que Melies, qui etait parmi les invites, offrit dix mille francs a Lumiere pour devenir possesseur de I'appareil aux debuts duquel il venait d'assister. Void les titres de quelques-unes des premieres bandes enregistrees par les freres Lumiere et qui, avec celles dont etait compose le spectacle du 28 de- cembre au « Salon Indien », firent le fond des premiers programmes ofierts au public tant a Paris qu'en province et a V etr anger : Le gouter de Bebe, La peche aux poissons rouges, Soldats au manege. (2) Un autre homme avait devine V importance du Cinematographe , un journaliste, Louis Forest, qui ecrivit : « J'ai assiste a la premiere represen- tation de cinematographe qui fut donnee a Paris dans une cave des boule- vards... A cette premiere representation, la projection ne fut pas fameuse... L'ecran dansait, papillotait. U image avancait par petites secousses ... On entendit alors des reflexions spirituelles et stupides... J'avais, a ce spec- tacle, comme voisine une artiste qui regla la chose en six mots : « Bon pour 22 HISTOIRE DU CINEMA continue d'avoir sur le cinematographe i'opinion qu'en avaient ses inventeurs maintenant qu'il etait sorti du laboratoire et de son role d'observateur, opinion que Tun d'eux exprimait sans detours quand il disait a Felix Mesguich qu'il engageait comme operateur : — Vous savez, Mesguich, ce n'est pas une situation d'avenir que nous vous offrons. C'est plutot un metier de forain. Cela peut durer six mois, une annee, peut-etre plus, peut-etre moins ! (i) « Cela » dura six mois, « cela » dura un an et plus. Et le 17 mars 1926, conformement a une resolution prise par le Conseil municipal de Paris, sur la proposition de Leon Riotor, une plaque de marbre etait apposee, sur la facade de l'immeuble du 14, boulevard des Capucines qui avait abrite le Salon Indien. Sur cette plaque l'inscription suivante : « Ici, le 28 decembre 1895, eurent lieu les premieres projections publiques de photographie animee a l'aide du cinematographe, appa- reil invente par les freres Lumiere. » Le jour de cette ceremonie, le cinematographe avait un peu plus de trente ans. Aujourd'hui que « cela » a un peu plus de cinquante ans, nul n'est encore capable de prevoir ce que « cela » deviendra ! la foire a Neuilly ! » Elle s'etonnait de mon attention. Et quand je lux dis : « Nous assistons a un des moments les plus extraordinaires de I'Humanite. La langue universelle est trouvie », elle me regarda avec des yeux tout ronds ! » Malheur eusement cet article n'est pas date de decembre i8g$ ou de Janvier i8g6, mais du 75 avril ig2i , date a laquelle il a paru dans « Cinemagazine » sous le titre « L' Ecriture-langue universelle. » (1) Felix Mesguich : « Tours de manivelle » (Grasset, Editeur. Paris 1933.) LE CINEMA AVANT LE CINEMA 0) L 'inscription figurant sur la plaque de marbre dont s'orne depuis le 17 mars 1926 la facade de rimmeuble portant le numero 14 du boulevard des Capucines, rappelle quec'estla qu'eurent lieu « les premieres projections publiques de photo- graphic animee a l'aide du cinematographe » ce qui est incon- testable mais prudent et ne peut apporter aucun argument decisif a ceux qui amrment que l'invention de l'appareil qui permet l'enregis- trement du mouvement et la projection de l'image animee — quel que soit le nom que Ton donne a 1'appareil — est le fait des seuls freres Lumiere, non plus qu'a ceux qui leur contestent ce merite au benefice de tel outel de leurs concurrents, francais ou etrangers. C'est qu'en cette question, comme en bien d'autres, la verite ne peut trouver son expression dans une formule decisive et brutale, 1'ap- pareil utilise par les freres Lumiere dans la petite salle du Grand Cafe, s'il est un point de depart, etant aussi une conclusion, l'aboutissement de recherches s'etendant sur plusieurs lustres et auxquelles avaient participe de nombreux savants et techniciens. Que ces travaux aient permis a Auguste et a Louis Lumiere, leur heure venue, de fournir leur effort personnel et que cet effort ait ete decisif, nul n'oserait pretendre le contraire, mais il n'en est pas moins vrai qu'il en fut de meme dans le domaine de la radio ou Marconi ne fut ni le premier ni le seul — avant les freres Lumiere il y eut les Plateau, les Marey, les Reynaud, les Edison et quelques autres dont les efforts, les initiatives, les trouvailles constituent la prehistoire du cinema : le Cinema avant le Cinema. La solution du probleme du cinematographe — tel qu'il se presente a nous encore aujourd'hui — car le son n'est pas un des elements indis- pensables de la question — depend ait de trois problemes differents : 1 'etude du mouvement, l'enregistrement du mouvement et la projection de l'image animee. Par un hasard, curieux encore que facilement expli- cable, c'est le dernier de ces trois problemes qui recut le premier sa (j) Pour tout le detail de l'invention du Cinema et de V Histoire du « Cinema avant le Cinema », on peut se reporter au premier volume de « I' Histoire Generate du Cinema » (1832-1897), par Georges Sadoul (Denoel, editeur, Paris, 1945). 24 HISTOIRE DU CINEMA solution, l'etude et a fortiori l'enregistrement du mouvement n'ayant etc* possible qu'apres la mise au point de l'appareil photographique, alors que ce qu'il est convenu d'appeler la « lanterne magique » rendait depuis longtemps possible la projection des images fixes et m£me des images animees, car le dessin anime existe bierravant la photographic Lanterne magique et ombres chinoises A en croire certains historiens, la lanterne magique etait connue en Egypte des l'epoque des Pharaons et on en a, d'autre part, retrouve des vestiges certains dan^ les ruines d'Herculanum. De l'Egypte et de la Rome antique jusqu a nos jours on pourrait ecrire une histoire de l'optique et de la projection de l'image, au cours de laquelle se rencon- treraient bien des noms illustres a d'autres titres, de Bacon qui, de ce chef, ayant ete accuse de sorcellerie ne se tira d'affaire que sur Tintervention personnelle du Pape Innocent IV, a Leonard de Vinci et a Benvenuto Cellini, et qu'agrementeraient de pittoresque les expe- riences, exploits et tours en tous genres de quelques magiciens habiles a exploiter l'ignorance de leurs contemporains. Mais au debut du XVIIe siecle,un nouveau chapitre de cette his- toire s'ouvre avec le jesuite Athanase Kircher qui, s'inspirant des tra- vaux de Jean-Baptiste della Porta qui avait invente la « camera obs- cura » (chambre noire) laquelle, deux siecles plus tard, sera la base de Tinvention de la photographie, construisit la premiere veritable lan- terne magique. Presque simultanement, un autre membre de la Com- pagnie de Jesus, Claude Milliet de Chales, inventait un appareil du meme genre, mais un peu moins rudimentaire. Des lors, la lanterne magique connut tant en France et en Italie qu'en Allemagne et dans les pays nordiques, ou le Danois Thomas Walgenstein avait frustre le P. Kircher de son invention — une popularity si grande que l'abbe* Jean-Antoine Nollet qui, pourtant, s'etait interesse au nouvel appa- reil au point d'y apporter quelques heureuses ameliorations, regretta cette popularity dont il ne craignit pas de dire qu'« aux yeux de bien des gens elle avait rendu la lanterne magique ridicule ». La lanterne magique, des lors, etait mure pour tomber au rang de jouet pour les enfants. C'est ce qui arriva le jour ou Florian lui eut porte un coup quasi mortel avec sa fable « Le Singe qui montre la lanterne magique » au point que G. Michel Coissac n'hesite pas a affir- mer qu'au declin du XIXe siecle, les instituteurs se refusaient encore a employer les projections dans leurs classes, car ils auraient cru de- choir en utilisant un instrument ridiculise par un singe... Ce qui, d'ail- leurs, n'avait pas emp^che, bien au contraire, certains charlatans et LES PRECURSEURS 25 exploiteurs de la credulite humaine, de presenter en diverses i-alles a la porte desquelles les foules s'ecraiaient, des visions terrifiantes plus ou moins bien truquees qui semblent bien etre le plus frequent emploi de la lanterne magique, a en croire la definition que donne de celle-ci le dictionnaire de Richelet (1790) : « C'est line petite machine d'optique qui fait voir dans l'obscurite, sur une muraille blanche, plusieurs spectres et monstres affreux de sorte que celui qui n'en sait pas le secret croit que cela se fait par un art magique. » Le besoin d'avoir peur est aussi profondement inherent a la nature humaine que la credulite. C'est aussi a des spectacles de ce genre que se consacra, dans les annees 1800, le physicien beige Robertson qui avait apporte a la technique de la lanterne magique de tels perfectionnements qu'aucun de ceux qui assistaient a ses seances n'aurait ete assez mal avise pour faire un rap- prochement entre les visions de cauchemar dont il gratiiiait son public et l'enfantine lanterne magique ridiculisee par le fabuliste. Robertson se distingua d'ailleurs de ses predecesseurs, parmi lesquels il ne faut pas oublier de ranger le trop celebre Cagliostro, en ceci qu'il ne cherchait pas a faire croire qu'il disposait d'un pouvoir mysterieux et que le spec- tacle qu'il dirigeait etait d'ordre surnaturel, mais bien au contraire a prouver que tout ce qu'il faisait etait logique et n'etait que la mise en pratique de principes scientifiques et de procedes rigoureusement etudies et mis au point. Peut-on s'etonner si, dans ces conditions, Ro- bertson est, de tous ceux qui ont pratique la lanterne magique, celui qui, seul entre tous, semble avoir eu le pressentiment du cinemato- graphe et meme d'un procede constituant une des caracteristiques essentielles de l'appareil cinematographique : le grossissement du sujet par deplacement de l'appareil d'enregistrement de l'image ? Naturellement, n'ayant pas d'appareil pour enregistrer les images qu'il proj etait, Robertson n'en pouvait deplacer l'objectif, mais son « Phantascope » donnait l'illusion du rapprochement et de l'eloi- gnement des personnages projetes grace a une variation d'eclai- rage et surtout au chariot sur lequel il etait monte, ce qui lui permettait de se rapprocher a volonte de l'ecran et par consequent d'agrandir plus ou moins l'image qu'il y projetait. On voit tout ce qu'il y a d'original dans Taction de Robertson, dont on peut dire, sans la moindre exage- ration, qu'il est un precurseur. Mais si intersssant que soit cet effort, nous sommes encore loin du cinema *,t il ne faudra rien attendre qui annonce vraiment la projection du mouvement jusqu'a la decouverte de la photographie par Niepce et Daguerre. Pourtant, sous pretext e qu'elles ne doivent rien a la photographie, il ne faudrait pas se montrer in juste en vers cette autre variation — et des plus populaires — de la projection des images plus ou moins animees que sont les ombres chinoises. 26 H1STOIRE DU CINEMA Comme leur nom l'indique, les ombres chinoises viennent de Chine ou elles etaient connues des le Moyen Age. Importees en Allemagne au milieu du XVIIIe siecle, elles firent leur apparition en France en 1772 par les soins de Seraphin a qui elles allaient rapidement valoir une grande popularity. Installe pour la premiere fois a Versailles, l'ecran de Seraphin se transporta en 1784 au Palais-Royal qui etait alors le centre de la vie de plaisir de Paris. Les ombres chinoises resterent la de longues annees, faisant Tamusement des chroniqueurs qui disaient d'elles que « produites par diverses combinaisons de lumieres et d'om- bres, elles representent au naturel toutes les attitudes de l'homme et executent des danses de corde et de caractere avec une precision eton- nante. Des animaux de toutes especes y passent en revue et font tous les mouvements qui leur sont propres sans qu'on apercoive ni fil, ni cordon pour les soutenir et les diriger ». Puis, avec la petite niece du fondateur, elles suivirent le mouvement de la vie parisienne et se transporterent dans le voisinage des grands boulevards. En 1859, le Theatre Seraphin abandonna le genre qui avait fait son succes pour se consacrer aux marionnettes. Les ombres chinoises con- nurent alors une eclipse, n'ayant plus a leur service que des imitateurs sans originalite, mais dans les quinze dernieres annees du siecle elles reparurent au premier plan de la vie parisienne, sur la petite scene du cabaret du « Chat Noir 0 de Rodolphe Salis, a la vogue duquel elles con- tribuerent pour une bonne part grace a Caran d'Ache, a Henry Riviere et a quelques autres et leur vogue dura jusqu'au lendemain de l'expo- sition de 1900. Mais a cette epoque le cinema s'etait deja impose et aucune concurrence n'etait possible entre lui et les ombres chinoises. Celles-ci, d'ailleurs, ne devaient pas leur succes a une reproduction realiste de la vie animee mais bien plutot a une interessante stylisation de cette vie fixee dans des lignes et des formes heureusement choisies, et le mouvement n'y intervenait qu'exceptionnellement. La lanterne magique — ou plutot la « lanterne de projection)), pour lui donner son nom moderne — etait l'instrument qui allait permettre a Timage animee d'entrer en contact avec le public, surtout a partir du moment ou Telectricite, rempla^ant le gaz, le petrole, 1'huile, la chandelle, fournit a cet appareil une source lumineuse plus genereuse, plus reguliere, plus sure. Mais le probleme de Tenregistrement de Timage animee capable de fournir a cet appareil l'aliment dont il avait besoin, restait a resoudre. LES PRfiCURSEURS 27 Principes scientifiques A la base de l'etude du mouvement et des travaux devant aboutir a l'enregistrement puis a la reproduction du mouvement il y a un principe, celui de « la persistance des impressions retiniennes ». La decouverte de ce principe remonte-t-elle a Ptolemee, a Lucrece ou a l'Anglais Peter Mark Roget (1825) ? Le merite n'en revient-il pas plu- t6t a Tabbe Nollet et a son disciple Brisson qui, dans l'editionde 1781 du « Dictionnaire de physique », ecrit : « L'impression que faitl'objet sur l'ceil lorsqu'il est dans un certain endroit de son cercle subsiste pendant le temps tres court que l'objet met a parcourir ce cercle et l'objet est vu, pour cette raison, dans tous les points du cercle a la fois. » Peu importe. Ce qui est certain et que nul ne conteste, c'est que le prin- cipe physique et biologique de la persistance des impressions sur la retine a 6te solidement etabli en 1829 par le physicien beige Plateau qui a fixe la duree de cette persistance a un dixieme de seconde, ce qui implique que, pour que le cerveau humain aitl'illusiond'un mouvement continu, il faut que les images que l'ceil enregistre se repetent au moins a raison de dix par seconde, ce qui a amene les inventeurs du cinema- tographic a fixer a seize le nombre des images que leur objectif doit enregistrer a la seconde. (1) Cette frequence permet l'illusion absolue du mouvement et l'ceil possede l'entiere faculte de « voir » les phases intermediaires de ce mouvement grace a la persistance des impressions que laisse sur sa refine chacune des seize images qu'il voit se succeder a la seconde. Tout cela nous parait aujourd'hui d'une simplicite quasi enfantine, mais ne Tetait point il y a un siecle et, avant d'arriver a cet abou- tissement qu'est l'appareil des freres Lumiere, nombreux sont les savants, les esprits ingenieux qui se sont evertues a etudier le mouve- ment, a en faire la synthese et a chercher le moyen de l'enregistrer et de le reproduire. C'est en France que les chercheurs ont ete les plus nombreux et, comme il arrive souvent dans ce pays, certains de ceux-ci n'attachaient pas une tres grande importance a leurs travaux et n'ambitionnaient que d'amuser leurs enfants ou ceux de leurs voisins — ce qui ne surprendra aucun des habitues du Concours Lepine ou, sous forme de jouets, ont pour la premiere fois figure tant d'inventions (1) Tant que le cinema vesta silencieux , il se contenta de ces seize images a la seconde. Quand il devint parlant, il enregistra et projeta vingt-quatre images a la seconde. 28 HISTOIRE DU CINEMA appelees a connaitre d'interessantes applications scientifiques on industrielles. C'est ainsi que, des 1823, un certain docteur Paris imagina pour son fils un jouet constitue par un disque de carton tenu aux deux extre- mites d'un de ses axes par des fils qu'on tordait et qui, en se defendant, communiquaient au disque un mouvement de rotation qui permettait de voir un oiseau dans sa cage, l'oiseau etant dessine sur une face du disque et la cage sur l'autre face : c'etait le « taumatrope ». Plateau Le « Phenakisticope » que Plateau imagina vers la meme epoque (1829) se composait d'un disque perce de fentes verticales sur la face interieure duquel figuraient huit images differentes representant huit phases successives d'un meme mouvement. En se placant devant un miroir et en regardant d'un ceil a travers les fentes du disque tournant rapidement, on voyait par reflexion les images s'animer, en vertu d'un principe que l'inventeur de l'appareil formulait ainsi : « Si plusieurs objets differant graduellement entre eux de forme et de position se montrent successivement devant l'ceil pendant des intervalles de temps tres courts et sufnsamment rapproches, les impressions successives qu'elles produisent sur la retine se lient entre elles sans se confondre et Ton croit voir un seul objet changeant graduellement de forme et de position » : ce qui est le principe m£me du cinematographe. II n'est done pas temeraire de pretendre que le physicien beige est l'ancetre — du moins en ce qui concerne la theorie — du cinema. Par la suite, Plateau perfectionna son « Phenakisticope » et c'est sous sa forme amelioree que cet appareil eut la chance de retenir pen- dant quelques instants la curiosite de Baudelaire qui, dans « L'Art romantique », au chapitre « La morale du Joujou » en donne cette defi- nition : « Cercle troue d'une vingtaine de petites meurtrieres, a l'inte- rieur duquel se trouve un autre cercle, ou de petites figures decompo- sent un exercice de danseur ou de clown, et un jeu de glaces. Appliquez votre ceil a la hauteur des petites fenetres, la rapidite de la rotation transforme les vingt ouvertures en une seule, circulaire, a travers la- quelle vous voyez se reflechir dans la glace vingt figures dansantes exactement semblables et executant les memes mouvements avec une precision fantastique. » (1). Qui se serait attendu a rencontrer en cette affaire l'auteur des « Fleurs du Mai » ? (1) Cite par G.-M. Coissac dans son « Histoire du Cinematographe ». LES PRfiCURSEURS 29 En meme temps que Plateau ameliorait son « Phenakisticope », I'Americain Hcerner, en 1833, faisait breveter son « Zootrope » (ou « Wheel of Life »), le Dr. Lake lancait un « Phantascope », Stampfer un « Stroboscope » et Franz von Uchatius un « Kinetoscope ». Ce n'etaient la que des jouets, des jouets aussi imparfaits par leur technique que par leur construction et par tout ce que la mise au point des dessins qu'ils utilisaient avait d'incertain. Mais il convient de ne pas en sous- estimer l'importance car ils montraient combien le probleme de la reconstitution du mouvement preoccupait les esprits. La decouverte et la vulgarisation de la photographie avaient apporte des facilites nouvelles a l'etude de ce probleme dont la « chronophoto- graplue » marque une etape importante qui, si elle n'aboutit pas encore a la reproduction, ni m^me a 1'illusion du mouvement, en permet du moins une analyse plus facile et plus exacte. Janssen et Marey Citer les noms de tous ceux qui ont travaille dans le domaine de la « chronophotographie » serait fastidieux, mais du moins faut-il dire quelques mots de ceux d'entre eux dont les travaux ont eu le plus d 'importance et notamment de Thomas-Hooman Du Mont qui, des 1859, faisait breveter a Londres un appareil photographique per- mettant de reproduire toutes les phases d'un mouvement (1), Louis Ducos du Hauron (1864) qui prenait un brevet non seulement pour la photographie du mouvement mais encore pour un appareil « sus- ceptible de projeter ces photographies sur une toile ». Et voici Janssen qui, avec son « revolver astronomique » destine a fixer sur des plaques differentes les phases du passage de Venus devant le soleil, fait faire un pas important a la « chronophotographie » (1874) non pas tant par les resultats que cet appareil lui permit d'obtenir, car, astronome, Janssen ne persevera pas dans la voie ou il avait donne l'impression de vouloir s 'engager, mais parce que son idee et ses tra- vaux furent repris et perfectionnes par le physiologiste Etienne- Jules Marey. Celui-ci, partant du principe esquisse par Janssen, imagina « le fusil photograpnique » qui permettait d 'enregistrer une serie d'images separees Tune de l'autre par un intervalle tres court (un douzieme de seconde, alors que chez Janssen soixante-dix secondes s'ecoulaient d'une image a Tautre). Ce « fusil » etait lourd et assez difncilement ma- (1) Cet appareil permettait d'obtenir douze cliches successifs « pris a quelques secondes d 'intervalle ». On etait done encore fort loin de la synthese du mouvement. 3o HISTOTRE DU CINEMA niable. II permit pourtant a Marey de photographier des oiseaux en plein vol de maniere assez precise pour fourrrr des indications extre"- mement interessantes sur le mouvement des ailes. Encourage par les premiers resultats qu'il obtint, Marey apporta a son appareil des per- fectionnements successifs, qui aboutirent a la mise au point du « chrono- photographe » grace auquel il pouvait montrer « les details d'analyse d'un mouvement en le reconstituant sur l'ecran a l'aide de quarante a soixante images positives »... Marey, on le voit, etait encore loin du cinema puisque lui-meTne ne parle que de l'analyse et non de la syn- thase du mouvement. Demeny et Reynaud A cote de Marey, il faut citer Demeny qui fut son collaborateur immediat et qui presenta, en 1891, un appareil destine a reproduire les mouvements de la parole et les jeux de physionomie, le « Phonoscope », grace auquel il photographia les positions successives de la bouche d'un homme prononcant ces trois mots : «Je vous aime». Et Ton arrive ainsi a Emile Reynaud qui, des 1877, avait invente un appareil denomme « Praxinoscope » qui etait un nouveau perfectionnement du « Phena- kisticope » et en 1882 le « Praxinoscope de projection)) qui prit aussi le nom de « Theatre optique » dans lequel, grace a une ingenieuse com- binaison de projecteurs et de glaces, les images dessinees, utilisees dans le « Praxinoscope », etaient reproduites sur un ecran, devant un public plus ou moins nombreux (1). L'idee etait ingenieuse, les effets obtenus interessants et meritaient le succes, mais ce « Theatre optique » d 'Emile Reynaud n'avait encore rien de commun avec le cinematrographe tel qu'il allait faire, un peu plus tard, son apparition a Paris. Mais Emile Reynaud a un autre titre a la gratitude de ceux qui aiment le cinema : c'est, en effet, a lui qu'est due la perforation du film, grace a quoi la projection connut la precision qui lui etait indispensable. A lui et non, comme on l'a dit a tort quelquefois, a Thomas Edison. (2) En Amerique : de Muybridge a Edison L'Amerique, en effet, s'etait elle aussi preoccupee des memos pro- blemes et elle avait eu son pionnier en la perscnne d'un photographe (1) La premiere representation publique du « Theatre optique » avait eu lieu an Musee Grevin, le 28 octobre 18Q2. Le succes en avait ete imme- diatement assez grand pour que cinq seances fussent donnees chaque apres- midi et trois chaque soir. (2) V. p. 133- LES PRfiCURSEURS 31 californien Edward Muybridge. Celui-ci, qui avait reussi a interesser a ses travaux le Gouverneur de l'Etat, Leland Stanford, s'etait, en 1878, livre a une curieuse experience demeuree celebre. Ayant installe sur le champ de courses de Sacramento douze appareils photographiques dont les obturateurs etaient commandes par autant de fils tendus d'un cote a l'autre de la piste, il reussi t a prendre douze images differentes d'un cheval blanc lance au galop et qui, dans sa course, avait rompu successivement les fils relies aux douze appareils mis en batterie le long de la piste. Et ces douze images apportaient a l'etude du mouve- ment une contribution si interessante que cinq d'entre elles, publiees dans la revue « La Nature » etant tombees sous les yeux de Marey, celui-ci chercha a faire la connaissance de Muybridge. Les deux hom- ines se rencontrerent a Paris en 1881 et se mirent au courant de leurs travaux. Muybridge perfectionna sa « batterie photographique » et obtint d'interessants resultats surtout lorsqu'il eut invente un appareil de projection (1) qui lui permit de mener de front les deux aspects du probleme : l'enregistrement et la reproduction du mouvement. C'est aussi a l'enregistrement en meme temps qu'a la reproduction du mouvement que travaillait depuis 1887 Thomas Edison, seconde par l'Ecossais W. K. Laurie Dickson et le Francais Eugene Lauste. Mais ce fut seulement en 1891 qu'il prit un brevet pour un appareil de prise de vues, le « Kinetograph » qui resta toujours un peu mysterieux, n'ayant jamais ete mis dans le commerce, et pour lequel George Eastman (de Rochester) fabriqua des pellicules speciales, plus souples que celles qui sortaient jusqu'alors de ses usines. Deux ans plus tard, le « Kinetograph » se completa du « Kinetoscope » destine a reproduire les images enregistrees par le premier appareil. Mais le « Kinetoscope » ne servait pas a la projection : pour voir les images animees, il fallait se pencher sur une sorte de boite qui les contenait et qui etait munie d'un oculaire. Cet appareil fut presente pour la premiere fois a la curiosite du public a l'Exposition Universelle de Chicago ou il obtint un tres vif succes. Bien que de format forcement tres reduit, les images reprodui- saient le mouvement avec une fidelite suffisante pour que le spectateur — car une seule personne pouvait se pencher sur l'oculaire de l'appareil — eut Timpression de la vie. De ce succes, les collaborateurs d' Edison chercherent un moment a profiter, au lendemain de la naissance du cinema, pour revendiquer la paternite de celui-ci en faveur d'Edison mais on doit reconnaitre que l'inventeur americain a longtemps attache plus d'importance aux travaux qu'il menait dans le domaine de l'enre- gistrement du son que dans celui de la reproduction du mouvement. (1) Une description minutieuse de V experience de Sacramento a eU donnee par Robert Florey dans Filmland. 32 HISTOIRE DU CINEMA A la meme epoque, les Etats-Unis possedaient encore d'autres cher- cheurs, tel Francis C. Jenkins qui, a Richmond, en juin 1894, projeta des images animees sur un mur a l'aide d'un appareil baptise par lui « Phantoscope ». Les resultats de cette experience furent suffisants pour qu'un autre chercheur, Thomas Armat, s'associat avec Jenkins a fin de construire un nouvel appareil qui rappelait beaucoup le « Kine- toscope » de Thomas Edison. Quelque temps plus tard, Armat quittait Jenkins au profit d'Edison avec qui il lan^a le « Vitascope » dont la premiere demonstration publique eut lieu a New- York, en avril 1896, c'est-a-dire quatre mois apres l'apparition du cinematographe sur le Boulevard parisien, ce qui mettrait le point final a l'histoire du cinema avant le cinema sur le territoire des Etats-Unis s'il n'y avait eu, en 1895, 1 'appareil — de fort ephemere existence — mis au point par Eu- gene Lauste sous le nom d' « Eidoloscope »qui permettait de donner des seances de deux heures sans interruption — ce qui ne s'etait encore jamais vu — et s'il n'y avait eul' American Bicgraph d 'Herman Casler qui fut brevete le 10 juillet 1897... Mais a. cette date, le cinematographe etait deja une vieille connaissance pour tous ceux qui s'interessaient a l'analyse et a la synthese du mouvement et rrime pour quelques autres. En Europe Enfin, il serait in juste de ne pas faire une place dans cette rapide revue des efforts plus ou moins hcureux, plus ou moins productifs, ci quatre hommes qui ont, eux aussi, apporte leur pierre a 1 'edifice commun qu'est l'invention du cinematographe : un Polonais, Casimir Proszynski, qui construisit un appareil primitif assez proche de celui des freres Lumiere, un Anglais, William Friese-Greene qui, apres avoir travaille avec Fox Talbot, fit breveter, en 1889, en association avec Mortimer Evans, un appareil capable de prendre des series de vues ins- tantanees et en 1893 un appareil de projection ; deux All^mands, Ottman Anschiitz qui, en 1883, renouvela les experiences de Muy- bridge et les perfectionna mais n'aborda jamais le probleme de la projection, et Max Skladanowski qui, ayant pris en 1895 le brevet d'un appareil, denomme « Bioscope » s'en servit pour donner au Winter- garten de Berlin des seances de projection qui rappelaient celles que Reynaud donnait au Musee Grevin de Paris avec son « Theatre optique » et qui connurent un succes egal et du meme genre (1). (j) La premiere seance du « Bioscope » de Max Skladanowski eut lieu an Winter gavten, le iei novembre 1895. 3. Emile Reynaud. 4. Etienne-J. Marey 5. Une seance du « Theatre Optique », d' Emile Reynaud. 6. Le premier appareil cinematographique construit par les freres Lumiere. 7. Le premier << chasseur d'images a, Felix Mesguich, au Spitzberg. LES PRfiCURSEURS 33 Lumiere et Edison Aucun de ces « pionniers » ne pensa jamais a contester aux freres Lumiere le merite de leur invention, m^me lorsque le cinema fut devenu une sorte d'enfant prodige dont il pouvait etre tentant d£ revendiquer la paternity et c'est seulement au bout d'unlaps de temps relativement long que des polemiques s'eleverent, du fait d'hommes indiscutable- ment bien intentionnes, soucieux de faire rendre justice a tel ou tel de ces precurseurs. Pourtant, en Amerique, il en alia un peu autrement et c'est au len- demain meme de la naissance du cinema que des considerations d'ordre sentimental et plus encore peut-etre national valurent a Thomas Edison d'etre presente comme l'inventeur de l'appareil vers lequel les foules s'empressaient amus^es, interessees, seduites. Comment, en effet, pouvait-on imaginer que ce qui allait devenir l'art national des Etats- Unis — on en avait le pressentiment — put ne pas £tre ne sur le sol americain et du fait d'un citoyen de la libre Republique ? Cette pre- tention, quoique explicable, ne saurait &tre raisonnablement soutenue et il ne faut pas plus exagerer que diminuer le role joue par Thomas Edison dans la recherche de la solution que comportait le problem e de la reproduction du mouvement. L'id^e de la projection animee etait dans l'air. Comme Plateau, comme Marey, comme Reynaud, Edison permit a cette idee d'evoluer, de prendre corps mais nul ne peut amrmer que, sans les freres Lumiere, Timage animee aurait brise" la boite a l'interieur de laquelle Edison Tavait enfermee en construisant le « Kinetoscope » et aurait triompha- lement bondi jusque sur l'ecran. Et ce n'est pas une raison parce qu'il est indiscutable que les freres Lumiere se sont penche's sur ledit « Kine- toscope » pour pretendre qu'il se sont contentes d'imiter l'ceuvre d'Edison. Le marechal Joffre disait avec autant de philosophie que de bon- homie : « On me conteste le merite de la victoire de la Marne. Mais si j'avais perdu cette bataille, tout le monde serait d'accord pour m'en faire porter la responsabilite. » II en va un peu de meme pour les freres Lumiere. Si ceux-ci n'avaient, le 28 decembre 1895, offert aux Parisiens qu'une experience ne differant en rien de celles auxquelles s etaient livres les Plateau, les Muybridge et m&ne les Reynaud et les Edison, personne ne penserait a leur attribuer la paternite du nouveau mode d'expression dela vie qu'est I2 Cinematographe et ce n'est pas une raison parce qu'ils ont atteint avant tous leurs concurrents le but vers lequel 34 HISTOTRE DU CINEMA avaient, pendant si longtemps, tenclu lcs efforts communs de tous (i), pour les priver du merite de cette reussite et leur contester une paternite a laquelle ils ont droit (2). (j) Dans son ouvrage Filmspiegel, Rudolf (Ertel donne la liste de tous les appareils plus on moins exploites avant celui des freres Lumiere ou a pen pres en mime temps. II y en a exactement 12$ dont quelques-uns portent des noms assez etranges pour meriter d'itre rappeles : Aerial gra- phoscop, Chronophotographoscope, Klondikoscope, Mimicoscope, Picturia- lograph, Shadographoscope, Vilcocigraphiscope. (Rudolf (Erlel : Film- spiegel, Wilhelm Frick Verlag, Wien, 1941.) (2) Le 28 decembre 1945, jour anniversaire de la premiere seance de cinema dans le petit « Salon Indien » du Grand Cafe, alors qu'aucune ceremonie n'avait offtciellement ete organisee pour commemorer ce cinquan- tenaire, un grovipe d' amis du Cinema en tete desquels figuraient deux vedettes : Andre Luguet, president de a I' Union des Artistes* et Pierre Blanchar, president du « Comite de Liberation du Cinema » et un metieur en scene, Andre Berthomieu, president du « Syndicat des Techniciens », fit apposer sur Vimmeuble portant le n° 14 du boulevard des Capucines, une seconde plaque portant V inscription suivante : « a reynaud, marey, DEMENY, LUMIERE ET MELIES, PIONNIERS DU CINEMA, HOMMAGE DES PROFESSIONNELS A L'OCCASION DU CINQUANTENAIRE, 28-12-1^4$ ». Placee a cote de celle qui rappelle « les premieres projections de photo- graphic a I' aide du Cinematographe , appareil invente par les freres Lu- miere », cette seconde plaque, indiscutablement nee d'un sentiment de justice, prend I' aspect d'une revendication dont les freres Lumiere font les frais. En outre, on peut se demander pourquoi aux noms de Reynaud, Marey, Demeny et Lumiere qui participerent a la rnise au point de V invention de I' appareil, vient s'ajouter celui de Melies, dont le role dans Vhistoire du Cinema est tout different. Enfin, etant donne la presence du nom de Melies, on peut regretter que le nom d'Emile Cohl, qui lui aussi fut un ic-pionnier » francais, et du mime ordre que Melies, ne figure pas a cote du nom de celui-ci. DEUXlEME partie JEUNESSE DU CINEMA FRANQAIS 1895-1918 1 LES PREMIERS PAS ET LES PREMIERS FILMS D onc le cinematographe est ne, il regne sur le Boulevard, la curiosite qu'il souleve ne s'apaise pas et, pour assurer son existence, repondre aux demandes qu'il provoque, satis- faire les besoins de la consommation, il lui f aut recruter un personnel et improviser les regies qui regiront sa vie. En Leopold Maurice, les freres Lumiere avaient trouve leur premier collaborateur. Felix Mesguich qu'ils avaient engage comme operateur ne rendit pas moins de services que Leopold Maurice au jeune cinema- tographe. Mesguich n'avait pas fait un long apprentissage — le maniement de l'appareil de prises de vues comme de celui de projection n'etait pas difficile, le mecanisme de l'un comme de l'autre etant extr&mement simple — et, des le milieu de Janvier, le jeune homme — il sort ait tout juste du regiment — 6tait pr€t a exercer le metier inattendu dans lequel le hasard venait de le faire entrer. Le 25 Janvier 1896, Mesguich pre- nait possession de la cabine de l'etablissement qui venait d'etre hati- vement ouvert — car la curiosite du public ne pouvait pas attendre — a Lyon, 1, rue de la Republique. De la, il alia organiser de nouvelles salles a Macon, a Chalon-sur-Saone (1). (1) Parmi les premiers collaborateurs des freres Lumiere, il convient de ne pas oublier M. Promio qui, des le ddbut de 18 g6, partait pour un long voyage a tr avers V Europe, « a fin, a-t-il note lui-meme, de recueillir le plus rapidement possible des vues nouvelles pour alimenter les demandes ». Le voyage debuta par I'Espagne et se poursuivit par I'Angleterre, la Bel- gique, la Suede. A Stockholm, Promio ayant enregistre I' inauguration d'une Exposition par le Roi Oscar a onze heures du matin, presenta a sept heures du soir la bande developpee et tiree en positif devant le Souverain qui se ddclara « etonne et ravi ». Promio alia ensuite en Allemagne — c' est la qu'un dimanche, tous les magasins de photographes possedant une chambre noire etant fermes, Promio rechargea son appareil en transformant un cercueil en chambre noire — puis en Italie ou, pour la premiere fois, il enregistra une vue panoramique a Venise, sur le Grand Canal. Son tour d' Europe acheve, Promio se rendit aux Etats-Unis ou, comme Mesguich, il fut I'objet d'une curiosite, d'une sympathie et d'un enthousiasme unanimes. II mourut en 192J apres avoir ete directeur des services photographiques du Gouvernement General de V Alger ie. 38 HISTOIRE DU CINEMA EN EUROPE En meme temps, l'usine oil, depuis longtemps, les freres Lumiere fabriquent les plaques et papiers photographiques qui ont deja fait connaitre leur norm dans le monde entier s'agrandit : tout un quar- tier y est reserve a. la construction des appareils et a la fabrication du materiel qu'il a f allu improviser pour le developpement et le tirage des bandes, quartier interdit a quiconque n'appartient pas aux services car on redoute les contrefacons et on n'a pas tort ! Une activite qui croit chaque jour y regne car ce n'est pas seulement du materiel qu'il s'agit d'y fabriquer et de la matiere premiere — c'est-a-dire des bandes projetables — qu'il s'agit de fournir a ce materiel, mais encore des hommes qu'il faut former, des hommes capables d'utiliser ce mate- riel et ces bandes ! Toutes les villes de France veulent, en effet, avoir leur salle de cinema et, en meme temps que la province francaise, les capitales etrangeres. Des qu'un operateur connait les elements de son metier, il est done envoye vers le nord ou le sud. C'est ainsi qu'apres une seance de demonstration donnee a Londres, le 7 fevrier, par un amide M. Lumiere pere, Felicien Trewey (1), qui se fait le manager de l'invention, la capitale de TAngleterre a ses seances publiques quoti- diennes a l'Empire-Theater a partir du 17 du m£me mois. Le lendemain c'est Bordeaux qui connait les joies du cinematographe et Bruxelles le 29 (2). Puis c'est Marseille et Nancy et l'Allemagne — une salle s'ouvre a Berlin le 30.avril — et, sans meme attendre que toutes les capitales europeennes soient pourvues, c'est l'Amerique qui, eprise de jouets nouveaux comme tous les enfants, exige d'avoir, sans plus attendre, son ecran et son appareil de projection (3). (1) Jongleur et prestidigitateur, Felicien Trewey n'avait pas attendu d'avoir a presenter l'invention des freres Lumiere au public anglais pour temoigner de sa sympathie au cinematographe. C'est, en effet, lui qui est le partenaire d'Auguste Lumiere dans la bande Partie d'ecart£, une des pre- mieres qui aient ete enregistrees. (2) Le premier ecran beige fut installe 7, Galerie du Roi. (3) Quel que fUt I'empressement qui se manifesta partout a I'egard du cinematographe, c'est indiscutablement a Paris que le nombre des etablis- sements de projection s'accrut le plus rapidement. Dans son « Histoire du Cinema », G. M. Coissac donne les precisions suivantes sur les salles qui s'ouvrirent, rien que dans le centre de Paris de Janvier 18 g6 au printemps i8gy : « Theatre Robert Houdin »; Salon du Cafe de la Paix ou le photo- graphe Eugene Pirou connut en 1902 le plus magistral succes avec Le Cou- cher de la Mariee, avant de se transporter au boulevard Bonne-Nouvel/e; salle du passage de I' Opera ou Gabriel Kaiser avec trois ou quatre films PREMIERS PAS, PREMIERS FILMS 39 EN AM^RIQUE Rappele de Chalon-sur-Saone 011 le cinematographe est si apprecie que frequemment des spectateurs, la seance terminee, payent une se- conde fois le prix de leur place pour revoir ce qu'ils viennent d'applau- dir, Felix Mesguich est presente a Lyon au concessionnaire des appa- reils Lumiere pour l'Amerique, Hurd, et dans les premiers jours de juin il s'embarque au Havre a bord du paquebot « La Bourgogne ». II a naturellement recu les consignes les plus imperatives de discretion, (personne ne sera autorise a penetrer dans la cabine de projection) mais, en depit de ccs consignes, il est oblige, avant de d^barquer a New- York, d'etablir une declaration, destinee a la douane, fournissant une description tres detaillee de 1'appareil. C'est le 18 juin — moins de six mois apres Paris — que New- York prend contact avec le cinematographe. Cette rencontre a lieu dans un music-hall de Madison-Square, « The Kosters and Beals Theater ». C'est un succes triomphal : applaudissements, sifflets, hurrahs, l'or- chestre joue « la Marseillaise » et Mesguich est porte en triomphe sur la scene en attendant qu'au cours du souper qui va suivre le directeur de l'^tablissement lui offre sa propre montre « en souvenir de cette me- morable soiree ! » (1) Et, le lendemain, la presse new-yorkaise celebre avec un ensemble touchant la merveilleuse invention francaise. En quelques semaines, Mesguich et ses camarades (2) equiperent trois salles en divers quartiers de la ville, puis ce fut le tour des grandes villes des divers Etats de PUnion : tour a tour Washington, Phila- delphie, Chicago, Boston, Saint-Louis, Baltimore — ou, faute de salle assez grande, la cabine fut installee dans une eglise — accueillirent avec le meme enthousiasme l'etonnante distraction venue de France. Pourtant, quand il revient a New- York, au debut de decembre, pour y accueillir le nouveau directeur que ses patrons lui envoient, Mesguich d' Edison, donnait quinze a vingt seances par jour ; musee de la Porte Saint- Martin; boutique du boulevard Saint-Denis ouverte par M. Lumiere pere, avec M. La fond comme directeur ; salle du Cafe Frontin (ancien immeuble du Matin); sous-sol de VOlympia; petite salle du Boulevard Bonne-Nouvelle (aujourd'hui Cine Saint-Denis) dirigee par M. Focillon lequel apparait comme le premier exploitant regulier d'une salle de cinema ; cine'ma du « Petit Journal » ; de Dujayel, etc. (1) Tons ces details sont emprantes a Vouvvage deja cite de Felix Mes- guich : « Tours de manivelle ». (2) Au cours de Vannee i8g6, vingt et un operaieurs envoy es de Lyon, arriverent en Amerique. 4o HISTOIRE DU CINfiMA a la desagreable surprise de voir Broadway flamboyer descriptions lumineuses proclamant : « American Biograph, America for Ameri- can ! » ... C'est la concurrence, c'est la guerre ! Cette guerre, nous la raconterons quand nous parlerons du cinema americain (i). Contentons-nous pour l'instant de dire que cette guerre fut menee de telle facon que, apres un certain nombre d 'incidents de plus en plus graves, le representant des inter£ts des freres Lumiere, menace d'ar- restation, crut prudent de s'embarquer clandestinement pour la France le 28 juillet 1897 et qu'en octobre suivant, tous les operateurs venus de Lyon ayant deja quitte New- York, Mesguich, le dernier, regagna la France apres dix-sept mois d'efforts tout d'abord si heureusement accueillis qu'il etait impossible de leur prevoir une conclusion si cruel- lement, si ironiquement decevante. Et quand il arriva a Paris, ce fut pour s'y heurter au coin du bou- levard et du faubourg Montmartre, a l'affiche des Folies-Bergere qui annoncait « Le Biograph Americain : Ses vues sensationnelles ! » l'arroseur arrose Les premieres bandes enregistrees par Tappareil Lumiere, et qui avaient ete projetees aussi bien devant le grand public du Salon Indien que devant celui, restreint, des seances organisees dans le cou- rant de l'ete et de l'automne 1895, etaient ce que nous appelons au- jourd'hui et depuis longtemps des « documentaires » (2). Pourtant, parmi ces bandes il y en avait une qui, bien que dans l'esprit de ses auteurs elle ne se distinguat en rien de ses sceurs, allait faire entrer le cinematographe dans des voies nouvelles et completement imprevues. Cette bande est bien certainement celle qui jouit encore a l'heure actuelle de la plus grande popularity, meme aupres de ceux qui n'ont jamais assiste a sa projection, celle dont le titre revient le plus souvent sous la plume des ecrivains qui n'estiment pas indigne d'eux de se pen- cher sur la chose cinematographique. Et il est juste qu'il en soit ainsi. Cette bande c'est L' Arroseur arrose. L'Arroseur arrose : le type m£me du sketch cinematographique net et rapide se terminant sur une de ces idees qu'en jargon professionnel (1) Voir Volume III . (2) Des le debut de I'annee i8g8, les freres Lumiere tinrent a la disposi- tion de leur clientele un catalogue tres varie dans lequel les films etaient classes en plusieurs categories : scenes de genre, vues comiques, vues mili- taires francaises et etrangeres, scenes maritimes, danses, fetes populaires et fetes officielles, panoramas, voyages en France et dans les colonies. PREMIERS PAS, PREMIERS FILMS 41 on a pris l'habitude — la mauvaise habitude — d'appeler des « gags », est la premiere ceuvre dramatique de l'ecran (1). De l'ceuvre dramatique L'Arroseur arrose comporte, en effet, tous les elements caracteristiques : exposition, peripetie, denouement, produits par un effort d 'imagination et assembles avec un indiscutable souci de composition (2). Que cet effort d'imagination et ce souci de composition aient ete inconscients, que les elements constitutifs de l'ceuvre dramatique se soient trouves reunis sinon par hasard, du moins sans intention nette- ment arretee de composer une ceuvre dramatique, n'empeche pas cette ceuvre d'exister et d'atteindre, dans sa simplicity, a cette perfection par quoi se recommande une « entiee » de clowns ou un episode d'un film- type de Charlie Chaplin ; c'est seulement la preuve de 1'empirisme qui presida a la naissance et aux premiers pas du cinematographe et qui, des annees durant, va &tre sa seule loi et lourdement peser sur son deve- loppement et son evolution. II est indiscutable, en effet, que dans l'esprit des freres Lumiere, L'Arroseur arrose n'etait rien de plus que La sortie de I'Usine ou L'arri- vee du train. La preuve en est qu'apres avoir figure parmi les bandes projetees, le 10 juin, devant les membres du Congres des Societes de photographie, il n'est pas de celles qui furent appelees a l'honneur de composer le programme d'ouverture du Salon Indien, le 28 decembre — ce qui n'aurait pas manque d'etre si on l'avait considere comme appor- tant quelque chose que ne possedaient pas les autres — et qu'il n'arriva sur cet ecran que dans les jours qui suivirent, vraisemblablement au debut de Janvier 1896. Quoi qu'il en soit, L'Arroseur arrose constitue la premiere manifestation que le cinematographe ait donnee de ses possi- bilites artistiques : avec lui, le cinema-art est ne et dans l'annee m£me de sa venue au monde le cinematographe est deja a cheval sur les deux voies ou il va progresser d'un pas plus ou moins vif mais sans arret : celle de la documentation et de 1'information, celle de la composition scenique. (1) Le Dictionnaire Larousse donne de « l'ceuvre dramatique )*la defini- tion suivante : «Du grec Drama, fable, narration , representation d'une chose, proprement « action, pieces de theatre representant une action soit tragique soit comique. » Le drame, d'apres son sens etymologique, est la mise en scene d'une action. II n'y a rien a retirer, a ajouter ou a modifier a cette definition pour que L'Arroseur arros6 soit exactement et rigour eusement une oeuvre dramatique. (2) Les deux roles de L'Arroseur arrose etaient tenus par le jardinier de la famille Lumiere et par le fits d'un employe de la Maison. Quelque temps plus tard, une seconde version du film ayant ete tournee par Zecca pour Pathe, le rSle du gamin mauvais plaisant fut tenu par un jeune garcon nomme Raymond Aimos qui persevera dans la voie oil le hasard l'avait engage et qui, apres etre devenu un des bons comediens du cinema francais, fut tue au cours de la liberation de Paris (aout 1944). 42 HISTOIRE DU CINEMA Pourtant, malgre L'Arroseur arrose dont les merites ne devaient £tre decouverts que plus tard, il ne venait pas a l'esprit des freres Lumiere que leur appareil put servir a divertir la foule en utilisant ou en inter- pretant la realite pour des fins artistiques et il est probable que le cinema aurait continue a orienter sa jeune activite vers la seule docu- mentation si, parmi les tout premiers curieux attires par l'ecran du boulevard des Capucines ne s'etait trouve' un homme qui, abordant le cinematographe avec des yeux neufs et plus encore avec un esprit habitue a considerer la realite sous un aspect tres particulier, allait decouvrir en lui des richesses que ses inventeurs n'avaient pas soup- connees ct dont ils devaient e'tre les premiers et les plus vivement stu- pefaits. Cet homme est Georges Melies. GEORGES MfiLIES, CREATEUR DU SPECTACLE CINEMATOGRAPHiQUE I Comme beaucoup d'autres, Georges Melies, fils d'un industriel parisien, des son enfance avait ete~ attire par le theatre, et plus particulierement par ce que le theatre comporte de spectaculaire et de materiel. II n'avait pas reve d'etre poete et de composer, noir sur blanc, vers ou prose, des ceuvres qui, dans l'Histoire de la Litterature, inscriraient son nom a cote de ceux de Shakespeare et d'Eschyle ; il n'a meme pas rev6 d'etre acteur : Talma ou Frederick Lemaitre ! Non ! Mais au fond de son pupitre de lyceen il a construit un petit guignol et decoupe tout un peuple minuscule et bariole de pantins en carton : gout du dessin, de la peinture et surtoUt du bricolage manuel qui va conditionner toute la vie de Georges Melies et auquel il pourra s'abandonner librement quand, apres diverses experiences dans des domaines assez differents, il deviendra directeur du « Theatre Robert Houdin » ou il donne des spectacles de prestidigitation, d'illusions et de marionnettes dont la mise au point demande autant d'imagination et de fantaisie que d'ingeniosite. Mais, en depit du plaisir qu'il prend a ces spectacles et du succes qu'ils lui valent, Melies ne va pas tarder a s'apercevoir qu'il n'a pas encore trouve sa veritable voie. Cette revelation lui sera faitele27 decembre 1895 quand, ayantrecuune invitation pour la seance privee que les freres Lumiere donnent a quelques privilegies avant de livrer leur in- vention au public, il ira s'asseoir dans un des fauteuils du Salon Indien. Georges Melies devant l'ecran du « Cinematographe Lumiere », c'est saint Paul sur le chemin de Damas : la voie ou il doit s'engager pour toe enfin lui-meme lui est revelee en coup de foudre. Sur-le- champ, il proposa a Auguste Lumiere de lui acheter son appareil. Mais il se heurta a une irreductible fin de non-recevoir : « Mon invention n'est pas a vendre ! repondit Lumiere. Elle peut ^tre exploitee pendant quelque temps comme une curiosite scientifique mais elle n'a aucun avenir commercial ! » (1) Voire ! (1) Melies offrit dix mille francs aux freres Lumiere. Le directeur du Musee Grevin vingt mille et Allemand, directeur des Folies Bergere, poussa la surenchere jusqu'a cinquante mille francs. Les trois oijres furent repous- sees. 44 HISTOIRE DU CINEMA Peut-6tre sommes-nous en droit de nous demander ce que nous de- vons le plus admirer en cette circonstance : l'obstination avec laquelle les Lumiere se mettent les mains devant les yeux et se refusent a ad- mettre une verite differente de celle au service de laquelle ils se sont voues, ou l'entetement avec lequel Melies se cramponne a la verite qu'il entrevoit, ne se laisse pas rebuter par l'echec qu'il vient de subir et hardiment, mettant a profit les connaissances de mecanique qu'il possede, construit un appareil de prise de vues et de projection sur des donnees qui ne sont pas tout a fait celles que les freres Lumiere ont fait breveter (i). A la fin du mois d'avril 1896, 1 'appareil de projection est pr£t a fonctionner, celui de prise de vues a deja enregistre un certain nombre de bandes, un ecran est installe sur la scene du theatre Robert Houdin et un autre a une fenetre de l'etablissement donnant sur le boulevard (2). (1) En i8g5, il avait ete pris onze brevets pour des appareils ou des procedes d' enregistrement photo graphique du mouvement, y compris celui des freres Lumiere. En i8g6, il en jut demande cent vingt-neuf en France, une cinquantaine en Angleterre et un nombre a peu pres egal dans les autres pays. (2) La direction du cinema « Royal-Haussmann », situe au sous-sol de Vimmeuble qui s'etend du 2 de la rue Chauchat au 1 de la rue Drouot, ayant adjoint a cette salle deux autres salles installees, elles aussi, dans le sous-sol du meme immeuble, decida, au debut de I'annee 1946, de consacrer la premiere a la memoir e de Melies. U inauguration de la « Salle Melies » eut lieu le 5 mars 1946 en une soiree organisee sous le patronage des jour- naux al' Ecran Francais » et « Le Film Francais «. Au cours de cette soiree, a laquelle assista Mme Melies, M. Fourre-Cormeray, Directeur General de la Cinematographic au Minister e de V Information, prononca un discours r appelant tout ce que le Cinema doit a Melies et inaugura dans le vestibule de l'etablissement une plaque portant cette inscription :■ CETTE SALLE EST DEDIEE A GEORGES MELIES (I86I-I938) CREATEUR DU SPECTACLE CINEMATOGRAPHTQUE, REALISATEUR DE PLUS DE 4.OOO FILMS ET DIRECTEUR DU THEATRE ROBERT HOUDIN QUI S'ELEVAIT SUR CET EMPLACEMENT. Ce texte, inspire des meilleures intentions, comporte deux erreurs. L'ceuvre de Melies est considerable mais elle n'atteint pas ce chiffre de 4.000. L'erreur d' estimation est explicable du fait que pour fixer le chiffre de la production Melies, on ne dispose que des catalogues dont celui-ci se servait pour la vente de ses films. Or, il arrive frequemment que, dans ces listes, un meme film figure sous plusieurs titres. Dans leur « Georges MelUs, Mage » (Editions Prisma, Paris, 1945) qui est V etude la plus importante GEORGES M£Ll£S 45 Sur le premier de ces ^crans, Melies, lorsqu'il avait termine ses tours de prestidigitation et d'illusions, projetait les bandes qu'il avait lui-m&ne imagines et enregistr^es et des fragments de celles-ci etaient presented sur l'ecran visible du trottoir, fragments habilement choisis pour donner aux passants l'envie irresistible d'entrer : la publicite cinematographique etait n£e ! Et aussi les premiers « films-annonces ». De ces bandes Melies etait a la fois l'auteur, le realisateur et le principal acteur, ce qui n'est deja pas mal pour l'activite d'un seul homme et suffirait a lui valoir la reconnaissance de tous ceux qui aiment le cinema. Mais Melies fit plus et mieux. Ayant pressenti qu% Ton pouvait demander a l'appareil de prise de vues cine'matographiques autre chose que ce que ses inventeurs avaient obtenu de lui et qu'il pouvait servir non seulement a l'enregistrement de ce qui existait mais encore — et suriout, devait-il probablement se dire quand il etait seul — a l'enregistrement de ce qui n'existait pas, Melies entraina le cinematographe hors du domaine de l'observation, de la documentation, du reel dans les limites duquel ses inventeurs entendaient le cantonner et il lui ouvrit le royaum? du r^ve, du mer- veilleux, de la fantaisi^, de la poesie : domaine non moins vaste et combien plus charmant ! L'agreable a cote* de l'utile. Sans doute Melies n'arriva-t il pas immediatement a produire les films feeriques qui devaient le rendre celebie et commenca-t-il modes- tement par de petites bandes en tous points semblables aux premieres des freres Lumiere (Jardinier brulant des herbes, L'afficheur, Marche a Trouville, Manege de chevaux de bois) ou qui n'etaient pas grand' chose de plus que L'Arroseur arrose (1). Puis l'ambition lui vint. L'ambition et aussi la chance ! et la plus serieuse qui ait ete ecrite sur le createur du spectacle cinemato- graphique, Maurice Bessy et Lo Duca estiment tantot (pp. 13 et 47) eux aussi a 4.000, tantot (p. 37) a un millier de films I'ceuvre de Melies. Arbitraire, elle aussi, cette derniere estimation semble plus vraisemblable que celle qui a ete retenue par les dirigeants de la « Salle Melies ». La seconde erreur est d'ordre topographique : le Theatre Robert Houdin ne s'elevait pas 2, rue Chauchat comme pourrait — ou voudrait — le faire croire la plaque en question, mais boulevard des Italiens dans Vimmeuble portant le numero 8, lequel etait voisin du passage de V Opera, au numero 16 duquel Melies installa ses magasins de vente et qui debouchait dans I' axe de la rue Chauchat. Tout ce coin de quartier ayant ete profondement modi fie par le per cement du boulevard Haussmann, on peut dire que le Theatre Robert Houdin s'elevait sur V emplacement de la sortie principale de la station du metro Richelieu-Drouot, a I' angle du boulevard des Italiens et du boulevard Haussmann. (1) Une de celles-ci — Le Modele irascible — - etait la toute simple his- toire d'un modele — la femme qui tenait ce role etait vetue d'un maillot 46 HISTOIRE DU CINEMA Ecoutons-le confier a Francis Ambriere (i) comment celle-ci se fit sa collaboratrice alors qu'il « tournait » en plein Paris, car il ne dedai- gnait pas de faire des « document aires » et des « actualites » : « Je filmais la place de l'Opera. Soudain mon appareil cesse de fonc- tionner. Le temps que j'en examine les rouages, vous pensez si les per- sonnages de la rue avaient change ! Sur le coup je n'y songeai pas et j 'achevai de tourner ma bande. Mais, en la developpant, quelle surprise ! J'avais commence de prendre l'image d'un omnibus qui venait du bou- levard des Capucines ; or, quand le vehicule parvint a 1 'entree du boule- vard des Italiens, il s 'etait mue en corbillard ! Le principe des scenes a transformation etait trouve ! Pendant dix ans, ce fut de la fureur ! Le public n'aimait plus que cela, ne voulait plus que cela : des scenes a trues ! C 'etait mon fort precisement : tout le repertoire de Robert Houdin y passa ! J'avais commence par les tours les plus faciles (2). Je continuai par les imaginations les plus invraisemblables, aide des illusionnistes Raynal et Folleto et parfois nos reussites etaient si com- pletes que nous en arrivions a ebahir les gens les plus avertis... C'est alors que j'en vins aux feeries : c'^taient encore des scenes a transfor- mation, mais d'une espece moins « foraine » si j'ose dire, comme La Chrysalide et le Papillon. Dans un decor exotique — cactus et pal- miers — on voyait un fakir hindou jouer de la flute. Une chenille geante jaillissait du sol et, charmee par la musique, allait se loger dans un gros ceuf renverse et ouvert a un bout. Ensuite l'ceuf se redressait, puis il eclatait et on en voyait sortir une femme ravissante avec des ailes de papillon. La pratique de ces trues m'amena bien vite a la reconstitu- tion en studio d'« actualites postiches », si Ton peut dire (3). Mon chef- d'eeuvre dans ce genre c'est la visite de l'epave du « Maine » (4)... J'imaginai de montrer des scaphandriers explorant la carcasse au fond des mers. Ce ne fut pas un travail d'Hercule. Figurez-vous un grand academique, ce qui constituait la seule audace de V ceuvre —que V immobility dans laquelle le peintre la tenait enervait et qui finissait par lui en f oncer jusqu'aux epaules la toile qu'il avait sur son chevalet ! Heureuse simplicity ! Hevireuse epoque ! (1) « L Image » n° ig. (2) Le premier film de ce genre que realisa Georges Melies jut L'Esca- motage d'une dame chez Robert Houdin (scene a trues). (3) Une de ces actualites « postiches » qui eurent le plus de succes jut L' Eruption du Mont Pele, realise a V aide de quelques metres de toile, quel- ques litres d'eau coloree, des cendres et du blanc d' Espagne et qui procura aux joules Villusion d' as sister a la catastrophe qui, le 8 mai igo2 avait detruit la ville de Saint-Pierre de la Martinique. (4) « Le Maine » etait ce cuirasse americain qui avait fait explosion dans le port de la Havane, catastrophe qui etait a I'origine de la guerre hispano- americaine (1897). GEORGES MfiLlfeS 47 aquarium avec cinq ou six poissons a formes bizarres, queiques plan- ches et queiques rochers au fond, des plantes uniquement sous-marines par la-dessus. Derriere cet aquarium, une vaste toile peinte represen- tant un navire eventre et couche sur le flanc. Entre l'aquarium et la toile j'avais menage un espace libre ou mes acteurs, rev&tus de sca- phandres evoluaient. Au moment de tourner, une helice, dissimulee en un coin de l'aquarium hors du champ de Tappareil, communiquait a l'eau des remous tres suffisants. Et voila comment on emouvait les foules. Vers 1905 j'arrivai a construire de « grandes machines ». Deja les films etaient plus longs et j'adaptai a l'ecran plusieurs histoires dans le style du Chatelet. Dans Paris-Monte-Carlo, je montrais la course insensee de deux automobilistes qui avaient fait le pari de se rendre en deux heures de l'une a l'autre ville. lis defoncaient les maisons, sau- taient les rivieres, passaient sous ou sur les trains, roulaient au-dessus des arbres et tenaient triomphalement leur gageure. Avec Le Voyage dans la Lune, La ConquSte du Pole, Le Voyage de Gulliver, Le Royaume des Fees, j'abordai le film de genre scientifique et geographique. C'est ce qui me valut le titre de « Jules Verne de l'ecran ! » Le ton de simplicity bonhomme sur lequel ces confidences ont ete faites ne doit pas faire de tort a l'importance des innovations accomplies par Georges Melies, car son activite s'est exercee dans tous les domaines : tous les genres de films Georges Melies les a realises, depuis le documen- taire et l'actualite sinceres jusqu'a la f eerie en passant par l'actualite truquee qu'il appelle « postiche », le reportage — truque lui aussi (1) et. le film « historique » (2). Et pour tous ces truquages dont il fait une consommation considerable, il lui a fallu inventer des procedes tech- niques et materiels dont nul avant lui n'avait eu l'idee. Et que Ton n'aille pas croire que cette ceuvre etonnante s'explique toute seule parce que Melies etait prestidigitateur. Sur ce point aussi il s'est expli- que avec une franchise qui ne peut laisser place a la moindre equivoque : « On a souvent dit de moi : « Prestidigitateur emerite, il obtint en joi- « gnant la prestidigitation a la cinematographic des vues fantastiques (1) Le plus bel exemple de « reportage-tvuque » accompli par Melies est Le Couronnement du Roi d'Angleterre Edouard VII realise avec une centaine de figurants au studio de Montreuil, dans un decor reproduisant Westminster. Le role du Roi etait tenu par un garcon de lavoir qui pre- sentait en effet une certaine ressemblance avec le personnage qu'il etait charge d'incarner. Beaucoup de ceux qui virent ce film crurent qu'il avail ete tourne en Angleterre, la reconstitution etant assez fidele pour faire illusion (Juillet 1902). (2) Le premier de ces films « historiques » est La defense de Bazeilles ou Les dernieres cartouches, d'apres le tableau d'Alphonse de Neuville qui connaissait alors une tres grande popularite. 48 HISTOIRE DU CINfiMA « tres personnelles. » Or, je n'empruntai guere a la prestidigitation que la tenue, les attitudes, la nettete du mouvement, la surete de main, la precision des reperages. Je iis appel a des moyens qui peuvent se repar- tir en six grandes classes : les trues par arr£t (i), les truquages photo- graphiques (2), les trues de machinerie theatrale, les trues de presti- digitation, les trues de pyrotechnie, les trues de chimie. » Melies eut, en effet, recours a tous les trues, a toutes les ficelles du metier, et apres les avoir imagines il les mit au point tels qu'ils sont encore aujourd'hui : depuis le procede permettant le d&loublement, la multiplication d'un melne personnage sur une melne image (3) et celui qui rendait possibles la disparition insensible d'une image comme la substitution Jente et progressive d 'une image a une autre, procede que Ton intitula « fondu » et « fondu enchaine' » jusqu'au « tour de mani- velle » e'est-a-dire l'enregistrement d'une bande image par image avec, entre chaque image et la suivante, un temps d'arrfit permettant de modifier la position des personnages et des objets composant le tableau a enregistrer et de donner l'impression que ceux-ci se meuvent seuls, precede* qui constitue l'essentiel de la technique du dessin anime telle qu'elle existe encore aujourd'hui, sans oublier « 1'acc^l^re » e'est-a-dire la prise de vues a une cadence plus lente que la normale et la projection a la vitesse normale des images ainsi enregistr£es. Ayant ainsi en mains une technique qu'il s'^tait lui-m^me forg^e et que non seulement les inventeurs du cinematographe n'avaient pas soupconne?, mais qui allait a l'encontre de leurs intentions puisqu'elle permettait de deformer la reality et de tromper le spectateur sur le compte de cette r^alite, Georges Melies en arriva bient6t a se specialiser dans la production de films qui n'allaient plus rien ou presque plus rien devoir au realisme et qui empruntaient a la faerie, a la fantasmagorie et a la fantaisie leurs raisons de plaire a un public qui, a leur projec- tion, retrouvait avec un etonnement joyeux et satisfait la fraicheur d 'impression de son enfance, du temps ou Peau d'Anelui etait contee. Et justement parce que cet art jeune leur rendait leur jeunesse, ces spectateurs qui faisaient fe'te aux films fe'eriqucs de Melies devenaient chaque jour plus nombreux et ils auraient ele encore bien plus nom- (1) La possibilite de ce truquage lui avait ete revelee apres V incident de la place de V Opera relati plus haut. (2) Fondus, fondus enchatnis, superpositions, etc. (3) Le film ou Melies fit le plus large et le meilleur usage de ce procede jut L'Orchestre — un orchestre dont les dix-huit pupitres itaient occupes par lui-mSme et lui seul. Ce procede fut encore souvent employe dans les films comiques realises en France avant la guerre de 1914, notamment par Prince-Rigadin. 8. Georges Melics dans La Conquete du Pole. 9. Un « doc mentaire reconstitue », de Georges Melies : La catastrophe du « Maine ». 10. La Justice et la Vengeance poursuivant le Crime (Film Melies, igo$). GEORGES M&LIES 49 breux si entre eux et celui qui se chargeait de les distraire il n'y avait pas eu — deja ! — les directeurs des salles de projection. Ceux-ci, en effet, partisans d'une routine qu'ils avaient tres vite -cr^ee, se montraient energiquement refractaires a tout ce qui pouvait ressembler a de la nouveaute : c'est ainsi que Melies avait eu toutes les peines du monde a leur faire accepter son Voyage dans la Lune dont les deux cent quatre-vingts metres effrayaient des hommes habitues a n'accueillir que des bandes de soixante metres. Mais de ces difficultes Melies triomphait et on se demande comment il trouvait le temps de defendre ses interets de commercant — en fait, il les defendait mal et les sacrifiait a ses satisfactions artistiques — etant donne le travail considerable qu'il avait a fournir pour realiser ses films. Si Ton ajoute qu'il fut le premier — et le seul, semble-t-il — a enregistrer ses scenes avec deux appareils jumeles et actionnes « par une seule manivelle a l'aide d'un renvoi par chaines », realisant ainsi deux negatifs a la fois (1), le premier a doter de la couleur les images qu'il creait — coloriage a la main de l'image positive prete a ebn pro- jetee (2) — le premier encore a utiliser la lumiere electrique pour les prises de vues — celks-ci n'ayant jusqu'alors eu lieu qu'a la lumiere naturelle du soleil, les decors, m£me ceux des souterrains les plus obs- curs, etant plantes en plein air — et le premier encore et toujours a faire des films destines a £tre projetes en synchronisme, sinon avec le derou- lement d'un rouleau de phonographe, du moins avec 1 'execution d'une page musicale par un orchestre (3), on aura dit ce qu'il faut pour mon- (1) A. P. Richard : Histoire de la Technique francaise (« Le Film Fran- cais », 28 decembve ig4$). (2) Pour le coloriage de ses films, Georges Melies eut une collaboratrice precieuse en la personne de Mme Thuillier, miniaturiste reputee qui, bientot,s'adjoignit Mlle Chaumont, puis une veritable equipe dont le nombre s'dleva jusqu'a cinquante, chacune des artistes etant specialisee dans une couleur. Mime en ce qui concerne la division du travail, Melies fut, on le voit, un precurseur. (3) Ces deux dernieres innovations datent de i8g6 lorsque Melies eut I' idee de cinematographier le chanteur Paulus qui avait quitte la scene et dirigeait le cafe-concert « Ba-Ta-Clan ». Paulus fut enchante de cette idee, car il voyait dans la projection du film accompagnee par V orchestre un moyen de rappeler aux spectateurs de I'etablissement dont il etait le directeur qu'il avait ete un artiste populaire. Mais il ne voulut pas etre photographie en plein air car il n' etait plus jeune et craignait que la photographie ne le desservit aupres des admiratrices qu'il se flattait d' avoir encore. Ce fut done sur la petite scene du « Theatre Robert Houdin», aussi violemment eclairee que possible par des lampes electriques, que le populaire chanteur fut cine- matographic dans quatre de ses plus grands succes : Le Pere la Victoire, En revenant de la Revue, Derriere 1' Omnibus, Coquin de Printemps. 50 HISTOIRE DU CINEMA trer que rien de ce qui constitue le cinema tel que nous ]e connaissons aujourd'hui n'est reste etranger a ce diable d'homme ! Rien ou a peu pres rien ! Et on comprend que D. W. Griffith ait pu dire — a en croire Robert Vernay (i) — : « Je dois tout a. Melies ! »... Combien d'autres auraient pu le dire avec lui ! II est pourtant regrettable que, dans une ceuvre qui est bien eertai- nement la plus importante que cineaste ait produite et qui a toutes chances de demeurer la plus importante que cineaste produira jamais, la nature n'ait aucune place : il n'y a pas un paysage vivant dans les films de Melies. Les arbres y sont de bois et de toile, aucun souffle n'agite leurs feuilles, les rochers y sont de carton-pate et s'il y court un ruisseau, il est peint. Quant a l'ocean, il tient dans un aquarium. Melies est demeure l'homme du petit theatre-guignol qu'il construisait dans son pupitre d'ecolier : pas une seule fois il n'a eu l'idee de planter son appareil dans la foret de Fontainebleau ou plus simplement au bord du lac du bois de Vincennes. Sans doute le temps lui manquait-il. Sans doute aussi — et bien plus probablement — ne se sentait-il a l'aise que sous les verrieres de son studio de Montreuil : dix-sept metres de longueur sur dix de largeur, ou tout se pliait a sa volonte, a son ca- price : le guignol de son enfance s'est agrandi aux dimensions de son r£ve ou presque... Et eel a lui suffit ! (2) Par cette volonte de ne pas sortir du studio, Melies rejoindrait les « expressionistes » allemands (3) s'il avait imagine que ses decors pus- sent etre autre chose qu'unecopiede la realite telle qu'on la comprenait au Theatre — et a l'Opera de preference au Theatre Antoine — car — et e'est la son seul point faible : sans avoir ecrit une seule piece, sans avoir mis les pieds sur les planches, Melies est inexorablement homme (1) « Trois Stapes du fantastique » par Robert Vernay. (Cinemagazine n° $0, ig2g.) (2) L' absence de tout plein air dans V ceuvre de Melies n'est pas Veffet du hasard ou d'un oubli. On peut, en effet, penser que sur ce point Melies livre le fond de sa pensee quand, dans une etude « Les Vues cinematogra- phiques » qui a ete publiee par « La Revue du Cinema » ( Gallimard edit. n° du 15 octobre ig2g) il ecrit : « Le chef de la plus grande maison cine- matographique du monde (au point de vue de la grande production a bon marche) m'a dit a moi-meme : « C'est grace a vous que le Cinema a pu se maintenir et devenir un succes sans precedent. En appliquant au Theatre, e'est-a-dire a des sujets variables a I'infini la photographie animee, vous Vavez empechee de tomber , ce qui serait fatalement arrive avec les sujets de plein air qui fatalement se ressemblent et auraient vite fatigue le public. » J'avoue sans fausse honte que cette gloire, si gloire il y a, est celle de toutes qui me rend le plus heureux ! » Comment, apres cet aveu, ne pas voir en Melies un homme de theatre ? (3) V. vol. II. GEORGES M£Ll£S 51 de theatre. II Test au point de ne pas se douter qu'en enfermant le cinema entre les quatre murs de son studio, en y enfermant du merne coup la nature tout entiere, il soumet a la torture l'art qu'il sert. En l'attardant dans certaines traditions theatrales, il sous-estime la liberte dont jouit le cinema et n'utilise cette liberte que par rapport a la scene. C'est du theatre qu'il fait, du theatre qui sans doute echappe dans une certaine mesure au realisme dont Antoine s'est fait l'apdtre, car jamais dans un film de Melies on ne voit deux personnages echanger des repliques comme a la Comedie-Francaise ou au Theatre libre, des repliques qu'on n'entend pas mais, en revanche, on les voit souvent faire des gestes empruntes a la pantomime de Deburau et de Thales et meme a celle des troupes de clowns-acrobates anglais que nous retrou- verons plus tard a l'origine des films de Mack Sennett et de Charlie Chaplin. Sur ce point Melies s'est explique (1) et il a repondu par avance aux critiques que Ton peut lui adresser touchant Interpretation de ses films : « Contrairement a ce que Ton croit generalement, il est tres difficile de trouver de bons artistes pour le cinematographe. Tel acteur excellent au theatre, etoile m6me (2), ne vaut absolument rien dans une scene cinematographique. Souvent des mimes de profession y sont mauvais parce qu'ils jouent la pantomime avec des principes conven- tionnels. Ces artistes, tres superieurs dans leur specialite sont decon- certes des qu'ils touchent au cinematographe. La, plus de public auquel l'acteur s'adresse soit verbalement, soit en mimant. Seul 1'appareil est spectateur et rien n'est plus mauvais que de le regarder et de s'occuper de lui, ce qui arrive invariablement les premieres fois aux acteurs habi- tues a la scene et non au cinematographe. II faut que l'acteur se figure qu'il doit se faire comprendre, tout en etant muet, par des sourds qui regardent (3). II faut que son jeu soit sobre, tres expressif : peu de ges- tes, mais des gestes tres justes sont indispensables... Conclusion : former une bonne troupe cinematographique est chose longue et difficile. Seuls ceux qui n'ont aucun souci de l'art se contentent des premiers venus pour bacler une scene confuse et sans inter£t. » Melies, on le voit, avait des vues tres justes sur ce que doit £tre le jeu de l'acteur d'ecran et, a lire les lignes ci-dessus, on serait tente de croire qu'il a analyse le talent d'un Chariot, d'un Sessue Hayakawa (1) G. Melies : « Les vues cinematographiques », etude publiee en Z90J et reproduite par « La Revue du Cinema » (1$ octobre ig2g). (2) On peut se demander a qui Melius pensait car il n'a jamais utilise que des acteurs de second ordre dont il etait presque toujours « V etoile », avec sa femme, Jeanne d'Alcy, ancienne chanteuse, pour partenaire. (3) Ici Melies rejoint Rene Clair lorsque celui-ci ecrit : « 77 faut mettre en fait qu'un aveugle au Theatre et tin sourd au Cinema, s'ils perdent une part importante du spectacle en conservent pourtant V essentiel. » 52 HISTOIRE DU CINEMA et m£me, jusqu'a uncertain point, d'un Max Linder. Malheureusement ce qu'il a fait n'est pas en rapport avec ce qu'il a ecrit et quand il dirige ses interpretes, comme lorsqu'il compose un decor c'est encore et tou- jours du theatre qu'il fait, du theatre qui lui permet de realiser les reVes qui le hantaient, enfant, au retour d'une representation de f eerie au Chatelet, du theatre dont les ceuvres ne sont pas prises dans le reper- toire de l'Odeon ou de l'Ambigu pour une adaptation plus ou moins intelligente, si bien que Ton peut dire qu'un film de Melies est du ((thea- tre cinematographique » et non du « cinema theatral », du theatre comme on aimerait que le cinema n'en eut jamais fait d'autre, ou, mieux encore, que c'est du « spectacle » — a la facondu Chatelet — c'est-a-dire du spectacle que le cinema peut realiser bien plus facilement que n'importe quelle scene, du Chatelet assoupli, ce qui — meme theatralement parlant — vaut mieux que de l'Odeon dans toute sa raideur et il faudra attendre des annees, exactement jusqu'a l'apparition des premiers dessins animes en couleurs de Walt Disney — pour revoir sur les ecrans un spectacle qui puisse etre compare a ceux que Melies y jeta avec une prodigalite que rien ne pouvait frei- ner ! (i) Rien si ce n'est la vie. La vie qui a des retours dont nul n'est a l'abri. (i) II est impossible de donner la liste complete des innombrables films produits par Georges Melies, d'autant plus que les litres de ces films sont incertains. Milies lui-meme, quand il citait le titre de I'un d'euxau cours d'une conversation ou d'une interview, citait des titres qui ne sont pas ceux sous lesquels ses films sont le plus generalement connus, ce qui s'explique du fait que, suivant les hasards de leur exploitation, certaines de ces bandes porter ent successivement plusieurs titres. Void pourtant les titres de quelques-uns des films les plus populaires de Melies : LeManoir du Diable, Plus fort que son maitre, Le Royaume des Jouets, l'Hydro- pique, Le Tunnel sous la Manche, Le Royaume de Neptune, L' Homme a la tete de caoutchouc, La Danseuse minuscule, Robert Macaire et Bertrand, Cendrillon, La nuit terrible, L' Homme squelette, La Princesse fatale, Le Voyage a travers 1' Impossible, Le Baron de Munchhausen, La Legende de Rip van Winckle, Deux cent mille lieues sous les mers, Deux Robinsons Crusoes, Pygmalion, L'Affaire Dreyfus, L'alchimiste, Le Laboratoire de Mephisto, Le Chateau hante, Le Dentiste diabolique, L'Homme - mouche, Les Gaietes de la Caserne, Les 400 Coups du Diable, La Danse serpentine, Dessinateur express, Sur les toits, Le Cauchemar, Le Chapeau de Tabarin, L'auberge ensorcelee, Le papier mysterieux, La Conquete du Pole, le Diable au Couvent, L'Homme a quatre tetes, Le Christ marchant sur les flots, Reve de Noel, Les sept p6ches capitaux, Le Petit Chaperon rouge, Barbe-Bleue, L'armoire des freres Davenport, Le Cake-Walk infernal, L' Oracle de Delphes, Le Compositeur toque, Alcofribas, Le merveilleux eventail vivant, Jeanne d'Arc, Faust et La Damnation de Faust, Le menuet lilliputien, Le Palais des Mille et une Nuits, La Civilisation a travers les ages, L'Oiseau bleu, Le desha- GEORGES M£Ll£S 53 La chance qui, des annees durant, s 'etait tenue aux cotes de Melies avec une fidelite touchante l'abandonna, en effet, soudain. La premiere infidelite qu'elle lui fit, ce fut lorsque ayant vendu a trois commissionnaires differents trois copies de son film Le Voyage dans la Lune, les maisons americaines, a qui ces copies etaient destinees, en firent chacune tirer un « contretype » dont elles se servirent pour lancer a travers le monde des centaines de copies qui, non seulement, ne furent pour Melies d'aucun profit mais encore entraverent 1 'usage que celui-ci etait en droit de faire de son negatif et des copies qu'il en tirait. Melies etait assassine par son propre succes. Une seconde fois, Melies fut victime de l'Amerique lorsque, ayant ouvert a New- York une succursale, pour eviter le retour de contre- f aeons comme celle dont avait souffert Le Voyage dans la Lune, cette succursale fut fermee, Edison ayant obtenu du gouvernement ameri- cain le monopole de la fabrication des appareils cinematographiques, ce qui privait de tout debouche les films auxquels Edison refusait son visa parce qu'ils n'avaient pas ete enregistres par des appareils dont il etait le constructeur. Dupe par l'Amerique, Melies fut egalement meconnu par tous ceux qui s'interessaient alors au cinema et dont aucun ne pensa a lui fournir l'appui materiel ou moral qui lui aurait permis de ne pas faire figure de phenomene dans le monde cinematographique. Peut-Stre d'ailleurs est-il permis de se demander si Melies ne se meconnut pas lui-m&me. De caractere tres independant, habitue a travailler seul, sans autre billage impossible, L'Astronome, Hamlet, Crime et Chatiment, Les Pi- lules du Diable, Les Incendiaires. Ce dernier film est un des episodes de la rivalite qui opposa, pendant plusieurs annees, Melies et Zecca. II en sera parte lorsqu'il sera question de ce dernier. ( V. p. 59 et 76) . Les negatif s de presque tous ces films ont ete detruits en 1914, le local oU Us etaient entr eposes ayant ete requisitionne par I'autorite militaire, et leur auteur ne sachant qu'en faire, les ayant cedes a un industriel qui recu- pera le celluloid pour des fabrications de guerre. En ig20, J. -P. Mauclaire en decouvrit un certain nombre dans la laiterie du chateau de Jean Rives, fils de V executeur testamentaire de feu Dufayel, dans le stock de bandes qui, des annees durant avaient constitue les programmes de la salle de projection installee dans les Grands Magasins Dufayel. Con fids par Mauclaire a la Cinematheque, ces films furent evacues de Paris en juin 1940. Les Alle- mands s'en emparerent a Tours et J. -P. Mauclaire n'en put recuperer qu'une douzaine. D'autres bandes, qu'il avait remises a la maison de tirage « Fantasia », lui furent rendues intactes. Des copies des mimes films ou d'autres films se trouvent aussi entre les mains de quelques amateurs ou en quelques cinematheques. Celle qui en compte le plus grand nombre (94) est la « Film Library » du « Museum of Modern Art » de New-York que dirigent John Abbott et sa femme Iris Barry. 54 HISTOIRE DU CINEMA programme que celui de sa fantaisie, sans autre controle que celui de son gout, Georges Melies ne se considerait pas autrement que comme un bon artisan qui s'acquitte le mieux possible de sa tache — « le cinema est interessant, aimait-il a declarer, parce qu'il est avant tout un metier manuel » — et qui ne croit pas avoir a jouer un r61e dans l'histoire de son art ou de son metier, et il n'e*tait naturellement pas enclin a accepter une association ou plus simplement des apports financiers dont, sans etre un persecute, il pouvait craindre que son independance n'eut t6t ou tard a souffrir. II le montra bien le jour ou il repoussa le concours qu'un constructeur d'appareils electriques, M. Grivolas, vint lui offrir, mettant tout simplement celui-ci a la porte sans presque vouloir l'ecouter et sans se douter que ces capitaux qu'il refusait, sonvisiteur, qui etait irresistiblement attire par le cinema, allait les porter a Charles Pathe* a qui ils allaient permettre de transformer sa modeste entreprise en une importante societe anonyme dont le role allait tres vite devenir considerable. Ne cherchons pas a deviner ce qui serait arrive si M. Grivolas etait devenu l'associe de Georges Melies, si l'argent de Tun etait entre au service de l'imagination et de la fantaisie de l'autre, cette imagination constamment en eveil et si heureusement orientee vers le cinema et ses infinies possibilites, cette fantaisie qui allait de l'en- fantillage a la poesie et parvenait a ressusciter sur l'ecran Perrault et Jules Verne avec cette liberte, cette fraicheur qui nous plaisent tant aujourd'hui dans les seuls films oil il nous soit permis de les retrouver : les dessins animes de Walt Disney (i). Non ! Ne cherchons pas a savoir ce que Melies serait devenu si... Et sans verser dans aucune des exagerations auxquelles se sont com- plu, le snobisme aidant, certains esprits ennemis de la mesure lorsque (i) II y a dans un des films de Melies — Le melomane — une idee qui etait deja vraiment une idee de « dessin anime » — idee qui a d'ailleurs ete reprise souvent en dessin anime et meme ailleurs : « Un tzigane a brande- bourgs porte une clef de sol sous le bras. II lance cette clef sur des fils tele- graphiques qui lui servent de portee, plaque la mesure en accrochant sa canne par le bee. II enleve sa tete, puis les tetes qui lui poussent pour les envoyer dans les fils et compose de cette facon la premiere ligne du « God save the King ». Des baguettes de chef d'orchestre, des pipes forment les croches et les double-croches. Passe la premiere mesure, les tetes s'arran- gent entre elles et, sviivies par I'orchestre, elles achevent, ligne a ligne, I'hymne anglais. Apres V execution du « God save the King », le tzigane prend un revolver, tire les tetes : pigeons volent ! » (Georges Melies : « Les Vues cinematographiques » ; Revue du cinema, 15 octobre 1929.) Avec Le Voyage dans la Lune et Les 400 coups du diable, ce film fut projete, sous le litre Le melomane, a la soiree d' inauguration de la « Salle Melies », le 5 mars 1946. GEORGES MfiLIES 55 Melies fut sacre grand homme a une epoque ou l'onsavait bien qu'il ne ferait plus rien, estimons suffisant qu'il soit ce qu'il est, c'est-a-ciire le precurseur le plus complet que le cinema ait eu et le createur inconteste du spectacle cinematographique : precurseur sans disciple, createur sans imitateur. ESSAIS EN TOUS GENRES CE n'est, eneffet,dansaucunedes voies ouvertes par Georges Melies que le cinematographe progressa tout d'abord, mais uniquement dans celles ou l'avaient engage les bandes sorties des mains des f reres Lumiere et projetees sur l'ecran du Salon Indien : l'information, la documentation, le pittoresque. Rapidement formes, des operateurs couraient la France, et bicntot le monde, aim d'enregistrer tout ce qui se presentait a leur objectif. Non moins rapidement developpes, ces negatifs etaient tires toujours « a la va vite » en autant de copies positives qu'on pouvait et ces copies commencaient, elles aussi, a courir TUnivers : les unes etaient projetees devant les personnalites importantes et les tetes couronnecs, car il y avait aussi vive curiosite a Tegard du cinema dans les Cours que dans le peuple (i), les autres etaient projetees sur les ecrans des salles qui naissaient partout comme champignons apres Tondee, apres quoi, plus ou moins usees deja (2), elles arrivaient entre les mains d'hommes entre- prenants qui, n'economisant pas leur peine, un appareil de projection sur l'epaule ou dans une roulotte, allaient de foires en marches et, sur un drap tendu entre deux arbres ou sur le mur d'une salle de cafe, faisaient apparaitre les images animces, reflet du vaste monde ignore (3). (1) L'annee i8g6 n'etait pas terminee que V invention des f reres Lumiere etait admise a Vhonneur d'etre presentee a I'Empereur Francois- Joseph d'Autriche, au Roi de Serbie, au Tzar et a la Tzarine, a la Reine d'Espagne, au Roi de Roumanie et au Roi de Suede et, un jour d'ete de i8g8, le photo- graphe de la Cour de Danemark cinematographia sur les marches du perron du chateau de Bernstorff la famille royale reunie autour du roi Christian. (Voir le chapitre : Naissance du cinema nordique, vol. II). (2) Les films etaient achetes deux francs le metre quand Us etaient tires en noir et deux francs quatre-vingts quand Us etaient colories. Deux mois plus tard environ, Us etaient revendus soixante centimes aux forains qui achevaient de les user. (3) Commencee de la facon la plus modeste, cette exploitation se developpa assez rapidement. C 'est ainsi qu'un des hommes qui devaient marquer leur place dans « V Exploitation », de tongues annees durant, Edmond Boutillon, apres avoir donne des representations dans les salles des fetes des mairies de la region parisienne, dont les maires etaient assez intelli gents pour V accueil- lir, organisa une veritable tournee, sur le modele des entrcprises de spectacles 58 HISTOIRE DU CINEMA Ces debuts courageux mais hasardeux ont eu sur le developpement de la vie cinematographique en France une influence qu'il ne serait sans doute pas exag^re' de qualifier de de*sastreuse. « Une attraction foraine ! » Combien de fois a-t-on jete dedaigneusement de haut en bas ces trois mots a la figure de ceux qui lutterent afin de faire au cinema un sort digne de lui. lis correspondaient a une r^alite, ces trois petits mots, ils exprimaient m&ne la deception teintee d'amertume que les freres Lumiere avaient eprouvee a voir leur invention sortir du labo- ratoire ou ils avaient projete de la tenir cantonnee, mais ils constitue- rent une formule toute faite qui servit trop souvent a justifier certaines indifferences ou certains mepris, alors que Fere foraine etait depuis longtemps revolue et que le cinema £tait devenu une force avec laquelle on devait compter et, mieux encore, un art que Ton devait tenir a honneu.r de proteger. Mais a quoi bon recriminer ? Les hommes eux- memes ne choisissent que rarement la facon dont ils d^butent dans la vie et l'endroit ou ils effectuent ces debuts... Sur les champs de foire et au music-hall Ne sur le Boulevard parisien — ce qui aurait du lui valoir, surtout a cette epoque de « tortonisme » integral, la consideration de tous les hommes d'esprit — le cinematographe a fait ses premiers pas sur les champs de foire — c'est un fait ! — mais ce n'est pas la seulement qu'il les a faits. Dans le temps me^me oil les paysans qui venaient de vendre forains : voitures transportant deux postes complets (afin d' en avoir un de rechange en cas d 'accident) et un groupe electrogene de six chevaux, une cabine demont'able , un reservoir d'eau (afin de parer au danger d'incendie, partout ou Von se trouverait), les bobines, les affiches et le personnel : chef de poste, operateur, mecaniciens. Le chef de poste touchait trois cents francs par mois plus un pourcentage sur la vente des bonbons pendant les entr'actes. Les operateurs recevaient cinquante francs pour les trois representations hebdomadaires et les mecaniciens soixante. Les programmes comportaient jusqu'a huit films comiques, un « plein air », une scene historique, une « actualite », deux « drames sociaux «... (1905). Deux ans plus tard, nou- velle initiative : trois des grandes baraques les plus populaires de la Foire parisienne aux Pains d'Epices se consacrerent au cinema et firent de magni- fiques recettes. Lorsque le systeme de la location se substitua a celui de la vente, un film ordinaire se louait vingt-cinq centimes par metre et par se- maine, les « Actualites » se louaient quarante centimes et « le Pathe- Journal », qui editait hebdomadairement deux bobines de cent vingt metres, quarante centimes le metre, la valeur des films et le prix de location diminuant a mesure que les bandes vieillissaient (igo8J. C'est Lucien Nonguet, metteur ESSAIS EN TOUS GENRES 59 leur paire de bceufs ou leur couple de canards, versaient leurs deux sous ou leurs cinquante centimes pour admirer Les Elegances au Grand Prix de Paris ou pousser un petit cri d'effroi a voir la locomotive du train de La Ciotat se diriger vers eux, le cinematographe, sans parler de Thabilete avec laquelle il se poussait dans les Cours, pouvait, en effet, se vanter de toucher la foule exigeante des grand.es et petites capitales dans les salles qui s'etaient en hate ouvertes un peu partout pour l'accueillir et, comme ces salles n'etaient pas encore assez nom- breuses pour satisfaire toutes les curiosites, dans les lieux publics que le snobisme de l'heure mettait particuiierement a la mode : les cafes- concerts et music-halls qui, redoutant une concurrence qu'ils ne pou- vaient empecher, s'etaient empresses d'installer des ecrans sur les planches ou venaient d'evoluer chanteuses, acrobat es, danseuses et chiens savants ! En acceptant cette hospitalite le cinema, une fois de plus, s'exposait aux severites et au mepris des rigoristes : imprevoyant, il se donnait des verges pour, un jour, £tre fouette. Cette collaboration du spectacle cinematographique avec le spectacle de music-hall se fit surtout sentir le jour ou, non contentes d'avoir fait mettre a la porte du territoire americain les succursales qu'y avaient creees les Lumiere et Melies et qui leur avaient revele le cinema, les maisons americaines, constructrices d'appareils, s'efforcerent de faire a celles-ci sur leur pro- pre sol une concurrence pour laquelle tous les moyens leur etaient bons, a commencer par celui qui consiste a offrir la marchandise a des prix si bas — dut-on y perdre de l'argent — que le client le moins soucieux de ses inter£ts ne peut resister. Voila done l'ecran installe aux Folies- Bergere, a l'Olympia et a l'Eldorado ! Et comme a la clientele spe- ciale qui frequente ces etablissements il faut — du moins le croit-on ou m£me feint-on de le croire — des films non moins speciaux, e'est une production d'un genre nouveau qui s'elabore immediatement dans certains studios. en scene chez Pathe qui avait ouvert a Edrnond Boutillon la carrier e cine- matographique. Celui-ci, commercant en vins a Vincennes, avait accepte la proposition que lui avait faite Nonguet de tenir le role de Gessler dans un Guillaume Tell. Puis il avait ete le Roi dans un Chat Botte et le general Kouropatkine, commandant en chef des armies russes dans une « Actualite- postiche » sur la guerre russo-japonaise. Ay ant ainsi pris gout au cinema, il s'etait hardiment lance dans V Exploitation ou il devait reussir. Le nom de Boutillon est inseparable dans la chronique, sinon dans VHistoire du cinema francais, de celui de Brezillon qui pendant de tongues annees fut le grand maitre de V exploitation. President du syndicat des directeurs de salles, il exerca sur la production une influence incontestable qui ne fut pas toujours celleque les amis du vrai cinima auraient souhaitee. 60 HISTOIRE DU CINEMA La fin du dix-neuvieme siecle avait vu sur les scenes de music-hall un renouveau de la pantomime. Cette faveur inattendue — car on pouvait croire la pantomime parfaitement demodee et peu en accord avec les exigences de la vie qui commencait deja d'etre commandee par le gout de la vitesse — avait mis en evidence quelques mimes avec qui se terminait en beaute la tradition des Deburau et des Paul Legrand : Thales, Severin, Georges Wague, Felicia Mallet et avait donne nais- sance a quelques ceuvres comme Chand d 'Habits ! et L' Enfant Prodigue qui justifient l'engouement — non denue de snobisme — dont, pen- dant une quinzaine d'annees, les Parisiens avaient fait preuve a l'egard de cette sorte de spectacle. Mais les pantomimes qui figuraient aux programmes de l'Olympia, de l'Eldorado et des Folies-Bergere n'e- taient pas toutes signees Jean Lorrain, Catulle Mendes, Andre Mes- sager et elles n'etaient pas toutes d'atmosphere poetique ou legendaire. II y en avait d'autres tres modernes qui se recommandaient — si Ton peut dire — d'un realisme un peu special et qui s'intitulaient tout simpl^ment : La Puce, Le Coucher d'Yvette, Le Reveil de la Parisienne, Le Coucher de la Mariee. Ces tableautins, qui paraitraient bien anodins aux spectateurs d'aujourd'hui car le rideau tombait toujours avant que « la Mariee » ou « la Parisienne » eut esquisse le geste de se depouiller de son honnete chemise de pensionnaire — ces tableautins rempor- taient un tel succes — Le Coucher de la Mariee fut joue plus de trois cents fois sans interruption — et avaient valu une telle popularity a la jolie femme qui en etait la vedette ordinaire, la charmante Louise Willy, que le cinema s'annexa et le genre de spectacle et l'interprete. Le photographe Pirou, qui s'etait specialise dans le portrait de femmes de theatre, prit l'initiative de cette annexion et on vit Le Coucher de la Mariee (i) et quelques bandes du m£me genre sur les ecrans de music- hall ou ils succedaient, parmi « documentaires » et « actualites » a un Defile de Chasseurs Alpins ou a une Charge de Cuirassiers, car a cette epoque le public des Folies-Bergere n'etait pas moins cocardier qu'au (i) La plupart des joumalistes et historiens du cinema qui ont parU de ce film en ont appele la vedette Louise Milly ce qui est une erreur. Le Coucher de la Mariee fut mis en scene par Lear. Henri Desfontaines qui s' etait fait remarquer comme mime a cote de Thales dans Chand d' Habits aux Folies-Bergere, y fut le partenaire de Louise Willy qui parut phis tard dans plusieurs films de son camarade quand celui-ci, sans lacher le theatre se lanca a son tour dans la mise en scene cinematographique (v. p. 127-128) Desfontaines a declare (v. Cinema gazine, fevrier 1930) que I' operateur de prise de vues du Coucher de la Mariee etait Charles Pathe. Sans doute a-t-il voulu parler de Joly, associe de Pathe (v. p. 64). Le film commenca sa carrier e sur Veer an d'une petite salle que Pirou avait installee au Cafe de la Paix, place de V Opera. ESSAIS EN TOUS GENRES 61 cours des annees 1914-1939 mais son patriotisme se contentait d'un defile de vrais soldats sur un ecran et n'exigeait pas que la Grande Armee, representee par un bataillon de « femmes nues », descendit pour lui les trente marches de Tescalier sans lequel il n'est pas d'apotheose digne de ce nom (1). (1) Ces films constituerent malheureusement un article d' exportation dont la France et le cinema francais se seraient Men passes. Certains autres films Ugers inspires de la mythologie et de contes libertins du XVIIe et du XVIII* siecle furent encore realises au cours des annees igoo-igio. Quelques vieux Parisiens se souviennent sans doute d' avoir assiste a la projection de telle ou telle de ces petites bandes qui, parfois, ne manquaient pas de gout, dans un etablissement de la place Pigalle, restaurant de nuit devenu depuis lors un des bons cinemas de Montmartre. DEBUTS DE L'JNDUSTRIE : CHARLES PATHE ET LEON GAUMONT Charles Pathe a Vincennes Ce n'etait naturell^ment pas Le Coucher de la Mariee ni aucun des films du m£me genre que Charles Pathe emportait dans son maigre bagage pour courir foires et marches de la pro- vince francaise. Fils d'un commercant de Vincennes, Charles Pathe, avant de reprendre la boutique paternelle, avait fait quelques voyages, dont il esperait qu'ils le mettraient sur le chemin de la fortune et ce fut au retour de Tun d'eux, en 1894, qu'il decida de se lancer dans une voie differente de celle ou son pere voulait l'engager. C'est alors qu'il avait decouvert non pas le cinema mais le phonographe : c'etait un appareil capable de reproduire la voix humaine et quelques rouleaux qu'il avait tout d'abord promenes parmi les populations paysannes pour les initier aux beautes du Pere la Victoire et de La Berceuse de Jocelyn : dix centimes pour entendre un air, cinquante pour en entendre six, et les benefices qu'il avait empoches a exercer ce metier original lui avaient prouve que la campagne n'est pas ennemie du progres ni de l'art, comme on se plait a le dire ! II allait en avoir une nouvelle preuve le jour ou, remplacant son phonographe par un appareil de projection et ses rouleaux de cire par des bobines de pellicule, il entre- prit de reveler aux fermiers, ouvriers agricoles et jeunes gens des bourgs la vie telle que la voit l'objectif cinematographique ! Ce fut la fortune ! Cette fortune — fortune toute relative, bien entendu, ses recettes quotidiennes s'elevant en moyenne a trois cents francs ce qui n'est pas mal pour un capital initial de mille francs ! — Charles Pathe, qui n'etait pas un ingrat, la consacra au cinema (1896) — sans pour cela aban- donner completement le phonographe — et il se mit a fabriquer des appareils de cinema en m£me temps que des phonographes, des rou- leaux de cire en m6me temps que des bobines de pellicule negative et positive : la marque de fabrique qu'il adopt a — un coq lancant son cocorico ! — fut tres vite aussi connue des amateurs de spectacles 64 HISTOIRE DU CINEMA cinematographiques que des amateurs d'auditions phonographi- ques (i). Associe d'abord al'ingenieur Joly (2) qui s'occupait de la partie me- canique de l'affaire, Charles Pathe reussit a interesser ses trois freres a son entreprise — chacun d'eux lui versa pour commencer la modique somme de huit mille francs — et fit construire a Vincennes un premier atelier auquel il adjoignit bientot de vastes studios ou il allait se mettre a produire des films en tous genres. C'etait avec les petites bandes documentaires plus ou moins d'ac- tualite qui constituaient la seule production de l'epoque que Charles Pathe avait fait ses premiers pas dans la carriere cinematographique. Ce fut done tout naturellement a la confection de bandes de ce genre que se consacrerent les ateliers de Vincennes et, de meme que les Lu- miere avaient projete sur l'ecran du Salon Indien L'arrivee d'un train en gare de La Ciotat, Charles Pathe lanca L'arrivee d'un train en gare de Vincennes — ce fut le premier film de la firme — puis, continuant a agir comme s'il estimait qu'il ne pouvait rien faire de mieux que de mettre tres exactement ses pas dans ceux de ses devanciers, comme les Lumiere avaient eu La Place de la Bourse a Lyon, Charles Pathe tint a avoir sa Place de la Republique a Paris. Mais il ne fut n^anmoins pas longtemps avant de pressentir que ces petites bandes ne suffiraient (1) 77 est un peu etonnant qu'ayant oriente son activite a la fois dans les deux domaines, Charles Pathe n'ait pas pense serieusement a etablir une collaboration entre le cinema et le phonographe. C 'est a Leon Gaumont que cette initiative appartiendra (V. p. 105). Pourtant il ne faut pas oublier Le Muet Melomane de Zecca. (V.p. 65). (2) Henry Joly, proprietaire d'un bazar a Decazeville etait venu a Paris en i8g4 pour y monter une baraque foraine, ce qui le mit en relations avec Charles Pathe qui commencait a exploiter le kinetoscope Edison. II se mit alors a fabriquer quelques bandes qui pouvaient itre utilisees par cet appa- reil.Apres quoi il avait construit un appareil qui n' etait qu' une contrefacon de celui d' Edison et dont il prit le brevet le 16 aout i8g6. Puis il se separa de Pathe et continua a fabriquer des appareils. Ce fut lui qui installa au Bazar de la Charite la salle de cinema qui fut V origine de Vincendie (V. p. 6y). II fut aussi V operateur de prise de vues du Coucher de la Mariee qui fit courir tout Paris au cinema du Cafe de la Paix (V. p. 60). II imagina ensuite un systeme de synchronisation grace auquel, en 1900, en meme temps que Leon Gaumont, il projeta quelques films parlants et ne cessa de travail- ler modestement, obscurement a V amelioration du Cinema. II mourut le 27 decembre ig45, la veille du jour ou, a V occasion du cinquantenaire du Cinema, fut apposee sur la facade de V immeuble du 14, boulevard des Capu- cines, une plaque portant les noms des « pionniers » francais du Cinema, parmi lesquels le sien ne figure pas (V. p. 34). Quelques mofo plus tard, pour venir en aide a sa veuve, Jean Painleve, avec sa generosite habituelle, fit une conference ou il evoqua la figure et les travaux d' Henry Joly. ii. Charles Pathe et son plus precieux collaborateur Ferdinand Zecca (a gauche) 12. Un des films les plus populaires de Zecca : La Passion du Christ. 14- Alice Guv, realisatrice des premiers films Ganmonij 13. Leon Gaumont. 15. Riquet a la Houppe, film de la production Pathe, realise par Georges Monca que Ton voit dans le personnage du roi (troisieme a gauche). DfiBUTS DE L'INDUSTRIE 65 bientot plus a la curiosite d'un public de jour en jour plus nombreux. II conclut alors un accord avec Melies pour 1 'edition et la diffusion des films que celui-ci produisait. Mais comme d'une part aucun gout naturel ne l'entrainait vers la fantaisie, lafeerie, la fantasmagorie ou se mouvait a Taise le talent de Melies et que, d 'autre part, Charles Pathe avait aupres de lui un homme qui essayait de l'entrainer dans une voie opposee, une production tres differente commenca a sortir des ateliers deVincennes. L'homme de qui 1 'influence se manifestait ainsi et qui, des annees durant, allait £tre le grand homme de la Maison Pathe est un etre curieux, Ferdinand Zecca. Engage par Charles Pathe pour la production des cylindres phono- graph! ques, Zecca, qui avait autant d'activite que d'ingeniosite, etait tres vite devenu le « Maitre Jacques » de l'affaire. Musicien — sa virtuosite faisait merveille quand il f allait Conner a la cire des rouleaux de phonographe un solo de piston ou de mandoline — , il ne se montrait pas moins precieux s'il s'agissait d'enregistrer des discours plus ou moins ofhciels et il avait ete ainsi amene a realiser avec la collaboration du chanteur Charlus, un dialogue phonographique, Le Muet Melomane, qu'il eut l'idee de transporter a l'ecran quelque temps plus tard en etablissant un synchronisme entre l'image et le son. Cela se passait a l'epoque ou Leon Gaumont tentait lui aussi une collaboration du cinema et du phonographe. Et puis il avait entrepris de petits films dont les titres disent bien ce qu'ils etaient et ce que leur auteur voulait qu'ils fussent : La Soupiere, La Megere recalcitrante, La Loupe de Grand'- Manian, Comment F alien devint architecte (1), Bataille d'oreillers (2) et de cespetitesbandes,Zeccaetaitalafoisscenariste,realisateuretinterprete. L'annee 1900 va fournir a Charles Pathe une nouvelle occasion d'apprecier les qualites d'initiative et de debrouillardise de Zecca qu'il a charge d'organiser le stand que la maison se devait d'avoir a TExpo- sition. Des lors, Charles Pathe ne jure plus que par Zecca et, ce qui est plus grave, ne voit plus que par les yeux de Zecca qui va devenir le directeur artistique de toute la production cinematographique de la maison Pathe. Nous aurons plus loin Toccasion et le devoir de parler plus longuement de lui (3). (1) De ce film Georges Sadoul dit qu'il est une conirefacon d'un film de V Anglais G. A. Smith The House that Jack built dans lequel « une architecture enfantine se construit toute seule par un effet de deroulement du film a Venvers ». (L'Ecole de Brighton : Cinema n° 2. Editions Jacques Melot, Paris, 1945.) (2) Ce film fut imite par tous les producteurs de l'epoque, tant a V etr anger qu'en France et on retrouve des traces de ce sujet dans d'innombrables bandes jusques et y compris le Napoleon d' Abel Gance (192J). (3) V. p. 76. 66 HISTOIRE DU CINEMA Leon Gaumont aux Buttes-Chaumont En m^me temps , une autre maison de production qui, pendant pres d 'un quart de siecle va, avec la maison Pathe, symboliser aux yeux du monde le Cinema francais, nait a Paris, grace a l'initiative de Leon Gaumont. Proprietaire d'une maison de construction d'appareils photogra- phiques deja avantageusement connus, Leon Gaumont est un homme tres different de Charles Pathe. II n'a pas eu la vie difficile de celui-ci, il n'a pas non plus la hardiesse de son rival et il a recu une formation intellectuelle beaucoup plus developpee. Pourtant, a cette difference pres qu'au lieu de courir les champs de foire, il est reste dans ses ate- liers et dans son magasin de la rue Saint-Roch, a partir du moment ou il prend contact avec le cinema, la courbe de son evolution suit exac- tement celle de son concurrent : c'est par la construction des appareils qu'il debute (1) c'est par la production de films qu'il continue et les ban- des qui sortent de ses studios des Buttes-Chaumont ressemblent comme des sceurs aux bandes qui sortent des studios de Vincennes et, pour achever la ressemblance entre ces deux f uturs grands maitres du cinema francais, Leon Gaumont a lui aussi son Zecca, un Zecca, a vrai dire, qui n'aura ni l'activite ni la perseverance de l'autre. Cette eminence grise des Etablissements Gaumont est une femme, Alice Guy, la propre secretaire du patron, qui, un jour, obtient de celui-ci l'autorisation d'utiliser quelques metres de pellicule a enregistrer les peripeties d'une petite histoire qu'elle avait imaginee et a laquelle elle avait donne ce titre qui dut faire palir de jalousie Melies : La Fee aux choux. Comme Melies, comme Zecca, Alice Guy fut non seulement auteur et metteur en scene mais encore, avec deux de ses amies, sa propre interprets Inutile de dire que ce debut fut un succes et un tel succes qu'Alice Guy obtint sans peine de son patron l'autorisation de recidiver et ce furent Les me f aits d'une tete de veau, apres quoi, pour varier les plaisirs vint une Passion, la premiere des innombrables Passions qui se sont tournees dans tous les studios du monde. C'etait dans un terrain vague entou- rant le petit atelier de deux cents metres carres ou travaillaient douze ouvriers et dont un moteur a gaz de dix chevaux constituait toute la force motrice, que Mme Alice Guy se livrait a ces exercices divers. Ce terrain se couvrit rapidement de constructions qui se developperent a mesure que les affaires de la maison s'amplifiaient (2). (1) II avait achete les droits aux inventions et procedes de Georges Demeny et il en exploitait les brevets. (2) En IQ12, ces constructions couvraient une superficie de quinze mille metres carres situes entre les rues de Belleville, du Plateau et des Alouettes. DEBUTS DE L'INDUSTRIE 67 Pendant que sa secretaire fait ainsi preuve d'un hardi feminisme en se lancant la premiere dans un metier ou, au bout de cinquante ans d'une activite qui le forca a recruter son personnel dans tous les mondes, le cinema ne peut guere inscrire a son actif que six ou sept noms de femmes metteurs en scene (1), Leon Gaumont poursuit ses travaux preferes sur la cinematographic en couleurs et sur la collabo- ration de Timage et du son en vue d'un spectacle plus attrayant et surtout reproduisant plus completement, plus exactement la vie. De ces travaux, Leon Gaumont apportera les premiers resultats a l'Exposition de 1900 mais, avant que celle-ci ouvre ses portes, le cine- mat ographe aura eu a subir un assez rude assaut. Des qu'il avait affirme sa vitalite, le cinema avait connu les cri- tiques et les remontrances de certains esprits chagrins qui, la premiere curiosite emoussee et sent ant bien que le theatre allait avoir en lui un redoutable concurrent — sinon dans le domaine artistique ou intel- lectuel mais du moins dans celui des recettes — s'etaient employes a lui reprocher sa bassesse, sa vulgarite — « attraction foraine » — ainsi que des eternels mecontents qui s'etaient dresses contre lui tout sim- plement parce qu'il etait jeune et qu'eux ne l'etaient plus. Mais tout cela n'aurait pas ete tres grave s'il n'y avait eu la catastrophe du Bazar de la Charite (4 mai 1897). Cette manifestation importante de la vie parisienne, a la fois cha- ritable et mondaine, comptait au nombre de ses attractions unesalle de spectacle cinematographique. Un film s'etant enflamme dans la cabine de projection mal close, l'incendie avait gagne l'enorme hall de bois et de toile. Les victimes avaient ete nombreuses et l'emotion que cette -catastrophe avait provoquee tres vive et profonde. Et de tout cela on avait fait porter la responsabilite au cinematographe. Cette responsabilite etait indisputable mais l'appareil des freres Lu- miere ne constituait tout de meTne pas pour les foules qu'il attirait le danger que Ton voulait faire croire. A ce cri d'alarme les amateurs de spectacles cinematographiques etaient restes sourds et,faisant preuve de ce solide bon sens qui caracterise la masse de la population francaise, une fois prises les precautions qui s'imposaient et qui avaient ete exigees des directeurs de salles, ils continuerent a se presser de plus en plus nombreux devant les ecrans qui leur procuraient une distrac- tion qu'ils ignoraient quelques mois plus tot et qui leur devenait chaque jour plus necessaire et plus chere. (1) C'est en France que la mise en scene cinematographique attira le plus de femmes, car apres Alice Guy il y eut Germaine Dulac, Renee Carl, Musidora, Gaby Sorere, J. Bruno-Ruby et en 1945 Jacqueline Audry et Andrde Feix. L' Amerique eut Lois Weber et Dorothy Arzner; I'Allemagne Lent Riefenstahl et la Russie Olga Preobrajenska'ia. 68 HISTOIRE DU CINEMA Ce mauvais pas franchi, le succes du cinema etait desormais assure et on l'allait bien voir a l'Exposition universelle qui ouvrit ses portes a Paris, au print emps de 1900. Mais avant de recevoir cette consecration populaire, le cinema s'acquiert un droit a la reconnaissance des esprits serieux. Cinema scientifique Charles Pathe, s'il est encore incapable d'imaginer que le cinema puisse e"tre mis au service de Tart, a en effet re joint les freres Lumiere le jour ou, ayant compris que la Science peut avoir en lui un utile collaborates, il installe un petit laboratoire scientifique dans un coin de ses studios de Vincennes. C'est dans ce laboratoire, mis a la disposi- tion du Dr Comandon par Charles Pathe, que fut utilise pour la pre- miere fois le procede dit du « ralenti » qui permit de realiser des films de quelques metres montrant toutes les phases de la germination d'une noix et de l'epanouissement d'une fleur de geranium (1898). La meme annee, le Dr Doyen s'etant assure la collaboration de Clement Maurice se fit cinematographier pendant une de ses ope- rations et, dans un article qu'il donna le 15 aout a « La Revue Critique de Medecine et de Chirurgie » il indiqua quelques-unes des raisons auxquelles il avait obei en agissant ainsi : « On ne se rendra jamais compte, sur un sujet d'amphitheatre, de la maniere dontdoit toecon- duite 1 'operation sur le vivant... Si vous photographiez au cinemato- graphe une operation typique, vous ferez comprendre en moins d'une minute a un millier de personnes ce que toute une conference ne pourra demontrer qu'a un petit nombre d'etudiants places a proximite du professeur. Les eleves des pays les plus eloignes pourront ainsi se fami- liariser avec la pratique des principaux maitres. lis pourront comparer sur l'ecran les procedes concurrents et apprecier plus exactement les progres accomplis... Un dernier resultat, le plus inattendu peut-etre de Tapplication du cinematographe a la reproduction des operations chirurgicales est le benefice que peut en retirer chaque chirurgien. Lorsque j'ai vu pour la premiere fois se derouler sur Tecran une de mes operations, j'ai constate combien je m'ignorais moi-m£me. Bien des details de technique que je croyais jusqu'alors satisfaisants m'ont paru defectueux. J'ai corrige, j'ai ameliore, j'ai simplifie ce qui devait Tetre, de telle sorte que le cinematographe m'a permis de perfectionner consi- derablement ma technique operatoire ! » (1) (1) De nombreux films furent ainsi enregistres. Un des plus curieux fut celui qui montrait V operation sensationnelle pratiquee sur « les sceurs sia- moises » Radica et Doodica. DEBUTS DE L'INDUSTRIE 69 A quelle torture un tel resultat a-t-il du soumettre la modestie des freres Lumiere ! Comme ils avaient eu raison d'avoir foi en leur inven- tion en tant qu'instrument de laboratoire ! Ainsi, a peine age de trois ans, le cinematographe, repondant gene- reusement aux espoirs que ses peres avaient mis en lui, voyait s'ouvrir devant ses pas, grace au Dr Comandon et a Charles Pathe d'une part et au Dr Doyen d'autre part, deux domaines ou il allait pouvoir rendre des services considerables : celui de l'observation scientifique et celui de renseignement. A L'EXPOSITION DE 1900 Le cinema en etait la lorsque s'etait ouverte l'Exposition uni- verselle de 1900. Partout ailleurs que dans une « Histoire du cinema » on serait autorise a dire que le cinema fut le roi de cette grande manifestation. Pour ne pas &tre taxes d'obeir a une idee fixe, disons simplement qu'il en fut une des grandes attractions, la plus courue sans doute, la plus repandue certainement. A chaque detour de Timmense enceinte qui englobait l'Esplanade des Invalides, le Champ de Mars, les Jardins du Trocadero, le Cours la Reine, un ecran etait dresse. Dans chacun des pavilions de la fameuse rue des Nations il y en avait un, charge de faire connaitre les beautes touristiques et les ressources naturelles du pays et un autre encore ■ — gigantesque (1) — au beau milieu de la Salle des F£tes — veritable Salon d'Honneur — occupant la partie centrale de la populaire Galerie des Machines, seul vestige, avec la Tour Eiffel, de l'Exposition de 1889; il y en avait par douzaines, partout ou Ton souhaitait que la foule s'ar- retat et c'est tout juste si la crainte qu'un si lourd anachronisme ne fit naitre sourires et brocards emp£cha qu'il y en eut un ou deux parmi les attractions du « Vieux Paris » grouillant de truands et de ribaudes. La plupart de ces ecrans etaient employes comme l'avait ete celui du Salon Indien, comme l'etaient tous ceux qui deja voyaient chaque jour venir a eux pareillement sur les cinq continents la foule des fati- gues, des ennuyes avides de se reposer et de se distraireet,moins nom- breux, les curieux avides d'apprendre I Mais parmi les hommes qui s'etaient voues au service du nouveau mode d 'expression, il y en avait quelques-uns qui ne pensaient pas que tout avait ete fait et que le cinema ne put pas atteindre un niveau plus eleve qu^ celui ou l'avait porte le premier bond de sa jeune vigueur. (1) Cet ecran mesurait vingt et un metres de largeur et quinze metres de hauteur. Vingt-cinq mille spectateurs pouvaient contempler les projections. Un projecteur de marine de cent vingt a cent cinquante amperes fournissait la source lumineuse. On voyait des deux cotes de V ecran que Von mouillait pour obtenir une bonne transparence. Pendant le jour V ecran restait immerge dans une cuve recouverte par un double jeu de trappes. Le soir, deux treuils situes sous la coupole le remontaient en place. (G.-M. Coissac : Histoire du cinema.) On essay a aussi des seances en plein air en installant un ecran sous la Tour Eiffel. Mais un essai qu'on en fit montra qu'il serait tres diffi- cile, a cause des courants d'air qui regnent a peu pres constamment entre les piliers de la Tour, de donner a V ecran la fixite necessaire et on abandonna ce projet. 72 HISTOIRE DU CINEMA C'est ainsi que parmi les attractions ou le cinema tenait le role principal il y en eut deux ou la presentation des vues animees, telle qu'elle avait lieu jusqu'alors, fut jugee insufnsante : le « Mareorama » et «le Ballon- Cineorama » de Grimoin-Samon (i). Au « Mareorama » un decor representant le pont d'un paquebot avait ete construit et c'etait sur ce pont qm se tenaient les spectateurs pendant que sur 1 'ecran garnissant un des cotes de la salle etaient pro- jetees des vues prises sur les quais et a la sortie du port de Marseille, puis en haute mer et enfin a l'entree du port d'Alger, 1 'ensemble s'effor- cant de donner l'impression d'une traversee rapide mais exacte en ses principaux elements : depart et arrivee. Le « Ballon-Cineorama » partait du me'me principe mais etait un peu plus complique, puisque le decor dans lequel le spectateur f aisait son entree etait charge de donner a celui-ci l'impression qu'il etait dans la nacelle d'un ballon et comme cette nacelle occupait le centre de la salle, la projection avait lieu a l'aide de dix appareils sur un ecran gar- nissant la paroi circulaire de la salle, les vues devant se raccorder avec une precision assez" difficile a obtenir (2). Cette mise en scene partait d'un desir de faire ce qui n'avait pas encore ete fait, dont le moins qu'on en puisse dire est qu'il etait touchant a force de bonne volonte, mais elle etait l'exploitation d'un principe faux, le cinema n'ayant pas besoin de tant de precautions et possedant un pouvoir de suggestion bien superieur a celui de tous les cartonnages dont on peut entourer le spectateur : celui-ci n'aura jamais rien de mieux pour mettre son imagination en action qu'un ecran nu et blanc sur lequel viennent s'inscrire des images qui ont ete composees a son intention. Mais a agir comme ils l'avaient fait, ceux qui avaient eu l'idee du « Mareorama » et du « Ballon-Cineorama » avaient une excus ^ puisqu'ils avaient tout simplement obei au grand courant realiste qui baignait toute la vie artistique de l'epoque et par lequel il fallait abso- lument faire emporter le cinema — du moins le croyait-on — si Ton voulait qu'il put gagner la haute mer et voguer vers ses destinees. (1) Raoul Grimoin-Sanson, ne en i860, prestidigitateur comme Melies, auteur de toute une serie d'inventions dont plusieurs, comme le photota- chygraphe, repondaient aux preoccupations qui avaient amend la decouverte du cinematographe. C'est a lui que Von doit Vinveniion de la « croix de Malte » qui supprima le scintillement rendant la projection cinematogra- phique si fatigante pour les yeux. President du « Comite Marey », \il mena une longue et active campagne afin d'etablir de facon precise les origines du cinematographe. Quand il mourut en 1941, il travaillait a V etude du relief . (2) Mai aeree, la salle du Cineorama apparut danger euse aux services de securite de la Prefecture de police qui en or donner ent la fermeture. Cette experience, resultat de quatre annees d' efforts, couta tres cher a Grimoin- Sanson qui n'en continua pas moins a travailler a I' amelioration du cinema. EXPOSITION DE 1900 73 ESSAIS DE CINEMA PAELANT Une troisieme attraction inedite etait encore offerte aux visiteurs de l'Exposition. Singulierement plus hardie, elle devait ouvrir a l'in- vention des freres Lumiere un domaine qui, apres £tre reste plus de vingt-cinq ans a peu pres en friche, se revelera si riche que la vie et Tart cinematographiques s'en trouveront Tune bouleversee et l'autre detourne de ses fins naturelles : c 'etait le premier essai de cinema parlant. Leon Gaumont avait imagine un systeme de synchronisation command e electriquement entre la projection du film et le deroulement du rouleau de phonographe. A l'enregistrement les deux operations n'avaient pas lieu simultanement et Ton procedait deja comme on le fait aujourd'hui pour le « doublage » des films parlants : les yeux fixes sur l'ecran ou son image etait projetee telle qu'elle avait ete enregistree pendant qu'il recitait le texte dont ses gestes etaient le comment aire, l'acteur debitait une seconde fois le m£me texte devant Tappareil qui le gravait sur la cire du rouleau (1). C'etait assez complique mais le resultat n'etait pas mauvais : il valait deja a peu pres ce que vaut, quinze ans apres la mise au point du parlant un doublage moyen et il donnait toute satisfaction au public de l'epoque qui, s'il ne criait pas au miracle, passait un agreable quart d'heure a ecouter et a voir — en m£me temps, tout comme au theatre — Coquelin aine recitant la tirade « des nez » ou la ballade du duel de Cyrano de Bergerac, Galipaux mimant non moins qu'il le disait un des monologues qui, au moins autant que les innombrables roles qu'il avait tenus de TOdeon au Vaudeville, avaient contribue a le rendre populaire, Yvette Guilbert chantant une chanson de Xanrof et pour finir les Societaires de la Comedie-Francaise — c^ fut sans doute la premiere apparition de ceux-ci sur un ecran — jouant une scene des Precieuses Ridicules. Vraiment les badauds qui etaient entres dans la petite salle de « la rue de Paris » comme ils seraient alles, quelques pas plus loin, voir danser Geo de Merode ou mourir en passant par toutes les nuances de la paleur 1'emouvante Sada Yacco, en avaient, comme on dit, pour leur argent. Et M. Leon Gaumont aussi. Ce- lui-ci, pour t ant, plus difficile que ceux qui lui avaient apporte leurs (1) Vers la meme epoque, Auguste Baron qui devait mourir en 1937, aveugle et dans la misere, avait depose une demande de brevet pour un dis- positif a peu pres analogue a celui que Leon Gaumont utilisa a V Exposition de igoo. (V. vol. IV) 74 HISTOIRE DU CINEMA vingt sous, ne jugeait pas satisfaisants les resultats qu'il avait obtenus et poursuivait avec autant de perseverance que d'ingeniosite ses tra- vaux, lesquels devaient aboutir, deux ans plus tard, au « portrait anime » et en 1910 a la mise au point du « Chronophone ». (1) (1) V. p. 97 Evolution de lindustrie CHARLES PATHfi ET FERDINAND ZECCA Acombien de dizaines, de centaines de milliers de visiteurs venus de tous les coins du monde, l'Exposition de Paris avait-elle revele le cinema, ses pompes et ses ceuvres ? Ceux-la etaient autant de nouveaux clients pour les salJes de projection de la ville ou du bourg qu'ils habitaient et si cette ville, si ce bourg ne possedait pas encore d'ecran, ces clients en puissance s'estimaient voles et il fallait leur donner au plus vite les plaisirs auxquels ils pretendaient avoir droit depuis qu'ils avaient eu la revelation du cinema sur les bords de la Seine. Cette clien tele n'etait pas tres difficile et quand elle etait en possession de l'ecran dont elle avait besoin, elle n'avait guere d'exigences quant a la qualite des films projetes, pas plus en fait que ceux qui avaient decouvert le cinema, cinq ans plus tot, entre les quatre murs garnis de tapis orientaux du Salon Indien : les uns comme les autres subissaient 1 'impression de miracle qui se degageait des images animees qu'on leur offrait et qui agissaient sur leur esprit un peu a la facon d'un narcotique et dans cette torpeur tout leur etait bon qui ne les en tirait pas. Cette deuxieme vague d 'amateurs n'eut done aucune influence immediate sur l'amelioration de la qualite de la production, mais elle en eut une grande sur sa quantite. En effet, la demande fut telle que, pour y repondre, de nouveaux pro- ducteurs s'improviserent, a Texemple de Pirou dit « le photographe des Rois », le premier operateur de celui-ci, Lear (i), de Georges Mendel, de Grimoin-Sanson, sans parler de « La Bonne Presse » qui, ayant cons- tate le succes qu'avaient remporte, des 1897, les films realises par un Frere des Ecoles chretiennes, le Frere Basile, en collaboration — plutot inattendue — avec Lear, embrigada le cinema parmi les moyens (1) Lear (de son vrai nom Kirchner) fut non settlement un bon operateur mais encore un chercheur que la technique du cinema passionna. II prit d'innombrables brevets et ses iravaux apporterent d'heureuses ameliorations aux divers appareils utilises par Vindustrie cinematographique. 76 HISTOIRE DU CINEMA de propagande dont elle se servait et qui entreprit alors une production, tres vite des plus importantes, de films inspires de la Bible, de l'Evan- gile, de la Vie des Saints, et des manuels de morale en action (i). Malgre cette concurrence, ce sont toujours Charles Pathe, Leon Gaumont et Georges Melies qui menent le mouvement. Les bandes que ce dernier sort de son studio de Montreuil ont perdu toute modestie. II y a longtemps qu'ayant presente a Charles Pathe et a Zecca une Cendrillon qui atteignait le metrage de sept cents metres et qu'ayant refuse de reduire ce metrage de sept cents a trois cents metres comme le demandait Zecca, il a rompu avec Pathe. Mais cela n'a pas ete une lecon pour lui car, quelle que soit leur longueur, ses films connaissent un succes de plus en plus vif . Sa rupture avec la grande maison de Vincennes lui est au contraire un excitant car il va avoir a l'emporter dans la lutte qui vient de s'ouvrir entre lui et Zecca, lutte qui va s'etendre sur plusieurs annees. C'est alors que Melies fut sollicite par Fontanes, directeur du Cha- telet afin de collaborer a la mise en scene de la feerie Les quatre cents Coups du Diable. II s'agissait de realiser a l'aide du cinema une partie de la piece pour laquelle la machinerie theatrale s'averait insuffisante : la course a travers les espaces interplanetaires d'un fiacre a l'interieur duquel se trouvait un des meilleurs comiques de l'epoque, l'amusant Claudius. Cette proposition repondait trop exactement a la conception qu'il avait d'un « Theatre cinematographique » pour que Melies ne l'accueillit pas avec empressement . Le tableau qu'il realisa grace a une serie de truquages ingenieux qui n'etaient pas tous d'ordre cinema- tographique mais plutot d'ordre mecanique, fit tres gros effet lorsqu'il fut projete sur l'ecran installe dans l'immense cadre de la scene du Chatelet. Ce n'etait pourtant pas la premiere fois que le cinema etait appele a collaborer avec le theatre. Des septembre 1899, en effet, Georges Monca qui etait metteur en scene au Theatre de la Republique (Theatre du Chateau d'Eau) avait eu l'idee de se servir du cinema pour les repre- sentations d'un melodrame de Fernand Meynet L'Auvergnate : une scene que Ton projetait sur un ecran installe dans le cabinet d'un juge d'instruction prouvait au bon moment la culpabilite d'un personnage insoupconne et du meme coup l'innocence de l'herome injustement accusee. Les roles de cette petite scene dont le succes fut tres grand (1) Ces films d' inspiration religieuse connurent immediatement un si grand succes qu'ils eurent de nombreux imitateurs. C est ainsi que la Maison Pathe fit, en 1902, une Passion qui, en 1945, n avait pas encore cesse sa carrier e dans les missions d'Afrique et d' Oceanic EVOLUTION DE L'INDUSTRIE 77 tant a cause de son ingeniosite que de sa nouveaute etaient tenus par Renee Coge, Charles Vayre (1) et Georges Monca (2). Par la suite nous retrouverons le cinema collaborant de facon plus ou moins heureuse a de tres nombreux spectacles en tous genres de TAmbigu (3) a l'Opera (4) en passant par les Folies-Bergere (5). Le jour ou, dans un mouvement de mauvaise humeur, Melies etait parti de Vincennes en claquant les portes, il avait fait la jpartie belle a Zecca : desormais celui-ci va pouvoir regner en maitre aosolu sur la maison Pathe (6). II en profitera pour orient er tout naturellement la production de Vincennes dans une voie que Melies n'a pas encore foulee : celle du realisme integral. Naissance du realisme Sans doute y a-t-il un peu de tout dans l'abondante production que Zecca va diriger — il y a m£me des films comme Les sept chateaux du Diable que Melies aurait pu signer, il y en a aussi comme cette Catastrophe de la Martinique qui ne sont qu'une copie de ceux que Melies a realises — mais de tous les genres dont on trouvera des mani- (1) Charles Vayre resta fidele au cinema, tout en ecrivant de nombreux romans feuilletons, et son nom figure en tete de maint scenario de film. (2) Georges Monca fut un des metteurs en scene les plus actifs du cinema francais. Nous le retrouverons plus loin. (3) Dans un melodrame La Fleuriste des Halles (1900) dont V heroine qui avait un fits soldat, voyait en reve la charge des cuirassiers de Rei- schoffen — un des episodes les plus populaires de la guerre de 1870 — grace a la projection d'un petit film reproduisant une charge de cuirassiers sur un champ de manoeuvres. (4) Dans le drame lyrique de Sylvio Lazzari La Tour de Feu. Sur un ecran place entre des rochers, au fond de la scene, etaient projetees des vues de vagues qui constituaient un decor anime d'un effet interessant. Le cinema fut encore employe pour « la chevauchee des Walkyries » et pour certains tableaux de La Damnation de Faust. (5) Au cours d'une revue dont Max Linder etait la vedette. Un tableau projete sur V ecran montrait Vacteur arrivant en ballon sur le toit de I'eta- blissement. Puis V ecran disparaissait et Vacteur « en chair et en os » faisait son entree en scene par les cintres. Max Linder usa de cette presentation dans le sketch qu'il promena au cours d'une tongue tournee a tr avers V Europe. (V.p.88). (6) i7 commenga par engager sa femme pour tenir des roles dans ses films et son frere, Z. Rollini, pour lui fournir des scenarios. Celui-ci, tantot sous le nom de G. Rollini, tantot sous celui de Z. Rollini, eut une acti- vite cinematographique variee et assez grande qui se poursuivit jusqu'aux environs de 1923 sous la forme d'articles publies sous I'une ou I'autre de ces signatures et aussi sous celle de Georges Dyerres dans divers journaux de cinema. 78 HISTOIRE DU CINEMA festations plus ou moins nombreuses, plus ou moins heureuses, celui qui, par-dessus tous les autres, va s'imposer opposera a la fantaisie char- mante et bon enfant de Melies, un realisme precis et brutal qui s'epa- nouira sans aucune contrainte dans une atmosphere de fait divers et de crime. C'etait a Jules Verne, a Perrault et aux feeries du Chatelet que Melies etait alle demander son inspiration ; c'est a l'Ambigu et meme au Grand Guignol, alors en plein epanouissement, en pleine vogue de snobisme^, et aux couvertures en couleurs du « Petit Journal Illustre » que la production Pathe va f aire concurrence : grace a Zecca le crime fait son entree au studio. D'emblee, il s'y plait, s'y installe comme chez lui. Si bien qu'aujourd'hui encore on l'y trouve a demeure. Ah ! cette Histoire d'un Crime ! Avec ses tableaux d'un si ingenu et si convaincu realisme — directement emprunte a l'esthetique du Musee Grevin (i), Rien n'y est oublie : apache en casquette a pont guettant sa victime — un garcon de banque — magistrats en redingotes proce- dant aux premieres constatations, agents arretant l'assassin dans un bar louche et criminel payant, comme il se doit, sa dette a la Societe sous le couperet de la guillotine dressee devant la porte de la Roquette ! Sans parler du reve qui, tres moralement, hantait en sa cellule les nuits du condamne revivant son crime. Avec ce film, le cinema ecrivait la premiere page de Thistoire, la tres longue histoire de la difficile et ardente lutte qu'il eut, en tous pays, a soutenir contre les representants de la morale traditionnelle, incarnee en la Censure : la derniere scene de V Histoire d'un Crime dut, en effet, 6tre supprimee par ordre de la Prefecture de Police (2), au lendemain de la premiere projection du film sur les ecrans parisiens. Voila un titre a inscrire a l'actif de L' Histoire d'un Crime mais ce film en a d'autres et d'abord celui d'avoir ouvert devant les commercants du film les portes du domaine grisant des grosses recettes : la bande avait coute trois mille francs et en quelques semaines il allait en £tre vendu plus de deux cents copies au prix de deux cents francs l'une. N'y avait-il pas la de quoi confirmer Charles Pathe dans Timpression qu'il avait deja depuis longtemps que Zecca etait un grand homme. Mais tout cela ne serait rien si les sept tableaux dont se composait U Histoire d'un Crime — l'assassinat, l'arrestation, la confrontation, la Cour d' Assises, la prison, le dernier jour du condamne, la guillotine — par le succes qu'ils obtinrent, bien plus que par leur valeur n'avaient revele a (1) On a dit que c'etait au cours d'une visite du Musee Grevin que Zecca avait eu la premiere idee de son film. Ce doit itre exact. C est en tout cas vraisemblable. (2) // n'y avait pas encore a cette epoque d'organisme de censure cine- matographique. C'est la guerre qui dota le cinema d'une censure dont, par la suite, il lui jut impossible de se debarrasser. EVOLUTION DE L'INDUSTRIE 79 tous ceux qui s'interessaient au cinema un evangile nouveau, celui du realisme, qui allait se repandre aussi rapidement parmi les producteurs et les auteurs de films que parmi les spectateurs avides d'emotions fortes. Ainsi, 1 'effort spontane, instinctif de Melies allait £tre rendu inutile, toute lutte entre le r£ve et la realite etant impossible, la clien- tele de l'une ecrasant de sa masse la clientele de l'autre. Melies n'abandonne pourtant pas la lutte et, loin de se resigner, il s'engage hardiment a son tour dans la voie que vient d'ouvrir son rival, ce qui nous vaut Les Incendiaires, qui, a cette seule difference que le heros — si Ton peut dire — du film n'est plus l'assassin d'un garcon de recettes, mais une bande de malfaiteurs incendiant fermes et recoltes, n'est qu'une copie du film de Zecca (1). Celui-ci, qui semble un peu grise par son succes, ne resiste pas a la tentation de donner une replique a L'Histoire d'un Crime, une replique agrandie, puisqu'en cedant a cette tentation, il produit une serie de films montrant l'histoire de La Peine de Mort a travers les ages : on ne peut plus ouvertement repondre aux gouts les moins louables du public. Puis, devenant de plus en plus ambitieux, Zecca aborde un nouveau genre : celui du film a pretentions sociales avec Un Drame de la mine, La Vie danger euse, L'Honneur d'un Pere (1905), L'Ecole du Malheur, Victime de I'alcoolisme, apres quoi il ne lui reste plus qu'a se lancer dans la grande reconstitution historique ou pseudo-historique avec une Vie de Jesus, selon les plus purs canons de la rue Saint -Sulpice, pour avoir fait le tour de tous les genres que le cinema se croyait alors capable de traiter. (2) Zecca est-il « le plus petit des grands hommes » ainsi que Sacha Guitry s'est plu — et peut-etre amuse — a l'afiirmer dans le film- reportage Ceux de chez nous qu'il realisa en 1915 et dans lequel l'auteur de L'Histoire d'un Crime voisinait avec Renoir et Sarah Bernhardt ? La question n'a jamais ete pos£e, m&me par ceux qui se sont penches avec le plus de sollicitude sur cette periode de l'histoire du cinema. Ce qui est certain c'est que Zecca etait de petite taille. Ce qui ne Test pas moins c'est qu'il fut grand par son activite et, ce qui est plus impor- tant, par l'influence qu'il exerca sur l'orientation de la production des annees 1900-1910 et de ce que Ton est bien force de commencer a appeler « l'Art » cinematographique. Qui pourrait, en effet, affirmer que sans Zecca le cinema aurait connu le sous-titr? ? (3). Ou encore (1) De nombreuses et interminables polemiques se sont produites a propos de ces deux films sans qu'une verite absolue eiXt pit appavaitre. (2) Zecca ne se cvut mime pas intevdit d'operer dans le domaine qui avait fait le succes de Melies et soit personnellement, soit par ses collaborateurs : Chaumont et Gaston Welle, un ancien prestidigitateur comme Melies, il realisa une importante serie de films fderiques. (3) C'est dans Les sept Chateaux du Diable que Zecca eut recours pour 80 HISTOIRE DU CINEMA qu'Albert Capellani aurait eu l'idee de tirer des Miserables de Victor Hugo un film en quatre episodes, dont chacun devait £tre projete sepa- rement,car c'est a Zecca que doit etre attribue le merite de cette ini- tiative qui devait marquer assez profondement la production fran- caise a la veille de la guerre ? Quant a son ceuvre personnelle, elle vaut a peu pres ce que vaut le cinema en ces annees. II ne convient pas de hausser les epaules et de declarer d'un air de souverain mepris : « Ce n'est rien, ce n'est qu'un film de Zecca ! » mais il ne convient pas non plus, comme l'ont fait certains (i) de voir en Zecca un precurseur ignore du surrealisme... Un film de Zecca ne se distingue a peu pres en rien d'un autre film sortant des studios de Vincennes. Et il en sort beaucoup. Premiers metteurs en scene et scenaristes En effet, au lendemain du succes de L'Histoire d'un Crime, Charles Pathe a donne a Zecca plusieurs collaborateurs comme Lucien Nonguet, Georges Monca, Gaston Welle, Chaumont, Gaston Brotteaux, Andre Heuze, Lepine, Henri Desfontaines qui vont £tre les premiers que Ton designera du nom de metteurs en scene ainsi que deux scenaristes : Daniel Riche et Camille de Morlhon. Puis vint une seconde equipe avec Louis Gasnier, Romeo Bosetti, Gambard et une troisieme avec Andreani, Garbagni, Albert Capellani, Georges Hatot, Rene Leprince, Jean Kemm, Pouctal et enfin Alfred Machin qui tournera en Belgique plusieurs films pour la grande maison de Vincennes. Ce fut un heureux moment pour Zecca et pour ces nouveaux venus qui, lorsqu'ils n'avaient pas a se debattre au milieu des peripeties imaginees par un scenariste a vingt-cinq ou cinquante francs — car c'etait la les prix qu'en ces temps innocents etaient payes les meilleurs scenarios ! — avaient l'honneur de collaborer avec les plus illustres representants de la litterature et de Tart dramatique de tous les pays et de tous les temps. Une boutade de Zecca peut donner une idee de cet etat de choses et de Tetat d'esprit qui en etait la consequence : i la premiere fois a V introduction de quelques lignes explicatives entre deux images. II fut, a cette occasion, rappele a I'ordre par Charles Pathe qui avait recti des lettres de protestation de certains de ses clients estimant qu'ils avaient ete Uses, n' ' ay ant pas recu le metrage de spectacle promis et demandant que fut defalque de leurs factures le montant du metrage consacre a des textes au depens des images. (i) G. Franju : « Le Classicisme de Melies et Zecca » (La Cinemato- graphic Francaise, novembre 1935, numero special du quarantieme anni- versaire du cinema.) ■ '■;.<• ' 16. Max Linder. 17. Max Linder dans Le premier cigare, de Lucien Nonguet (Film Pathe, igo6) ,«.-■■ . 18. Prince-Rigadin dans Les Terreurs de Rigadin, un des premiers films ou la « surimpression » fut largement utilisee. EVOLUTION DE L'INDUSTRIE 81 — Mon vieux, je suis en train de refaire Shakespeare ! declarait-il a Michel Carre qui l'avait surpris en plein travail. Ah ! Ce qu'il est passe a c6te de belles choses cet animal-la ! Les metteurs en scene de cette £poque ne commettaient pas la meme ?rreur. Avec eux on pouvait &tre tranquille : ils ne passaient pas a c6te des beautes qui leur tombaient sous la main... Ils en au- raient plutot ajoute ! II y avait done de tout dans les films qui sortaient des studios Pathe, de quoi repondre a tous les besoins, a toutes les demandes des directeurs de cinemas qui se flattaient — deja — de connaitre les gouts de leur clientele. C'est ainsi qu 'Andre Heuze, alafois scenariste et metteur en scene, qui avait commence, comme tout le monde, par faire des bandes dont l'essentiel etait constitue par une poursuite due au plus banal des accidents : La Course des sergents de ville, Les debuts d'un chauffeur, Voleur de bicyclettes, La course a la perruque (oil il fit debuter Andre Deed qui connaitra par la suite une certaine popularite), en vint assez rapi- dement a des sujets moins puerils dont certains ne cherchaient pas a dissimuler leurs pretentions a la comedie psychologique, comme L 'Age du cceur, pendant que d'autres tendent nettement vers le drame, La Vengeance du Forger on, voire vers le drame social A Biribi — l'anti- militarisme etait a la mode et il n'y avait pas si longtemps qu'etaient apparus aux etalages des libraires Sous-Offs de Lucien Descaves et Le Cavalier Miserey d'Abel Hermant — sans pour cela renoncer a la poursuite qu'il essayait de renouveler en en faisant un element consti- tutif d.e Taction dans Les chiens contrebandiers. (i) Georges Monca, engage chez Pathe, apres quelques succes d'inter- prete, chez Gaumont, notamment dans un des premiers films de Feuil- lade : C'est papa qui prend la purge /, y debuta comme acteur dans un film Le Roman d'un malheureux que ses auteurs, Rollini scenariste et Lucien Nonguet, metteur en scene, n'hesitaient pas a presenter comme une « etude sociale ». Puis, au debut de 1908, il abandonna complete- ment Interpretation pour se consacrer uniquement a la mise en scene, plus particulierement a celle des scenarios ecrits par Daniel Riche et Camille de Morlhon! Celui-ci, engage comme scenariste n'avait pas ete longtemps avant de se faire le metteur en scene des scenarios qu'il ecrivait'et en quatre annees — 1908-1911 — il realisa plus de cent films en tous genres — (1) Andre Heuze qwitta bientot Pathe pour entrer aux « Grands Films Populaires » de Lordier ou il se langa dans la realisation d'eeuvres de plus grande envergure comme Les Aventures de Lagardere et Le Bossu qui le placerent au premier rang des metteurs en scene de Vepoque. 82 HISTOIRE DU CINfiMA scenarios originaux et adaptations de pieces de theatre — dont la lon- gueur variait de cent a six cents metres. Parmi ces films Semiramis (trois cents metres) qui fit grand bruit dans le monde des studios par le luxe de la mise en scene : on y voyait entre autres « clous » un ballet danse sur les bords et dans l'eau d'une piscine, ballet qui, sauf erreur, doit constituer la premiere apparition sur l'ecran des « bathing-girls » dont MackSennett devait quelques annees plus tard faire si grand usage. Enfin, il convient d'inscrire a l'actif de Camille de Morlhon une autre initiative aussi hardie qu'interessante : en 1911, il obtint de Charles Pathe d'aller en Algerie pour y tourner une serie de films dont Taction aurait pour toile de fond les sites de cet admirable pays que les cineastes avaient jusqu'alors ignore. II constitua une troupe dont les deux vedet- tes etaient Leontine Massart qui avait deja ete bien souvent son inter- prete et Paul Franck, et dans laquelle figurait une jeune artiste encore completement inconnue qu'il avait decouverte : Valentine Tessier. De ce voyage, Camille de Morlhon rapporta : Vengeance Kabyle, L'Ouled Nail, En Mission, L'Otage. Mais en 1912, Camille de Morlhon se separa de Pathe pour se faire son propre producteur. II fonda la firme Valetta, realisant toute une serie de bandes dont Pathe resta l'editeur. Les quatre annees qu'il avait passees dans les studios de Vincennes avaient rendu Camille de Morlhon audacieux : les films qu'il tourna de 1912 a 1914 ne mesuraient jamais moins de mille quatre cents metres ; Une brute humaine qui fit connaitre un jeune acteur de grand talent, Jean Dax, atteignit m£me pour la premiere fois les deux kilo- metres de pellicule. Mais cette audace lui reussissait puisque, pour la premiere fois depuis L'Histoire d'un Crime d'heureuse memoire, ce film fut tire a plus de deux cents copies positives ! Camille de Morlhon ne se contentait d'ailleurs pas d'etre audacieux, il etait aussi prodigue ou du moins en avait-il la reputation : ne donnait-il pas a ses principaux artistes, Leontine Massart, Jean Dax, Pierre Magnier, des cachets de cent francs et n'allait-il pas jusqu'a offrir trois cent cinquante francs a Claude Garry qu'il voulait avoir pour interprete de son Don Quichotte S Pensez done ! Un acteur qui touchait trente et m£me vingt francs pour une journee de travail s'estimait bien paye et Charles Pathe qui savait pourtant la valeur d'une piece de cent sous ne louait-il pas le studio de prise de vues, decors, materiel et personnel compris... cin- quante francs par jour ! De l'importante production qui marque pour Camille de Morlhon ces trois annees il convient de mettre particulie- rement en evidence L'Ambitieuse, car e'est dans ce film que debuta devant l'objectif un jeune artiste qui allait devenir aussi celebre par ses creations cinematographiques que par ses interpretations theatra- les : Gabriel Signoret ; Le Collier de la Reine, dont 1 'interpretation reunit Duquesne, Berthe Bovy et une comedienne que Ton vit rarement sur EVOLUTION DE L'INDUSTRIE 83 les ecrans oil sa beaute aurait certainement ete non moins appreciee que son talent : Jeanne Provost ; Britannicus, avec Signoret, Jean Herve, Sylvie ; Cceur de Gavroche avec France Dhelia qui va tres vite devenir une des vedettes les plus populaires de l'ecran francais et Felix Gandera qui va bientdt renoncer a son metier d'acteur pour se faire auteur en attendant de devenir metteur en scene de cinema. En 1914, Camille de Morlhon preparait un long voyage a travers l'Europe aim d'en rapporter des films dont Taction se deroulerait dans des paysages encore inconnus du public francais, lorsque la guerre eclata. Enfin il convient d'ajouter a ces noms celui d'un acteur qui, en 1907, eut la chance de creer un « type » qui, pendant quelque temps, connut une veritable popularity, celui du policier flegmatique et grand fumeur de pipe dont on retrouve des traces tout au long de l'histoire du cinema et qui a son aboutissement dans le Maigret des films — comme des remits — de Georges Simenon : Nick Winter, l'ancetre de tous les Sherlock Holmes et Nick Carter que l'ecran nous a montres, Nick Winter qui finit par constituer le veritable etat civil de son createur, en depit de tous les autres roles que celui -ci tint dans les studios comme sur les planches. (1) Organisation commerciale Cet effort de production n'avait ete possible que parce qu'il etait appuye sur une organisation administrative et commerciale de premier ordre servie, on peut bien le dire sans diminuer en rien le merite de Charles Pathe, par une chance qui ne s'etait trouvee en defaut qu'une fois, le jour ou, au lendemain de l'incendie du Bazar de la Charite, deux des freres Pathe s'etaient retires de l'affaire au lancement de laquelle les huit mille francs confies a la caisse par chacun d'eux avaient efficacement contribue. Mais ce depart avait ete compense tres vite par une arrivee, celle de l'homme et du compte en banque que, dans son amour de Tindependance, Georges Melies avait dedaignes. Charles et Emile Pathe etaient restes seuls mais ils avaient le million de Gri- volas : Charles prit en mains le rayon « cinema », Emile le rayon « pho- nographe » et cela jusqu'en 1908. A cette date, les affaires se develop- pant plus considerablement que dans leurs heures de confiance la plus optimiste ils n'auraient ose l'esperer, les deux freres avaient decide de separer completement les deux branches de leur activite, decision (1) Le premier film dans lequel on vit ce persvnnage de policier est Le Galant Filou oil Nick Winter paraissait pendant quelques instants travesti en femme. 84 HISTOIRE DU CINfiMA qu'avait entering une assemblee generate tenue le 30 novembre 1908 : la fabrication des phonographes et des rouleaux puis des disques se fit des lors a Chatou, Emile Pathe etant radministrateur de 1'affaire, pendant que l'activite de Charles Pathe se partageait d'une part entre Vincennes et Joinville ou se developpaient et se tiraient les bandes, Belleville ou etaient les ateliers construisant tout le materiel de projec- tion, de developpement, de tirage et de coloriage des films et d'autre part Montreuil et Vincennes ou se trouvaient les studios. Ainsi Charles Pathe aurait pu dire que rien de ce qui touche le cinema ne lui restait etranger : ses studios etaient les plus vastes de France et les mieux equipes par un materiel qu'il fabriquait lui-meme ; les films qui en sortaient etaient les plus nombreux, les plus varies ; e'etait sous les verrieres de ces studios qu'avaient debute tous ceux ou presque tous ceux qui s'etaient sentis attires par le cinema et e'etait de la qu'ils etaient partis pour porter ce que Ton pouvait croire la verite cinema- tographique dans les autres studios et enrichir les concurrents de la maison sous le toit de laquelle ils avaient fait leurs premiers pas. Ann d'etre certain de ne pas manquer de la matiere premiere indispensable — e'est de la pellicule qu'il s'agit :les scenarios pas plus que les ceuvres theatrales et romanesques d'oii tirer des scenarios, Charles Pathe savait bien qu'il n'en manquerait jamais, le repertoire d'une part etant inepuisable et d'autre part 1'imagination des hommes de lettres qui meme sans etre fameliques, seraient heureux d'ecrire quelques pages en echange de quoi le caissier de la grande maison de Vincennes leur verserait une aumone ne devait pas de si tot etre prise de court — il avait fait construire deux usines a Joinville et a Vincennes ou des kilometres de pellicule negative aussi bien que positive s'enroulaient chaque jour dans des boites de fer blanc, estampees du coq gaulois qui etaient expedites dans tous les pays du monde ou il y avait des ecrans a alimenter. Pour £tre present a toutes les etapes de la vie d'un film susceptibles de produire des benefices, il avait achete des salles de projection existant deja. II en avait fait construire d'autres, organisant ce que plus tard on devait appeler des « circuits » qui etendaient sur la France entiere une immense toile d'araignee a laquelle les amateurs des spectacles de l'ecran pouvaient difficilement echapper et qui recevaient les films dont ils avaient besoin — des films Pathe naturellement — par l'entremise de services de location et de distribution qui ne s'occu- paient que des produits de la maison (1) et, lorsqu'il s'agissait de l'etran- (1) Les cinq societes que Charles Pathe crea en leur accordant le monopole d' exploitation de ses films en France etaient les suiv antes : Cinema- Exploitation pour Paris et I'Est, Cinema-Monopole pour le Sud-Est, Omnia pour I'Ouest, le Nord et I'Algerie, Cinema-Theatre pour le Centre et Cinema-National pour le Sud-Ouest. EVOLUTION DE L'INDUSTRIE 85 ger, de succursales qui etaient pour le cinema francais et pour la France des centres de propagande incomparables. Cette importante organisation commerciale, dont le chiffre d'affaires atteignait en 191 1 quarante-sept millions de francs (1) etait tout entiere Tceuvre de Charles Pathe qui avait, en outre, installe dans ses ateliers un bureau d'etudes travaillant a 1 'amelioration constante de la tech- nique et des appareils (la suppression de la trepidation, le coloriage par un procede mecanique des bandes positives montrent que ce bureau ne se contentait pas de chercher et qu'il trouvait) et cree en 1908 un des premiers journaux d'actualites cinematograph! ques : « Pathe-Faits Divers » qui devint tres vite « Pathe-Journal ». (2) On ne voit pas bien ce que la Maison Pathe* aurait pu faire d'autre... De bons films evidemment ! Car il est navrant de penser que, excep- tion faite des films de Max Linder, il ne reste exactement rien de l'im- mense production qui est sortie des studios de Vincennes et de Join- ville entre 1900 et 1914 : pas un film qui laisse voir que son auteur ait soupconne qu'il put exister un art cinematographique ayant ses fins et ses possibilites personnelles ou simplement ait cherche a faire autre chose que ce que Ton avait fait la veille. Aussi ne saurait-on assez regretter qu'a c6te de l'homme d'affaires si solidement organise qu'e- tait Charles Pathe, ne se soit pas trouve un veritable artiste douedu sens cinematographique qui aurait pu servir le cinema en utilisant a son profit l'effort industriel et commercial fourni par Pathe et aussi les millions que cet effort a rapportes. Cet effort — et ce n'est certes pas a dedaigner — a assure au cinema une prosperity materielle qui a mis fin a son ere foraine et lui a valu l'attention des hommes d'affaires et des banquiers, mais il ne va pas au dela de cette prosperity et comme celle-ci ne put pas resister aux coups que la guerre lui porta, on est bien force de conclure que s'il n'y avait Max Linder, de cet effort il ne resterait rien... artistiquement et m£me cinematographiquement par- lant. Mais il y a heureusement Max Linder ! (1) 77 n'est sans doute pas sans interest de rapprocher de ce chiffre ceux auxquels la Societe Pathe atteignait en 192$ : capital : deux cents millions ; chiffre d'affaires annuelles : trois cents millions ; benefices annuels : cinquante millions ; ouvriers et employes : dix mille sans parler de ceux de Pathe-Consortium-Cinema qui, en ig20, s' etait detachd de Pathe-Cinema pour se consacrer exclusivement a la production des films. (2) D'autres journaux d'« Actualites » cinematographiques naquirent a la meme e'poque, le premier etant celui qu' avait fonde, en igoj, Georges Dureau et les autres le « Gaumont- Actualites » et V « Eclair- Journal ». MAX UNDER, PREMIERE VEDETTE Max Linder — Maximilien Levielle sur les registres de l'etat civil — etait ne le 16 decembre 1883 a Saint-Loubes (Gironde). II avail ete eleve et laureat du Conservatoire de Bordeaux, puis il s'etait bravement lance a la con- quest e de Paris. Engage sans trop de peine a l'Ambigu, il y tint un petit roledans La Grande Famille, d'Arquilliere, qui fut creeesur cette scene le 22 no- vembre 1905 et il cherchait a entrer au theatre des Varietes qui reunis- sait alors la troupe et remportait les succes les mieux f aits pour tourner la t£te d'un debutant tout frais debarque de sa province : Jeanne Granier, Marie Magnier, Marcelle Lender, Eve Lavalliere, Baron, Brasseur, Guy, Max Dearly, Prince ! C'est alors que Max Linder, grace a un camarade, fit la connaissance d'un des metteurs en scene de Pathe, Lucien Nonguet qui l'invita a venir le voir, un jour, au studio de Vin- cennes. II y alia, plut a Zecca qui l'engagea moyennant le cachet habi- tuel de vingt francs par jour, avec indemnite de quinze francs si la scene comportait une chute dans l'eau et une autre plus ou moins importante si les vetements de Tacteur subissaient quelque degat. Le premier film dans lequel parut Max Linder fut La Vie de Polichi- nelle puis vint La premiere sortie d'un collegien. Dans La Vie de Poli- chinelle personne n'avait remarque le debutant, mais La premiere sortie d'un collegien lui valut un succes si net que pendant quatre ans le jeune acteur ne s'arr£ta pas de travailler sous la direction des diffe- rents metteurs en scene de la maison, de Georges Monca a Louis Gas- nier : La rencontre imprevue, Le Pendu, La Tres Moutarde, L'Idylle a la ferme, N'embrassez pas voire bonne, Les debuts d'un patineur, celui dont il avait, disait-il, « garde le plus mauvais souvenir » : c'etait la premiere fois qu'il chaussait des patins, il tomba, dechira son pantalon, aplatit son chapeau haut de forme qui lui avait coute vingt-cinq francs et perdit une paire de boutons de manchettes en or, si bien que la jour- nee se traduisit par un appreciable deficit ! Vraiment ce n'etait pas la peine de travailler ! Mais le succes etait la, de plus en plus grand, si grand qu'un jour, le jeune acteur devint ambitieux — c'etait au lende- main d'une tournee qu'il venait de faire en Espagne avec la danseuse Napierkowska : il alia trouver son patron et lui declara tout net qu'il ne demeurerait le pensionnaire de la maison que si on lui faisait un contrat de trois ans a raison de cent cinquante mille francs par an. Pour la premiere fois une vedette de Tecran faisait sentir sa force a: unpro- 88 HISTOIRE DU CINEMA ducteur. Charles Pathe qui savait tres exactement ce que lui rapportait chacun des films qui sortaient de ses studios fit une rapide addition suivie d'une non moins rapide soustraction et repondit favorablement aux exigences de l'audacieux. Pour la premiere fois un chef de maison productrice de films se soumettait a la volonte d'une de ses vedettes... Ce ne devait pas etre la derniere ! Certains pretendent que le talent n'a rien a voir avec l'argent. Cet aphorisme ne s'appliquait sans doute pas a Max Linder car, a partir du jour ou il travailla sous le regime que lui avait valu son nouveau contrat, il se montra encore plus gai, plus amusant, d'une verve encore plus rebondissante, d'une imagination encore plus riche — car mainte- nant il collaborait a la mise au point des scenarios dont il etait l'inter- prete. Vraiment il en donnait a son employeur pour son argent et sans doute un peu plus car l'employeur, faisant assaut de generosite, lui accordait bientot une importante augmentation qui n'avait pas ete sollicitee. C'est de cette epoque que datent les meilleurs films de Max Linder : Max pedicure, Max decore — maintenant son nom figure dans le titre de chacun de ses films — Les vacances de Max, Le mariage de- Max, Max et le quinquina, Max collectionneur de chaussures, Max et V inau- guration, Max et le Commissaire, Max pratique tous les sports, Max k Monaco, Le Duel de Max, Max virtuose, Max au convent, Max et sa belle-mere. . . Le regne de la vedette etait commence ! Non seulement avec ses exigences pecuniaires — ce qui n'est pas le plus grave car ces exigences ne touchent que le producteur et rarement la valeur artistique de l'ceuvre — mais aussi avec toutes les satisfactions plus ou moins capri- cieuses auxquelles la vedette estime avoir droit, ce qui ne va evidem- ment pas sans des inconvenients plus ou moins graves pour l'ceuvre, laquelle n'a que bien rarement quelque chose a gagner a ce que la per- sonnalite de l'interprete se substitue a celle de l'auteur. Mais a l'epoque ou Max Linder se hausse ainsi au rang de vedette de l'ecran et cree de toutes pieces ce nouveau personnage qui va rapi- dement devenir si facheusement encombrant, nous n'en sommes pas encore la et on doit sans doute se feliciter du role de plus en plus impor- tant que le jeune actcur a tenu dans la maison Pathe et sur les ecrans au cours des annees 1905-1912 (1) car s'il a des exigences pecuniaires et une assez bonne opinion de lui-meme, Max Linder a aussi des idees et des idees dont l'art cinematographique ne peut que pro titer (2). (j) En igi2, Max Linder quitta la France pour une tongue tournee a travers V Europe. (2) Dans quelques-uns des films dont Max Linder jut la vedette a cette epoque, il y avait, figurant ou tenant anonymement de petits roles, deux jeu- MAX LINDER 89 Mais avant m&me d 'avoir des idees, il avait eu de la chance. II n'en eut pas jusqu'au terme de sa carriere, mais a l'epoque qui nous occupe, il en avait et c'est l'essentiel. II eut d'abord celle d'etre arrive au bon moment. Le cin^matogra- phe venait d'atteindre sa dixieme annee, le public 1 'avait adopte, mais la partie la plus difficile de ce public commencait a etre lasse des inep- ties qu'on lui offrait. Sans savoir ce qu'elle voulait, elle voulait autre chose. Cet « autre chose », Max Linder allait le lui offrir et c'est ici que se revelent le merite, l'originalite de Max Linder, ce qu'on est en droit d'appeler ses idees. Forme a l'ecole du theatre, Max Linder aurait du logiquement chercher dans son experience scenique (1) les moyens de connaitre le succes dans le domaine nouveau ou il venait d'entrer. II s'en garda bien. Instinct ou raisonnement ? Peut-etre tout simplement parce qu'il eut la chance que cette experience ne fut pas tres grande et surtout sans doute, parce que, sa personnalite n'etant pas assez forte pour lui valoir une situation importante parmi les acteurs de grand talent qui occupaient les scenes parisiennes, il etait enchante de montrer a ceux- ci qu'il etait capable aussi bien qu'eux de s'elever jusqu'a la notoriety et a la fortune sans les imiter... Peu importe. Le resultat est la. Pas un instant, en effet, soit dans les sujets qu'il imagina, soit parmi ceux qu'on lui apportait, soit dans le jeu qu'il adopta pour Interpretation des personnages qui lui etaient confies, il n'obeit a des considerations theatrales. Les sujets ? Jamais, ou du moins tres rarement, des vaudevilles, mais plutot des saynetes a base d'observation et d'une reelle simpli- cite qu'enrichit seulement un assez grand luxe de details, des saynetes illustrant des traits de mceurs ou tournant autour de caractercs dont certains pourraient peut-6tre, sans indulgence exageree, etre regardes comme d'un La Bruyere revu par Georges Feydeau, le Feydeau de On purge Bebe ou de Mais ne te promene done pas toute nue ! Dans ces petites comedies, les idees et les effets sont heureusement schematises et leurs differentes scenes s'enchainent avec une logique rigoureuse nes acteurs dont les noms devaient, quelques annees plus tard et a des litres divers, occuper une place importante sur les affiches : Charles de Rochefort, et Maurice Chevalier. (1) Sans parler des roles qu'il avait tenus a Bordeaux soit sur de petites scenes, soit dans des spectacles plus ou moins d' amateurs, son bagage the'd- tral parisien se rdduisait a deux petits roles, un a V Ambigu dans La grande Famille et un dans Miquette et sa mere de B. de Flers et A. de Caillavet aux Varietes (igo6). Sa situation de vedette de Vecran lui valut de paraitre sur de nombreuses scenes dans les annees qui suivirent. Mais ce furent la bien plus des exhibitions que des roles veritables. 9o HISTOIRE DU CINEMA en depit de leurs apparences plus ou moins folles, cette logique impec- cable qu'on retrouvera plus tard dans les meilleures bandes de Charlie Chaplin et dans certains films de Rene Clair. Dans la realisation de ces scenarios, Max Linder ne neglige aucun des precedes techniques dont disposait alors le cinema. Mais l'effet une fois amorce, e'est avec une discretion des plus louables qu'il se garde d'insister. Bien avant Charlie Chaplin, il a en effet devine qu'au cinema on a inter£t a ne pas souligner et a suggerer... Et il a la chance d' avoir eu affaire a des metteurs en scene qui, comme lui, l'ont compris. Le jeu ? Tout d'abord plus de poursuites — sauf dans les tout pre- miers films et encore ces poursuites-la ne sont-elles plus des poursuites « gratuites », des poursuites « pour rien, pour le plaisir ». Elles sont justifiees, elles ont leur raison d'etre. Et, bien que Ton ne se soit pas encore a vise de cette evidence : « Le Cinema est Tart du mouvement », Max Linder instinctivement reagit contre la tendance qui deja se fait jour de confondre « mouvement » avec « agitation » et, exception faite encore de ses premiers films ou il n'a pas oublie autant qu'il le faudrait Galipaux et sa Premiere cigarette, car e'est en se voyant qu'il mit au point son talent et sa personnalite, ce qui est tout a son honneur, plus de grimaces : ce n'est pas encore la quasi-immobilite si riche, si expres- sive de Sessue Hayakawa et de Charlie Chaplin, mais il semble qu'il ait pressenti tout ce que la sobriete de la mimique, comme celle du mouvement, peut rapporter a l'acteur d'ecran et, ce qui vaut mieux encore, a l'ceuvre cinematographique. Cette simplicite qu'il fit adopter aux camarades dont il s'entourait, prend d'autant plus de valeur que Max Linder possedait naturellement un jeu lent et desequilibre fait d'oppositions et de ruptures de rythmes eminemment cinema- tographiques alors qu'avant lui le jeu de l'acteur devant l'objectif n'etait que gesticulation desordonnee. Mais tout cela dont 1 'importance est considerable n'aurait peut-e'tre pas valu a Max Linder le succes qui l'accueillit s'il n'avait eu l'habilete de creer un « type ». Faites l'inventaire des « types » auxquels l'ecran, en cinquante ans, a donne naissance et vous vous rendrez compte du merite de Max Linder qui non seulcment en crea un, que d'emblee le public adopta, mais encore fut le premier a en creer un... Qu'etait done le « type » cree par Max Linder ? Naturellement coquet et soigne de sa personne, Max Linder repugnait a ces artifices de costume et de maquillage auxquels a^aient recours la plupart de ceux qui pretendaient a faire rire et qui faisaient dependre le comique du degre de laideur et de salete auquel ils parvenaient et, comme il vivait au lendemain de l'Exposition de 1900, e'est-a-dire a une epoque facile ou le Bourgeois etait roi, mais oil l'attention de la foule commen- cait a se fixer sur la bourgeoisie avec des reserves de moquerie et d'ironie MAX LINDER 91 depuis longtemps inutilisees, Max Linder eut l'habilete d'imaginer un personnage qui pouvait satisfaire sans mechancete ce besoin de moque- rie ironique, celui du fils de famille, pas tres fort, pas tres malin, qui a de l'argent, n'est pas encore a Tage ou on sait le garder et qui le depense a tort et a travers, ne sait resister a aucun caprice et qui, par etourderie non moins que par manque d 'experience, tombe, comme on a pris l'habitude de dire, sur de nombreux « bees de gaz » mais est assez bon garcon pour qu'on le plaigne de ces accidents — sans se priver d'en rire — et qu'on se rejouisse quand les choses s'arran- gent pour lui. Et tout cela sans aucun debraille — jamais la moindre trace de boheme ni dans l'aspect ni dans les sentiments. Mais au con- traire avec cette dignite, ce souci de la correction — de la respectabilite ■ — conventionnelle qui, depuis Louis-Philippe caracterise la bourgeoisie francaise et avec aussi une certaine elegance : jaquette un peu trop exactement ajustee, chapeau haut de forme eblouissant comme un miroir a alouettes, souliers vernis, gants blancs et canne desinvolte. Mais cette elegance, remarquez-le, n'est pas la veritable, elle ne cor- respond a rien de profond, elle n'est que superficielle, elle n'est pas d'un homme du monde, mais tout juste du « calicot » superieur qui en a pris tous les elements dans les catalogues des tailleurs a prix fixe et des grands magasins, mais par un miracle de composition — qui n'est bien probablement qu'un effet du hasard — si elle ne fait pas illusion aux veritables elegants, elle correspond a l'ideal de beaucoup de petits jeunes gens, ignorants des sports et de la vie au grand air — comme on l'etait a cette epoque — et qui ne sont pas tous des calicots. Du meme coup, elle se trouvait justement £tre celle qu'au dela de ncs frontieres les foules xjui, alors, regardaient encore Paris comme « la Ville Lumiere », s'imaginaient de tres bonne foi etre le dernier cri du chic parisien : tout 1'Univers eut done bientot pour Max Linder les yeux d'une midinette de la rue de la Paix et, ma foi ! comment s'en etonner, comment meme ne pas en savoir gre a l'univers car le « type » etait heureux et ne jamais s'en departir etait une entreprise singulie- rement hardie qu'aucun « Roi du Rire » n'a ose renouveler. Aucun ! Et pourtant Dieu sait si les comiques de l'ecran ont regarde de pres les films de Max Linder. A commencer par Charlie Chaplin qui lui a pris au moins trois idees de scenario — ce qui n'est pas rien — Les debuts d'un patineur (Chariot patine), Une Idylle a la ferme (Idylle aux champs), Max et V inauguration (Les Lumieres de la ville) sans parler — ce qui est encore plus important — de certaine f aeon de con- duire une action, de ramener un leit-motiv, de donner de la vie a ce qui ne peut se raconter, de rendre vrai ce qui est invraisemblable... Mais Charlie Chaplin a reconnu — et proclame — que Max Linder avait ete son maitre en mettant cette dedicace « A Max Linder qui m'apprit 92 HISTOIRE DU CINEMA mon metier » au bas d'une photographie qu'il lui offrit au cours du premier sejour que l'acteur francais fit en Amerique et au terme duquel il declara a un journaliste : « Chaplin a bien voulu m'afnrmer que c'etait la vue de mes films qui l'avait incite a faire du cinema. II m'appelle son professeur, mais j'ai ete bien heureux quant a moi de prendre des lecons a son ecole ! »... Echange de politesses ! II n'en reste pas moins qu'aucun autre acteur de l'ecran ne pour- rait renvoyer ainsi sa balle au createur du Pelerin et de La Ruee vers VOr ! D'ou vient que, m£me parmi ceux qui sont etroitement et depuis longtemps lies a la vie cinematographique, beaucoup ignorent Max Linder ou l'ont oublie* ? Cette question, Maurice Bardeche et Robert Brasillach se la sont posee et il semble bien qu'ils y aient fournilaseule reponse possible : « Qu'a-t-il manque a Max Linder, acteur de premier ordre, pour depasser le niveau ou il s'est arrele ? Pour egaler Chariot dont il fait prevoir tant de trouvailles comiques et auquel il ressemble beaucoup, il lui manque surtout d'avoir su m£ler 1'emotion au rire et, plus gene- ralement, il lui manque la poesie. C'est ce qui separe son talent, qui est tres grand, des dons incomparables de Chaplin. Son personnage favo- ri est un f£tard, tandis que celui de Chaplin est un vagabond. C'est une difference importante : le pauvre bougre encaisse, de la part des hommes et des choses, avec une resignation humiliee, mille coups et mille horions. Le f£tard prend moins au serieux les chocs de la destinee et nous le prenons moins au serieux aussi. II sort du vaudeville, il a moins de chances de nous toucher. Quelles que soient les limites de l'ceuvre comique de Max Linder, elle n'en reste pas moins singuliere- ment importante. Sans elle nous n'aurions pas aime le comique de Buster, de Lloyd et m£me de Chaplin. II leur a appris beaucoup. Et il demeure d'une finesse tout a fait remarquable. Avec lui a disparu le seul comique de l'ecran francais. » (i) Cette m£me conclusion se trouvait deja sous la plume de Louis Delluc : « Max Linder est le grand homme du cinema francais. Je l'admire. C'est lui et meme lui seul qui a approche avant les autres la simplicite necessaire au cine. Dans l'execution de ses films, il a prouve une intelligence etonnante. Le mouvement des scenes, la schematisa- tion des effets et des idees et surtout la forme de ses scenarios — la plupart sont d'une drolerie certaine et parfois d'un vif esprit — ont annonce depuis beaucoup d'annees un type exact de comedie-bouffe cinematographique qui semble encore d'avant-garde puisqu'on n'a (i) Histoire du Cinema par Maurice Bardeche et Robert Brasillach (Denoel et Steele, Ed. Paris 1935.) MAX UNDER 93 m£me pas su l'imiter et encore moins la perfectionner... La popularite qu'il a gagnee montre ce que devait £tre la justice, car la science, Tart, la jeunesse, l'incroyable et l'inattendu ont une part egale dans sa folie comique. Voila un vrai comique. Et un humoriste ! » (i) Seize annees separent ces deux jugements : ce qui etait vrai en 1919 sous la plume de Louis Delluc, 1'etait encore en 1935, repete par Bardeche et Brasillach, et l'etait toujours en 1938 ; aucun de ceux qui ont assiste, sur l'ecran de la « Biennale » de Venise, a la projection de fragments de films de Max Linder — notamment Max et le quinquina — inclus dans un film retrospectif sur l'ensemble du cinema francais ne viendra s'inscrire en faux contre eux. Le merite de Charles Pathe dans « le cas Max Linder » se reduit bien probablement a ceci que l'employeur n'a pas entrave l'elan de l'employe, qu'il a fourni a celui qui lui faisait gagner beaucoup d'argent les fonds necessaires a l'accomplissement d'un travail exempt de preoc- cupations materielles. En tout etat de cause ce serait enorme. fa Test encore bien plus quand onsait combien,le plus souvent,les producteurs de films mettent peu d'empressement a soutenir l'effort des artistes qu'ils emploient pour peu que ceux-ci aient d'independance et d'origi- nalite. Charles Pathe doit done etre felicity et remercie de n'avoir pas gache la chance qui lui etait echue le jour ou Max Linder avait franchi la porte du studio de Vincennes. Concurrence : Prince-Rigadin Une chance du me'me genre, Charles Pathe en fut favorise une seconde fois le jour ou vint a lui un autre comique, un des meilleurs de Paris, pensionnaire de la troupe des Varietes, Charles Prince. Sans doute n'y a-t-il pas une comparaison trop rigoureuse a f aire entre Max Linder et Prince car les deux hommes n'ont pas atteint le meme niveau, mais on est en droit de se demander pourquoi. Apres avoir remporte en 1896 un premier prix de comedie au Con- servatoire, Charles Prince (d 3 son vrai nom : Charles Seigneur) etait entre a l'Odeon ou il avait joue le repertoire moderne et classique qui lui avait valu dans des roles de valets — notamment ceux de Moliere — de gentils succes, puis il avait ete engage aux Varietes dont la troupe reunissait les meilleurs acteurs comiques de Paris et e'etait la que le cinema etait alle le chercher pour lui con tier un role dans un film qui devait etre tourne au studio de Vincennes d 'apres un scenario de Max et Alex Fischer : Les Deux Cambrioleurs. Ce film avait suffi pour (1) Cinema et CIe par Louis Delluc (Bernard Grasset. Ed., Paris igig.) 94 HISTOIRE DU CINfiMA faire de lui une des vedettes de la maison et il n'avait plus cesse de travailler, principalement sous la direction de Georges Monca, qui, apres l'avoir employe dans plusieurs films : Le legs ridicule, Si jamais je te pince ! Mannequin par amour, Le Meurtrier de Theodore, U Homme qui court apres les femmes, Le jupon de la voisine, Une poule chez les Coqs, Le clown et le pacha (oil il avait pour partenaire Mistinguett) et cherchant a tirer tout le parti possible du succes qui se precisait, pensa que Prince pouvait renouveler la belle aventure dont Max Linder etait le beneficiaire : lancer sur les ecrans un « type ». Prince en etait capable d'autant plus que Monca avait deja trouve et de facon fort heureuse le nom sous lequel ce type courrait sa chance dans le monde : Rigadin. Tres nourri de culture classique, Prince composa son Rigadin sur le modele des heberlues, des « jocrisses », des gobe-mouches dont la farce, de Tun et de F autre cotes des Alpss, est si riche. Avec ses mines ahuries, sa bonne volonte qui ne desarme ni les hommes ni les evene- ments, Rigadin, bien plus que Max Linder, est le precurseur de tous les Buster Keaton et Harold Lloyd qui ont tant fait rire le public fran- gais quand ils lui sont arrives d'Amerique. Les intrigues a l'interieur desquelles se meut Rigadin sont plus vaudevillesques que celles des films de Max Linder, mais ces vaudevilles ne sont pas toujours ceux du Palais Royal, car Rigadin et ses metteurs en scene ont compris que le cinema possede des ressources que le theatre ignore. Aussi font-ils grand usage des truquages imagines par Melies : surimpressions, dedou- blements de personnages, etc. (Les terreurs de Rigadin, Rigadin et ses fits, Prince embete par Rigadin.) Si Ton ajoute que ces petites histoires etaient alertement contees et que leur action se deroulait dans les milieux les plus divers (Rigadin et la fourmiliere qui a presque des allures de fabliau, Rigadin pere nourricier ou se trouve amorce le Kid de Charlie Chaplin, Rigadin depute, Napoleon-Rigadin, Rigadin dans les Alpes, Rigadin et la locataire recalcitrante, Rigadin president de la Republique) (i) on comprendra que leur succes ait egale et parfois meme depasse celui des films de Max Linder : de 1910 a 1914, chaque semaine ou presque, un nouveau Rigadin sortait des ateliers Pathe pour courir le monde sous des noms differents, car il n'etait pas un (1) Void encore quelques titres de films de Prince-Rigadin : La lecon de chant de Rigadin, Rigadin aime de sa dactylo, La verrue de Rigadin, La vengeance de Rigadin, La Femme de Rigadin, Le coeur de Rigadin, Rigadin et le Code de l'Honneur, Rigadin a fait un riche mariage, L'heritage de Rigadin, Le Periscope de Rigadin, Forfait dur, Les millions de Rigadin. A cote de la serie Rigadin, Prince jut encore la vedette de plu- sieurs films tires d'ceuvres thedtrales plus ou moins celebres : Les Femmes collantes, le Controleur des Wagons-Lits, Le Chapeau de paille d'ltalie (igi2), Les trente millions de Gladiator, Trois femmes pour un mari. MAX LINDER 95 pays qui n'eut adopte l'amusant et simple Rigadin devenu Tartufini en Italie, Whiffles en Angleterre, Salustino en Espagne et Moritz en Allemagne ainsi qu'en Autriche. Succes facile peut-etre, mais dont le cinema n'a pourtant pas a rougir. Parce qu'elle a laisse moins de traces, parce que, somme toute, elle fut moins heureuse que « 1' experience Max Linder », « l'experience Prince-Rigadin » n'est, en effet, pas a dedaigner, car elle aida, pour une part qui doit figurer a l'actif de Charles Pathe et du cinema francais, a decouvrir et a etablir les regies de ce comique qui va connaitre un si large et si interessant essor en Amerique au lendemain de la guerre... Et puis aussi parce que sans faire preuve d'excessive indulgence on souhaiterait que, dans le domaine du comique, le cinema francais nese fut jamais complu qu'a des films d'une qualite egale a celle des Riga- dins (i). (i) Le succes gineral et durable que remportaient les films de Max Linder et de Prince-Rigadin suscita naturellement bien des jalousies et bien des rivalites. Chaque maison de production voulut avoir sa serie comique, chaque acteur se crut capable de creer un « type » et de le rendre populair e. C'est ainsi, sans parler des Nick Winter et des Nick Carter qui appartien- nent a un autre domaine, que naquirent un Fred dont Rene Hervil fut a la fois le realisateur et V inter prete, un Onesime (Bourbon) dont Jean Durand etait le pere, un Patouillard dirige par Berteaux, un Oscar (Lorain), un Seraphin qui fournit a I ' operateur Emile Pierre I' occasion de debuter dans la mise en scene, un Zigoto (Bataille) , un Calino (Mige), un Frit- zigli (Andre Sechan), un Plouf (Rivers), un Gavroche (Boucot), un Poly- carpe, un Guibollard, un Dandy, un Boulot (H. Collen) , un Anana (P. Etchepare ) , un Lucien incarne par Lucien Rozenberg. Une femme mime prit part a cette conquete de la faveur populaire, la charmante Miss Campton qui, sous la direction de Rene Hervil, campa V amusantpersonnagede Maud. II y eut aussi des enfants : Bout de Zan et Bebe Abelard (qui est devenu Rene Dary) . De tous ces personnages, le mieux accueilli et sans doute le mieux venu est bien probablement le Serpentin de Marcel Levesque qui fournit a la Maison Gaumont un de ses plus grands succes (V. p. 104). Mais malgre tout, la seule de ces tentatives qui soit a inscrire a cote de celle de Max Linder est en definitive celle de Leonce Perret. (V. p. 102) iq. Une scene de Fantomas, de Louis Feuillade. Au centre : Georges Melchior (le journaliste Fandov tenant un revolver), derriere lui E. Breon (le policier Juve) et a droite, assis, Rene Navarre (Fantomas). Film Gaumont. 20. Musidora dans Les Vampires, de Louis Feuillade (Film Gaumont, igi 5) -M—"— — *»>* 21. Leonce Perret et Valentine Petit (Mme L. Perret) dans une comedie de la serie Leonce (Film Gaumont). 22. Les premieres « bathing-girls »: une scene de Semiramis, de Camille de Morlhon au studio Path6. 8 Evolution de lindustrie (Suite) ■. LEON GAUMONT et LOUIS FEUILLADE DE son cote, la maison Gaumont ne restait pas inactive* Pendant que son patron poursuivait ses travaux d'ordre technique concernant la prise de vues en couleurs directes et la collaboration de l'image et de la parole — le 7 novem- bre 1902 il presentait a la Societe de Photographie Tappareil qu'ii avait appele « Chronophone » puis, ameliorant sans se lasser cet appareil, il le soumettait le 27 decembre 1910 a l'Academie des Sciences — son developpement commercial s'accomplissait exac- tement dans les memes domaines et a peu pres suivant le meme rythme que sa rivale : production de films, construction d'appareils en tous genres (1), location de films portant la marque de la maison a l'etranger aussi bien qu'en France (en 1914 la maison possedait cinquante-deux agences-succursales) organisation et direction de circuits. Dans ce dernier domaine, la firme Gaumont remporta sur sa concurrente une victoire sensationnelle en s'appropriant l'Hippodrome de la Place Clichy qu'elle consacra au service de l'ecran et qui fut — et est reste — le plus vaste palace cinematographique de TEurope (2). Quant a la production sortant des studios des Buttes-Chaumont, si, d'une facon generale, on peut estimer qu'elle valait celle a laquellese livraient les studios Pathe et qu'elle s'inspirait, si Ton ose dire, des memes principes, elle s'en distinguait pourtant sur quelques points. C'est ainsi que, dans le domaine comique, une fois son tribut paye a la mode de La Course a la citrouille, la maison Gaumont s'attacha plutot a la realisation de bandes s'eloignant d,u vaudeville et de la farce pour se rapprocher de la comedie en ses divers aspects ; c'est ainsi encore que, si elle sacrifia au melo avec toutes ses exagerations de gestes comme de sentiments, au drame de reconstitution historique et a la comedie dramatique selon Tideal bourgeois de l'epoque qui oscille de Georges Ohnet a Paul Hervieu, bien moins que leurs confreres travail- (1) Les ateliers ne construisaient pas settlement des appareils de prise de vues et de projection mais encore tout le materiel de laboratoire. C est ainsi que, des igoy, la maison utilisait des appareils construits par elle et qui permettaient le developpement quotidien de cent mille metres de films. (2) En igi3 pour un capital de 4.000.000 le bilan faisait ressortir un benefice de i.$63.jgj francs. 98 HISTOIRE DU CINEMA lant pour Pathe, le Film d'Art ou la S. C. A. G. L., les metteurs en scene de la maison allerent chercher leur inspiration dans le repertoire de la Societe des Auteurs et de la Societe des Gens de Lettres ; c'est ainsi enfin que, si des noms de vedettes theatrales ont figure sur ses afnches, jamais elle n'a subi l'attrait exerce par les societaires de la Comedie- Francaise et qu'elle leur a prefere — peut-etre uniquement parcequ'ils se contentaient de cachets plus modestes — de bons comediens peu connus (i) qui ne croyaient pas dechoir en exercant un metier nouveau et se contentaient de la popularity qu'ils y recoltaient (2). Des avant 1914, cette production s'elevait, chaque mois, a. une ving- taine de films dont le metrage variait de cent vingt a huit cents metres et le prix de revient de cinq a cinquante francs le metre (3). Elle etait dirigee par des homrnes jeunes non encore stratifies dans des habitudes theatrales paralysantes et qui s'appelaient : Henri Fescourt, Georges Lacroix, Jean Durand, Gaston Ravel, Raoul d'Auchy, Luitz-Morat, Charles Burguet, Leon Poirier, Louis Feuillade et Leonce Perret. Du travail que les sept premiers de ces dix hommes accomplirent chez Gaumont il n'y a pas grand'chose a dire sinon que leurs films valaient ce qu'il fallait pour plaire au public qui les attendait, car c'est seulement lorsqu'ils eurent quitte les studios des Buttes-Chaumont que les meilleurs d'entre eux produisirent des ceuvres dignes d'attention. Nous les retrouverons plus tard ainsi que Leon Poirier qui resta attache a la maison jusqu'en 1923 et qui fit pour elle les premiers des grands films qui allaient le faire connaitre. Restent Louis Feuillade et Leonce Perret. Louis Feuillade avait fourni a Gaumont quelques scenarios qui (1) La troupe reguliere se composait de Rene Navarre, Rene Creste, Fernand Herrmann, Edouard Mathe, Marcel Levesque, Breon, Gaston Michel, Musidora, Renee Carl, Yvette Andreyor. Puis Suzanne Grandais, Alice Tissot, Armand Tallier, Luitz-Morat (qui abandonna assez rapide- ment V interpretation pour la mise en scene). (2) A cote de ses films spectaculaires, la maison Gaumont produisait des films documeniaires et d' enseignement, des genres les plus divers — c' etait « L' Encyclopedic Gaumont » qui comporta jusqu'a mille cinq cents sujets d'un metrage de phis de deux cent mille metres. (3) Void les prix de revient de quelques films realises par les studios des Buttes-Chaumont a la veille de la guerre de 1914 : Cagliostro : 600 metres, cinq mille cent soixante-quatorze francs quarante-cinq centimes ; Beethoven ; 824 metres, onze mille neuf cent soixante-trois francs ; Tyrtee (en couleurs) : 300 metres, quinze mille cent dix-huit francs soixante centimes ; B6b6 soigne son frere ; 186 metres, neuf cent quatre-vingt-seize francs soixante-quinze centimes. Bien que Mater Dolorosa d' Abel Gance, realise en 1917, n'ait coute que dix-huit mille francs, on peut, a I'enonce de ces chiffres, se rendre compte des principes selon lesquels la maison Gaumont etait administree. EVOLUTION DE L'INDUSTRIE (suite) 99 avaient ete bien accueillis (i) — mais y avait-il alors des scenarios, des films, des acteurs qui ne fussent pas bien accueillis par ceux qui venaient s'asseoir devant les ecrans ? — lorsqu'il eprouva la tentation d'etre le realisateur de ce qu'il avait imagine et ce fut immediatement une serie de petits films a laquelle l'auteur avait donne ce titre general « La vie telle qu'elle est »(2). Cette formule reflete bien la preoccupation de tous ceux qui, a cette epoque, travaillaient pour le cinema : sacrifier au jrealisme. Feuillade ne cherchait done pas a s 'evader des ornieres dans esquelles le cinema s'enlisait tout doucement, mais, par une contra- diction dans laquelle il n'est pour rien, et tout simplement parce que Les Viper es, premier film de la serie et surtoutZa Tare qui suivit, n'avaient pas eu tout le succes espere, e'est dans un domaine qui n'a pas grand'ehose de commun avec la verite que Feuillade allait rencon- trer le grand succes et la popularite (3). « FANTOMAS » PREMIER CINE-ROMAN En 1910, l'editeur Fayard avait lance une ceuvre nouvelle de deux jeunes ecrivains, Pierre Sou vest re et Marcel Allain : Fantdmas qui avait immediatement joui d'une grande faveur dans le public populaire. Fantdmas etait un roman policier, mais un roman policier qui ne devait rien a Conan Doyle, dont le « Sherlock Holmes a connaissait une aussi grande popularite de ce cote-ci de la Manche que de l'autre. Pierre Sou- vestre et Marcel Allain ne s'etaient pas donne pour consigne la logique, mais bien au contraire la fantaisie. Doues d'une imagination debor- dante, ils avaient accumule dans leur ceuvre les situations les plus extraordinaires, les crimes les moins explicables, les coups de theatre les plus inattendus, les surprises les plus invraisemblables et le heros de ces aventures etait un homme qui se promenait dans la vie v£tu d'une cagoule noire et tirait sa reverence a la police, en depit de ce signale- (1) Aussi bien chez Pathe que chez Gaumont, un scenario de film « courant » etait paye cinquante francs. (2) « Les scenes de La Vie telle qu'elle est ne ressemblent en rien a ce qui a ete fait jusqu'ici... Elles sont un essai de re'alisme transports pour la premiere fois sur I'ecran comme il le fut, il y a des annees, dans la litterature , le theatre et les arts... Ces scenes veulent itve et sont des tranches de vie. Si elles inter essent, si elles emeuvent, c' est par la vertu qui s' en degage, apres les avoir inspirees. Elle s'interdisent toute fantaisie et representent les gens et les choses tels qu'ils sont et non pas tels qu'ils devraient Ure. » (Louis Feuillade, 1911.) (3) Tres rapidement Feuillade etait devenu le directeur artistique de la maison Gaumont. ioo HISTOIRE DU CINEMA ment reconnaissable, en tous lieux et en toutes circonstances. Ce bandit masque, cet assassin mysterieux, ce Fregoli du crime c'etait Fantomas... Le premier volume sur lequel s'etalait ce nom — dont on pourrait pres- que dire qu'il fut populaire avant meme d'etre connu — remporta un succes tel qu'a peine paru aux deyantures des librairies et dans les kiosques, il fut enleve et que, pendant quinze mois, il fallut proceder sans interruption a des retirages successifs dont le total atteignit un million trois cent mille exemplaires. Et ces aventures devaient emplir trente-deux volumes... Le cinema ne pouvait rester indifferent a un tel succes. Et ce fut entre les mains de Louis Feuillade que ce succes tomba. Ce que Feuillade fit de Fantomas, aucun de ceux qui, a la veille de la guerre de 1914, demandaient deja au cinema de les distraire de leurs preoccupations et de leurs craintes, ne l'a oublie. C'etait le vieux melodrame de Pixerecourt qui ressuscitait avec ses personnages- symboles : la lutte romantique du Bien et du Mai. Jamais encore on n'avait vu les foules se ruer devant les ecrans avec tant d'empressement, tant de fidelite. D'ou venait un tel succes ? Jean-Charles Marie essaie de l'expliquer (1) : « La foule croit ce qu'elle voit. Voir Fantomas, c'est la porte ouverte sur la chambre du crime, c'est assister au mystere : etre temoin. La foule veut etre temoin. Elle veut aussi avoir peur... Fantomas est un film populaire, pour le peu- ple... Fantomas dut etre relativement facile a realiser pour Louis Feuil- lade qui fut le premier a comprendre les lois du film policier... Depuis vingt ans on n'a pas fait de progres dans le genre. » L'auteur de cet article precise ensuite que si Fantomas conquit ainsi la foule, c'est que son heros etait intelligent, qu'il paraissait vraisemblable, non pas en lui-meme, mais par les decors dans lesquels il se mouvait et qui etaient exactement ceux dans lesquels les spectateurs vivaient chaquejour, qu'il etait brave et repandait la terreur et enfin qu'il restait mysterieux tout au long de Taction, prenant tour a tour les apparences les plus diverses, ce qui renouvelait l'interet, sans jamais livrer sa veritable identite. Si Ton ajoute que les personnages qui entouraient Fantomas etaient dignes de lui : le policier Juve, le journaliste Fandor — qui incarnait bien la manie a laquelle les membres de la Presse commen- caient a se laisser aller de se substituer a la police, de vouloir etre plus malins qu'elle arm de faire monter le tirage de leurs journaux — tous deux sympathiques, Lady Beltham, l'amoureuse, grande dame etran- gere et quelque peu enigmatique, comme il se doit, Helene, la fille du (1) « La Revue du Cinema » n° du ieT aout ig3i. ( Gallimard Edit., Paris.) EVOLUTION DE L'INDUSTRIE (suite) 101 bandit, charmante suivant la vieille loi romantique. Ces personnages repondaient a tous les desirs, a toutes les exigences du public. Et ils avaient tout ce qu'il fallait pour assurer le succes du film, m^me si celui-ci n'avait ete farci de ces attractions — sensations, diront les Americains — dont seul le cinema, affirmant la sa superiorite sur le theatre, pouvait offrir le spectacle : explosion d'une maison en plein Paris, naufrage d'un paquebot, incendie d'un hdtel active par l'essence dont les lances des pompiers arrosent le brasier, autobus entrant dans une banque, rencontre de trains... Quand il n'y en a plus, il y en a encore ! L'imagination de Pierre Souvestre et Marcel Allain n'?st jamais a court et celle de Feuillade non plus qui trouve tou jours le moyen de rendre visuelles les trouvailles des romanciers. C'etait — nous l'avons deja dit — le vieux melodrame du Boule- vard du Crime qui ressuscitait, mis au gout du jour, mais c'etaient aussi deux genres cinematographiques nouveaux qui naissaient : « le Film Policier », tel ou a peu pres tel que l'Amerique n'allait avoir qu'ale recevoir des mains de la France pour en faire ce qu'on a appele « les films de gangsters », et « le cineroman » ou « film a episodes » qui allait, trois ou quatre ans plus tard, nous revenir d'outre-Atlantique sous des titres divers : Mysteres de New-York, Masque aux dents blanches ou Exploits d' Elaine. Grace a Fantomas, Louis Feuillade est le premier des metteurs en scene francais ayant eu une influence hors des frontieres de son pays natal. II eut encore un autre merite, celui de decouvrir des acteurs qui, loin d'apporter au cinema une reputation acquise ailleurs, allaient se consacrer exclusivemejntt a son service et lui devoir leur popularity : Rene Navarre qui fut Fantomas, Renee Carl (Lady Beltham) ,Breon (le policier Juve), Georges Melchior (le journaliste Fandor) (i), Yvette Andreyor et plus tard Rene Creste qui devint Judex. Nous retrouverons Louis Feuillade pendant et apres la guerre. (i) Rene Navarre que Fantomas rendit populaire connut par la suite quelques succes notamment dans des films de la Societe des cine-romans au lendemain de la guerre de igi4~i8 puis il eut du mat a trouver des roles et on ne le revoit de temps a autre que dans des silhouettes . Breon est mort sans avoir connu d' autre veritable succes que celui qu'il obtint dans Fantomas ; en revanche, Georges Melchior tint de nombreux roles dans des films de tous genres, la meilleure de ces creations etant bien certainement celle qu'il fit dans L'Atlantide de Feyder (le lieutenant de Saint- Avit) . Quant a Renee Carl, elle e'tait deja la vedette de la troupe Gaumont quand Feuillade lui confia le principal role feminin de Fantomas et elle le resta quelque temps encore. io2 HISTOIRE DU CINfiMA LEONCE Perret A cote de Feuillade, il est, a cette epoque, un autre collaborateur de Leon Gaumont dont le nom merite d'etre mis en evidence, c'est. Leonce Perret. Leonce Perret etait venu du theatre (Odeon, Vaudeville ou il avait notamment tenu un petit role dans Madame Sans- Gene, et Renaissance) au cinema et il avait tourne de nombreux films chez Gau- mont, tantot comme acteur, tantot comme metteur en scene, et m£me comme acteur et metteur en scene : L'Heure du reve, La Dentelliere, L'Honneur et V Argent presque tous des drames — Le Geste et Le Roman d'un mousse tous deux sur des scenarios d'E. M. Laumann furent ceux qui connurent le plus de succes — lorsqu'il eut l'idee de se specialiser dans un genre plus aimable (i). Apres quelques tatonnements — Histoire d'un valet de chambre, Le Coq en pate, Eugene amoureux, Cupidon aux manoeuvres — Perret decouvre peu a peu sa pro pre personnalite. II decouvre aussi que le grand secret du succes est peut-etre dans le lien que l'artiste reussit a etablir entre lui et son public. II decide alors d'incarner dans tous ses films le meme personnage, celui d'un bon gros garcon, plein de bons sentiments, moins craneur que Max Lirider et possedant de malice juste ce qu'il faut pour ne pas faire figure d'imbecile, pas tres fort en face des femmes dont il ne peut pas se passer et qui, apres l'avoir quelque peu fait marcher, finissent par reconnaitre qu'il vaut mieux que bien d'autres : type sympathique de Francais moyen — bien plus bourgeois que Max — qui avait toutes chances de plaire a la foule. Ayant donne a ce type son propre prenom, Leonce Perret eut le merite de comprendre que « la comedie, selon la definition de R. Canudo (2),n'est pas seule- ment toute action qui finit heureusement, mais bien plutot une action scenique, plaisante et intime entre personnes de la vie courante ». Chacun des films de Perret est done une petite tranche de vie traitee, non pas selon la formule du Theatre Libre, mais avec bonne humeur et parfois avec une pointe d'ironie et de fantaisie : « Leonce » y appa- rait le plus souvent marie, epris a la fois de son foyer, de ses aises mate- rielles, morales et sentimentales et tente par l'aventure extra-conju- gale quand cette aventure ne se revele pas trop compliquee. Quelque- (i) Quelques-uns de ces films : Le petit Grenadier, Le bon Juge, Le Lys d'or avaient ete touvnes par Leonce Perret a Berlin pour le compte de la succursale que la maison Gaumont avait en Allemagne. (2) L'Usine a Images, par R. Canudo (Chiron Edit. Paris ig26.) EVOLUTION DE L'INDUSTRIE (suite) 103 fois il n'est pas encore passe devant Monsieur le Maire, mais il y aspire alors que Max Linder en est toujours au stade de la bamboche malgre tout, et son aspect de brave type amateur de lectures en pantoufles au coin du feu ne peut laisser sur ce point le moindre doute au specta- teur. Avec lui, pas de courses, pas de poursuites et les ressorts dont il a besoin pour faire evoluer son intrigue, c'est dans les circonstances inte- rieures bien plus que dans les exterieures qu'il va les chercher : il y a beaucoup de discussions conjugates dans les petites comedies de Perret et le personnage feminin qu'il avait cree pour donner la replique a son « Leonce » n'etait pas sans devoir beaucoup, sur le chapitredelamau- vaise foi, aux creatures entetees et charmantes dont Courteline, a la m£me epoque, faisait un si amusant usage. Dans ces films qu'il realisa de 1910 a 1914, Leonce Perret eut tour a tour pour partenaires sa femme Valentine Petit (1), Fabienne Fabreges, pour qui il imagina le nomde Poupette et Suzanne Grandais. Quand il eut bien mis a toutes les sauces « ce bon gros patapouf » de Leonce, pour employer l'expression d'un journaliste de l'epoque, quand il eut bien presente sous tous les aspects imaginables son personnage sympathique, non pas a la facon d'un clown comme le pretendent Maurice Bardeche et Robert Brasil- lach mais avec une verve aimable, non denuee d'esprit ni de gout, Leonce Perret partit pour TAmerique ou nous le retrouverons et d'ou il revint pour se lancer dans la realisation de films plus importants par leur metrage et par le montant de leur devis mais qui ne possedaient ni la fraicheur, ni l'originalite que les petites comedies sans vulgarite de la serie « Leonce » avaient apportees au cinema, non plus que le merite d'avoir cree un type — ce qui n'est pas a sous estimer car le cinema francais en compte peu, trop peu pour le pays qui en a tant fourni au repertoire theatral. Sans doute d'ailleurs est-ce ce dernier titre qui doit meriter a Leonce Perret d'avoir — a cote de Max Linder et de Prince — sa place dans l'Histoire du cinematographic A moins que cette place ne lui soit due parce qu'il a su montrer que la France, pays de la comedie, est capable de faire du film gai sans grossierete et dont le comique n'est le fait ni d'une tete de veau, ni d'une escouade de sergents de ville degringolant dans un baquet plein d'eau. Enfin, parmi les acteurs que Ton voyait paraitre dans les films de la maison Gaumont, il en est un sans qui l'histoire du film comique serait incomplete et qui merite de figurer dans cette histoire apres Max (j) Avant d'epouser Leonce Perret pour qui elle jut tout au long de sa carrier e la plus devouee — et souvent la plus adroite — des collaboratrices, Valentine Petit avait ete danseuse. Elle avait notamment lance un numero qui connut pendant un temps la grande vogue en executant dans la cage aux lions les danses lumineuses dont hole Fuller avait eu I' idee. io4 HISTOIRE DU CINfiMA Linder, aux cotes de Prince-Rigadin et de Leonce Perret : c'est Marcel Levesque. Marcel Levesque Marcel Levesque avait appartenu a de nombreux theatres parisiens, notamment aux Folies Dramatiques, a l'Athenee ou il avait participe. a la creation de ce vaudeville qui fit courir tout Paris — toute la pro- vince — L'Enfant du Miracle — et a l'Odeon. Partout il avait donne aux roles qui lui etaient confies une personnalite, une force comique des plus rares, meme — et surtout, pourrait-on dire — quand ces roles n'etaient que des silhouettes, servi qu'il etait par un physique des plus curieux: corps degingande pose sur des jambes qui semblaient constamment flageoler et se derober sous lui et lui imprimaient un balancement de bateau chahute par les vagues, avec, au-dessus de ce corps sounds a un perpetuel roulis, une petite tete etroite aux yeux pleins tour a tour de stupefaction et de malice, de part et d'autre d'un nez comme la nature n'en a accorde a aucun humain depuis Cyrano, un nez de tamanoir ou de tapir a moins que ce ne soit un bee de toucan, un nez qui precedait son proprietaire d'un quart d'heure en tous lieux et dont on avait l'impression qu'il devait lui servir a ouvrir les portes sans poser la main sur le bouton ou pour forcer sans danger les serrures. On devine ce qu'un tel physique, que servait une intelligence tres vive, doublee d'une grande culture et d'un gout tres sur, pouvait ap- porter au cinema. Et pourtant, Marcel Levesque avait tout d'abord refuse 1 'engagement que Ton etait venu lui offrir. Puis, il etait revenu sur son refus quand Paul Gavault lui avait demande d 'interpreter un r61e dans L' Arrestation de la Duchesse de Berry que le Film d'Art allait tourner. S'etant apercu que le cinema valait mieux que ce qu'il en avait jusqu'alors pense et que les lauriers dont son camarade Prince commencait a faire ample moisson n'etaient pas a dedaigner, il etait alle trouver son autre camarade, Leonce Perret, et lui avait propose des idees de films. Perret lui prit deux scenarios pour sa serie des « Leonce » : « Leonce et Poupette et La Belle-Mere, et l'engagea pour jouer des roles dans ces productions realisees au studio des Buttes- Chaumont. Marcel Levesque passa ensuite sous la direction de Louis Feuillade qui lui confia des roles dans plusieurs de ses films : L'ilhistre Mdchefer, Les fourberies de Pingouin, La Somnambule, L' Hotel de la gare, etc... Marcel Levesque contribuait au succes des bandes a Inter- pretation desquelles il appartenait, mais il etait trop consciencieux pour tirer la couverture a lui ou plus simplement pour se mettre en EVOLUTION DE L'INDUSTRIE (suite) 105 evidence quand son personnage ne le comportait pas et il f audra atten- dre Judex ou il campa un personnage qui, avec un peu de chance, aurait pu devenir un des « types » du cinema francais — celui de Cocantin — pour faire de Marcel Levesque une vedette. Mais, des 1911, « Cocantin » etait en puissance dans Marcel Levesque et celui-ci etait deja l'homme dont Louis Delluc dira en 1919 qu'il est « un homme de gout, un artiste et presque un poete ». De qui l'auteur de Photo genie en a-t-il dit autant ? Sans Levesque serait incomplet le petit groupe qui incarne le cinema comique francais de l'epoque heroique. (1) Cinema en couleurs .et cinema sonore Pendant que Louis Feuillade et Leonce Perret regnaient ainsi sur les studios de la Villette, pendant que Fantdmas faisait trembler les midinettes, Leon Gaumont poursuivait ses travaux et il arrivait a presenter de petits films enregistres directement en couleurs qui, sans toe parf aits, marquaient un progres sur les films colories a la main avec une naivete charmante par les modestes collaboratrices de Melies. En meme temps, il poursuivait ses travaux arm de doter le cinema de la parole. Ce faisant, il obeissait au souci de realisme auquel l'epoque etait en proie : dans la vie les etres sont doues de la voix et le plus evolue d'entre eux, de la parole. N'etait-il pas inadmissible que les etres evo- luant sur l'ecran et qui avaient toutes les apparences de la realite, fussent prives de la voix ? N'etait-ce pas parce qu'en parlant ils avaient donne l'impression qu'ils etaient encore plus pres de la viequelorsqu'ils etaient muets, que les personnages, alliant en eux les illusions du cinema a ceux du phonographe que Ton avait vus et entendus sous les ombrages du Cours la Reine pendant l'Exposition de 1900, avaient connu un si vif succes ? Et Leon Gaumont cherchait le moyen de resoudre de f aeon vraiment pratique ce probleme qui le passionnait. Malheureusement la solution se faisait attendre et les personnages auxquels les ecrans offraient Thospitalite continuaient a £tre prives de l'usage de la parole. Et les amateurs de realisme demeuraient insatisfaits. Mais un esprit ingenieux s'avisa de donner a ces insatisfaits une compensation en leur faisant entendre les bruits, tous les bruits de la nature et ceux des cho- ses. Comme l'aventure qui se deroule sur l'ecran apparaitra plus emou- vante, parce que plus vraie, plus reelle, lorsqu'on entendra le bruit d'une porte qui se ferme ou celui de la vapeur qui s'echappe en siffiant de la locomotive au moment ou elle demarre ! Aussi y a-t-il maintenant derriere chaque ecran et aussi indispensable que le piano, un employe (1) V. p. i77. 106 HISTOIRE DU CINEMA denomme « bruiteur » dont le role consiste a secouer un panier conte- nant des debris de vaisselle lorsque, dans une scene de menage, Madame jette a la t£te de Monsieur les assiettes du service des jours de fete et a marteler une table de ses mains chaussees de noix de coco coupees en deux afm d'imiter le galop du cheval de 1'infame ravisseur lorsque celui- ci s'eloigne apres avoir enleve l'enfant de la sympathique heroine... Cette innovation eut un succes tel que bientot on l'industrialisa, si Ton peut dire, ou du moins, on la mecanisa en retirant au « bruiteur » l'initiative de ces bruits dont on confia l'execution a une machine. Cette machine avait ete coneue assez ingenieusement pour pouvoir imiter d'une facon tantot assez exacte, tantot approximative tous les bruits que reclame le spectateur le plus exigeant : on abaissait une manette et on entendait le bruit d'eau brassee que fait l'helice du bateau qui va quitter la rive, on en abaissait une autre et au bruit d'eau brassee succedait celui d'une roue qui grince sur les paves a l'instant ou s'eloi- gne la voiture qui a amene les voyageurs a 1'embarcadere... (i) Les films ne parlaient pas, mais ils etaient bruyants sinon sonores. ESSOR ET EXCES Un tel souci de verite serait touchant s'il n'etait un peu ridicule. Mais il est d'une sincerite insoupconnable qui doit £tre une circons- tance attenuante a tous les exces dangereux pour revolution de l'art cine mat ographi que auxquels, sous le pr^texte de faire vrai, selivrerent les producteurs de films pendant toute la periode qui va de 1900 a 1914. Le succes remporte par le cinema a l'Exposition n'avait, en effet, rien change aux habitudes, recentes pourtant mais deja extremement bolides, auxquelles obeissalt la vie cinematographique. Habitudes deplorables, vie chaotique sans plan, sans methode, sans souci du lendemain. L'appareil Lumiere etait un instrument magi que et ceux qui avaient ete construits apres lui, que ce fut par Georges Melies, par Demaria, par Debrie ou par les Americains, detenaient le m^me pouvoir magique : ils faisaient courir les foules ; ces foules, pour pro- filer des sortileges qu'ils deversaient sur elles par le truchement des ecrans, ne demandaient qu'a mettre la main a la poche et ce geste sufhsait a enrichir tous ceux qui, de pres ou de loin, directement ou indi- rectement, touchaient a la chose cinematographique : producteurs de (1) La premiere de ces machines a faire des bruits fut retrouvee par M. J -P. Mauclaire et exposee par lui dans le vestibule du « Studio 28 » a Paris quand il prii la direction de cet elablissement. EVOLUTION DE L'INDUSTRIE (suite) 107 films, directeurs de salles, entrepreneurs de spectacles forains ou ambu- lants. Et cela sans avoir besoin de penser, de prevoir, d 'organiser. Sans savoir cc que ce mot representait, chacun d'eux faisait de rempirisme comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Et l'argent amuait dans les caisses ! Qu'auraient-ils pu desirer de mieux ? Peut-£tre certains d'entre eux — les plus raisonnables, ceux-la qui avaient deja du se colleter avec la vie et n'etaient entres dans la carriere cinematogra- phique que parce qu'ils n'avaient pas reussi dans une autre — avaient- ils commence par s'etonner de ce qui leur arrivait, puis tres vite, ils s'y etaient habitues et, tres sincerement, ils n'imaginaient pas qu'il put ne pas en etre tou jours ainsi. Le public, lui aussi, eprouvait de l'etonnement et cet etonnement lui otait tout pouvoir de contr61e sur la qualite des bandes qu'on lui offrait et qu'il acceptait avec plaisir, alors qu'il aurait pour le moins hausse les epaules en tournant le dos a la scene sur laquelle se serait deroule un spectacle semblable a celui qui constituait l'ordinaire des salles de cinema ou en rejetant le livre qui lui aurait conte des histoires aussi basses, aussi vulgaires que celles qui faisaient le fond des films. Mais y avait-il quelqu'un alors — exception faite de Georges Melies et encore ! — qui eut seulement imagine que le cinema put etre un art ? Ignorant cette juste fierte — ou cette sotte vanite — qui caracterise le plus infime auteur de vaudevilles, de couplets ou de feuilletons, les auteurs de films — sauf Melies — restaient enfermes dans l'anonymat le plus strict, comme s'ils eussent eu honte de s'employer a si basse besogne et c'etait a ce m£me anonymat qu'etaient condamnes les acteurs — et ils l'acceptaient eux aussi sans regimber et Dieu salt si la vanite de ceux-ci, surtout les plus obscurs, est denuee de scrupules ! — recrutes non parmi les vedettes du theatre et du cafe-concert mais parmi la foule des « petits roles » et des figurants des scenes de quar- tier. Et ces figurants qui, jusqu'alors etaient restes perdus dans la masse garnissant le fond de la scene, passaient d'un seul coup au premier plan : ils avaient a agir seuls, tout comme les vedettes que, chaque soir, ils voyaient accomplir des gestes heroiques et mourir en beaute... longuement. Que pouvait-on, dans ces conditions, atten- dre de ces artistes improvises sinon une gesticulation desordonnee qui, seule, pouvait masquer leur mediocrite ? Mais etait-il besoin d'artistes plus affines, plus cultives quand il s'agissait de faire des films pour ainsi dire « a la chaine », a raison d'un par jour — et quand ce film quotidien etait termine une heure avant celle qui avait ete prevue, on occupait cette heure a commencer un autre film : autant de gagne pour le lendemain — des films qui se promeneraient a travers le monde sous des titres qui pouvaient tout aussi bien etre La Course aux citrouilles que Les mefaits d'une tete de 108 HISTOIRE DU CINEMA veau I (i) Des films faits uniquement de poursuites, de culbutes, de chutes dans des baquets de platre ou de seaux d'eau lances a la volee, des films dont les meilleurs s 'apparent aient ici ou la aces pantomimes anglaises qui faisaient alors fureur sur les scenes des music-halls ! (2) Comme Ton comprend que Louis Lumiere ait alors ecrit : « Les applications du cinematographe s'etant orientees de plus en plus vers le theatre — sans doute entend-il « spectacle » — et relevant surtout de la mise en scene, force nous a ete d'abandonner cette exploitation, pour laquelle nous n'etions pas prepares. » C'est pourtant a la meme epoque que Charles Pathe, qui n'a evi- demment pas les m£mes raisons que Louis Lumiere d'etre decu sinon decourage, s 'eerie prophetiquement : « Le cinema sera le theatre, le journal et l'ecole de demain ! » (3) On sourit ! Mais en se laissant ainsi aller a prophetiser, Charles Pathe devait se montrer le plus clairvoyant des pionniers du cinema, surtout en ce qui concerne le theatre ! (1) Ces litres ont reellement ete ceux de deux films qui rapporterent beaucoup d' argent a leurs producteurs. Du meme genre, on peut encore citer La Course au mari, La Course a la belle-mere, La Course a la perruque, La visite de la douane, Les mefaits d'une mouche sans oublier un certain Coup de vent que commit Louis Feuillade et qui fut tire a quatre cent quatr e-vingts copies. (2) C'est a une des troupes qui avaient le plus fait pour le succes de ces pantomimes — celle de Fred Kay no — qu' ap parte nait Charlie Chaplin quand il fut attire par le cinema. (3) Certains pretendent que cette phrase n'a pas ete prononcee par Charles Pathe mais par un des collaborateurs de celui-ci, V ingenieur Dussaud. INFLUENCES : THEATRE ET CINEMA " LE FILM DART " L 'attention de tous ceux que commence a interesser le cinema se tourne, en effet, vers le theatre et de tous cotes vont £tre tentees des experiences tendant a etablir une collaboration entre le theatre et le cinema et a demander a celui-la les moyens de faire progresser celui-ci. La premiere de ces experiences fut tentee par un homme qui, a cote des Gaumont et des Pathe, joua dans Thistoire du cinema fran- cais un role important qui se prolongea pendant plus de quinze ans : Edmond Benoit-Levy. Edmond Benoit-Levy Avocat, lettre (i) Edmond Benoit-Levy avait ete attire par la nou- veaute et il etait devenu un des collaborateurs les plus actifs de Charles Pathe. Celui-ci lui avait confie la direction d'une des « filiales » de sa maison, la « Societe Omnia » qui avait la gerance de plusieurs etablis- sements de projection de la region parisienne. Edmond Benoit-Levy etait de ceux qui estimaient que le cinema valait mieux que Les Mefaits d'une tete de veau ou La Course aux citrouilles, mais, bien qu'anime des meilleures intentions a son egard, pas plus qu'aucun autre de ses contemporains, il n'imaginait que le cinema fut assez riche pour qu'on put trouver dans ses possibility de quoi lui constituer une personnalite. La culture classique qu'il avait recue, cette culture dans laquelle le theatre tient une si grande place l'avait amene tout naturellement a decouvrir que le cinema avait eu la chance de naitre dans un pays ou (i) Edmond Benoit-Levy etait I'auteur d'un ouvrage juridique hautement apprecie Le Code de la Presse et de plusieurs volumes d'histoire et de cri- tique litter aires, notamment un Erckmann-Chatrian, la Jeunesse de Victor Hugo et Madame Victor Hugo et Sainte Beuve. Sous le pseudonyme de Francis Mair, il collaborait a de nombreux journaux, magazines et revues. II avait cree deux des premiers journaux corporatifs Argus-Photo-Cinema et Phono-Cinema- Revae. II ouvrit la voie du cinema a son neveujean Benoit- Levy le futur realisateur de La Maternelle. Ay ant renonce a toute activite cinematographique depuis plusieurs annees pour se consacrer entierement au culte qu'il avait voue a Victor Hugo, il est mort en 1929. no HISTOIRE DU CINEMA le theatre est roi, le pays le plus riche du monde en ceuvres, en ecrivains de theatre, en acteurs de tous genres et il avait logiquement conclu que ce serait une faute impardonnable de ne pas profiter de cette chance. II avait done entrepris, au debut de 1907, la mise a 1 ecran d'une pan- tomime qui venait d'obtenir un tres vif succes : L'Enfant Prodigue de Michel Carre, musique de Wormser. C'etait l'auteur, Michel Carre, qui avait dirige la mise en scene (1) et la premiere projection du film au Theatre des Varietes, passe provisoirement au service du cinema, avait eu lieu le 16 juin avec un succes au moins egal a celui que la pan- tomime avait connu sur les planches. Tout naturellement, Edmond Benoit-Levy avait vu dans ce succes la confirmation des idees auxquelles il avait obei : le theatre etait seul capable de faire evoluer et progresser le cinema. Mais etant juriste et non auteur dramatique ou acteur, c'etait dans le domaine juridique qu'il avait cherche le moyen de faire passer sa conviction de la theorie a la pratique. Et comme il etait d'esprit ingenieux, il n'avait pas ete long a trouver. Trois ans plus tot, une reforme importante s'etait accomplie dans les methodes commerciales auxquelles etait soumise la vie cinemato- graphique. Jusqu'alors les bandes etaient vendues par leurs fabricants comme une marchandise quelconque. L'exploitant achetait un rouleau de pellicule imprimee, l'utilisait aussi longtemps qu'il le voulait, puis il le cedait a un autre acheteur qui le proj etait a son tour sans aucun benefice pour le producteur et il en etait ainsi, le film passant de main en main, tant que la pellicule resistait. II est inutile de dire combien ce systeme etait prejudiciable a la qualite des spectacles. Mais en 1904, trois employes de Melies, Michaut, Astaix et Lalle- ment avaient eu l'idee de remedier a ces inconvenients en louant un film a une personne determined pour un temps limite sans que cette location comportat le droit de sous-louer le film a un tiers. Et pour mettre cette idee en pratique, ils avaient fonde une societe — la pre- (1) Michel Carre reconnaissait volontiers que ce ri 'etait pas la un chef- d'eeuvre puisqu'il confiait a G.-M. Coissac qui le rapporte dans son « His- toire du cinematographe » : « Ce jut un tres mauvais film, fait avec toute I'ignorance d'un debutant que n'aidait en rien la mauvaise volonte des inities a cet art nouveau, heureux de :ne voir commettre des erreurs, celle-ci par exemple : mes pierrots s' etaient maquilles en blanc et les rideaux de la fenitre etaient blancs aussi, de sorte que, lorsque les personnages passaient devant ces rideaux, ils avaient I'air de corps sans tete. » Mais ce fut pour lui V occasion d'entrer en relations avec le cinema. II n'eut pas a le regretter car la carrier e cinematographique qu'il mena parallelement a sa carriere thedtrale lui valut de beaux sucebs que vint couronner en ig22 la presidence de V Association des Auteurs de Films en remplacement de Pouctal. « LE FILM D'ART » in miere agence de location et de distribution de films — « l'American Kinetograph » (i). Naturellemcnt,ce nouveau systeme ne plut pas a tout le monde et il donna lieu a d'ardentes polemiques qui devaient durer des annees et au cours desquelles — en 1907 — voyant la une occasion d'appliquer les idees nouvelles qu'il avait sur la chose cinematographique, Benoit- Levy intervint en publiant dans un des premiers journaux corporatifs « Cine-Gazette » un article ou, fort de ses connaissances juridiques et de son experience de la vie theatrale, il demandait que fussent appli- ques au film les principes regissant la vie des ceuvres litteraires et theatrales : « Qu'est-ce qu'un film ? Est-ce une marchandise ordinaire dont l'acheteur peut faire l'emploi qui lui convient ? Non ! Un film est « une propriete artistique et litteraire ». Pour la representer il faut payer un droit. C'est sur l'etablissement de ce droit que le debat portera un jour et ce sera la suppression des loueurs car on ne verra plus que des fabricants louant eux-memes. Tout ce qu'on fera et dira en dehors de cette solution n'aboutira a rien. » Ainsi, a peine nees,4es agences de location de films subissaient les assauts de ceux qui les consideraient comme des organismes parasi- taires et logiquement demandaient leur suppression. Et pourtant c'etait pour defendre ce principe de propriete invoque par leurs ad vers aires que les agences de distribution et de location s'etaient constitutes. Si les fabricants de films avaient obei a d'autres lois que celles de l'em- pirisme le plus banal, s'ils avaient ete clairvoyants et prevoyants, ils auraient renonce d'eux-memes au systeme de la vente — qu'ils n'a- vaient adopte que parce qu'il etait le plus simple et les debarrassait de tout souci — et ils auraient organise seuls et a leur profit la location de leurs films. Cette prevoyance aurait singulierement simplifie la vie cinematographique : elle aurait permis aux producteurs de faire tomber dans leurs caisses la commission de trente a quarante pour cent que, pour remuneration de leurs services, les loueurs prelevent sur les sommes deboursees par les directeurs de salles — et la qualite de la production n'aurait pas manque d'en etre amelioree. Les loueurs ne se seraient pas introduits dans la production — ce qui, non moins surement, aurait eu une heureuse influence sur la valeur intellectuelle et artistique des films et l'irritant probleme de la perception dans les salles de cinema, sur le modele de celle qui a lieu dans les theatres et (1) Ce nouveau systeme ne se genevalisa pas aussi vite qu'on pourrait le supposer et s'il fut adopte par certaines agences de second ordre, les grandes maisons s'y montrerent refractaires. C'est ainsi que Pathe ne renoncera a la vente pour la location qu'en 1907. ii2 HISTOIRE DU CINEMA auquel est liee la logique et juste remuneration des auteurs aurait ete liquide sans difficultes au lieu de rester en suspens pendant pres d'un demi-siecle. II n'est pas facile de determiner l'importance qu'a eue dans revo- lution du cinema cette substitution des loueurs aux producteurs dans ce qui aurait logiquement du £tre une des formes de leur activite mais on peut l'imaginer quand on voit, quarante ans plus tard ou presque, que la production n'a pas encore reussi a se debarrasser du chancre que constituent pour elle les loueurs-distributeurs auxquels, il faut bien qu'on le dise, sont dus, le plus souvent, les films les moins bons, les plus bas, dont les ecrans sont envahis. Un congres international des producteurs de films — le premier des congres ayant a traiter de la chose cinematographique — qui se tint a Paris en 1908 sur l'initiative de la Chambre syndicale fondee par Georges Melies, consacra le principe de la substitution du systeme de la location a celui de la vente et s'efforca de regulariser les rapports entre producteurs, loueurs et directeurs de salles. C 'etait un echec pour Edmond Benoit-Levy. Mais pour n'avoir pas reussi a rallier a sa theorie les producteurs, pour n'avoir pas obtenu la suppression des agences de location, l'avocat de la cause du « film- propriete artistique et litteraire » ne s'etait pas decourage. Bien loin de renoncer a son idee, il avait resolu de demontrer par l'exemple que cette idee etait valable, mieux encore, qu'elle etait la meilleure et, pour ce f aire, de fonder une societe de production dont toute l'activite repo- serait sur la mise en pratique de la doctrine dont il etait le pere. Le cinema et la societe des auteurs Puisque les producteurs n'avaient pas compris qu'il etait de leur interet de le soutenir, c'est de Tautre cote de la barricade qu'il irait se faire des allies parmi ceux sans qui les producteurs ne pourraient plus produire, ni les loueurs louer de films : les auteurs. II avait d^nc demande a etre entendu par la Commission de la Societe des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et avait fait a celle-ci la proposition suivante : « Que la Societe me cede le droit exclusif de transformer en films toutes les ceuvres de son repertoire, en echange de quoi jem'engage a lui verser pour les auteurs de chacune des ceuvres adapt ees a l'ecran, un droit d'auteur constitue par un pourcentage sur les recettes encais- sees par les etablissements publics projetant les films tires de ces ceuvres. Les auteurs collaborant avec le cinema seront done remuneres comme ils sont, depuis longtemps, habitues a l'etre quand ils travaillent pour le theatre. » Notons en passant que, s'il se trompait en pensant que le 23- Valentine Tessier entre Romuald Joube et Gabriel Signoret dans Britannicus, film de Camille de Morlhon d'apres la tragedie de Racine (Film Paihe, igi2). 24. L'Assassinat du due de Guise. Au centre : Albert Lambert de la Comedie-Francaise (Film d' Art, igoSj. 25. Mme Bartet et Paul Mounet, de la Comedie-Francaise, dans Le Retour d'Ulysse (Film d'Art, igog). \\\\\ 'ft Hcil It 26. Arquilliere (au centre), Mansuelle (a gauche) et Jacques Gretillat (a droite) dans L' Assommoir, d'apres Emile Zola (Film S.C.A.G.L.) . « LE FILM D'ART » 113 theatre etait le fonds oil le cinema devait venir puiser et que la situation de celui-ci se trouverait avantagee du seul fait qu'un lien s'ajouterait a tous ceux qui unissaient deja le cinema au theatre, Benoit-Levy voyait fort juste en imaginant cette facon nouvelle pour les producteurs de s'acquitter de ce qu'ils devaient aux auteurs au talent de qui ils avaient recours. Si cette proposition avait, en effet, eu les suites que chacun, alors, esperait, le cinema aurait ete a l'abri de certaines compromissions, de certaines combinaisons que Ton soupconnait a peine a l'epoque mais qui se sont demasquees par la suite et qui lui ont fait un tort conside- rable ; les auteurs, interesses directement a la reussite de leurs ceuvres auraient suivi de pres le travail cinematographique, les hommes de cinema auraient eu plus de respect pour celles-ci ou du moins n'auraient pas agi a leur egard avec cette liberte ressemblant trop souvent a du sans-g£ne, dont tant d'exemples scandaleux ont occupe l'opinion, la presse et les tribunaux eux-m£mes. L'irritante question de la percep- tion des droits d'auteur dans les cinemas, qui a fait couler tant d'encre au cours des annees 1930-35 ne se serait meme pas posee et il y aurait eu un peu plus de justice dans les rapports qui allaient devoir s'etablir entre ecrivains d'une part et industriels et commercants d 'autre part. Malheureusement, si la Commission de la Societe des Auteurs, qui n'avait pas manque d'en comprendre toute l'importance, accepta la proposition que lui faisait Edmond Benoit-Levy, celui-ci, pour des raisons completement independantes de sa volonte, ne trouvant pas les concours financiers qui lui avaient ete promis et dont il avait besoin, se vit condamne a faire savoir a la Societe qu'a son grand regret il etait dans l'obligation de renoncer a son projet. Quelques mois plus tard, on apprenait la constitution de la Societe Cinematographique des Auteurs et Gens de Lettres qui allait, tres vite, tenir une place importante dans la vie cinematographique francaise : la S. C. A. G. L. La S. C. A. G. L. Le programme de cette Societe etait a peu de chose pres celui qu'Edmond Benoit-Levy avait expose a la Commission des Auteurs Dramatiques. Coincidence ? Peut-etre ! Pourtant, on ne peut s'emp£- cher de remarquer qu'un des promoteurs de la S. C. A. G. L. etait un auteur dramatique, Pierre Decourcelle, et que celui-ci faisait precise- ment partie de ladite Commission lorsque Edmond Benoit-Levy etait venu lui exposer son projet. D'une habilete non moins eprouvee comme homme d'affaires que comme homme de theatre, Pierre Decourcelle ii4 HISTOIRE DU CINfiMA reussit a obtenir de ses confreres de la Commission pour la Societe dont il partageait la direction avec Eugene Gugenheim, le monopole qu'avait souhaite Benoit-Levy et, sacrifiant en cette circonstance, ses interets — a venir — d'auteur dramatique a ses interets immediats de directeur d'une entreprise commerciale, il avait obtenu ce monopole sans prendre l'engagement, en remuneration de la collaboration des auteurs a l'ceu- vre cinematographique, de verser a la Societe un pourcentage sur les recettes publiques fournies par l'exploitation de ces ceuvres. Comme il etait aussi membre de la Societe des Gens de Lettres et qu'il n'avait aucune raison de ne pas vouloir tirer un juste profit aussi bien du roman que du drame et de la comedie, il avait etendu le contrat au repertoire de la Societe des Gens de Lettres (i) . Ainsi du projet de Benoit-Levy ne subsistait que ce qui allait a Tencontre des interets exactement compris de 1'art cinematographique et la contrepartie qui aurait pu lui etre avantageuse se trouvait inex- plicablement abandonnee : le theatre etait l'aine du cinema et il le lui faisait sentir en mettant la main sur lui sans rien lui accorder des avan- tages que sa longue experience lui avait procures. Le « film d'art » et « l'assassinat du Due de Guise » Dans le meme temps, deux hommes qui s'etaient deja fait dans le journalisme et l'edition une place en vue, les freres Lafntte et deux acteurs notoires, Charles Le Bargy qui etait societaire de la Comedie- Francaise et Andre Calmettes — qui aurait pu l'^tre et ne l'etait pas sans qu'on put savoir pourquoi — entreprirent une action qui allait sur bien des points se rencontrer avec celle de la S. C. A. G. L. Hommes de gout, esprits cultives, ils avaient ete frappes et gen£s par la vulgarite des spectacles cinematographiques -- imaginons la moue dedaigneuse d'un Le Bargy en face de rafhche annoncant Les me fails d'une tete de veau ! — et e'est parce qu'ils avaient senti que le cinema valait beaucoup mieux qu'ils entreprirent de le tirer des ornieres dans lesquelles il commencait a s'enliser. Donner au cinema ses lettres de noblesse ou tout au moins la dignite qui lui faisait defaut, tel etait indiscutablement le but que ces hommes de gout se proposaient et, pour que nul ne put douter de leurs intentions non plus que des preoc- cupations auxquelles ils obeissaient, ils les avaient hautement procla- mees, en donnant a la Societe qu'ils fondaient un titre dans lequel (i) Les capitaux avaient ete fournis a la. S. C. A. G. L. par les banquiers Saul et Georges Merzbach. « LE FILM D'ART » 115 figurait un mot qui n'avait pas encore ete ouvertement prononce dans le monde de la Production cinematographique — m^me pas par Melies ! — le mot « Art » : Le Film d'Art. Pourquoi fallut-il que Tart qu'ils se proposaient de servir ne fut pas vraiment, franchement, Tart du cinema ? Vouloir rapprocher le cinema du theatre, penser que c'etait en le modelant a l'exemple du theatre qu'ils atteindraient le plus surement le but qu'ils se proposaient etaient des idees qui devaient tout natu- rellement naitre dans le cerveau d'hommes de theatre comme Le Bargy et Andre Calmettes. II n'y a done pas lieu de s'etonner si, desi- reux avant tout — et c'etait parfaitement logique — de trouver des scenarios intelligents — des scenarios dont le principal role ne serait pas tenu par une citrouille ni m£me par une tete de veau — ils s'adres- serent a des auteurs dramatiques eprouves, a ceux-la me'mes qui con- naissaient alors les plus grands succes aupres de 1 'elite parisienne, a deux des meilleurs fournisseurs des scenes du Boulevard et de la Come- die-Francaise et par-dessus le marche, membres de l'Academie fran- caise : Jules Lemaitre et Henri Lavedan. (1) Puis ils recruterent une troupe d'acteurs non plus parmi « les petits, les obscurs, les sans-grade » des faubourgs mais au contraire parmi les plus notoires du plus illustre theatre d'Europe : la Maison de Moliere. Le premier resultat de cette collaboration fut L'Assassinat du Due de Guise, scenario d'Henri Lavedan, mis en scene par Andre Calmettes, interprete par Le Bargy (Henri III), Albert Lambert (le Due de Guise), Gabrielle Robinne et Berthe Bovy (2). La presen- (1) Jules Lemaitre etait alors le critique dramatique de La Revue des Deux-Mondes. II avait donne au theatre R6volt6e, Mariage Blanc, Les Rois, L'age difficile, Le Pardon, L'Ainee. II etait de l'Academie frangaise depuis i8g5. Henri Lavedan etait un des collaborateurs les plus apprecies de la tres « a la mode »Vie Parisienne. Auteur du Prince d'Aurec (Vaudeville) de Catherine (Comedie-Frangaise) , du Nouveau Jeu (Varietes) il etait academicien depuis i8gg. (2) Exception faite de Gabrielle Robinne qui fit, pendant un temps, figure de vedette de Vecran — durant la periode du muet — quand elle inter- preta avec Alexandre et Signoret, une serie de drames plus ou moins mon- dains (igio-igi4), aucun des interpretes de L'Assassinat du Due de Guise ne fit une carriere cinematographique interessante, ce qui demontre combien etait faux le point de vue des divigeants de V affaire : Albert Lambert ne parut, en effet, que dans des productions du Film d' Art : Le Retour d'Ulysse, Le Baiser de Judas, (ou il tenait le role du Christ avec Mounet-Sully dans celui de Judas), un (Edipe (encore aux cotes de Mounet-Sully) puis un Ruy Bias. Le Bargy, apres avoir ete Scarpia dans une Tosca dont Cecile Sorel etait la vedette, alia, en ig20, tourner en Italic un Colonel Chabert modernise, assez inattendu, puis il parut dans L'Appel du Sang de Mer- n6 HISTOIRE DU CINEMA tation de ce film eut lieu dans une petite salle de la rue Charras ins- talled par la nouvelle societe. Ce fut un evenement de la vie parisienne : journalistes, artistes, gens du monde ne cachaient pas leur etonnement — et leur satisfaction — qu'un de ces ecrans dispensateurs de plaisirs populaires, devant lesquels ils ne s'asseyaient pas sans avoir un peula sensation de s'encanailler, put leur permettre de voir leurs artistes favoris, ceux-la memes qu'ils etaient habitues a applaudir sur les nobles planches de la Maison de Moliere non plus que d 'entendre Torches tre executer une partition d'accompagnement signee Camille Saint-Saens. La Comedie-Francaise et l'Opera ! L'Academie francaise et l'Academie des Beaux-Arts ! Le cinema vraiment ne se refusait rien ! C'est de cet etonnement que, le soir de Inauguration de la salle Charras, a la findu spectacle, Charles Pathe se fit l'interprete lorsque, s'adressant aux fon- dateurs du «Film d'Art », il s'ecria dans un acces de sincerite qui lui fait honneur : « Ah ! Messieurs, vous etes plus forts que nous ! » (17 novembre 1908) apres quoi il ne lui reste qu'a aller partout, repetant : « Le cinema est a son apogee ! » (1) II y avait assez loin, en effet, de L'Histoire d'un Crime a L'Assas- sinat du Due de Guise et ce dernier film pouvait faire l'effet d'un chef- d'oeuvre au producteur du premier. Le lendemain, le « Film d'Art » etait celebre — il y eut meme pen- dant un temps un commencement de snobisme cinematographique (2) — et ses dirigeants confirmes dans la certitude qu'ils avaient d'avoir canton (ig2o), tint le petit role de Chateaubriand dans le film de Gaston Ravel et Tony Lekain, Madame Recamier (1028) et fut V eve que du Reve (version parlante igji). Quant a Berthe Bovy, si le cinema utilisa intel- ligemment son grand talent a partir du moment ou il eut V usage de la parole, il n'en lira pas grand' chose tant qu'il resta muet, en depit des nombreux films dont elle fut plus ou moins la vedette notamment pour Pathe (La Dette, Mme Tallien, Le due de Reichstadt, L' Affaire du Collier de la Reine, etc.). Mais a cote de ces quatre acteurs de la Comedie-Francaise, il y avait dans L'Assassinat du Due de Guise un jeune debutant venu du Theatre Sarah Bernhardt, qui assez vite se fera au cinema une place telle qu'il renoncera aux planches : Jean Angelo, une des moins discutables vedettes du cinema francais des annees ig20-ig28. (1) Adolphe Brisson ne craignit pas de consacrer un de ses articles du « Temps » a L'Assassinat du Due de Guise : « Ce recit visuel que Lavedan a reconstruit avec une devotion minutieuse et passionnee, se grave dans V esprit en traits inoubliables. II ne languit pas. Ses images se succhdent, un peu trop rapides parfois et trop fievreuses, parfois aussi trop ramassees, trop compactes mais etrangement suggestives. C est la plus impressionnante lecon d'histoire. Rien ne vaut Venseignement par les yeux. » (2) Ce mouvement ne se precisa pas et il faudra attendre les anni.es ig20 pour voir naitre en France un veritable snobisme cinematographique grace aux efforts de Marcel L'Herbier, de Canudo et de « V Avant-garde ». « LE FILM D'ART » 117 decouvert la verite. lis s'adresserent alors a Jules Lemaitre qui ecrivit pour eux Le Retour d'Ulysse mis en scene par Andre Calmettes dont deux autres des plus justement reputes societaires de la Comedie-Fran- caise : Julia Bartet et Paul Mounet furent les interpret es (1) avec Albert Lambert et Louis Delaunay et pour lequel Georges Hue ecrivit une partition. Puis vint Le Baiser de Judas, mis en scene par Armand Bour, avec, dans les principaux roles, Mounet-Sully (2), Albert Lambert et le futur interprete de Napoleon d'Abel Gance, le jeune Albert Dieudonne. Le souci d'art que les freres Laffitte, Le Bargy et Calmettes s'etaient donne pour consigne se traduisait dans ces films non seulement par le choix des scenarios, des auteurs et des acteurs, mais encore par le gout avec lequel les costumes avaient ete choisis chez les meilleurs costu- miers et dans les magasins des theatres ayant un repertoire historique ainsi que par le soin avec lequel les decors etaient executes — des decors selon la convention theatrale la plus traditionnelle qui feraient sou- rire les spectateurs d'aujourd'hui, (car les murs du chateau de Blois ne se g£naient pas pour vaciller quand, dans l'ardeur de la lutte qu'ils avaient a soutenir, les assassins du due de Guise s'y heurtaient). II y avait incontestablement progres sur tout ce qui se faisait a l'epoque. Ce progres etait interessant mais ce n'etait pas le seul resultat qu'avait obtenul'mitiativedesfondateurs du «Film d'Art »et il convient d 'exami- ner d'un peu pres ces resultats, car ils allaient avoir des repercussions profondes et durables sur 1 'evolution de Tart et de la vie cinemato- graphiques. En utilisant la collaboration d'ecrivains et d'acteurs de qualite dont les noms aureoles d'une reputation du meilleur aloi s'etalaient en tSte de leurs films, sur leurs affiches et dans toute leur publicite, les dirigeants du «Film d'Art » mettaient fin a l'anonymat meprisant dans lequel s'etaient jusqu'alors tenus auteurs et acteurs de films : e'etait la rehabilitation du cinema qui commencait. Des lors les auteurs comme les acteurs allaient voir leurs noms prendre une importance corres- (1) Ce fitt la la seule apparition que I 'admirable interprete de B6r6nice fit sur les ecrans. La discretion dont elle fit toujours preuve envers les jour- nalistes empeche de savoir si elle fut digue de cette apparition et si e'est pour cela qu'elle ne consacra plus la moindre parcelle de son beau et rare talent au cinema. Dans V interessant volume de pres de quatre cents pages qu'il lui a consacre, son biographe, Albert Dubeux qui, pourtant, aime le cinema, accorde tout juste six lignes un peu dedaigneuses au Retour d'Ulysse. (Julia Bartet, par Albert Dubeux, Plon, Edit. Paris iQ3g). (2) Mounet-Sully parut encore dans un (Edipe dont il ne voulut pas sacrifier un vers, I'appareil impitoyable enregistrant chacun des gestes dont il accompagnait ses imprecations. Ce qui explique pourquoi, des lors, il se tint eloigne du cinema. u8 HISTOIRE DU CINEMA pondant a celle qu'ils avaient dans la vie theatrale et de cette publicity le cinema, moralement, ne pouvait que profiter et du meme coup, quoique a un degre moindre, les metteurs en scene (i). Le theatre au cinema Mais ces vedettes — les acteurs ■ — n'arriverent pas au cinema en n'y apportant que du bon. Ne parlons pas des exigences et des mesqui- neries morales inherentes a un metier ou la realite est conditionnee par les apparences. Dans le domaine et a l'epoque ou nous nous trouvons, ces mesquineries ne pouvaient avoir de consequences graves. Mais en penetrant a l'interieur du studio, les societaires de la Comedie-Francaise n'avaient pas laisse a la porte les habitudes artistiques qui consti- tuaient pour eux une seconde nature. Leur interpretation devant l'objec- tif etait faite de tout ce qui leur avait valu le succes rue Richelieu. Pas une seconde il ne leur vint a l'esprit, pas plus qu'a l'esprit de ceux qui les dirigeaient — ou qui auraient du les diriger, car la situation impor- tante que leur talent et plus encore peut-etre leur reputation leur fai- sait les rendait a peu pres indirigeables — que le jeu cinematographique dut £tre different du jeu theatral : ce fut done « la Tradition » de la Comedie-Francaise, telle que Tont etablie deux siecles et demi de succes, qui fit son entree dans le studio de Neuilly recemment construit par la societe du « Film d'Art », ce qui revient a dire que, sans meme avoir l'excuse de se rapprocher de la vie, ce qui aurait peut-etre ete le cas si leurs interpretes avaient ete recrutes dans la troupe du theatre An- toine, les films realises dans ces conditions etaient aussi eloignes que possible de la verite cinematographique ■ — verite que nul ne soupcon- nait encore et dont les lois devaient apparaitre si lentement que lors- qu'on vit pour la premiere fois un acteur avoir sur l'ecran un jeu vrai- ment cinematographique, ce fut une veritable revelation (2). L'erreur que Le Bargy et Calmettes commirent en laissant les acteurs qu'ils employaient modeler leur jeu cinematographique sur leur jeu theatral se doubla tres vitc d'une autre erreur non moins grave pour la formation de la personnalite et revolution du nouvel art. Les premiers scenarios tournes a Neuilly etaient 1'ceuvre d'auteurs dramatiques mais e'etaient des scenarios originaux, e'est-a-dire que, construits a peu pres a la facon d'une courte piece, ils n'etaient pour- (1) Avec Andre Calmettes et Armand Bour, les premiers metteurs en scene du « Film d'Art* furent Velle, Chaumont, Andre'ani, Emile Chautard, G. Lacroix et Henri Pouctal. (2) Sessue Hayakawa dans Forfaiture en 1917. «< LE FILM D'ART » 119 tant pas tires d'une ceuvre theatrale qui leur eut impose un cadre rigide et ils possedaient une liberte qui, au bout d'un certain temps et apres quelques experiences, aurait pu devenir vraiment cinematogra- phique, les auteurs — qui avaient ete assez intelligents et assez cons- ciencieux pour ne pas apporter tout simplement a ceux qui leur deman- daient un scenario quelques pages tirees d'une de leurs ceuvres thea- trales — se rendant compte peu a peu de leurs erreurs, decouvrant les moyens d'y remedier, acquerant l'experience necessaire, degageant une a une les lois auxquelles ils auraient interet a se plier et se forgeant rinstrument dont ils avaient besoin. Ainsi les principes d'un nouvel art ayant sa personnalite propre auraient pu etre formules. II n'en fut malheureusement rien. Les exigences de la consommation se faisant de plus en plus gran- des, on trouva, en effet, plus simple et plus rapide de ne pas demander a des ecrivains le petit effort que representent l'invention et la mise au point d'un scenario original — et pourtant il n'etait sans doute pas un ecrivain qui ne J'eut fait volontiers cet effort, l'exemple d'Henri Lavedan, de Jules Lemaitre etait la pour le prouver — mais bien plus paresseusement et plus pratiquement aussi d'extraire la matiere d'un scenario d 'ceuvres existant deja et plus particulierement des plus celebres d'entre elles c'est-a-dire, trop souvent, des moins faites pour fournir au cinema ce qu'il exigeait : La Grande Breteche d'apres Balzac qu'interpretaient Andre Calmettes, Philippe Gamier et Vera Sergine ; Manon Lescaut, Macbeth, Les enfants d'Edouard, Louis XI, Theodora, Olivier Twist, Carmen dont le decor principal — la grande place de Seville, qui mesurait au moins vingt-cinq metres fit sensation, l'ere des folies commen^ait ! — La Duchesse de Langeais. Balzac, l'abbe Prevost, Shakespeare, Dickens, Merimee, Casimir Delavigne, Sardou : ce choix se defendait litterairement, une fois admis que le cinema doit travailler a l'intention d'un immense public et Ton serait meme assez tente de penser qu'il se defend meme cinematographi- quement puisque trente-cinq ans plus tard, alors que revolution de l'art cinematographique a depasse tout ce que Ton imaginait en 1910, ce sont encore certaines de ces ceuvres — Carmen, La Duchesse de Langeais — que Ton retrouve a l'origine de films signes de noms dont le moins qu'on en puisse dire est qu'ils sont ceux d'hommes qui n'ignorent rien de leur art ni de leur metier (1) . Ce n'etait d'ailleurs pas seulement la litterature et le theatre qui f ournissaient aux metteurs en scene du «Film d'Art» la matiere premiere qu'ils devaient manufacturer ; 1'Histoire, elle aussi, etait mise a con- tribution dans le studio de Neuilly d'ou sortirent Le Drame de Fontai- (1) Christian- J 'aque et Jacques de Baroncelli. 120 HISTOIRE DU CINEMA nebleau, evocation de la sanglante histoire dont la reine Christine de Suede et l'ltalien Monaldeschi avaient ete les heros ; Camille Desmou- lins avec Lara et Dehelly (encore la Comedie-Francaise) ; Josephine Imperatrice ou furent reconstitutes, avec un luxe pour le moins impres- sionnant, les splendeurs du sacre de Napoleon Ier, telles que David les a representees ; D'un Pape a I'autre, sorte de documentaire, aussi original qu'interessant dont Jean de Bonnefon, qui avait la repu- tation d'etre rhomme de France le mieux informe des choses de la vie vaticane, avait eu l'idee et qui initiait rimmense public des salles de cinema, auquel elles etaient completement etrangeres, aux ceremonies et rites compliques entourant la mort d'un Souverain Pontife et l'elec- tion de son successeur. Ce film etait le premier et il est reste le seul d'un genre ou le cinema aurait pu realiser des ceuvres d'un tres vif inter£t. De son c6te, la S. C. A. G. L. (i) qui, a peine nee, avait immedia- tement eu urie tres grande activite, s'etait attaquee — comme son contrat lui en faisait presque un devoir — aux ceuvres les plus impor- tantes, les plus justement populaires du repertoire des deux grandes societes avec lesquelles elle avait traite. Pour commencer, ce fut L'Arlesienne d'Aphonse Daudet ; L'Assommoir d'Emile Zola avec Arquilliere, Jacques Gretillat, Mansuelle dans les principaux r61es et Le Roi s' amuse de Victor Hugo. Puis vinrent, encore de Victor Hugo : Notre-Dame de Paris avec la danseuse Napierkowska dans le role d 'Esmeralda, Cromwell, Marie Tudor avec Romuald Joube, Quatre- vingt-treize avec Philippe Gamier et Henry Krauss et surtout Les Miser ables qui valut un tres grand et tres legitime succes a Henry Krauss deja nomme (Jean Valjean) entoure de Marie Ventura (Fan- tine), Mistinguett, Etievant (Javert), Gabriel de Gravone ; de Victorien Sardou : La Tosca — mis en scene par l'auteur lui-m&me — oil Ton put voir Sarah Bernhardt et Edouard de Max apres y avoir vu Cecile Sorel et Le Bargy, et Patrie ; d 'Alexandre Dumas : La Reine Mar got ; d'Emile Zola : La Terre et Germinal ; d'Alphonse Daudet : Le Petit Chose ; de Shakespeare : Antoine et Cleopdtre. Le classique lui-m^me fournit sa contribution a cette importante production et les ecrans purent accueillir un Polyeucte et une Athalie avec Jeanne Delvair et de Max, qui, bien que traites avec respect et intelligence, auraient sans doute fort etonne Corneille et Racine. Et, arm qu'il y en eut pour tous les gouts, le melodrame venait a la recousse du classique : Le Courrier de Lyon, Les Deux Gosses (Pierre Decourcelle ne s'oubliait naturelle- ment pas), Roger la Honte. (i) Les principaux metteurs en scene de cette societe furent Denola, A. Numes, Henri Desfontaines, Michel Carre, Henry Krauss. Le directeur artistique en etait Albert Capellani qui mettait lui-meme en scene les films les plus importants. « LE FILM D'ART » 121 Tous ces films etaient realises sous la direction d'Albert Capellani qui assura la raise en scene des plus importants d'entre eux. En allant chercher dans le repertoire theatral les sujets de leurs films, c 'etait un reservoir inepuisable vraiment que les fondateurs du « Film d'Art » et de la S. C. A. G. L. avaient ouvert au cinema. Les ceuvres composant ce repertoire, ceuvres dont les titres etaient aureoles par le succes et dont les signataires jouissaient d'un grand prestige aupres de la foule, possedaient evidemment cet avantage pour des commercants de representer un capital par l'attrait qu'elles avaient pour le public a la memoire ou a l'imagination duquel elles parlaient... Mais combien de dangers elles dissimulaient, le premier etant qu'elles offraient une solution facile a un probleme particulierement delicat et qui est, en fait, celui de la personnalite de l'art cinematographique lui-merne. Des le premier emprunt que le cinema faisait au repertoire theatral, se trouvait creee une routine a laquelle, par la suite, il lui serait difficile sinon impossible d'echapper et, ce qui est plus grave, il avait abdique sa personnalite. Ainsi Taction entreprise par le « Film d'Art » constitue a la fois un progres et une erreur : un progres parce qu'elle a force le cinema a evoluer, a se soucier de certaines contingences, une erreur parce qu'elle a place cette evolution sous le signe de la tradition theatrale au lieu de l'orienter vers la verite particuliere a laquelle le cinema pouvait pre- tendre et c'est Andre Antoine qui aura raison lorsque, interviewe par un journaliste, quelques annees plus tard, il repondra que c'est « des le debut que Ton a tout fausse en construisant des theatres de prise de vues avec l'ambition naive d'y enfermer tous les drames, tou- tes les conceptions plastiques, la nature, la foret, la plaine, la mer... » Antoine a raison quand il affirme que c'est « des le debut » que l'erreur a ete commise, mais il se trompe quand il fait porter la responsabilite de l'erreur au studio qui en est bien innocent, le pauvre : on peut, en effet, faire du cinema en studio, meme quand on y reconstitue une for£t — Fritz Lang l'a bien prouve avec Les Niebelungen et Georges Melies aussi — de me'me qu'il ne suffit pas de mener acteurs et appareils de prise de vues en plein air pour faire du cinema. Ce qui compte c'est l'esprit qui preside a la conception et a la realisation del'ceuvreet ceux qui allaient chercher leur inspiration dans le repertoire theatral igno- raient ou dedaignaient l'esprit cinematographique. Les fondateurs du «Film d'Art » n'avaient pas vu si loin, ceux de la S. C. A. G. L. non plus. Pas plus les uns que les autres, ils n'avaient eu l'intention de retarder revolution de l'art cinematographique en faisant de lui un succedane de l'art theatral. Ce n'etait pas cela qu'ils avaient voulu certes, mais pour n'avoir pas ete voulu le resultat n'en etait pas moins acquis et n'en etait pas moins deplorable. 122 HISTOIRE DU CINfiMA Bientot 1'activite du « Film d'Art » se ralentit. Les hommes qui assu- raient cette activite avaient — artistiquement et humainement — des personnalites trop nettement marquees pour que put etre maintenue entre eux la hierarchie souhaitable ou plus simplement rharmonie sans laquelle un tra.vail d'equipe comme Test la confection d'un film ne peut toe mene a bien, l'accord entre Le Bargy et Calmettes n'etant lui- m£me pas toujours des plus harmonieux. La situation, nee de ce manque d'accord, fut tres vite telle que les fondateurs de l'affaire se retirerent. Et pourtant, au moment ou chacun de ceux-ci allait tirer de son cote, il y avait dans les tiroirs de la direction un scenario qui laissait voir une assez heureuse comprehension des necessites et des possibilites cinematographiques : Le Bois Sacre d'Edmond Rostand. De me'me qu'ils avaient demande des scenarios a Henri Lavedan et a Jules Lemaitre, les dirigeants du «Film d'Art » s'etaient adresses a Tauteur de Cyrano de Bergerac et de V Aiglon qui etait alors au plus haut de sa celebrite. Edmond Rostand avait repondu avec empresse- ment a la demande qui lui etait faite et il avait compose un scenario — il l'avait m&ne ecrit en vers, ce qui etait une idee assez surprenante, mais peut-etre etait-il comme le poete latin qui ne pouvait ecrire en prose ! Le theme de ce scenario etait original et amusant qui montrait une automobile chargee de Parisiennes s'egarant a la lisiere du Bois Sacre et y rencontrant dieux, deesses et divinites de l'Ofympe : con- frontation d'une fantaisie comme le cinema n'en avait encore jamais laisse* voir trace. Ce scenario ne fut jamais realise. C'est regrettable (i). Passe entre les mains de Charles Delac, qui ne changea rien a Fesprit de l'affaire, le « Film d'Art » continua a alimenter son activite aux sources du theatre et du roman : Blanchette et La Role Rouge de Brieux avec Felix Huguenet et Jeanne Delvair ; La Dame aux Camillas avec Sarah Bernhardt qui accepta de tenir devant l'objectif le role qui, sur la scene, lui avait valu tant d'applaudissements, de repeter pendant trois jours et, en outre, de payer les cachets des artistes devant animer aupres d'elle les personnages d'Armand Duval et de Nanine, le tout moyennant une somme de quatre mille francs ! — que diraient, de nos jours, les aspirantes au vedettariat me'me n'ayant jamais mis les pieds dans un studio, si un producteur se permettait de leur offrir pareil cachet ? (2) — Pour la Couronne et Les Jacobites de Francois Coppee; (1) Mais il fut publie par « V Illustration » avec de charmantes aquarelles de Calbet qui font regretter les images qu'il aurait pu inspirer a un homme de talent et de gout travaillant pour I'ecran. Puis il fut presente sur la scene du Theatre Sarah Berhardt (mars 1910) sous forme de pantomime, tandis que Louis Bremont, a V av ant- scene, recitait le poeme d' Edmond Rostand. (2) Louis Delluc pretend que lorsque le film lui fut presente et qu'elle se vit sur I'ecran, Sarah Bernhardt s'evanouit (a Cinema et Cie » Bernard Grasset Edit. Paris 1919.) « LE FILM D'ART » 123 Le Maitre de Forges le plus populaire succes de Georges Ohnet, avec Jane Hading qui en avait ete la creatrice sur les planches, La Comtesse Sarah, Serge Panine, La Grande Marniere, du meme Georges Ohnet avec Adolphe Cande pour vedette, Les Trots Mousquetaires d'Alexandre Dumas — pour la premiere fois ! — Theodora de Victorien Sardou avec la danseuse Sahary-Djeli dans le role de l'imperatrice ; Madame Sans- Gene — pour la premiere fois aussi ! — ou Rejane debuta a l'ecran, entouree de tous les acteurs qui interpretaient au Vaudeville la celebre comedie de Sardou, a l'exception de Gaston Dubosc (le Marechal Lefebvre) remplace par Georges Dorival ; Denise d'Alexandre Dumas fils ; Miquette et sa mere de R. de Flers et A. de Cavaillavet qui valut a Eve Lavalliere l'occasion d'une de ses rares apparitions sur les ecrans. A cote des grands noms de Rejane et de Sarah Bernhardt, ces films f aisaient apparaitre sur les ecrans a peu pres tous les noms de comediens et de comediennes participant a la vie theatrale de Paris, de Cecile Sorel a Polaire, de Regina Badet a Marthe Regnier en passant par Nelly Cormon, Charlotte Wiehe, Dieterle, et de Jean Perier et Max Dearly a Claude Garry en passant par George Grand, Andre Brunot, Jacques Guilhene, Duquesne et Pierre Magnier. Ces noms constituaient de belles amches sur les murs, ils faisaient plus ou moins courir les foules vers les salles obscures, ils donnaient aux directeurs des societes de production et aux metteurs en scene l'illusion d'avoir du talent, voire du genie ! Mais de quel profit etaient- ils pour Tart cinematographique... Et d'ailleurs y avait-il un art cinematographique ? (1) (1) Parmi les acteurs dont on vit encore, plus ou moins souvent, les noms sur les affiches de cinema, il convient d,e citer ceux de Mmes Nelly Palmer, Andree Marly, specialisee dans V interpretation des comedies plus ou moins vaudevillesques, Marguerite Lavigne (qui jut la mere de Bout-de-Zan dans la serie dont ce jeune personnage jut le heros) et de MM. Simon qui jut un des partenaires habituels de Prince-Rigadin, Nauleau et Paul Manson qui participerent a V activite de Louis Feuillade et de Leonce Perret, Paul Chevalet et Maurice Vinot qui furent tues a la guerre, Georges Coquet qui jut un des pensionnaires de Pathe. 10 EVOLUTION DE L/INDUSTR1E (Suite) EFFORTS DIVERS Ce n'etait pas seulement dans la production des films que se manifestait un effort financier et industriel interessant mais encore dans la construction du materiel chaque jour plus important qu'exigeait le developpement du cinema. C'est ainsi que Jules Demaria s'attachait au perfectionnement des appareils qu'il construisait depuis 1897 et que les ateliers de mecanique de precision fondes en 1900 par Debrie se specialisaient dans la cons- truction d'appareils en tous genres (perforeuse, tireuse, etc.) indis- pensables a l'industrie cinematographique, avant de lancer (1908) un nouvel appareil de prise de vues, mis au point par Andre Debrie qui allait revolutionner la technique et connaitre un succes universel (1). En meme temps d'autres maisons de production naissaient. La societe « eclair » Tout d'abord, en 1907, la Societe Eclair dont les fondateurs, Charles Jourjon et Marcel Vandal, n'avaient pas decouvert le cinema derriere un comptoir de marchand de vins ou sur les champs de foire provinciaux mais etaient docteurs en droit. Avec eux une nouvelle generation faisait son apparition dans le monde cinematographique. Bien decides a se donner toutes les armes indispensables pour soutenir la concurrence avec leurs aines Gaumont et Pathe, Charles Jourjon et Marcel Vandal commencerent par f aire construire a Epinay de vastes studios et laboratoires qui connurent tres vite une grande activite. C'est dans ces studios que travaillerent Emile Chautard (2), Maurice Tourneur (3), Jasset (4), Andre Liabel, Joseph Faivre, Robert (1) Munis de perfectionnements sans cesse renouveles, les appareils de prise de vues sortant des ateliers Debrie parvinrent a s'imposer et meme a supplanter en grande partie les appareils americains jusque dans les studios d'Hollywood. (2) Apres avoir tourne L'Apprentie avec Henri Bosc, Emile Chautard en 1914 partit pour I'Amerique ou nous le retrouverons. (3) Comme Chautard, Tourneur alia tenter sa chance en Amerique. (4) Parmi les nombreux films que Jasset realisa pour «Eclair» avant igi4, il faut particulierement signaler une serie de dix bandes dont Marcel Vibert tenait le principal role. Le meilleur de ces films fut Au pays des Tenebres. 126 HISTOIRE DU CINEMA Saidreau, specialise dans les films policiers. De cette importante pro- duction a laquelle aucun genre n'echappe et qui ne se distingue le plus souvent que fort peu de celie qui sort des studios de Vincennes et des Buttes-Chaumont, ce qu'il convient de retenir c'est une Jeanne d'Arc, Les Gaites de VEscadron, La Veuve Joyeuse, In hoc signo vinces ! une Dame de Monsoreau et un Aiglon (i) tournes par Chautard avec Jacques Guilhene dans le role principal ; c'est aussi un Friquet parce qu'il amene pour la premiere fois devant la camera la brune Polaire (2) a qui sa creation theatrale de la Claudine de Willy avait valu une certaine popularity, et une Petite Chocolatiere tiree de la comedie de Paul Gavault, parce qu'elle fournit a Victor Boucher, debutant, la seule occasion qu'il eut de paraitre sur les ecrans avant la naissance du parlant. Mais ce qui caracterise la production de « TEclair », c'est le gout qu'avant tous leurs concurrents ses dirigeants montrerent pour le genre policier. Les premiers, en effet, ils penserent a porter a l'ecran les romans de Gaston Leroux : Le Mystere de la Chambre Jaune, Le Parfum de la Dame en Noir, etc., a cote desquels ils entreprirent hardiment la realisation de deux series de films d'aventures Zigomar et Nick Carter dont les heros allaient tres vite connaitre une popularity largement profitable a leurs producteurs (3). C'etait le romancier Leon Sazie qui avait apporte a a Eclair »l'idee et le personnage de Zigomar ; c'etait lui qui composait les scenarios, dont Jasset etait le metteur en scene. Et ces bandes, qui portaient des titres dont le moins qu'on en puisse dire est que leur auteur ne reculait devant rien pour qu'ils frappassent la curiosite du public (Zigomar Peau d'Anguille, Le Cercueil de Verre), avaient trouve les interpretes dont leur pittoresque avait besoin en Gilbert Dalleu et Paul Guide, bons comediens, en Josette Andriot, en Camille Bardou, machiniste monte en grade, en Bataille, acrobat e, et surtout en Arquilliere, venu endroite ligne du Theatre Antoine dont il etait un des meilleurs pensionnaires, pour incarner le personnage haut en couleurs de Zigomar. Pour Nick Carter, policier flegmatique suivant la formule traditionnelle deja composee par Conan Doyle pour son Sherlock Holmes, c'etait a Pierre (1) N'admettant pas qu'un film put etre tire de cette ceuvre qu'elle avait creee, Sarah Bernhardt fit un proces a Rostand. Les choses s'arrangerent au dernier moment. (2) Polaire ne parut que trbs rarement sur les ecrans. II faut pourtant signaler Le Poison de l'Humanite, film d'Emile Chautard, dont, a la mime epoque, elle fut la vedette. (3) En igi4 « Eclair » sortait regulierement 8 a 10 films par semaine, possedait a tr avers le monde 14 succursales de vente 011 de distribution de ses films et 7 labor atoires de developpement et de tirage et des studios a Epinay, a Fort-Lee (Etats-Unis) et a Vienne. EFFORTS DIVERS 127 Bressol, interprete et a Robert Saidreau, metteur en scene qu'etait confiee la tache de soutenir le match avec le non moins flegmatique Nick Winter auquel les studios Pathe avaient donne naissance (1). Et pendant que les aventures plus ou moins mysterieuses de ces deux series tenaient en haleine les foules populaires, les directeurs de ctl'Eclair » donnaient un gage a leurs gouts personnels et a leur culture en editant chaque semaine une bande d'actualites « Eclair- Journal » pour laquelle ils avaient des correspondants dans tous les pays du monde, notamment aux Etats-Unis et en assurant une production reguliere de films documentaires en couleurs et la serie des films « Scientia » auxquels ils apportaient tous leurs soins et qui pouvaient deja constituer la base d'un enseignement par le cinema dont ils voyaient l'interet. Enfin, a la veille m£me de la guerre, « TEclair » eut l'heureuse idee d'utiliser la popularity dont jouissait alors l'aviateur Vedrines, idee qui donna naissance au film Le Roman de Vedrines. Le celebre pilot e tenait le principal role de ce film qui marqua le debut de la feconde collaboration qui, des lors, va se poursuivre sans interruption entre le cinema et Taviation. La societe « eclipse » A cote de (d'Eclair » (2), (d'Eclipse », pour laquelle travaillent Henry Houry (Les Tout Petits et La Sandale Rouge) et Gaston Roudes qui tourne Le Pouce sur un scenario de Leon Sazie (a qui son rejeton Zigomar a valu la faveur des producteurs) et lance la serie des Arizona Bill avec laquelle il espere concurrencer les films du Far- West que TAmerique commence a envoyer en France oil ils n'ont pas ete longs a faire fureur (3) pendant qu'Henri Desfontaines, qui y a debute par un film d'epouvante dans lequel il faisait grand usage des truquages (La main (1) V. p. 83. (2) En igi2, la Societe c) . 36. Henry Krauss (a gauche) et Paul Capellani (au centre) dans une scene de Quatre-vingt- treize (d'apres Victor Hugo) qu' Albert Capellani realisa en 19 14 et qui fut interdit au debut de la guerre. CINEMA FRANQAIS EN 1914 145 maisons qui se consacrent a l'enregistrement des evenements plus ou moins importants qui constituent la vie du pays et a. la confection de bandes documentaires capables d elargir le domaine de l'information : le journal, le magazine animes ont leur public. Paris a meme en plein boulevard, a deux pas de la Porte Saint-Martin, une salle — ance'tre de tous les « Cineac » — sur l'ecran de laquelle ne sont projetees de dix heures du matin a minuit que des « Actualites ». Documentation et vulgarisation scientifique ? Des 1898, nous l'avons vu, Charles Pathe ouvrait les portes de ses ateliers de Vincennes au docteur Comandon qui y utilisait pour la premiere fois le procede dit « du ralenti ». Mais bientot le docteur Comandon acceptait l'invitation d'Albert Kahn qui, dans une propriete qu'il possedait a Boulogne, mettait a sa disposition un laboratoire plus complet et plus spacieux. La s'etablit la premiere collaboration entre le cinema et le microscope, collaboration qui donne naissance a la « rnicro-cinematographie ». Tres vite, ces travaux, dont les premiers ont eu lieu en 1908, s'afnr- ment d'un vif interet, parti culierement en ce qui concerne l'etude de la cellule. Puis, lorsqu'il eut entre les mains un nouvel appareil construit specialement pour lui par Andre Debrie, appareil qui permettait des enregistrements a des cadences diverses allant d'une image toutes les cinq minutes a deux cent cinquante images a la seconde, le docteur Comandon, seul ou avec l'assistance de M. de Fonbrune, parvint tres rapidement a realiser des documents d'une importance capitale dont certains revelerent des faits biologiques totalement inconnus. C'est encore en 1898 que Marey, a la suite d'un Congres de physio- logic tenu a Cambridge, cree l'institut qui porte son nom ou Ton etu- diera l'enregistrement du mouvement sous toutes ses formes. Des 1907, l'institut dispose d'un appareil construit par M. Athanasiu qui enre- gistre de 120 a 140 images a la seconde et avec lequel le docteur Nogues realise des films d'un tres grand interet. C'est aussi en 1898, nous l'avons vu, que le docteur Doyen pensa a faire enregistrer cinematographiquement une de ses operations chirurgicales (1). Tout ces films, documentaires ou scientifiques, le corps enseignant pensa a les utiliser et a installer des ecrans dans les amphitheatres et les classes, mais c'est seulement au lendemain de la guerre que le cinema commencera vraiment a avoir sa place dans l'enseignement. Quant au film spectaculaire, nous avons dit son developpement et son evolution. II convient pourtant d'indiquer comment les deux pro- blemes qui, des l'abord, s'etaient poses aux realisateurs de films, celui du son et celui de la couleur recurent aux cours des annees 1895-1914 (1) V.p. 68. 10 146 HISTOIRE DU CINEMA des solutions, provisoires en ce qui concerne le premier de ces problemes, presque definitives pour le second. C'est a l'exposition de 1900 que Ton avait pu assister aux premieres manifestations de collaboration entre le cinematographe et le phono- graphe, collaboration quelque peu balbutiante, mais pourtant sufn- sante pourretenir la curiosite du public et prouver a celui qui avait etabli cette collaboration qu'il ne s'etait pas trompe et qu'il ne perdrait pas son temps a rester penche sur ce probleme. Les efforts de Leon Gaumont pour doter le film de la parole peu- vent £tre divises en plusieurs periodes : 1901 : Leon Gaumont prend les premiers brevets ayant trait a un procede de cinema parlant ; 1902 : Leon Gaumont presente au public un premier portrait anime parlant ; (1) 1910 : Leon Gaumont perfectionne ce procede par l'emploi du micro- phone permettant l'impression du disque a distance et amplifie la puissance de la voix enregistree sur le disque par l'emploi du cyclo- phone a air comprime... Et le 27 decembre 1910, par 1 'intermediate de J. Carpentier, Gaumont presente son invention a l'Academie des Sciences en une seance dont voici le proces-verbal tel qu'il a paru dans le « Bulletin officiel » de l'Academie : « M. J. Carpentier presente a l'Academie le « chronophone » de M. Gaumont, appareil constitue par la reunion d'un cinematographe et d'un phonographe parfaitement synchronises et destine a produire les apparences synthetiques de la vie. M. Carpentier donne quelques explications sur la difhculte du probleme ; il indique que de nombreuses tentatives ont ete faites pour le resoudre et signale les interessants travaux que M. Gaumont a poursuivis pour atteindre le but. Ann de faire l'Academie juge de l'etat de la question, un ecran de projection a ete dispose au fond de la salle devant la porte de la piece oil se tiennent les seances ordinaires de l'Academie francaise. A un signal donne, les appareils dissimules dans la piece entrent en fonction et Ton voit apparaitre sur l'ecran 1 'image du docteur d'Arsonval donnant lec- ture de la note suivante ou sont resumees les explications de M. Carpentier : « Le cinematographe, pour nos yeux, enregistre le souvenir du mou- vement, le phonographe, pour nos oreilles, enregistre le souvenir de la parole. Reconstituer l'alliance parfaite des deux instruments, c'est (1) A. -P. Richard precise qu'une des premieres bandes tournees en utilisant le systeme « chronophone » jut une scene de La Parisienne d' Henri Becque. (Histoire de la Technique francaise .«Le Film Frangais*, 24 decembre 1945) CIN£MA FRAN^AIS EN 1914 147 reconstituer le souvenir de la vie elle-m£me. Le probleme est ardu, deux grosses difficultes en compliquent la solution. D'abord au moment de l'enregistrement, le phonographe recepteur ne doit pas paraitre dans le champ de l'objectif ; il doit done £tre eloigne de la source sonore. Ensuite au moment de la restitution, il doit y avoir un synchronisme absolu de marche entre les deux mecanismes repetiteurs qui forcement se trouvent a distance l'un de l'autre. Contre ces difficultes, que de chercheurs dans tous les pays sont venus briser leur ardeur et user leur patience. En France, cependant, un de nos compatriotes, depuis plus de dix annees s'est acharne a les combattre et il n'est pas exagere de dire qu'il est bien pres d'en avoir triomphe. Je ne saurais entrer ici dans le detail des procedes mis en ceuvre : les plus importants ont fait l'objet, de la part de M. Gaumont, de plis cachetes qui ont ete deposes dans les archives de notre Academic Pour mettre en evidence la con- cordance complete qui existe entre le geste et l'articulation, il vous suffira de regarder et d'ecouter... » « L'Academie constate que, si la reproduction de la voix laisse encore un peu a desirer, le synchronisme du mouvement et des sons est par- faitement realise. » Le succes remporte par cette demonstration qui, faisant entrer le cinema a l'lnstitut, montre que les preventions auxquelles il se heurtait, diminuaient, est d'autant plus significatif que, quelques se- maines plus tot, Thomas Edison qui, lui aussi, poursuivait depuis des annees la solution du meme probleme, avait convie quelques journa- listes a assister a une experience a Tissue de laquelle l'un d'eux, apres avoir rappele quelles difficultes presentait cette collaboration tant cherchee du cinema et du phonographe, concluait : « M. Edison peut occuper ses vieux jours en essayant de realiser son ideal de coor- dination de ses deux inventions : s'il n'y reussit pas, il pourra au moins se flatter d'avoir decouvert un tres innocent passe-temps. » Conclusion interessante a plus d'un titre, d'abord parce qu'elle laisse voir que la presse americaine etait persuadee que Thomas Edison etait aussi bien Tinventeur du cinematographe que du phonographe et ensuite parce qu'elle equivaut evidemment a la constation d'un echec et cela a l'heure precise ou, a Paris, l'Academie des Sciences enregistrait la reussite de la demonstration que venait de lui faire Leon Gaumont. Le procede utilise pour cette demonstration etait assez eloigne de celui qui, en 1926, sera lance par les Americains, mais il n'en reste pas moins qu'il constituait une solution sinon definitive, du moins interes- sante du probleme, parce que pratiquement utilisable sans plus atten- dre. Des lors des films parlants prirent place dans les programmes de certains etablissements. C'est ainsi que de 1912 a 1914, l'Olympia en projeta regulierement a chacun de ses spectacles puis le Gaumont- 148 KISTOIRE DU CINEMA Palace imita cet exemple avec un succes d'autant plus significatif qu'il venait d'une assistance de quatre a cinq mille personnes. Mais, si pris qu'il fut par les travaux que necessitait la mise au point de son « chronophone », Leon Gaumont n'oubliait pas que le probleme du film parlant n'etait pas le seul a la solution duquel il s 'etait attache et il ne negligeait pas celui du film en couleurs. II le negligeait si peu qu'en 1912 il presentait au Gaumont -Theatre du boulevard Poissonniere les premiers films en couleurs naturelles, obtenus par l'utilisation du procede trichrome c'est-a-dire par super- position sur l'ecran de trois images monochromes d'un meme objet enregistrees par trois objectifs superposes a travers trois ecrans diver- sement colores. Des lors le probleme de la couleur etait resolu et, passant du Gau- mont-Theatre au Gaumont -Palace, les petits films en couleurs natu- relles purent faire admirer a l'immense public de cet etablissement des fleurs dans des vases de cristal irrise poses sur des supports tournant sous un rayon de soleil ou une projection electrique : les fleurs etaient roses ou jaunes, leurs petales etaient delicatement nuances, les feuilles qui les entouraient etaient vertes, les cristaux transparents avaient des lueurs diaprees et la foule se pamait, n'en croyant pas ses yeux et sen- tant confusement que ce nouveau progres — un veritable miracle ! — qui ajoutait un lien de plus a tous ceux qui ligotaient deja le cinema au realisme n'etait pas le dernier. A peu pres dans le meme temps un autre Francais, Pierre Ulysse qui, depuis de longues annees se livrait aux memes etudes apporta au probleme du cinema en couleurs une solution differente grace a l'utilisation d'un « tube-objectif » contenant trois objectifs differents dont chacun n'enregistrait qu'une couleur, l'utilisation d'un dispositif semblable car l'appareil de projection permettait la constitution de l'image trichrome complete. Ce dispositif pouvait s'adapter a tous les appareils de prise de vues comme a tous les appareils de projection. II fit ses debuts a Londres au printemps 1914 (1). Ainsi, sauf en ce qui concerne le relief dont il semble bien que nul ne se soit alors preoccupe, tout ou presque tout ce qui pouvait etre tente pour faire de l'invention des freres Lumiere ce qu'elle est aujour- d'hui l'avait ete au cours de ces vingt annees qui constituent ce qu'il est convenu d'appeler « l'epoque heroique du cinema ». (1) Le succes fut constate par toute la presse anglaise : « C etait admira- ble », declare le Times du 31 mars. Le Daily Telegraph et le Daily Graphic (mtme date) parlent d'une « revolution dans la photographic animee ». C etait aussi V opinion de V Evening Standard pendant que le Manchester Courrier affirmait avoir deja vu « beaucoup d 'inventions poursuivant le mime objet mais aucune s'approchant autant de la realite ». CIN£MA FRANCAIS EN 1914 149 BlLAN FRAN£AIS Voici le bilan de ces vingt annees, tel qu'il peut £tre etabli pour la France. II est bien entendu qu'au cours de cette periode, des initiatives analogues et non moins importantes ont ete prises dans d'autres pays ayant une activite cinematographique. Nous les retrouverons la oil elles se sont produites. Ce bilan permettra par ailleurs de se rendre compte combien sont nombreuses les manifestations dans lesquelles les Francais ont fait ceuvre de « pionniers » et qui ont un caractere et une portee universels. 1895 : Mise au point de l'appareil de prise de vues et de projection cine mat ographiques par Auguste et Louis Lumiere. 13 fevrier : prise du brevet. 22 mars : presentation des premieres bandes aux membres de la « Societe d 'encouragement a l'industrie nationale ». 28 decembre : premieres seances publiques de projections cinema- tographiques au Salon Indien du Grand Cafe dirige par Clement Maurice. 1895 : premier film piesentant un caractere de « composition » : V Arroseur arrose, de Lumiere. 1896 : premiers reportages cinematographiques par les premiers « chasseurs d'images », Mesguich et Promio. Ouverture des premieres salles de projections cinematographiques dans les grandes villes d'Europe et des Etats-Unis par Mesguich, Promio et Laffont. Premier films utilisant les possibilites artistiques du cinema et creation de la technique cinematographique par Georges Melies. 1896-97 : debuts de l'organisation industrielle et commerciale du cinema par Charles Pathe et Leon Gaumont. 1898 : premiers films scientifiques et premiers films « au ralenti » par le docteur Comandon ; fondation de l'lnstitut Marey. 1900 : premiers essais de film parlant par la collaboration du cine- matographe et du phonographe par Leon Gaumont. 1902 : Realisation de « L'Histoire d'un Crime » premier film de plus de cent metres par Zecca. 1904 : Substitution du systeme de la location des films a celui de la vente aux directeurs de salles par Michaut, Astaix et Lallement. 1907 : Premier dessin anime par Emile Cohl. Fondation de la Chambre syndicale de la cinematographic par Geor- ges Melies. Premier journal d'Actualites filmees par Georges Dureau. 150 HISTOIRE DU CINEMA Realisation par le Dr Nogues (Institut Marey) des premiers films d'enregistrement accelere (120 a 140 images a la seconde). 1908 : Fondation du«Film d'Art»par Laffitte, Le Bargy et Calmettes : apparition de noms d'auteurs et d'interpretes classes en t£te de films. Fondation de la S. C. A. G. L. par Pierre Decourcelle et Eugene Gugenheim pour l'utilisation par le cinema du repertoire des deux grandes societes d'auteurs de France. 1908 : Premier congres international des Producteurs de Films, organise sur l'initiative de Georges Melies. 1906-1910 : Max Linder cree le comique cinematographique. 1910 — 27 decembre : Presentation a l'Academie des sciences du « chronophone », amelioration appreciable de la collaboration du film et du disque pour la realisation du film parlant par Leon Gaumont. 1912 : Presentation des premiers films en couleurs directes par Leon Gaumont . 1912 : Realisation du premier « film a episodes » « Fantomas » de Pierre Souvestre et Marcel Allain par Louis Feuillade. Ainsi, en moins de vingt ans, le Cinematographe, invention fran- caise, avait accompli une evolution des plus complexes et p^n^tre partout ou il pouvait se rendre agreable ou utile et c'etait en France meme qu'il avait trouve a peu pres tous les concours de prescience, d'ingeniosite, de patience dont il avait eu besoin. Mais la guerre va survenir qui depossedera le cinema frangais de la superiorite qu'il s'est acquise et de 1'avance qu'il s'est assuree ; bient6t il ne suffira plus aux quatre-vingt-dix centiemes des besoins de la con- sommation universelle, sa production et surtout son exportation seront d'annee en annee reduites au point qu'a la veille de l'irruption du film parlant ce sera l'Amerique qui fabriquera quatre-vingt-cinq pour cent des films necessaires aux ecrans du monde entier. 13 LE CINEMA ET LA GUERRE LA guerre qui a modi fie beaucoup de choses n'en a bien proba- blement bouleverse aucune aussi profondement, aussi dura- blement que le cinema et ce ne serait pas forcer beaucoup la note que de pretendre que le cinema de 1919 n'aura plus rien de commun avec celui de 1914, rien si ce n'est quelques hom- ines que les evenements ont naturellement depasses et qui vont se reveler completement impuissants en face des consequences que ces evenements auront pour leur metier. Done, partout oil il existait une vie cinematographique, la guerre s'est introduite brutalement clans cette vie et elle s'est imposee a elle, mais si vive qu'ait ete en tous pays cette action, on peut affirmer sans craindre de se tromper qu'en aucun d'eux elle ne fut aussi absolue qu'en France. C'est que, dans l'indifference qu'ils avaient toujours eue pour le cinema, dans l'ignorance ou ils etaient et de la forme que devait prendre une guerre moderne et par consequent des services que le film pouvait rendre a un pays en guerre, les pouvoirs publics n'avaient naturelle- ment pas imagine que le cinema put etre traite autrement que Tagri- culture ni les hommes qui en assuraient l'existence autrement que ceux qui poussaient une charrue ou bechaient leur jardin : tous egaux en face du bureau de recrutement. Des le mois d'aout 1914, les studios avaient done perdu leur per- sonnel technique, artistique et administratif et avaient du fermer leurs portes. Beaucoup de salles en avaient fait autant. Le cinema francais allait-il mourir ? Quelques-uns de ceux qui en vivaient n'y consenti- rent pas. Ils s'employerent — en utilisant toutes les ressources du sys- teme D — a obtenir que la requisition qui avait transforme certains palaces en cantonnements pour territoriaux, quand ce n etait pas en ecuries fut levee et Tautomne etait a peine commence que les membres du personnel auxquels leur age ou leur etat de sante avait valu de ne pas quitter leur foyer reprenaient leur emploi ou leurs fonctions : la production allait pouvoir recommencer. Ce fut tout d'abord une production, si Ton peut dire, « au compte- gouttes » car la pellicule etait rare, la cellulose ayant a satisfaire des besoins plus urgents que ceux de l'ecran et cette production se limi- tait naturellement a ce qu'il est convenu d'appeler des films patrio- tiques. Mais ce n'est pas dans ces films — de genre hybride ou la propa- 152 HISTOIRE DU CINEMA gande se dissimuie dans le meandre des complications romanesques, fait appel au sentiment bien plus qu'a la raison et s'efforce d'emouvoir et m£me d'amuser pour convaincre — qu'il faut chercher a se rendre compte du role veritable que le cinema a tenu dans les pays en guerre et des services qu'il leur a rendus. Dans son ouvrage « L'Imperialisme americain », Octave Homberg a note qu'au cours d'un voyage qu'il avait fait en Amerique pendant la guerre, il avait vu projeter sur un ecran new-yorkais, un filmdontune scene representait, « par anticipation la flotte allemande venue s'em- bosser devant New- York pour se faire livrer l'or des allies et, sous ses boulets, les gratte-ciels tombant comme gigantesques chateau de cartes » (i). Et il attribuait a de tels films une part importante de res- ponsabilite dans la decision que le gouvernement americain prit en 1917 d'intervenir dans la guerre europeenne. C'est la premiere fois que le pouvoir de persuasion de l'image cine- matographique est ainsi hautement reconnu et proclame, mais les gouvernements des pays en guerre n'avaient pas attendu le temoi- gnage d'Octave Homberg pour faire de l'appareil de prise de vues et de l'appareil de projection d'actifs agents de leur cause. La premiere, l'Allemagne s'etait preoccupee de cette question et, des avant la guerre, elle avait organise dans son armee un service cine- matographique qui, des le debut des hostilites, deploya une belle acti- vity. Des operateurs appar tenant a ce service etaient attaches aux Etats-Majors des troupes operant en Belgique et en France et les films qu'ils enregistraient etaient immediatement projetes sur les ecrans des salles publiques. C'etait la de l'information et de la meilleure, qui ne se limitait naturellement pas a l'Allemagne mais se repandait dans tous les pays avec lesquels les communications etaient encore possibles. Bientot le cinema se mit a collaborer a 1'ceuvre de guerre allemande d'une autre facon : des salles de projection destinees aux soldats s'ou- vrirent dans les cantonnements et un service special — la B. U. F. A. — fut cree en 1917, pour administrer ces salles, leur fournir les films dont eiles avaient besoin et en tourner pour leur usage particulier. Ce n'etait pas la mince besogne, car il y eut tres rapidement cinq cents ecrans militaires sur le front occidental et trois cents sur le front orien- tal, mais en s'acquittant a la satisfaction generate de cette tache consi- derable et delicate, le cinema montra ce dont il etait capable a des hom- ines qui jusqu'alors ne lui avaient guere pr£te attention et n'avaient vu en lui qu'un moyen de distraction populaire. (1) Ce film devait etre The Battle-Cry of Peace de Stuart Blackton avec Norma Talmadge pour vedette (191 5) qui fut presente en France sous le titre L' Invasion des Etats-Unis. LE CINEMA ET LA GUERRE 153 Au premier rang de ces hommes se trouverent Krupp — le Krupp des canons — et plusieurs banquiers qui s'associerent pour fonder la premiere grande societe cinematographique allemande, la U. F. A. Ce n'est done pas une facon de parler que d'affirmer que le cinema alle- mand est ne de la guerre (1). Agent d'information, de propagande et moyen de divertissement pour ceux du front non moins que pour ceux de l'arriere, e'est ce que le cinema fut en France comme en Allemagne, mais les services qu'il rendit a la cause francaise ne lui furent pas aussi genereusement ni aussi utilement payes que ceux dont la cause germanique lui etait rede- vable. Quand la guerre eclata, rien, en France, n'avait ete prevu pour permettre au cinema de vivre, nous l'avons dit ; a plus forte raison rien n'avait ete imagine pour lui attribuer un role conforme a ses pos- sibilites dans l'organisation du pays en guerre. La section photographique et cinematographique de l'armee Cet effort d'imagination dont les pouvoirs publics n'avaient pas ete capables, ce fut un journaliste qui le fit, J.-L. Croze (2). Celui-ci qui aimait le cinema et lui f aisait confiance s'en alia trouver, vers le 15 aout 1914, son ami le capitaine Gheusi, ofneier d'ordonnance du general Gallieni, gouverneur militaire de Paris, et lui suggera la creation d'une equipe d'operateurs cinematographistes charges d'enregistrer les ima- ges des evenements qui avaient commence de se derouler. Inutile de dire que le capitaine Gheusi n'avait pas oublie l'homme de theatre qu'il avait ete et que cette proposition lui parut interessante. Malheu- reusement, quand elle arriva au grand quartier general, celui-ci en jugea autrement. Le cinema n'etait pas encore assez grand garcon pour £tre mobilise. Mais a cette epoque l'accord n'etait pas encore fait entre le G. Q. G. et le Ministere de la guerre — le fut-il jamais ? — et le cinema allait profiter de cette dualite d'opinion. Les quatre grandes firmes fran^aises — Pathe, Gaumont, « Eclair » (1) V. vol. II. (2) Auteiw dramatique, J. L. Croze avait eu une piece Laurent jouee a la Comedie-Francaise et il avait compose le livret du ballet Javotte cree a I'Opera-Comique et dont Saint-Saens avait ecrit la musique ; journa- liste, il avait ete courricriste thedtral dans plusieurs journaux avant de tenir la rubrique cinematographique a Comcedia. II fut president de « l' Association professionnelle de la Presse cinematographique » de 1924 a 1928. 154 HISTOIRE DU CINEMA et «Eclipse» — qui avaient chacune une bande hebdomad aire d'actualites a fournir a leurs clients avaient en effet pen.^e que ces « actualites » ne seraient guere d'actualite si elles ne contenaient pas quelques tableaux de la guerre et de ses « a-c6tes » et elles avaient demande au Ministere de la guerre l'autorisation pour chacune d'elles de filmer dans la zone des armees. Alexandre Millerand, qui regnait alors rue Saint-Dominique, repondit favorablement a cette requite et permit a chacune des quatre firmes de choisir un de ses operateurs mobilises qui serait ofhciellement habilite a promener son appareil de prise de vues partout ou le chef de la Section d'Information du Ministere le jugerait utile et possible. Les dirigeants des Maisons interessees designerent immediatement Alfred Macliin, Edgard Costil, Georges Maurice et Emile Pierre a qui il ne restait plus qu'a donner un chef. Le chef de la section d'information, le commandant Carence, qui etait au courant de la proposition faite a son camarade Gheusi et qui entendait rendre a Cesar ce qui apparte- nait a Cesar et au lieutenant Croze ce qui venait du journaliste conna au lieutenant-journaliste la direction de l'escouade que constituaient les quatre operateurs : le cinema, pour son entree dans la vie militaire et dans la guerre, aurait vraiment eu mauvaise grace a se plaindre : la ou suffit ordinairement un caporal.on lui donnait un lieutenant... La a Section Cinematographique de l'Armee » etait nee. Elle allait tres rapidement se developper car on s'apercut bient6t que les operateurs qui la constituaient et dont le courage etait egal a leur conscience et a leur experience professionnelles • — un d'eux, perche sur un toit et tant bien que mal dissimule par un tuyau de cheminee, ne reussit-il pas a filmer l'entree des troupes allemandes dans Amiens et a rapporter ses boites de pellicule en passant a travers les lignes ennemies jusqu'a Paris ou la censure en interdit la projection? — etaient trop peu nombreux, que le front etait long et qu'ils ne pouvaient etre a la fois partout ou il y avait quelque chose a cinematographies Le lieutenant Croze fut done autorise a f aire de son escouade une unite qui correspondit plus exactement au titre qu'elle portait : de nouveaux operateurs furent done enleves a leurs corps et mis au service du cinema qui, des que la Maison de la Presse fut creee, s'installadansl'immeuble du 3, rue Francois Ier ou, en depit de toutes les attaques et de toutes les intrigues, l'important et multiple organisme qu'elle constituait demeura jusqu'a la fin de la guerre. Rue Francois Ier, la Section Cinematographique de l'Armee setrouva voisiner avec la Section Phot ographi que de l'Armee qui, a peu pres dans le m^me temps et dans les memes conditions avait ete constitute sur l'initiative du critique d'art, Pierre Marcel, professeur d'Histoire a l'ecole nationale des Beaux-Arts. Pendant plus d'un an, les deux sec- tions, independantes l'une de Tautre, bien que sous le contr61e unique LE CINEMA ET LA GUERRE 155 du capitaine Delhorme, s'acquitterent de la mission d 'information et de documentation qui leur avait ete confiee, mais a mesure que leur activite se developpait, on se rendait de plus en plus nettement compte que les domaines a l'interieur desquels chacun des deux groupements operait se confondaient sur bien des points et que les resultats, deja fort heureux, qu'ils avaient obtenus serai ent singulierement facilites si les deux sections n'en faisaient plus qu'une. C'est ce qui se produisit au debut de 1916 : la cloison entre les deux organismes fut supprimee et de cette operation toute simple naquit « la Section Photographique et Cinematographique de l'Armee » (S. P. C. A.) qui fut chargee de s'occuper de tout ce qui avait trait a l'image fixe ou animee au service du Pays. Ce fut le lieutenant Pierre Marcel qui en assura l'administration gene- rale et la direction pour tout ce qui concernait les relations avec la presse, tant francaise qu'etrangere, avec les maisons de production cinematographique et les etablissements de projection ainsi que pour les questions de propagande, de censure et de constitution d'archives, pendant que le lieutenant Croze avait le commandement des equipes d'operateurs, tant photographes que cinematographistes, dans la zone des Armees. Administrativement, l'existence de «la Section Photographique et Cinematographique de l'Armee » etait assez complexe : dependant du Ministere de la guerre (cabinet du ministre) pour tout ce qui etait mili- taire, elle dependait en meme temps de la Direction generate des Beaux- Arts pour les locaux qu'elle occupait rue de Valois et pour une partie des credits dont elle disposait et aussi du Ministere des Affaires etran- geres pour toutes les questions de propagande a l'^tranger, ce pourquoi elle emargeait aux fonds secrets. Son personnel qui n'avait tout d'abord compris que des operateurs photographes et cinematographistes s'elargit rapidement par l'adjonc- tion de journalistes et d'hommes de lettres ainsi que de metteurs en scene et d'hommes rompus aux affaires de cinema, choisis pour leurs aptitudes et sans distinction d'origine militaire. Mais a partir de l'ete 1916 le personnel de « la Section Photographique et Cinematographique de l'Armee » n'eut plus le droit d'etre compose que d'hommes apparte- nant au service auxiliaire, ce qui rendit son recrutement assez difficile quand, apres l'offensive avortee du printemps 1917, le grand quartier general, soucieux de remonter le moral des troupes decida la creation de douze cents postes de projection cinematographique dans les canton- nements, les gares regulatrices, etc. (en un mot partout oil des hommes avaient a sojourner dans l'inaction (1). Le fonctionnement de chacun (1) Du meme coup fut supprimee I'cGLuvre du Cinema aux Poilus » ceuvve a" initiative privee qui, pendant de longs mois, avait rendu les plus grands services. 156 HISTOIRE DU CINEMA de ces douze cents postes exigeant deux hommes, c'etaient avec les remplacants, d'autant plus necessaires qu'il y avait tou jours une forte proportion d'indisponibles parmi les auxiliaires et que la recuperation faisait en outre des vides frequents dans leurs rangs, c'etaient trois mille hommes a trouver, a assembler, a instruire, car il n'y avait pas dans toute l'armee trois mille hommes connaissant le maniement d'un appareil de projection cinematographique. De toutes ces difficultes la S. P. C. A. vint a bout dans un delai record puisque, quand au lende- main de Caporetto les troupes du general Fayolle se rendirent en Italie, tout le long du trajet elles trouverent installe, dans chacune des gares ou les convois faisaient une halte de quelque duree, un ecran sur lequel se deroulait un programme que souvent n'eut pas renie une salle des grands Boulevards : n'est-ce pas grace a ces ecrans que certains mobi- lises decouvrirent « Chariot » ? Et pendant que ces postes de projection s'installaient dans les gares, du front f rancais au front italien, une equipe d 'operateurs de prise de vues accompagnait l'etat -major de l'armee Fayolle car il y avait des deta- chements de la S. P. C. A. partout ou il y avait des soldats francais : au Maroc, en Afrique occidentale, en Palestine, a Athenes, en Egypte, a Salonique, (i) ainsi qu'a bord de certaines unites de la flotte. Une des critiques le plus souvent adressees a 1' Administration fran- chise — civile ou militaire — est de ne pas savoir utiliser les compe- tences. A ce reproche, la S. P. C. A. doit echapper car, a l'exception des hommes recrutes un peu partout pour constituer les equipes char- gees d'assurer le fonctionnement des seances dans les cantonnements, tous les mobilises qu'elle accueillit dans ses rangs etaient des specia- listes. C'est ainsi que figurerent a son effectif des hommes comme Louis Aubert, comme Paul Kastor et Lallement (directeurs de l'Agence gene- rale cinematographique), comme Abel Gance, Marcel L'Herbier, Henry Desfontaines, Georges Lacroix, Alexandre Devarennes, Andre Heuze, Jean Durand, Andre Hugon, Jean Benoit-Levy, metteurs en scene ou scenaristes, sans parler des operateurs de prise de vues — les seuls qui n'appartinrent pas a la S. P. C. A. etant ceux qui, comme Jules Kruger, comptaient deja a l'effectif des services specialises de l'aviation. Toute la pellicule impressionnee par les operateurs etait centralisee a la Direction de la section ou un personnel militaire la developpait — sous la direction du lieutenant Jougla — et en composait chaque se- maine une bande d'environ deux cent cinquante metres qui, sous le (i) Le chef du detachement de Salonique jut, tant qu'il y eut une armee d' Orient, le sous-lieutenant Delac, directeur du « Film d'Art » qui par lasuite devint President de la a Chambre Syndicate Francaise de la Cinemato- graphic ». LE CINEMA ET LA GUERRE 157 titre Les Annates de la Guerre, etait fournie aux etablissements de pro- jection publique et envoyee a l'etranger ou la S. P. C. A. entretenait des correspondants qui en assuraient la diffusion. Naturellement ces bandes hebdomad aires etaient soumises a l'examen d'un comite de censure dans lequel les differents ministeres ou services interesses etaient represented . Les consignes auxquelles obeissait ce comite etaient les monies que celles qui regissaient la Presse : eviter tout ce qui pouvait fournir un renseignement a Tennemi et non moins soigneu- sement tout ce qui pouvait affaiblir le moral de l'arriere. En fait ce qui pouvait £tre montre se reduisait a peu de choses : revues, denies, remises de decorations, visites de personnalites, scenes de canton- nements (1). Malgre cela, des films de tout premier ordre furent realises qui n'etaient pas montres mais envoyes au service des Archives ou Leon Poirier et Raymond Bernard les trouverent et purent en utiliser telle ou telle partie pour leurs films Verdun, vision d'Histoire et Les Croix de Bois (2). C'est ainsi qu'a Verdun, notamment pendant la seconde phase de la bataille, sur la Somme en 1916, lors de l'offensive de Nivelle en 1917, comme sur le Vardar, les operateurs de la S. P. C. A. qui, a force d'insistance, avaient fini par obtenir l'autorisation d'ins- taller leurs appareils jusque dans les tranchees de premiere ligne et m£me d'en sortir avec les vagues d'assaut (3) enregistrerent des ta- bleaux d'une valeur considerable tant du point de vue documentaire que du point de vue cinematographique. Plusieurs d'entre eux furent blesses dans raccomplissement de leur mission, notamment le lieu- (1) La S. P. C. A. impressionna, de 1914 a 1919, deux cent cinquante mille metres de pellicule, cent cinquante mille plaques photo graphiques, vingt mille plaques stereoscopiques. (2) A la fin de la guerre, lorsque la S. P. C. A. jut supprimee, une societe anonyme, creee pour une duree de trente ans, « Les Archives d' Art et d'His- toire » la remplaca. Placee sous le patronage du Ministere de Vlnstruction publiqvie et des Beaux- Arts, installee dans une dependance meme du Minis- tere, elle recueillit toutes les archives constituees par la S. P. C. A. Mme Laure Albin-Guillot, photo graphe, recut la direction de cette societe. D 'autre part, VArmee, une fois la Paix revenue, ne se desinteressa pas complete - ment du cinema. En 1924, VEtat-major pensa que le cinema pouvait etre un excellent moyen d'enseignement. Des experiences ayant ete tentees dans plusieurs corps d'armee, une section speciale du Service geographique de VArmee, « la Section de VEnseignement par V Image » jut creee avec charge de jabriquer et de repartir les films necessaires, d' entretenir les appareils. Son personnel se composa de quatorze specialistes. (3) Ce jut le cas notamment du Tunisien Samama Chikli qui, au Chemin des Dames, sortit de la tranchee, portant sous son bras son appareil dont, tout en marchant, il touvnait la manivelle. 158 HISTOIRE DU CINEMA tenant J.-L. Croze ainsi que les operateurs Quintin et Sauvageot. D'autres obtinrent des citations bravement meritees (1). A cote des Annates de la Guerre, la S. P. C. A. produisit un certain nombre de films plus importants : Verdun, La Bataille de la Somme, Avec V Armee d 'Orient, Le Maroc pendant la Guerre, L' Aide des Colonies a la France, Des canons, des munitions ! La Femme frangaise pendant la Guerre, Les Enfants de France, Paris et la Guerre, La France et ses Allies qui depassaient en importance tout ce qui avait ete fait jusqu'alors dans le domaine de l'information. Encouragee par le succes que ces films remportaient partout ou ils etaient projetes et faisant un pas de plus dans la voie de la propagande, la S. P. C. A., a la veille de l'entree en guerre des Etats-Unis, entreprit un grand film de caractere moins documentaire que ceux dans la realisation desquels elle s'etait prece- demment cantonnee. Ce film, destine a rappeler au grand public les liens qui, a travers l'Histoire, unissaient traditionnellement la France et les Etats-Unis et a definir la position de l'Amerique a l'egard des deux groupes de belligerants, fut realise par une equipe uniquement composee, du moins dans ses elements masculins, de mobilises : Trois Families — la famille francaise, la famille americaine francophile, la famille americaine germanophile — avait pour scenaristes Rene Jeanne et Henri Hertz, pour metteur en scene Alexandre Devarennes (tous trois appartenant a la S. P. C. A.) et, pour interpretes, Severin-Mars, Jean Toulout, Henri Bosc, Erhile Drain, J. Coizeau, Max Barbier (tous mobilises, mis en conge et ne touchant pour cachets que leur pr£t), Berthe Jalabert et Suzanne Bianchetti. Ce film arriva un peu tard pour que Ton put croire qu'il avait eu une influence quelconque sur les eve- (1) Les membres des equipes qui assuraient le fonctionnement des seances de projection dans les canlonnements ne furent pas plus epargnes que leurs camarades de la prise de vues, leur emploi n'etant pas aussi exempt' de danger qu'on pourrait etre tente de le supposer. C est ainsi que, lors de l' offensive du 27 mai igi8 qui mena les Allemands du Chemin des Dames aux rives de la Marne, deux operateurs surpris dans leur cantonnement par la brusque attaque, chargerent sur leur dos tout ce qu'ils parent de leur materiel, brulerent ou detruisirent le resle afin de ne rien laisser aux mains des Allemands et ne reussirent a s'echapper que de justesse. Dans un autre cantonnement, une autre equipe, pour sauver les appareils et les films dont elle avait la charge, les confia au major du cantonnement qui dirigeait V evacuation sous un bombardement que chaque seconde faisait plus dan- ger eux. Puis quand tout fut charge dans un camion, comme les deux hommes ne paraissaient nullement presses d' alter se mettre a I'abri, le major leur demanda ce qu'ils attendaient : « Un recu ! » repondit celui des deux qui, sans galon, avait la direction de V equipe. Rien que dans ce service de projection dans les cantonnements, la Section photo graphique et cinematographique de V armee compta quatre morts, tin blesse ampute et decor e de la Medaille militaire et plusieurs prisonniers. LE CINEMA ET LA GUERRE 159 nements mais il connut un succes tel que, dix ans apres la fin de la guerre, il etait encore projete sur des ecrans de petites villes par un impresario adroit qui, a la liquidation de la S. P. C. A. l'avait achete et lui avait enleve son titre original pour lui donner tout simplement celui d'un des romans de guerre les plus justement celebres : Le Feu auquel il avait pourtant estime prudent d'ajouter ces deux dates : « 1914-1918 », precaution qui s'avera utile puisque Barbusse perdit le proces qu'il lui intenta. Chacun des pays en guerre eut dans son armee un service cinema- tographique organise a peu pres sur le modelede «la Section Photogra- phique et Cinematographique » de l'Armee francaise, l'armee beige com- me l'anglaise, l'americaine comme l'italienne et a chacun de ces pays le cinema rendit les services qu'on attendait de lui. Ainsi, informateur capable d'etre compris sous toutes les latitudes, sur les deux rives de tous les oceans, le cinema, quatre annees durant, s'employa avec tous les moyens dont il disposait a demontrer que le pays sous le drapeau duquel il combattait etait le seul en possession de la Lumiere, de la Verite, de la Force et de la certitude de la Victoire prochaine. C'est lui aussi qui se chargea de faire comprendre aux peu- ples courbes sous le joug de la guerre que leurs droits, leurs libertes avaient a subir des restrictions inevitables et chaque jour plus severes, ce qui ne devait pas les empScher de souscrire avec empressement aux emprunts grace auxquels la guerre ne courrait pas le risque de prendre fin faute de subsides. Moyen d'expression international, veritable espe- ranto que chacun pouvait comprendre sans faire d'infidelite a sa langue natale, le cinema, qui aurait pu £tre le plus emcace, le plus irresistible moyen de rapprochement entre les peuples s'est trouve par un jeu tragiquement ironique du Destin dans l'obligation de prouver pour la premiere fois sa puissance en semant et en developpant des sentiments de haine et en collaborant a la plus detestable des ceuvres de destruction et de mort. Fournir au cinema une occasion d'exercer son activite dans des voies ou il ne s 'etait jusqu'alors hasarde que tres timidement et de montrer son pouvoir etait un effet de la guerre qui deja ne manquait pas d'importance mais ce n'etait la que bien peu de chose a cote du bouleversement que la guerre allait apporter a l'ordre international selon lequel le cinema vivait. Consequences de la guerre En 1914, nous l'avons dit, la France produisait quatre-vingt-dix pour cent des films que les ecrans consommaient. La guerre une fois 160 HISTOIRE DU CINEMA declaree et la production brusquement arretee du fait de la fermeture des studios, ses stocks lui permirent de continuer pendant un temps d'exporter vers les pays neutres les films dont ceux-ci avaient besoin. Mais l'ltalie, les pays scandinaves et surtout l'Amerique qui commen- cait a avoir une production importante et qui n'attendait qu'une occa- sion pour lancer cette production a travers le monde, car elle suppor- tait mal de recevoir de France plus de films qu'ellen'enexportaitdans le monde entier ne furent pas longtemps avant de pro titer de cette situa- tion. L'ltalie, elle, n'en beneficia que pendant quelques mois car, des son entree en guerre, au printemps 1915, elle s'en vint tenir compagnie a la France parmi les victimes de la guerre et bientot de l'Amerique. Les pays scandinaves — particulierement le Danemark — qui pouvaient jouer sur les deux tableaux et qui continuaient a compter parmi leurs clients la France, l'ltalie et l'Angleterre — sans parler de la Russie — aussi bien que l'Allemagne et l'Autriche, se defendirent un peu mieux et un peu plus longtemps mais le jour vint oil, malgre tous leurs efforts, ils durent battre en retraite sous les assauts repetes des commercants americains. Quant a l'Allemagne, que le blocus privait pratiquement de relations avec l'Amerique, elle resta en dehors de Taction que celle-ci avait entreprise pour developper ses affaires cinematographiques en Europe et elle continua a demander au Danemark et dans une pro- portion beaucoup plus f aible a la Suede les films dont elle avait besoi* et cela jusqu'au jour oil, ayant organise sa production, elle put se suffire a peu pres a elle-me'me. Ayant une production qui etait loin de repondre a ses besoins, n'ayant — et ne devant jamais avoir — qu'un gout tres modere pour les films que les pays scandinaves lui envoyaient, privee de la produc- tion italienne ou n'ayant plus a sa disposition qu'une production ita- lienne restreinte, la France etait une proie tentante et facile pour le cinema americain. La conquete des ecrans francais par les commercants d 'outre- Atlantique n'aurait pourtant pas ete si facile si ceux-ci n'avaient trouve en France m£me des appuis — on pourrait dire des complicites — qui non seulement leur livrerent les clefs de la position mais m£me lui en ouvrirent les portes. Les seances de spectacle cinematographique duraient alors plus de trois heures et pour composer les programmes il fallait au moins un — et souvent deux — grands films, un comique, un documentaire et les « actualites ». Comme les programmes se renouvelaient dans tous les etablissements sans exception chaque vendredi, c'etaient deux cents films par an que consommait chaque etablissement et un directeur n'avait d'autre preoccupation que de s'assurer ces deux cents films. En face de cette preoccupation aucune consideration n'avait de valeur. Comment dans ces conditions les commercants, souvent un peu simples, 37- Une scene de Trois Families, d' Alexandre Devarennes. (Film de la Section Photo- graphique et Cinematographique de I'Armee, igij). 38. Le « Reveil des Morts » dans J' accuse ! d'Abel Gance (1918). 39- Sarah Bernhardt et Gabriel Signoret devant la cathedrale de Reims dans une scene de Meres Francaises, de Jean Richepin et Louis Mercanton. LE CINEMA ET LA GUERRE 161 qu'etaient alors les exploitants auraient-ils su fermer l'oreille aux pro- positions des representants du cinema americain lesquelles, il faut le reconnaitre, bien que des plus prosaiques, ne manquaient pas de seduc- tion : « Vous avez besoin de deux cents films par an, vous les aurez , ne craignez rien ! » Rassures sur l'avenir immediat de leur exploitation, les directeurs etaient incapables de penser aux consequences plus ou moins lointaines de cette abdication. Non moins insouciants, non moins coupables furent ceux qui, incapables de laisser echapper si belle occa- sion de gagner de I'argent sans grands risques, aiderent les dirigeants des grandes firmes americaines a ouvrir des agences en France et a faire ce qu'il fallait pour qu'au regard de la loi ces agences fussent des entre- prises franchises, ce qui tres rapidement devait permettre au cinema americain de faire partie des organismes charges de defendre les inte- rns du cinema francais (i). La guerre n'etait pas finie que la France etait toute prete a devenir, pour les Etats-Unis, la plus belle, la plus productive de ses colonies cinematographiques. Cette conqu£te avait ete d'autant plus facile que les films qui arri- vaient d'Amerique possedaient tout ce qu'il fallait pour se faire, par- tout ou ils devaient £tre projetes, une place enviable. lis jouissaient d'abord de cette qualite a laquelle il est tres difficile de resister, en France moins encore peut-etre qu'ailleurs : l'attrait de la nouveaute. Le moindre des films americains apportait aux spectateurs francais quelque chose de nouveau et ce quelque chose etait intellectuellement au niveau du moins exigeant d'entre eux, celui-la qui n'oublie jamais completement que les meilleurs moments de son enfance ont ete ceux qu'il a passes a jouer « aux gendarmes et aux voleurs ». Et comme les parties de « gendarmes et voleurs » dont les films americains lui mon- traient les peripeties se deroulaient dans les paysages chers a Fenimore Cooper, comment le spectateur francais, qui conserve le souvenir de ses premieres lectures non moins fidelement que celui de ses premiers jeux, aurait-il pu resister aux seductions des films americains ? Si Ton ajoute que ceux-ci, ayant deja eu une enorme clientele dans leur pays d'origine, pouvaient £tre loues aux exploitants frangais moins cher que n'importe quels autres films, fussent-ils francais, car ce n'etait pas avant tout un benefice commercial queleurs producteurs cherchaient, on comprendra sans peine que, lorsque rindustrie cinema- tographique francaise tenta de se reorganiser afin de pouvoir vivre, (i) C'est payee que les agences et succursales des -firmes americaines installees en France, etant societes legalement frangaises, etaient representees a la Chambre Syndicate que celle-ci n'a jamais pu se dire « Chambre Syndi- dicale de la Cinematographic Frangaise » mais seulement « Chambre Syndicate Frangaise de la Cinematographic » ce qui n' est pas du tout la meme chose. 11 162 HISTOIRE DU CINEMA elle ne retrouva plus les debouches qu'elle possedait avant la guerre car il n'est pas besoin de dire que ce que l'Amerique avait fait pour con- querir les ecrans francais elle l'avait fait avec la m&me audace, la mgme perseverance et le m&me bonheur dans tous les pays qui, avant 1914, etaient les clients du cinema francais. Sans vouloir accorder au cinema une importance exageree, peut- ^tre peut-on dire que ce transfert de la maitrise du marche cinemato- graphique de France en Amerique est une des consequences importan- tes de la guerre car il est impossible de juger de l'influence que ce fait exerca dans la vie des peuples. D 14 LES FILMS DE GUERRE es les premiers mois de la guerre naquirent, nous l'avons dit, dans tous les pays en armes des films dont les producteurs et les auteurs obeissaient a des preoccupations d'ordre a la fois commercial et sentimental : repondre aux idees et aux sentiments que les evenements faisaient naitre dans les esprits et dans les cceurs, entretenir ces sentiments a des fins nationales et tirer de l'exploitation des films charges d'atteindre ce but les justes benefices commerciaux que comporte toute initiative intelligente. (Euvres de circonstance, films patriotiques dans le sens le plus banal, le plus galvaude de cet adjectif peut-Stre, mais « films de guerre », c'est-a-dire des films donnant de la guerre une image comme seul le cinema peut en composer, certes non ! II etait d'ailleurs trop tot pour que Ton put faire de veritables « films de guerre » : l'ceuvre cinemato- graphique comme rceuvre litteraire a besoin d'un certain recul. Les films de guerre devaient venir plus tard, quand la guerre serait finie (i). En attendant, ce que le cinema francais donnait en pature aux ecrans, c'etaient des bandes qui artistiquement et intellectuellement avaieni a peu pres la m£me valeur que ces chansons qui, au lendemain de la guerre de 1870-71, avaient, des annees durant, amene une larme dans les yeux de nos grands -parents : « lis ont brise mon violon ! » et « Sentinelles, ne tirez pas, c'est un oiseau qui vient de France ! » Ces films, improvises dans une hate plus ou moins heureuse, n'avaient pas exige un bien gros effort intellectuel de la part de leurs auteurs qui etaient tout simplement alles chercher leur inspiration dans les recits que publiaient les journaux et qui, tres vite, etaient entres dans le domaine de la legende populaire : Les gants blancs de Saint-Cyr, Les Hews de V Yser, La Maison du Passeur, La Fille du Bourgmestre. Des qu'ils arriverent sur les ecrans, ces films connurent le succes aupres d'un public incapable de resister aux sonneries de clairon, aux roule- ments de tambour et aux fanfares dont leur projection etait accompa- gnee. Les producteurs auraient done pu se contenter de refaire des Gants blancs de Saint-Cyr, des Maison du Passeur jusqu'a la fin des hoetilites — ou du moins jusqu'a ce que les spectateurs eussent cesse d'etre sensibles aux accents du « Chant du Depart » et de la charge — (1) C'est, en efjet, seulement en 1925 que Von vit un veritable film de guerre : La Grande Parade de King Vidor qui arriva en 1926 en Europe ou elle provoqua la naissance de plusieurs films dont les auteurs ne cacherent pas leur intention de donner une replique au film americain. 164 HISTOIRE DU CINEMA mais tenant sans doute a &tre « a la hauteur des circonstances », au bout de quelques mois, ils entreprirent des bandes d'une inspiration moins anecdotique, des bandes ou il y avait des conflits de sentiments, sinon d'idees comme certains d'entre eux etaient tentes de le croire, des bandes auxquelles ils attachaient une importance qu'elles n'avaient qu'en raison de leur metrage et de leurs pretentions : L' Union Sacree, Les Poilus de la Revanche, Les Fiances de 1914, Noel de guerre, (scenario de Felicien Champsaur et interpretation de Leon Bernard), Les Fron- tier es du Cceur, d'apres un roman « patriotique » de Victor Margueritte qui venait de connaitre la faveur d'un important public, Amour sacre, Cceur de Francaise, adaptation d'un melodrame d'Arthur Bernede qui, a la veille de la guerre, avait fait courir les foules populaires a TAmbigu. « L'Ame du Bronze » De .cette production, ou chaque film ressemble a tous les autres, il n'y a guere que trois titres meritant d'etre retenus : Alsace parce que la grande comedienne qu'etait Rejane y reprit le role qu'elle avait cree" sur la scene et que ce film lui permit de faire sur les ecrans la deuxisme des trois apparitions dont elles les honora au cours de sa longue et belle carriere (1) ; Meres Francaises dont Jean Richepin (2) ecrivit le scenario pour Sarah Bernhardt qui, avec Gabriel Signoret pour partenaire en tourna certaines scenes a Reims devant la cathedrale mutilee, sans parvenir a s'assurer l'indulgence de Louis Delluc qui ecrivait : « Sarah Bernhardt y vit aussi peu que la cathedrale de Reims. Quand on la voit dans ce film, on songe que la magique amie de Racine n'est pas chez elle dans ce monde obscur, balbutiant et titubant », non plus que celle de Canudo qui y voit « un de ces films dits de propagande que des_ metteurs en scene, habilles ou non de bleu horizon, fabriquaient pour le compte du Gouvernement », et enfin L'Ame du Bronze d'Henry- Roussell avec Harry Baur pour principal interprete, L'Ame du Bronze dont Louis Delluc, a qui il faut toujours revenir car il etait le seul critique de l'epoque, disait que c'etait « un evenement tres flatteur pour le cinema francais ». II n'arrive pas souvent qu'un film francais juge excellent par des Francais, puisse continuer a paraitre excellent au dela des frontieres. Cette fois reellement, materiellement, la France (1) Les deux autres creations cinematographiques de Rejane sont Madame Sans-Gene et Miarka, la fille a l'Ourse. (2) Celui-ci, qui avait deja ete le partenaire de Sarah Bernhardt dans Nana-Sahib a la Porte Saint-Martin en 1883, tint un petit role dans ce film mis en scene par Louis Mercanton. FILMS DE GUERRE 165 va visiter le monde sous la forme tangible, intelligible et intelligente d'un bel argument. La guerre est la dedans vivante et vraie. On nous a epargne la redondance d'un patriotisme phraseur et vain. On ne peut que vanter et meme admirer L'Ame dn Bronze... Feerie moderne de la metallurgie... C'est beau comme une page de Verhaeren. Voila la vraie poesie, la plus haute que puisse viser le cinema sauf quand il stylise. » Ainsi le role de propagande que le cinema peut jouer — c'etait une des revelations que la guerre avait values aux amis, aux zelateurs du cinema — se trouvait rempli par le film d'Henry-Roussell, malgre tous les Poilus de la Revanche et autres Fiances de 1914. C'etait aussi ce r61e que s'efforcait de tenir, loin de France, Leonce Perret — le « Leonce » des petites comedies qui, a la veille de la guerre, tenaient une des pre- mieres places dans la production de Gaumont. Apres avoir ajoute un film qui n'etait pas indispensable, Leonce aime les Beiges a l'abondante serie qu'il avait deja realisee dans les studios des Buttes-Chaumont, Leonce Perret s'etait embarque pour New- York ou il avait commence a tourner Marraines de France, Une page de gloire et surtout La Fayette, nous void ! films animes des meilleures intentions qui arrive- rent a point nomme pour montrer aux Americains combien ceux dont ils se rapprochaient chaque jour un peu plus etaient dignes de leur sympathie et de leur secours. Mais deja la guerre approche de sa fin. L'heure est peut-£tre venue ou un « film de guerre » va pouvoir naitre. C'est sans doute ce que pense Abel Gance que les grandes entreprises n'ont jamais effraye, initiative heureuse qui va doter le cinema francais d'une de ses oeuvres les plus hardies, les plus originales : J' Accuse ! « J' Ace use ! » Abel Gance etait mobilise a la Section Photographique et Cinema- tographique de l'Armee quand il fut mis en sursis pour faire Mater Dolorosa et La Dixieme Symphonie (1). Fort de ces deux films qui avaient attire sur lui l'attention sympathique de tous ceux qui souhai- taient un renouveau du cinema francais, il avait entrepris J' Accuse! en collaboration avec Blaise Cendrars qui, a peine reforme apres amputa- tion d'un bras, lui apportait de la guerre une experience qu'il ne posse- dait pas. J' Accuse! n'est — en ce qui concerne le sujet — qu'un sombre melo ou Ton voit la femme d'un soldat francais violee par un Allemand et avoir de lui un enfant pendant que son mari et un jeune poete (1) Pour les debuts d' 'Abel Gance, v. p. 182. 166 HISTOIRE DU CINEMA amoureux (Telle rivalisent d'heroisme et meurent cote a c6te — on retrouvera en 1928 le meme trio dans la meme situation dans L' Equi- page, autre film de guerre. Mais ce n'est pas cette situation, si fertile en peripeties dramatiques qu'elle puisse etre, qui constitue dans l'esprit de son auteur le sujet de J' Accuse! Ce sujet c'est la guerre, Timbecillite de la guerre, l'inutilite de la guerre : ll tient tout entier dans ces quelques mots que le heros du film, le poete, revenu dans son village, adresse a ses concitoyen? : « J'etais de faction, ce soir-la, sur le champ de bataille... II y avait la tons vos morts... Tous vos chers morts... Alors, s'est produit ce miracle : un soldat s'est releve lente- ment sous lalune, pres de moi... Je me suis enfui epouvante, mais tout a coup le mort a parle... J'ai entendu qu'il disait : « Mes amis, il faut « maintenant savoir si nous avons servi a quelque chose ! Allons voir « au pays si Ton est digne de nous, de notre sacrifice !... Levez-vous ! « Levez-vous tous ! » Et les morts, alors, ont obei.. . J'ai couru devant eux pour vous prevenir ! . . . Us sont en marche ! lis viennent ! lis seront la tout a l'heure ! Et vous aurez a leur rendre compte ! Et ils retourne- ront dormir avec joie si leur sacrifice a servi a quelque chose ! » (1) L'idee est belle. C'etait la premiere fois, sinon qu'elle venait a l'esprit d'un homme, du moins qu'elle prenait forme dans une ceuvre de l'intel- ligence. Quatre ans plus tard Roland Dorgeles devait la reprendre dans Le Reveil des Morts : « Qu'a-t-on fait, demandent les morts qui s'eva- dent de leurs fosses, qu'a-t-on fait depuis que nous sommes morts ?... Les avez-vous tenus les serments que nous faisions la-haut ? Qu'avez- vous change, vous qui £tes rentres vivants ?... Qu'avez-vous fait pour que ma femme et mes gosses ne crevent pas de misere ?... Combien y a-t-il de profiteurs au bagne ? Combien avez-vous condamne de preva- ricateurs ?... Alors, vous n'avez rien change ! Nous sommes morts pour rien ! » D'avoir ose porter de telles revendications a l'ecran quatre ans avant qu'un homme comme Dorgeles les formulat dans un roman devrait sufhre pour qu'on accorde a J' Accuse I — premier en date des veritables films de guerre — une place a part dans les ceuvres que la guerre a inspirees au cinema et a son auteur une consideration d'une qualite d'autant plus particuliere que les situations naturellement ro- mantiques qui composent le film ne cessent jamais d'y etre traitees en fonction des moyens dont dispose le cinema. De tous les films de guerre, J' Accuse ! est bien probablement le plus cinematographique. Enfin — et cela non plus on ne doit pas oublier de l'inscrire a l'actif et d'Abel Gance et de J' Accuse ! — ce film a fourni au bel artiste qu'etait Severin-Mars l'occasion de conhrmer l'impression, que beaucoup (1) A bel Gance: J 'accuse! {Editions dela Lampe Merveilleuse, Paris, 1922) , FILMS DE GUERRE 167 avaient eue en le voyant dans Trots Families et dans La Dixieme Sym- phonie, qu'il y avait en lui un grand acteur d'ecran, le grand acteur d'ecran dont le cinema francos avait besoin (1). Nous avons dit qu'aucun « film de guerre » ne naquit pendant la guerre. Avec L'Ame du Bronze, mais plus largement, plus lyriquement que le film d'Henry-Roussell, J' Accuse! est la brillante la courageuse, exception qui confirme cette regie. Le merite de son auteur n'en est done que plus grand. (1) Les autres roles etaient tenus par R. JoubS, Desjardins, Marise Dauvray. Les prises de vues avaient ete faites par les operateurs L. H. Burel, Bujard et Forster. Le -film jut presente en une soiree de gala organisee par la 5. P. C. A. au Cercle Interallie, installe dans I'ancien hotel Dufayel, ave- nue des Champs -Ely sees quelques jours apres V armistice, puis au Gaumont Palace en mars 191 9, a Londres en mai 1920 et a New-York en mai 1921. 15 LE CINfiMA FRANCAIS PENDANT LA GUERRE NAISSANCE DUN ART CINEMATOGRAPHIQUE Arrache tant bien que mal a la paralysie que lui avait value la guerre, le cinema francais avait commence, nous l'avons vu, par travailler au ralenti et le peu d'activite qu'il avait pu recuperer il l'avait consacree a la confection de films patrio- tiques, mais ce n'etait pas des distractions de cette nature qu'attendaient les mobilises echappes des tranchees ou des camps destruction et les civils qu'obsedait la pensee de la guerre. Les maisons de production se remirent done peu a peu a confec- tionner des films normaux, des films ne devant rien a la guerre, aux situations qu'elle creait, aux idees qui s'y rapportaient, aux sentiments qu'elle entretenait, des films au spectacle desquels on pouvait avoir quelque chance de Toublier. Est-il besoin de preciser, etant donne les necessites auxquelles leurs producteurs obeissaient et le but qu'ils poursuivaient, que ces films etaient resolument romanesques, quele melo y tenait la plus grande place quand ils ne pretendaient pas a faire rire et le vaudeville quand ils ne cherchaient pas a emouvoir, et que l'invraisemblable n'etait pas tenu pour plus haissable dans un genre que dans Tautre : les films de 1915-1917 vont rejoindre les films de 1912- 1914. Les metteurs en scene de cette periode sont naturellement ceux qui travaillaient deja avant la declaration de guerre et que la mobilisation n'a pas arraches au studio ou a qui elle a permis d'y revenir apres un temps plus ou moins long passe sous les drapeaux : Jean Kemm, Camille de Morlhon, Charles Burguet, Maurice Mariaud, Georges Monca, Louis Mercanton, Rene Hervil, Robert Saidreau, Louis Feuillade, Gerard Bourgeois, Henri Pouctal, etc. Mais pendant ce temps, deux faits importants se produisaient : le public francais decouvrait les films americains et par eux le cinema. Alexandre Arnoux a donne de cette decouverte une tres subtile analyse : « La guerre a ete, pour les hommes de notre generation, le temps de la decouverte du cinema. Sans doute, avant 1914, nous arrivait-il de 170 HISTOIRE DU CINEMA passer une heure ou deux devant un ecran, dans quelque salle tortueuse et de guingois, batie de pieces et de morceaux, improvisee au fond d'une arriere-cour ou dans un hangar. Mais ce n'etait qu'un divertissement sans consequence, une maniere de tuer une soiree... Personne ne pouvait prendre au serieux cette lanterne magique techniquement perfection- n£e, mais d'une si pauvre ambition... Mes camarades, fort litteraires, se moquaient de moi et de mon gout pour ces faceties derisoires. Du reste, je n'en etais pas tres fier... II a fallu la guerre pour nous dessiller les yeux et pas a tous ; le gros de la troupe n'a suivi qu'a dix ans d'ecart. Pour ma part, j'ai recu le coup de foudre, j'ai brusquement compris l'avenir et envisage la puissance du cinema, l'empire qu'il allait conquerir sur 1'imagination d'un siecle, en 1917 ou 1918. f .'a ete une sorte de tonnerre, une explosion... Peut-etre la guerre, en rompant nos cadres, nos habitudes, notre vie, a-t-elle contribue a l'essor du cinema, a-t-elle accru le pouvoir des images et du silence et nous a-t-elle inclines vers un etat de barbarie visuelle et taciturne, de delire muet, de reve concret, etat qui, peu a peu, se transforme et s'att£- nue (1). » De cette decouverte du cinema les films americains sont pour la plus grande part responsables car ils tenaient une place importante dans les programmes des seances donnees dans les cantonnements par les equipes de la Section Photographique et Cinematographique de l'Armee qui ont fourni a tant d'hommes l'occasion de s'asseoir pour la premiere fois devant un ecran et ils constituaient, en merae temps, le plus clair des programmes projetes dans les villes. La, c'etaient pour la plupart de vieux films qui avaient deja fait carriere a l'arriere, mais ici c'etaient des films recents qui apportaient aux spectateurs francais, avides de se distraire, du nouveau, encore ettouj ours dunou- veau. Du nouveau non seulement dans les paysages qui servent de cadre a Taction, dans les visages des personnages, heros de cette action, et dans les mceurs dont cette action est le reflet, mais du nouveau cinematographique (2). (1) Alexandre Arnoux : « La guerre et la decouverte du cinema » (Revue du Cinema, jer mai 1931). (2) « Avant 191 5, le cine" ma n'existait qu'a V etat de larve. II n'etait pas ne intellectuellement... Au point de vue intellectuel, je place les origines du cinema vers 1915-16, avecV apparition des premiers beaux films americains.^ Henry Fescourt et J.-L. Bouquet : « L'Idee et I' Ecran ». (Haberschill et Sergent, Edit., Paris, 1925.) NAISSANCE D'UN ART 171 DECOUVERTE DU CINEMA AMERICAIN I. « FORFAITURE )) La premiere fois que Ton eut en France cette impression de nou- veaute, la premiere fois que Ton s'apercut qu'il y avait a faire autre chose que ce que Ton faisait et que ie pays qui avait mis au monde le cinema avait laisse un concurrent le devancer sur la voie des possibilites ouvertes a cette invention francaise, ce fut lorsqu'on se trouva en presence de Forfaiture de Cecil B. de Mille (1). Dans l'intelligent ouvrage qu'il a consacre a ces temps heroiques de la vie cinematographique : « Naissance du cinema », Leon Moussinac a classe ce film parmi ceux qui marquent les etapes de l'histoire et de 1'evolution de l'art cinematographique et. il l'honore de ces quelques mots : « Forfeiture a sonne comme un grand coup de gong parmi la foule )>. Et c'est aussi a « la foule » que Louis Delluc pense quand il ecrit : « Paris a fait un accueil violemment admiratif a Forfaiture... et Paris n'avait pas tort d'admirer puisqu'il voyait pour la premiere fois un film qui meritat le nom de film. Si les Francais arrivent peu a peu a comprendre quelques parcelles du cinema, c'est Forfaiture qui en a la responsabilite... Forfaiture a surtout le prix d'une chose complete. Les ceuvres de genie ne sont pas sou vent completes. Ici, pas de genie. Des elements tres judicieusement choisis et reunis, equilibres avec une habilete infinie... Pas un musicien ne criera au genie devant La Tosca de Puccini. Tous reconnaitront cependant que c'est un tout complet, orga- nise avec une adresse et une maitrise admirables. La synthese d'un scenario bien compose, d'une musique sans discretion inutile mais sans insolence caracterisee, d'une ecriture telle qu'un interprete secondaire peut y suffire et qu'un interprete sublime y rayonnera etrangement — sans pourtant y gaspiller les tresors secrets de son genie — a fait ce resultat. Forfaiture est La Tosca du cinema. (2) » (1) Le titre original de Forfaiture est The Cheat (La Fletrissure). (2) Delluc ne se trompait pas en at'ribuant le principal merite de Forfaiture a I'interet et a la bonne composition du scenario. Ce scenario apparut, en effet, d'une qualite telle qu'il tenia encore deux fois des produc- teurs de films : une en Amerique, mais tant a cause de I' interpretation d'ou Sessue Hayakawa etait absent qu'a certaine insistance dans la presentation des aspects melodramatiques de I'ceuvre, cette seconde mouture qui, tout en continuant a etre intitulee The Cheat en Amerique devint en France Fle- trissure et dont George Fitzmaurice porte la responsabilite, fut loin de valoir la premiere. Enfin Marcel L'Herbier s'attaqua lui aussi au meme sujet, mais entre temps le cinema avait regu V usage de la parole, ce 172 HISTOIRE DU CINfiMA Les raisons que le public — et aussi les professionnels — eurent d'accorder de l'importance au film de Cecil B. de Mille sont nettement — encore qu'avec un peu trop d'indulgence — indiquees par Delluc, mais il en est pourtant une que le clairvoyant critique a oubliee : Interpretation que donnait du principal personnage un acteur que Ton n'avait encore jamais vu sur les ecrans francais : Sessue Hayakawa. Forfaiture, par l'histoire qui y etait contee, conquit les foules populaires et, par l'habilete avec laquelle cette histoire etait transposed en images tous les professionnels du cinema francais qui n'avaient jamais recu si belle lecon ; mais tout cela n'aurait ete que bien peu de chose sans Sessue Hayakawa qui fit l'unanimite des professionnels et de la foule dans une admiration commune sur laquelle les raffines et les snobs orches- trerent leurs « Ah ! » et leurs « Oh ! » les plus savamment modules. En attribuant a un homme de couleur le role antipathique de son film, Cecil B. de Mille avait agi avec adresse car il savait bien que le prejuge qui a toujours mis les Americains en me fiance contre les jaunes aussi bien que contre les noirs, jouerait au benefice de son ceuvre mais il avait ete encore plus adroit en choisissant un homme de couleur qui avait non seulement du talent mais encore exactement le talent qu'il fallait pour la tache qui allait lui incomber, c'est-a-dire un homme qui qui compliqua singulierement sa tache si bien que ce film, sans avoir a etre renie par Vauteur de L'Inhumaine ne vaut pas celui de Cecil B. de Mille. Delluc ne se trompait pas non plus en etablissant un rapprochement entre Forfaiture et un drame lyrique puisque Camille Erlanger, avec la colla- boration de Paul Milliet et Andre de horde en tira vine ceuvre lyrique qui fut creee sur la scene de V Opera-Comique par Vanni-Marcoux. Forfaiture drame lyrique ne connut pas le succes que ses auteurs attendaient de I' aureole que le cinema avait mise autour du titre qu'ils utilisaient. Enfin, Sessue Hayakawa -fit jouer sur la scene parisienne de VAmbigu un drame tire par lui du scenario qui lui avait valu son premier grand succes. Cette piecet dont la premiere representation eut lieu le 28 Janvier 1944, fit une assez longue carrihre, ce qui ne veut pas dire qu'elle etait de valeur indiscutable. II n'est pas sans interet de rapprocher de cette opinion de Louis Delluc celle d' Alexandre Arnoux : a Les premiers Chariot... marquent a la fin de la guerre, V entree du cinema a la fois dans V art et dans le peuple... Une autre bande, Forfaiture... moins humaine, moins importante, nous a ouvert les portes de la technique, a prelude a toutes les variations de la camera, nous a familiarises avec les changements de plans, les ellipses du decoupage, les ressources et les cadences du montage, a jete les bases du jeu concis et sans bavure de I'ecran. Chariot tient toujours, Forfaiture qui s'appuie sur la technique plus que sur I'dme, a beaucoup vieilli. Mais il ne convient pas de se montrer injuste pour ce film qui a secretement determine toute 1'evolution du cinema... dont le rythme, en depit de V avbnement du son, se poursuit encore dans les plus recentes productions... » {Alexandre Arnoux : « La Guerre et la Decouverte du Cinema ». Revue du Cinema, ieT *mai 1931.J NAISSANCE D'UN ART 173 avait compris — le premier — que l'ecran exigeait de ses interpretes un jeu qui ne devait rien avoir de commun avec le jeu theafral. Et c'est cette decouverte qui fit sensation en France car, si les Americains avaient cede au prejuge qui les met en defiance a l'egard des jaunes, ce prejuge ne joua naturellement pas a Paris ou le personnage incarne par Sessue Hayakawa n'avait plus pour s'imposer conformement aux volontes de son metteur en scene que le prestige de son talent. D'une taille moyenne mais d'une allure vraiment seigneuriale, Sessue Hayakawa offrait a l'admiration surprise des foules un visage d'une regularity de masque, un visage modele en pleine pate, sous la chair duquel muscles et nerfs jouaient librement, un visage qu'ani- maient deux grands yeux sombres aux paupieres un peu lourdes ou se succedaient, nuances a Tinfini les reflets de toutes les passions, de tous les sentiments. C'etait a la nature que Sessue Hayakawa devait ce visage, mais c'etait a son intelligence qu'il devait d'avoir decouvert comment il lui fallait s'en servir devant la camera. Ayant compris que « mouvement » n'est ni « agitation » ni « gesticulation », Sessue Haya- kawa avait hardiment pris le contre-pied de tout ce qui avait ete fait jusqu'alors et interprets son role sans consentir le moindre emprunt a ces traditions venues de la pantomime dont Max Linder lui-meme n'avait pas su se liberer completement, mais a peu pres sans remuer : seuls les muscles de son visage bougeaient, mais la moindre contraction de la machoire, le moindre plissement du front, le moindre fremissement des paupieres derriere lesquelles les grands yeux de braise etaient cons- tamment a l'afrut, apparaissait plus eloquent, plus revelateur que n'importe quel geste car ce qu'il y avait derriere chacun de ces mouve- ments orchestres avec un art d'une subtilite tout orientale c'etait un homme, une ame dans toute leur diversite, toute leur complexity. A Sessue Hayakawa, Cecil B. de Mille dut que For failure, qui n'etait qu'un melo, fit figure de drame psychologique. De cette illusion le cinema francais devait profiter, peut-etre pas autant qu'il aurait pu, mais enfin dans une certaine megure qu'il serait injuste de sous estimer car il n'est pas permis d'afnrmer que sans Forfaiture et Sessue Haya- kawa nous aurions eu Mater Dolorosa et le Severin-Mars de La Dixieme Symphonie... (1) (1) Void deux opinions, d' 'autant plus inter essantes qu'elles viennent de deux esprits tres differents, qui montrent combien profonde futl' impres- sion produite en France par Sessue Hayakawa. Tout d'abord celle de Jean Epstein : « Son orgueil d'un style pur et d'un grand pedigree vise au dela de nous une poesie que nous ne sommes plus, sans lui, capables d'avoir. Contre ce visage, s'il s'agit de comparaisons, les autres acteurs ne luttent pas a amies e gales. Eux partent de rien, lui d'un repos qui est deja sur le point de tout dire... II n'a pas encore joue ; deja on le tient quitte et grand 174 • HISTOIRE DU CINEMA 2. Le film a episodes : des « Mysteres de New- York » a « Judex » A peu pres dans le m£me temps, le cinema francais, grace au cinema americain decouvrait le film a episodes. II avait eu Fantomas de Feuil- lade, trois ans plus tot. Mais il s'etait passe tant de choses pendant ces trois annees... Et puis nul n'est prophet e en son pays pas plus en ma- tiere de cinema qu'ailleurs... Done quand Les Mysteres de New-York arriverent sur les ecrans francais, ce fut un engouement general entre- tenu par une publicity des plus adroites qui ne devait quelque chose au cinema que dans la mesure oil Pierre Decourcelle etait un homme de cinema. Ce fut, en effet, a l'auteur des Deux gosses que fut confie le soin de tirer des Mysteres de New-York un feuilleton qui parut dans «Le Matinw pour la plus grande joie des lecteurs de ce quotidien a grand tirage... Pendant trois mois les peripeties du film, habilement exploiters par le romancier populaire firent la concurrence la plus soutenue a toute la litterature de guerre — y compris les communiques officiels. Et quand on avait lu, on voulait voir et on courait s'entas^er dan=; les salles sur les ecrans desquelles Pearl White, en sobre costume tailleur, sa tignasse blonde coiffee d'un beret de velours noir, echappait, tous les trois cents metres, a la mort qui la traquait sous les formes les plus inattendues (i) : et Ton ne cessait de fremir que pour admirer l'abon- dance des moyens materiels mis a la disposition du metteur en scene et Ton n'avait pas le temps d'etre gene par tout ce qu'il y avait d'invrai- semblable dans les peripeties qui se deroulaient sur l'ecran non plus que -de remarquer que le realisateur de ce film si specifiquement ame- ricain etait un Francais : Louis Gasnier, ce qui, n'est-ce pas, aurait du etre regard e par chacun comme l'hommage du cinema americain a son aine, inventeur et createur du genre. Mais allez done demander si mince preuve de sang-froid a des amateurs de cinema qui, d'une acteur... » (« Le cinSma vu de l'Etna»). Void maintenant celle de Ph. Amiguet : « Ce masque a creve la nuit d' Occident. La premiere fois qu'on I' a vu dans Forfaiture, on a compris que le cinema etait « le theatre de la peau ». On a compris beaucoup d' autre s choses encore. (Cinema! Cinema ! ) (i) Louis Delluc attribuait — et il avait raison comme presque toujour s — une bonne part du succhs des films dont Pearl White etait la vedette a la jeune artiste dont il disait : « Cinegraphiquement, elle est trhs au point. Son allure, ses gestes, son minimum d' expression — qui n'est pas du a V impuissance — et sa personnalite sportive la rendent tout a fait precieuse pour l'ecran. Jeune et jolie, elle a une fagon de s'habiller qui est jolie et jeune... Tout cela est bel et bon, mais il y a mieux. II y a la puissance morale de Pearl White. Moralement la vue de Pearl White est une vraie cure. Pearl White e'est de V energie et de la verve ; c 'est de la sante sans arrihe-pensee. » NAISSANCE DUN ART 175 semaine a l'autre, n'ont pas le temps de se remettre du « knock-out » que leur inflige la projection de leur film prefere ? Voila done Paris feru de films a episodes... II lui en faut. On va lui en donner et, comme le dernier episode des My stores de New-York vient a peine de quitter les e"crans, voici que « Le Journal » qui n'a jamais pu accepter que « Le Matin » garde longtemps l'avantage sur lui, entre- prend le lancement du Cercle Rouge auquel le pere d'Arsene Lupin lui- m£me, Maurice Leblanc, s'est interesse, comme le pere des Deux Gosses s'etait interesse aux Mysteres de New-York... Et puis d'autres films a episodes franchissent l'Atlantique, par chaque paquebot il en arrive un ou deux : Les Exploits d' Elaine ou Ton revoit la blonde Pearl White, de plus en plus temeraire, de mieux en mieux « doublee » dans les exer- cices acrobatiques que son scenariste imagine, Le Masque aux dents blanches, Le Tigre sacre, Le Maitre du Mystere et autres Ravengar... Mais, se piquant au jeu, Feuillade rentre dans l'arene afin de bien montrer que, dans ce genre qu'il a cree, il ne craint personne et e'est Judex dont le romancier populaire Arthur Bernede lui a fourni le scenario. Et Judex e'est Rene Creste ! Rene Creste, e'est-a-dire un grand garcon, solide dans sa minceur, au visage largement taille, aux yeux pleins — selon l'expression romantique — d'« une sombre flamme » v£tu d'une vareuse noire strictement boutonnee, et par la-dessus une vaste cape, noire aussi, dans laquelle il se drape avec autant de desin- volture que de dignite des qu'il a a s'acquitter de sa mission de Jus- ticier. Le personnage que Feuillade lance ainsi dans la popularite n'est en effet, pour ceux du moins qui ont des souvenirs litteraires, qu'une vieille connaissance, le plus pur heros des drames romantiques, celui-la qui sait que le monde est mal fait et qui ne compte que sur lui pour le reformer, un don Quichotte qui serait un pew Hernani, un peu Lagardere et un peu Eviradnus... Comme de celui-ci, s'il avait connu Judex, Victor Hugo n'aurait bien certainement pas craint de dire qu'il est : Le -preux que nul n'a vu de son sang econome ; Chasseur du crime, il est nuit et jour a VaffM ; De sa vie il n'a fait d' action qui ne jut Sainte, blanche et loyale... C'est le Samson chretien qui, survenant a point, N' ay ant pour enf oncer la porte que son poing... Tout entier au devoir qu'en sa pensee il couve, II ne se plaint de rien, mais seulement il trouve Que les hommes sont bas et que les lits sont courts ; // ecoute partout si Von crie au secours... II est le fort ami du faible... 176 HISTOIRE DU CINEMA De tout peuple orphelin il se faisait Va'ieul... II est toujours en marche, attendu qu'on moleste Bien des infortunes sous la voute celeste Et qu'on voit dans la nuit bien des mains supplier /... Est-il besoin de dire qu'etant tel, Judex, sous les appaxences de Rene Creste, fit battre bien des cceurs feminins ce qui ne porta nul pre- judice, onle devine, au succes du film... Tant et si bien que lorsque les douze episodes de Judex eurent pris fin, Feuillade n'eut rien de plus presse que de leur donner une suite : La Mission de Judex... Cette fois, c'etait trop, du moins pour certains qui trouverent en Louis Delluc un porte-parole severe : « Helas ! Judex, Judex, Judex !... Pourquoi ? Louis Feuillade est intelligent. II dit et ecrit d'harmonieuses verites. II a prouve m£me a Tecran un tact, une vision nette des paysages, un desir d'action qui le rendirent interessant au plus haut point. Que dira- t-il si je lui dis qu'il ne meritait pas ces abominations feuilletonesqucs ? Je lui dirai bien autre chose. II risque, a ce metier-la, de se suicider artis- tiquement. Le premier Judex etait, techniquement du moins, tres supe- rieur a toute la production francaise de Tepoque. Le second Judex est inferieur a toute la production francaise de l'epoque... S'il y en a un troisieme... Voyons, Monsieur Feuillade, vous n'£tes pas force de faire ces films. Votre situation, vos succes vous permettent de vouloir. Ne voulez-vous vraiment que des Judex ?... Vous avez a votre disposi- tion tous les moyens d'entreprendre et d'imposer de grandes choses. Qu'attendez-vous ? » A cette question, Louis Feuillade, qui etait, en un temps record, devenu le grand homme du cinema francais, repondit en donnant des Vendemiaire et des Tih-Minh jusqu'a ces Deux Gamines qui, au lende- main de la guerre, allaient, pour quelques mois, doter la charmante Sandra Milovanoff d'une popularite presque egale a celle que Judex avait value a Rene Creste. Celui-ci en fut quasi paralyse car il ne put jamais s'evader de ce personnage et jusqu'a la fin de sa carriere, laquelle ne fut plus tres longue (i) il faut, pour &tre juste, le reconnaitre, il demeura pour tous les amateurs de cinema : Judex. Louis Feuillade n'avait-il de gout que pour ce genre de films ? Y fut-il condamne par les direc- teurs de la maison pour laquelle il travaillait ? Peu importe (2). Ce (1) Quelqae pen grise par son succes, Creste quitta Feuillade et Gaumont et se fit son propre producteur. II mourut en 1923, alors qu'il venait de ter- miner Un coup de tete. (2) A cette question, Louis Feuillade fournit, quelques annees apres Judex, une reponse en prenant part a une enquete qu' Andre Lang menait pour « La Revue Hebdomadaire » (1923) : « Croyez-moi, ce n' est pas 40. Emmy Lynn dans Mater Dolorosa d'Abel Gance. 41. S6verin-Mars dans La ioe Symphonie d'Abel Gance. 42 scene Fernand Herrmann et Violette Jyl dans une de Barrabas, de Louis Feuillade (Film Gaumont). 43. Une scene de Judex, de Louis Feuillade. Au fond : Rene Creste- Judex (Film Gaumont), 44. Une scene d'un des premiers films de Germaine Dulac, Venus Victrix avec Napiaskowska (a droite). 45. Une image du Torrent, premier scenario de Marcel 1' Her bier, realise par Hervil et Mercanton. NAISSANCE D'UN ART 177 qui est certain c'est qu'il restera l'auteur de Fantomas et de Judex. Ce qui est non moins certain c'est qu'il s'en fallut de bien peu que ce genre inferieur ne fournit au cinema francais un de ces « types » dont il est encore si pauvre, la cinquantaine sonnee : un «type» et peut- £tre deux, car, a cote de Rene Creste, il y avait dans Judex, Marcel Levesque... Marcel Levesque qui, mettant au service d'un personnage pittoresquement campe les qualites qui avaient attire sur lui bien des sympathies quand il interpretait de petits roles dans des films sans importance et d'ailleurs sans pretentions, passa d'un coup au premier plan avec son Cocantin. Ah ! ce Cocantin, combien en a-t-il detendu — le samedi soir, apres le turbin — d'esprits assombris par les preoccu- pations de l'heure et que de vagues de rires il provoqua dans l'immense hippodrome de la Place Clichy, devenu Gaumont-Palace, des vagues de rires qui bondissaient de l'orchestre aux galeries pour retomber en cascades des galeries a l'orchestre par-dessus le balcon que Ton ne nommait pas encore mezzanine ! Mais il etait helas ! dans le destin du cinema francais que Louis Feuillade ne fit rien d'autre que des Judex et que personne ne dut saisir l'occasion qui se presentait de faire pour Marcel Levesque ce que Charlie Chaplin a si bien su faire pour lui- meme ! 3. Charlie Chaplin C'etait d'ailleurs l'epoque ou la France decouvrait Charlie Chaplin, decouverte fulgurante dont Blaise Cendrars a relate les circonstances : « Chariot est ne au front. Jamais je n'oublierai la premiere fois que j'ai entendu parler de lui. C'etait au bois de la Vache par une soiree d'automne pluvieuse et detrempee. Nous pataugions dans la boue dans un entonnoir de mine qui se remplissait d'eau quand Gamier vint nous rejoindre, retour de permission... II radinait tout droit de Paris. Toute la nuit il ne nous parla que de Chariot. Qui 9a, Chariot ? Gamier etait plein comme une bourrique. Je crus que Chariot etait une espece de frangin a lui et il nous fit bien rigoler avec ses histoires. A partir de ce soir-la et de huit en quinze jours, chaque fournee de permissionn aires nous ramenait de nouvelles histoires de Chariot... Tout le front ne parlait que de Chariot... J'aurais bien voulu con- grdce aux chercheurs que le cinema gagnera sa place un jour, mais grace aux ouvriers du melodrame dontje me flatte d' Stre un des plus convaincus... Je ne vise pas le moins du monde a m'excuser de realiser Le Fils du Flibustier ou Vindicta. Je crois meme que c'est moi qui suis le plus prbs de la verite. » Apres ces declarations, la cause semble bien reglee. 12 178 HISTOIRE DU CINEMA naitre ce nouveau poilu qui faisait se gondoler le front. Chariot, Chariot, Chariot, Chariot dans toutes les cagnas et, la nuit, on entendait rire jusqu'au fond des sapes. A gauche et a droite, et toute la ligne des poilus derriere nous, on se tremoussait. Chariot, Chariot, Chariot. Un jour, ce fut en fin mon tour de partir en perme. J'arrivai a Paris. Quelle emotion en sortant de la gare du Nord, en sentant le bon pave de bois sous mes godillots et en voyant pour la premiere fois depuis le debut de la guerre des maisons pas trop chahutees. Apres avoir salue la Tour Eiffel, je me precipitai dans un petit cine de la Place Pigalle. Je vis Chariot... Chariot ! Quelle bosse je me suis payee ! — He, soldat ! On ne rit pas comme 9a. C'est la guerre ! me dit un digne monsieur de l'arriere. — Merde ! Je viens voir Chariot. II ne pouvait pas comprendre. Je riais aux larmes. » (1) C'est de la meme facon et dans les memes circonstances qu 'Andre Salmon a, lui aussi, decouvert Chariot : « C'etait a Nice en 1916. Fantassin rompu, rejete de la ligne de feu a la Cote-d'Azur, je trainais mon inaptitude par les couloirs a courants d'air que sont les rues nicoises... Pour fuir les patrouilles sanitaires qui, le soir tombe, pourchassaient les guerriers en reparation, je me jetai dans un cinema... On n'avait pas de programme. On ignorait ce nom de Chariot. On avait donne dix sous, deux jours de pret car on etait soldat... Et alors quand s'annoncait la jolie bataille de Verdun... voir Chariot sans travail, s'inventant des travaux... buvant le vernis a piano, effeuillant une fleur pareille aux fleurettes du no-man's-land, fourrant dans le gant de combat le fer a cheval qui porte bonheur, poussant a l'eau le fauteuil a roulettes avec dedans le paralytique gras et riche qui paie mal... et se sauvant des eaux pour baiser, si franchement que c'etait purete absolue, les belles levres de la jolie fille du patron, du censeur, du medecin-chef, de mon general peut-etre ! Mon cceur est avec vous ! Vous ne pouvez pas savoir !... Merci, Chariot, pour vos heures nicoises. Merci, petit youpin frise qui avez beaucoup recu du Guignol lyonnais, du « Punch » de Londres, interpretes de la vaine rouspetance dans l'intelligente mesure, tellement superieurs aux valets de la pantomime a qui, quoi qu'on en dise, vous n 'avez rien pris du tout (2) ! » Meme enthousiasme sous la plume de Fernand Leger : « C'est Apollinaire qui m'a emmene voir Chariot pendant une permission du front. On etait d'avis que tout se passait « la-haut », que la vie etait (1) Blaise Cendrars : « Naissance de Chariot* (Chroniques du Jour). (2) Andre Salmon : « Reconnaissance a Chariot » (Id.) NAISSANCE D'UN ART 179 ramassee dans « les lignes », que l'arriere c'etait remmerdement et la mort. Apollinaire m'a dit : « II y a tout de meme quelque chose... Viens voir ! » J'ai vu Chariot : incontestablement c'etait quelque chose puisqu'il tenait le coup devant l'enorme spectacle que je venais de quit- ter pour sept jours. Ce « petit bonhomme » qui a reussi a ne plus etre un « petit bonhomme » mais une espece d'objet vivant, sec, mobile, blanc et noir, c'etait nouveau ! » (1) Mais les artistes — ecrivains et peintres — n'avaient pas ete les seuls a s'enthousiasmer, car ainsi que l'a montre Henri Strentz (2) : « Chariot tout de suite devint l'idole de la foule. Charlie Chaplin etait clown : cela explique son prodige. II n'etait pas le clown philosophe de Shakespeare, ni le clown paradoxal de Banville. II n'empruntait a un Footit, aux Fratellini, a un Grock, ni leurs costumes barioles, ni leur funambulesque ahurissement, ni leurs maquillages hilarants, ni leurs cocasses accessoires, pas meme l'atmosphere de clarte surabon- dante indispensable au flamboiement de leurs oripeaux du royaume de Fantaisie. Avec Chariot, l'art clownesque, pour la premiere fois, s'introduisait prosai'quement dans le gris de la vie quotidienne de tous les hommes, au petit bonheur d'une action candide qui ne beneficiait que du prestige d'etre apportee par un rayon de lumiere nocturne et d'une nature telle qu'on ne sait si ce qu'il projette se passe dans la vie ou dans le reve. » Les comiques La personnalite de Charlie Chaplin se trouve la tres exactement definie et tres subtilement analyse ce qui fait son charme et on com- prend qu'en face de cette personnalite le film comique francais avait besoin que Ton pensat a lui assurer les serviteurs capables sinon de 1'elever au rang ou le nouveau venu s'installait tout naturellement, mais du moins de le maintenir a celui ou Max Linder l'avait porte. Celui-ci, en effet, etait parti pour l'Amerique d'ou il avait rapporte trois films dans lesquels il reste fidele a la formule qu'il a decouverte et, pour ainsi dire, fixee : Max en Amirique, Max veut divorcer et Max et son taxi et a son retour il s'etait, en attendant de repartir, contente de reparaitre dans trois petites bandes qui donnerent aux plus indul- gents l'impression d'avoir ete rapidement — et non sans quelque negli- gence — improvisees : Max medecin malgre lui, Max entre deux feux (1) Fernand Ldger (Id.). (2) Henri Strentz (Id.). 180 HISTOIRE DU CINEMA et Max et la main qui etreint (parodie des Mysteres de New-York). Puis, ayant ainsi repris contact avec le public parisien, il avait ete la vedette d'un film plus important tire de la comedie de Tristan Bernard : Le Petit Cafe, realise par le fils de l'auteur, Raymond Bernard. Apres quoi, nouvel embarquement pour les Etats-Unis (i). Prince-Rigadin, lui, n'avait pas quitte les studios de Vincennes et un des premiers, apres le chomage que lui avait, comme a tout le monde, impose la mobilisation, il s'etait remis au travail et les ecrans avaient recommence a faire de filer devant leurs habitues les petites comedies consacrees aux mesaventures de Rigadin. Certains commencerent alors a trouver qu'il y avait un peu trop de « Rigadins » sur les ecrans fran- eais. Ceux-la et quelques autres avec eux auraient applaudi si un pro- ducteur avait eu l'idee de lancer un nouveau comique... Mais « Chariot » venait de faire son apparition et, pendant plusieurs annees, il allait repon- dre a toutes les exigences des spectateurs francais qui eprouvaient le besoin de se distraire. Films dramatiques Dans le domaine dramatique — que les producteurs de films fran- cais ont toujours prospecte avec plus de sollicitude que le comique — parmi nombre de films qui ne sont rien de plus, ne craignons pas de le repeter, que ce qu'etaient les bandes projetees au printemps 1914, il y eut des initiatives qu'il serait injuste de ne pas signaler. C'est ainsi que Louis Nalpas, au «Film d'Art» dont il venait de prendre la direction, en l'absence de Charles Delac mobilise, n'hesita pas a se lancer dans des productions singulierement plus importantes que tout ce que Ton faisait a l'epoque et dont la premiere fut Tadap- tation par Henri Pouctal du celebre roman d'Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, qui consacrala popularity de Leon Mathot (2). Mais ce qui est le plus interessant dans Taction du « Film d\Art » sous la direction de Louis Nalpas, c'est la confiance que celui-ci fit a des hommes nouveaux et tout d'abord a 1'homme de theatre le plus repute de l'epoque, a celui qui, depuis trente ans, n'avait pas cesse d'etre a (1) Voir vol. III. (2) Monte-Cristo est un des sujets empruntes a la litterature qui ont le plus souvent attire producteurs et realisateurs de films. II fut en effet tourne une deuxieme fois, pendant la periode muette, par Henri Fescourt et en version parlante (194.2) par Robert Vernay, sans parler de trois versions rialisees a Hollywood. NAISSANCE D'UN ART 181 1'extrSme pointe de l'avant-garde, qui avait toujours ete Tami de toutes les nouveautes et qui, ayant toujours ose en une matiere aussi vieille que la theatrale, ne pourrait manquer, en une matiere d'une jeunesse aussi riche de promesses que le cinema, d'avoir des audaces heureuses et productives : Andre Antoine. Une recrue de marque : Antoine Apres s'etre ruine a l'Odeon et avoir ete force d'aller « chez les Turcs », comme disait Edmond Rostand, pour gagner sa vie, Antoine etait revenu en France au lendemain de la mobilisation et, ayant au printemps de 1914, recu une proposition pour faire de la mise en scene, il s 'etait tout naturellement tourne vers le cinema. N'ayant rien perdu des qualites qui avaient fait son succes non plus que de son toujours jeune enthousiasme, avec son experience et la publicite dont sa derniere et toute recente averiture avait aureole son nom, il apparut au cinema — et on le comprend — comme une precieuse recrue. Lorsqu'il fut interroge en 1923 par Andre Lang, au cours de l'en- quete que celui-ci mena pour « La Revue Hebdomadaire », Antoine s'expliqua avec une entiere franchise qui laisse bien voir qu'en pene- trant dans ce domaine nouveau pour lui, il ne se dissimulait aucune des difficultes auxquelles il allait se heurter : « J'avais tout de suite constate que tout etait a peu pres organise de travers. Non que le personnel artistique ou administratif fut inferieur a sa tache : c'etaient de vieux routiers ayant la parfaite pratique de l'ecran, capables d'as- surer une production courante, mais endormis par une prosperite de dix annees ; nulle velleite d'effort vers le mieux ou la recherche d'autre chose ; le cinema etait un metier de tout repos, la vie y etait douce, tout le monde etait persuade que cela continuerait longtemps et qu'il etait inutile de «s'en faire... » Antoine, lui, «s'en etait toujours fait » et il continua a «s'en faire » quand il debuta au cinema. Mais si son engagement avait naturellement fait naitre des espoirs chez certains de ceux qui r£vaient d'un cinema meilleur et plus intelligent, non moins naturellement il avait mis en me fiance ceux qui, estimant que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes cinematographiques, craignaient que Ton ne vint bousculer leur euphoric On ne lui facilita done pas la tache qu'il entre- prenait, ce qui etait ennuyeux mais ne l'aurait certainement pas empe'che de donner au cinema francais les ceuvres dont celui-ci avait besoin car, tout au long de sa carriere, il avait euasebattrecontreles difficultes en tous genres et celles-ci ne Teffrayaient pas. Ce qui etait 182 HISTOIRE DU CINEMA plus grave c'est que la vue tres exacte qu'il avait de la mediocrite dans laquelle le cinema se debattait ne f aisait pas de lui un homme nou- veau : homme de theatre il etait et homme de theatre il restait. Bien plus, ayant cree une formule nouvelle de theatre, il etait trop rhomme de ce theatre pour pouvoir faire vraiment ceuvre cinemato- graphique. Du premier film qu'il fit, Les Freres Corses, Louis Delluc disait : « Le scenario est ingrat au possible, les acteurs sont empoisonnes de theatre et meme de conservatoire et enfin le mot « economie » a du £tre souffle plus d'une fois a Antoine. Oui ! Et avec 9a la gaucherie d'un gros effort sans experience suffisante. Eh bien, Les Freres Corses c'est le plus beau film qu'on ait jamais vu en France ! Et il est francais. Pour une fois ! » C'est de 1'enthousiasme ! Mais on a l'impression que cet enthou- siasme est de commande, qu'il cache une deception, une deception a laquelle Delluc s'attendait car il etait bien trop intelligent et il savait trop exactement ce qu 'Antoine apportait au cinema pour pouvoir esperer qu'il put en £tre autrement : « Un grand homme de theatre. Vingt-cinq ans de litterature et de realisme dramatiques... » Comment l'homme qui parle ainsi — et c'est encore Delluc — aurait-il pu avoir des illusions ? En allant chercher Antoine, le cinema francais commet- tait de nouveau l'erreur a laquelle son atavisme theatral l'avait deja conduit plusieurs fois : il se jetait dans les bras du theatre sans voir que, chaque fois, cette etreinte se resserrait un peu plus et sans se rendre compte qu'un jour elle finirait par l'etouffer. (1) Abel Gance Antoine ne fut heureusement pas le seul homme nouveau a qui le « Film d'Art » fit appel et, en ouvrant devant Abel Gance toutes grandes les portes du studio, que jusqu'alors il n'avait encore reussi qu'a entre- bailler, Louis Nalpas allait rendre au cinema francais le plus grand service que celui-ci eut recu depuis que Georges Melies, touche par sa grace, avait renonce a la prestidigitation et qu'Emile Cohl etait alle chez Gaumont protester contre l'utilisation qu'un metteur en scene de cette maison avait faite de l'idee d'un de ses dessins. Abel Gance, avant de venir au cinema, etait, lui aussi, passe par (1) Pendant la guerre, Antoine fut engage par une firme italienne et c'est a Turin qu'en 1918 il tira un film de la pihce d' Henry Bernstein Israel. NAISSANCE D'UN ART 183 le th^&tre, mais son passage y avait ete rapid e : juste le temps de tenir ici ou la de petits — tout petits — roles et d'ecrire une tragedie en vers La Victoire de Samothrace qu'il destinait, comme tous les jeunes poetes des annees 1900, a Sarah Bernhardt. Puis, des petits roles au theatre, il e'tait passe aux petits roles — si petits qu'ils n'etaient guere que de la figuration — au cinema (1). Puis, de m£me sans doute qu'il n'etait monte sur les planches que pour pouvoir approcher des directeurs et leur presenter ses ceuvres, il avait profite de sa presence au studio pour placer ses scenarios. Ce fut un Paganini qui eut, le premier, la chance d'etre accepte. Puis vinrent Le Crime du Grand-Pere, Le tragique amour de Mona Lisa que realisa Capellani, L'Infirmiere que tourna Pouctal, apres quoi il entreprit de convaincre Louis Nalpas qu'il etait capable, non seulement d'ecrire des scenarios, mais encore de les realiser. Nalpas lui fit confiance au point de lui abandonner son studio pendant une semaine et de lui ouvrir un credit de cinq mille francs : Un Drame au Chateau d 'Acre fut le resultat de cette experience qui s'avera assez heu- reuse pour que le directeur du « Film d'Art » consentit a la renouveler. Pour cette seconde experience Gance crut qu'il pouvait se laisser aller a £tre lui-mSme et que, le cinema etant evidemment fait pour autre chose que pour raconter des Drames au Chateau d'Acre, il allait pou- voir faire du cinema. II choisit un des scenarios auxquels il tenait le plus : La Folie du Docteur Tube ou, le heros de l'histoire etant un savant qui a trouve le moyen de decomposer les rayons lumineux, l'occasion lui etait offerte de s 'evader du realisme et de montrer la re'alite autre ment que sous les apparences auxquelles l'homme est habi- tue'. Gance etait trop presse : les deformations a la realisation desquelles il avait consacre tant d'intelligence, tant d'ingeniosite, tant d'exacte comprehension des possibilites cinematographiques, tant d 'amour, Louis Nalpas estima que le public n'etait pas mur pour les accepter et que le film risquait de recevoir un accueil auquel il etait inutile de l'exposer : La Folie du Docteur Tube ne sortit pas du magasin du pro- ducteur. (2) De tout cela, il n'y a rien a retenir — e'est l'avis d'Abel Gance lui-m£me — et il faut arriver au Droit a la Vie, a Mater Dolorosa, a (1) II figura notamment dans un Moliere que Leonce Perret tourna chez Gaumont. (2) En 1917, Abel Gance realisa, sur un scenario dontil etait I'auteur, un certain Fioritures dont il n'y aurait mime pas lieu de rappeler le titre si un critique de Vepoque n'en avait dit : « Delicieuse ceuvrette ou Von sent que Vimagination de I'auteur s'en est allee, vagabonde, butiner sur toutes les roses de la Fantaisie ». Le principal role de ce film etait tenu par Jeanne Marken. 184 HISTOIRE DU CINEMA La Zone de la Mort et a La Dixieme Symphonie, qui de m£me que J' Accuse ! (i) datent de la seconde moitie de la guerre, pour se trouver en presence de films ou s'affirme une des plus fortes personnalites que le cinema ait eu la chance de voir entrer a son service. Si Ton ne regarde que son scenario, Mater Dolorosa n'est rien de plus qu'un de ces drames se deroulant dans la grande bourgeoisie comme Georges Ohnet en a developpe dans ses romans et Paul Hervieu sur les planches de la Comedie-Francaise, comme Gabrielle Robinne, encadree d'Alexandre et de Gabriel Signoret, en a anime sur l'ecran en d'innombrables moutures, drame noue avec adresse, encore que bien conventionnellement, autour d'un enfant. Mais comme toujours en art et au cinema peut-£tre plus encore que dans les autres domaines, le fond est relativement de peu d'importance et c'est la forme qu'il faut considerer. Or la forme est ici eminemment cinematographique, bien plus cinematographique que celle de For failure, a quoi on ne peut s'em- p£cher de penser, et Interpretation reunissant Firmin Gemier, qui depuis L' Homme qui assassina n'avait plus reparu sur les ecrans, Ar- mand Tallier et Emmy Lynn, presque de meme valeur que celle du drame de Cecil B. de Mille — Emmy Lynn l'emportant peut-6tre meme sur Fanny Ward. Cette fois Abel Gance avait touche le grand public et cela sans rien abdiquer de sa personnalite. Et il en fut encore de meme avec La Zone de la Mort et avec La Dixieme Symphonie. De La Zone de la Mort Louis Delluc proclamait qu'un tel film etait « un evenement dans les annales du cinema francais » puis il lancait a l'auteur cette adjuration : « Et si jamais vous entendez dire que vous voyez trop grand, je pense que vous rirez tranquillement. On ne voit jamais trop grand. Je vous assure que vous ferez de fortes choses... Le public est avec ceux qui ont quelque chose a dire... Merci, Gance ! Ne cessez jamais de voir trop grand ! » Et Delluc invoquait les noms de Th. Ince et de Griffith, les deux grands hommes du cinema americain. Abel Gance n'avait pas besoin qu'on l'encourageat a « voir grand ». Ces exhortations, bien plus qu'a lui, c'est done a ceux qui deja se cabrent devant les audaces du nouveau venu qu'elles s'adressent, a ceux qui, plutot que de faire un petit effort personnel afin de s'adapter a ces audaces et de les faire admettre par leur entourage, ont pratique dans les bandes tombant entre leurs mains des coupes sombres qui les ren- dent moins facilement assimilables, car deja se manifeste cette sourde et agissante hostilite des directeurs de salles dont Abel Gance a, plus que quiconque et tout au long de sa carriere, subi les regrettables effets. Mais la voix de Delluc etait pour les « exploitants » la voix de celui qui crie dans le desert... Elle n'arriva pas jusqu'a leurs oreilles et quand (i) V. p. i65 NAISSANCE D'UN ART 185 La Dixieme Symphonie parut, ils s'emparerent une fois encore de leurs ciseaux. Sans doute y avait-il dans ce film plus que dans ses deux imme- diats predecesseurs de quoi surprendre : la collaboration qu'Abel Gance, pour la premiere fois, essayait d'etablir entre la musique et le cinema pouvait apparaitre comme une hardiesse inadmissible a certains qui, ignorant tout de la musique comme du cinema n'avaient jamais envisage qu'une collaboration put £tre un jour ou l'autre, etablie entre cesdeux arts si voisins (1). Mais aucun de ceux que les films qu'on leur offrait ne satisfaisait pas pleinement, aucun de ceux qui r£vaient d'un cinema meilleur ne s'y trompa. A tous ceux-la les merites de La Dixieme Symphonie apparurent nettement comme a Delluc qui ne craignit pas d'ecrire : « Les circonstances donnent a ce film une impor- tance et une autorite qui doubleront son importance artistique et son autorite personnelle. On sait que, en dix ans, le cinema francais n'a pas avance d'un pas. Qu'on me hue si Ton veut, mais que Ton me prouve le contraire !... La Dixieme Symphonie exalte et synthetise tous les mouvements revolutionnaires que, ces derniers mois, nous apercevions ici ou la ! » On a souvent reproche a Delluc d'etre trop severe et on a mis cette severite au compte d'un pessimisme naturel. II n'y avait aucun pes- simisme naturel en Delluc qui etait, au contraire, le garcon le plus opti- miste, le plus gonfle d'espoir et de confiance que Ton pouvait souhaiter avoir pour compagnon et, si on tient absolument a lui adresser un repro- che, ce serait plutot de son exces d'enthousiasme que Ton pourrait tirer argument contre la valeur de ses jugements : « l'importance » et « l'au- torite personnelle » de La Dixieme Symphonie ne furent en rien doublees par « les circonstances » et Abel Gance eut a se defendre contre une mauvaise volonte quasi generale. Ce qui ne veut pas dire que La Di- xieme Symphonie etait un film sans defaut : Abel Gance y cedait notam- ment a quelques-unes des faiblesses que Ton retrouvera tout au long de son ceuvre : gout du lyrisme et du symbole — souvent trop facile — complaisance envers sa propre inspiration, amour de la litterature se traduisant par des citations bien inutiles dans les sous-titres (2). Ces (1) Abel Gance avait demande la partition musicale de son film a un compositeur de grand talent Michel Maurice Levy dont les ceuvres etaient meconnues au point que, pour vivre, il etait oblige de faire un numero musical humoristique dans les cabarets sous le pseudonyme de « Betove ». (2) Sur ce point Gance s'est explique de facon precise a Andre Lang (Enquete de « La Revue Hebdomadaire y>) : « Pourquoi ces tongues cita- tions ? » — « Parce que lorsque nait le symbole, il est besoin de le souligner dans V esprit populaire, d'ouvrir au public d' autre s fenetres sur des hori- zons nouveaux, de lui montrer le chemin qui reste a parcourir, de Videe suggeree par I' image a Videe exprimie par le style. » — « Pourquoi ne pas 186 HISTOIRE DU CINEMA critiques, Delluc les adressait a Gance, mais avec son optimisme habi- tuel : « Sa tare, disait-il, je la connais, mais je sais qu'elle s'attenuera ou plutot qu'elle deviendra une qualite, peut-£tre m£me la qualite primordiale de Gance. La voici : il n'est pas simple. II est tout pr£t a l'emphase, non pas trop de mots, mais de pensee : il habille de choses riches les pensees les plus nues. Or le talent passionnant de d'Annunzio est d'avant le cinema. Et quelque rayonnant qu'il soit, il date. II ne faudrait pas que Gance concut une pensee comme s'il etait un per- sonnage du Feu ou de Forse che si. Le metier cinematographique vous pousse a des exces d'exteriorisation qui rendent ce gout tres dangereux. » Que Delluc soit ici optimiste, comment pourrait-on en douter quand on a vu La Fin du Monde ou m£me Napoleon, car ce n'est evidemment pas dans ces films que Ton pourrait trouver la preuve du manque de sim- plicity congenital en Gance devenu qualite. « Je suis severe expres, continuait Delluc. Qu'est-ce que je risque ? Que Gance devienne par- faitement maitre de soi et rebelle aux tentations de sa nature ? Ce n'est pas impossible. Et sans renier sa personnalite, il peut la disci plincr. Elle en aura une force plus grande. II nous en donne le double exemple dans la m^me scene. Je veux parler de la troLieme partie du film. C'est la scene culminante de l'execution par un musicien douloureux, de f a symphonie nouvelle : cela provoque une serie de drames interieurs et simultanes. Or Severin-Mars au piano, le piano, les mains du compo- siteur, la partition, les invites qui ecoutent, les femmes r£vant, les hommes pens ant, 9a, c'est admirable et je suis le dernier des fous si le public n'y repond pas par un elan d'emotion intense. Mais, en m£me temps, Emmy Lynn ecoute aussi. Elle ecoute me'me tres bien. Et pen- dant la premiere partie de la scene, son immobility interieure nous impressionne. Puis le demon de la plastique ayant souffle sur elle ou, n'est-ce pas ? sur Gance, elle ouvre ses ailes : des effets de bras, de voiles, le grand oiseau blanc, le peplos dans le vent, cela ou autre chose, Gance y a vu une grande vision. Et je n'y ai rien vu du tout. Parce que chercher a obtenir ce resultat vous-mime et seul ? Pourquoi ne pas substituer a ces textes qui ne semblent pas toujours s'imposer des textes qui soient votres et dans le ton de vos images ? » — « Parce qu'on ne voudrait pas comprendre et qu'on Hrait. Avec les citations de ces maitres, je suis tranquille. On peut en nier V 'opportunity ou Vutilite ; on ne peut condamner la citation elle-meme qui demeure inattaquable. » — « Cependant ce scrupule discutable cree dans voire ceuvre une rupture d'equilibre qui peut conduire jusqu'au malaise. On passe d'un monde dans un autre et c'est fdcheux. » — « Oui, peut-etre est-ce une faiblesse que de vouloir ainsi etayer mes idees de telles autorites et je me rends compte que souvent les citations n'ajoutent rien au film. Je persiste pourtant a les preferer a mon texte, convaincu qu'on me reprocherait alors bien davantage mes intentions symboliques. » N£lSSANCE D'UN ART 187 la venue de cette apparition poetique, done un peu factice ou du moins transposed dans la litterature, me g£ne dans un moment de verite. » Cette citation, un peu longue, est interessante d'abord parce qu'elle indique bien tout ce que cinematographiquement Abel Gance avait tire de la musique — sur ce point comme sur beaucoup d'autres l'auteur de La Dixieme Symphonie est un precurseur et il faudra attendre La Roue et Un Grand Amour de Beethoven pour retrouver en France une tenta- tive de collaboration cinematographico-musicale — ensuite parce qu'elle met en evidence ce. qu'il y a de « visionnaire » dans la person- nalite d'Abel Gance. Qu'un homme dont le role, le metier, la mission — employez le mot que vous voudrez — est precisement de composer des images soit un visionnaire, quoi de plus normal ? Quoi de plus rare aussi, surtout a l'epoque ou naissait La Dixieme Symphonie, personne ne s'etant encore a vise de penser que pour faire un film irput etre utile de s avoir voir, meme si ce don devait consister en ce que le langage populaire appelle « avoir des visions ». Que Delluc se soit apercu que Gance s avait voir, avait m£me des visions (si « avoir des visions » e'est voir ce que les autres ne voient pas) est tout a l'eloge de sa clairvoyance, ce privilege etant celui qui s'afnrmera avec le plus d'eclat et le plus de bonheur dans les ceuvres futures d'Abel Gance. Enfrn quand il fait apparaitre ce qu'il y a de regrettable dans la superposition constante — et quelquefois aux moments ou elle se Justine le moins — d'un symbole plus ou moins poetique et factice a une realite qui se sufnt a elle-m&ne, Delluc donne de sa clairvoyance une preuve nouvelle en mettant le doigt sur un des defauts les moins discutables de Gance, un de ceux dont il auiait pu se corriger le plus facilement s'il avait consenti a. ne pas, sous pretexte de defendre sa personnalite, se cramponner a ses defauts avec la m^me ardeur qu'a ses qualites. Mais ces critiques m&nes montrent bien tout ce qui distinguait La Dixieme Symphonie des autres films de l'epoque et tout ce qui placait Abel Gance bien au-dessus de ses confreres. Et il n'y a plus qu'a signaler la qualite de Interpretation qui reunissait autour d'Emmy Lynn, Severin-Mars et Jean Toulout, Severin-Mars qui n'avait encore fait que de rares apparitions sur les ecrans, Jean Toulout qu'on y avait beaucoup vu et qui prouvait ici qu'il s'egalait aux meilleurs. Des lors l'attention sympathique de tous ceux qui esperaient qu'un jour le cinema francais, par sa qualite, reprendrait la place dont il avait joui avant la tourmente dans le monde grace a l'avance qu'il avait naturellement prise sur ses cadets, resta fixee sur Abel Gance et J' Accuse /, qui parut au lendemain m^me de Tarmistice (1), ne fit que (r) V.p.i65. 188 HISTOIRE DU CINEMA donner a tous ceux-la une raison nouvelle de penser qu'en Abel Gance le cinema francais avait un champion de classe internationale. NOUVEAUX VENUS \ I. JACQUES DE BARONCELLI D'autres espoirs naquirent encore a. l'apparition sur lcs ecrans de noms nouveaux dont le premier fut celui de Jacques de Baroncelli. Immediatement, celui-ci se distingua par une utilisation de la nature qui devait etre la consequence non seulement du besoin qu'il eprouvait de s' evader des salles de redaction ou il avait ete enferme jusqu'alors mais encore d'un gout qu'il tenait de famille pour le grand air (i). Cette particularity amenait cette remarque sous la plume de Louis Delluc a propos d'un des premiers films de Jacques de Baroncelli : Le Retour aux Champs : « Presque tout y est d'un poete ou plutot d'un virtuose... Doue de tant de naturel qu'on craint sa facilite, M. de Baroncelli se condamne a quelques tours de force... Iln'a qu'un defaut, c'est de n'en pas avoir. » Ainsi, des ses debuts, Jacques de Baroncelli a eu la chance de voir sa personnalite et son talent analyses et definis de facon precise et exacte. Cette personnalite et ce talent, les autres films realises par Jacques de Baroncelli ne firent que les confirmer tels que Delluc les avait decouverts et signales, qu'il s'agisse du Rot de la Mer, du Souffre-Douleurs,, du Siege des Trots, ceuvres intelligentes, aimables « ou la facilite n'intervient que pour faire attendre une ceuvre plus large » (2) . 2. Germaine Dulac Puis voici Germaine Dulac, evadee, comme Jacques de Baroncelli, de la litterature et du journalisme, pour se consacrer au cinema. Nee d'une vieille famille bourgeoise, Germaine Dulac qui, toute jeune, avait ete attiree par la vie intellecturelle non moins que par la vie active, s'etait lancee dans le journalisme en devenant une des collaboratrices de Marguerite Durand a « La Fronde ». La, son intelligence, la gene- rosite de sa pensee avaient fait merveille. Mais, s'etant ainsi fourni a elle-meme la preuve qu'elle etait capable d'agir, elle n'avait pas tarde (1) Jacques de Baroncelli etait le frere du marquis de Baroncelli- J avon, qui fut le dernier representant des traditions camarguaises. (2) De IQ17 a 1919 Jacques de Baroncelli realisa encore La revenante, L' Heritage et une adaptation de la piece d' Alexandre Dumas fits : Le Fils naturel. NAISSANCE D'UN ART 189 a estimer que le « Feminisme » etait un cadre trop etroit et que, l'huma- nite ne se reduisant pas a un seul sexe, peut-etre valait-il mieux tra- vailler en pensant a l'humanite tout entiere qu'a la femme seule et elle se tourna vers le cinema. C'etait une veritable audace car, depuis qu'Alice Guy, a la naissance meme de la maison Gaumont, avait improvise quelques petites bandes, aucune femme n'avait ose prendre la responsabilite de faire un film. Mais Germaine Dulac ne s'en tint pas a cette audace. Esprit curieux, chercheur et difficilement satisfait, Germaine Dulac, des 1910, avait ete attiree par le cinema, alors que, titulaire d'une rubrique de critique dramatique, elle frequentait beaucoup les theatres. Mais, paradoxalement, ce qui l'avait interessee dans les spectacles de l'ecran, ce n'etait pas ce qu'ils presentaient de theatral, mais la musique qui accompagnait leur deroulement, comme si, deja, elle pres- sentait la theorie dont elle se fera plus tard l'apotre, a savoir que « le Cinema, comme la Musique, n'ayant pas de frontieres precises, l'idee visuelle, le theme qui chante au cceur des cineastes ressortit beaucoup plus a la technique musicale qu'a toute autre technique ou a tout autre ideal, la musique qui donne une sorte d'au dela au sentiment humain, qui enregistre la multiplicite des etats d'ame, jouant avec les sons en mouvement comme le cinema joue avec les images en mouvement ». Revenant plus tard sur cette idee, Germaine Dulac ecrira : « Musique : coordination des sons qui conduisent a l'emotion par l'oreille ; cinema : coordination des mouvements qui conduisent a l'emotion par les yeux. Musique : sons fugitifs qui provoquent par des series d'impressions une impression definitive ; cinema : images fugitives qui visent au meme but. » Pourtant, si certaine qu'elle fut de la verite de cette theorie et que c'etait dans cette voie-la que le cinema pourrait le plus large- ment, le plus harmonieusement se developper, elle n'osa pas, des son entree au studio, passer de la theorie a la pratique : « Quand je me ris- quai a faire de la mise en scene, confessa-t-elle plus tard a un ami, j'oubliai mes propres reflexions et je fis, pour suivre la tradition, du theatre, rien que du theatre, c'est-a-dire : accumuler les evenements, chercher a interesser par les faits exterieurs ; ma science de la compo- sition d'un film s'arreta a cette conception erronee. Sceurs ennemies (1) avec Suzanne Despres, Geo le Mysterieux avec Jeanne Marken et Jac- ques Gretillat furent de petites histoires dramatiques ou charmantes qui n'avaient guere plus d'interet que les films pendant la projection desquels, quelques annees plus tot, je fermais les yeux pour £couter la musique. » Cette modestie n'empeche pas Germaine Dulac qui, depuis qu'elle (1) Le scenario de ce film avait pour auteur Irene Hillel-Erlanger. igo HISTOIRE DU CINEMA a penetre dans les studios, s'est rendu compte que tout ne va pas pour le mieux dans le monde du cinema et qu'il y a autre chose a y faire que ce que Ton y fait, de s'employer activement a creer cet art cinema- tographique qu'elle pressent. Apres Sceurs ennemies (1915) et Geo le Mysterieux (1916), elle tourne encore L'ouragan de la vie avec Stacia Napierkowska puis, en 1917, c'est-a-dire a Tepoque du triomphe des Mysteres de New-York et da Masque aux dents blanches, Ames de fous dont elle a ecrit le scenario et dont elle dit qu'il lui a « fait comprendre qu'au dela des faits precis et des evenements, Tatmosphere est un fac- teur d'emotion, que la valeur sensible du film reside moins dans Taction que dans la subtilite qui s'en degage et que, si Texpression d'un inter- prete vaut evidemment en soi, elle ne peut atteindre sa complete intensite que par un jeu d'images compl£mentaires venant en reaction. Lumiere, pose d'appareil, importance du montage m'apparurent comme des elements plus capitaux que le travail d'une scene unique- ment jouee selon les lois dramatiques. Ce film, qui me permit de mettre de l'ordre dans mes pensees, fut compris dans sa ligne dramatique mais non dans sa technique meme. Toutefois, je me demande si son succes ne vint pas des methodes suggestives prolongeant Taction que j'avais employees et dont le public subissait Temprise sans meme les definir ». Cette lucidite — dont on peut bien penser qu'il n'y a en 1917 pas d'autre exemple — cette franchise qui s'exprimait ainsi a Tegard d'elle-meme, Germaine Dulac, des ses premiers pas au studio, n'hesita jamais a les manifester en toute occasion. Ne concevant pas le cinema comme la plupart de ceux qui en vivaient, voyant plus loin et plus haut qu'eux, se heurtant a Tincomprehension quand ce n'etait pas a la mauvaise foi de tous ceux qui n'avaient pas d'autre regie que celles du conformisme le plus moutonnier, ne cachant ni ce qu'elle pensait ni ce qu'elle voulait, elle ne tarda pas, sans la moindre provocation de sa part, a soulever Thostilite de tous ceux qui voyaient dans la conception qu'elle avait du cinema la condamnation de leurs methodes et de leurs errements. Cette opposition plus ou moins farouche qui devait Taccompagner jusqu'a la fin de sa vie, Germaine Dulac Taccepta avec autant de bonne humeur que de courage, sans rien modifier a Tattitude qu'elle avait prise parce qu'elle etait certaine qu'en Tadoptant c'etait au service de la verite qu'elle s'etait consacree. 3. Louis Delluc Cette renovation du cinema, en meme temps que Germaine Dulac, un homme Tavait entreprise dans la presse : Louis Delluc. Defendant NAISSANCE D'UN ART 191 tous deux les memes idees avec la meme bonne foi, la meme ardeur, Germaine Dulac et Louis Delluc devaient fatalement se rencontrer. Ce fut Eve Francis qui fut la bonne ouvriere de cette rencontre. Jusqu'alors Eve Francis s'etait tenue a l'ecart du Cinema, fre- quentant plus volontiers les cenacles litteraires que les studios, se faisant remarquer a 1'extreme-pointe de l'avant-garde dramatique dans L'Otage et dans L'Annonce faite a Marie de Paul Claudel qui avait trou- ve en elle son interprete preferee, mais en 1917, Germaine Dulac lui avait con fie le role principal de son film Ames de fous, jetant ainsi dans les bras du cinema une des comediennes les plus intelligentes, les plus interessantes de l'heure, une de celles qui vont apporter quelque chose de personnel et de nouveau a Interpretation cinematographique. Et Eve Francis met en presence Germaine Dulac et Louis Delluc. Cette rencontre a lieu un dimanche, « un beau dimanche », precise Germaine Dulac qui raconte ainsi cette rencontre : « Un beau dimanche de repos, mon interprete, Eve Francis, me demande l'autorisation d'amener au studio son fiance. Et je vis arriver un grand jeune homme degingande, vetu d'un habit militaire plus que fantaisiste : c'etait Louis Delluc... Je me souviens qu'un soir, au ret our d'une vision d'Ames de fous, Louis Delluc m'emmena au cafe de la Regence. Ce jour-la, la Bertha etait harcelante pour les pauvres Parisiens. « J'ai « fait ceci, me dit-il, cet apres-midi, derriere le dos de mon intendant au « bureau militaire. » Et dans l'accompagnement des coups sourds de la Bertha, devant un verre de porto, Louis Delluc me lut La Fete Espa- gnole... Un an plus tard, je reussis a faire accepter le scenario de La Fete Espagnole (1)... » Mais pour trouver Delluc mSle* personnellement a l'activite cinema- tographique, il faudra attend re quelque temps encore. Pour le moment, Delluc n'est que journaliste et ce n'est pas encore par l'exemple qu'il pre'che la verite cinematographique, cette verite qu'il est a peu pres le seul a avoir entrevue. Dans les colonnes de « Paris-Midi », du « Film » il s'eleve contre les mauvaises habitudes, la routine qui emp£chent le cinema fran9ais d'evoluer normalement, de se developper, de s'amelio- rer. Et cette action est telle qu'il serait injuste de ne pas le compter au nombre des bons ouvriers du cinema francais pendant la guerre (2). (1) V. p. 245- (2) « On pourrait I'appeler le Pvotecteur du cinema francais, affirme Ph. Amiguet dans « Cinema ! Cinema ! » Doue de reelles qualites d'ecrivain, il mene une campagne systematique. II y va de I'epde et du poing... M. Louis Delluc me fait souvent penser, lorsqu'il accomplit son ceuvre de purification, a M. Leon Daudet. II en a la verve, le mordant et il salt, comme le directeur de « V Action Francaise », employer le fouet ». 192 HISTOIRE DU CINEMA 4. Marcel L'Herbier Un nom nouveau encore : celui de Marcel L/Herbier (1). Ce nom d'abord n'apparait — tout a fait vers la fin de la guerre — qu'avec beaucoup de modestie sur les ecrans, comme celui du scenariste de deux films que Ton peut classer parmi les plus interessants de cette periode : Le Torrent et Bouclette que Rene Hervil realisa en collabora- tion avec Louis Mercanton ; Le Torrent dont Louis Delluc disait, sepa- rant la personnalite' de l'auteur de celle des realisateurs : « Le scenario est empreint de symbolisme. Nous aurions aime qu'ille fut da vantage... Ce debut d'un auteur veritable et digne de ce nom ne m'a pas semble particulierement mis en valeur par les circonstances... M. Marcel L'Herbier est un poete sensible, severe, jaloux, demesure et minutieux, brillant et candide : du moins m'apparut-il ainsi dans deux volumes : un drame poetique et un recueil d'impressions interieures — qu'il publia. La premiere idee c'est que, pour ecrire Le Torrent, il a oublie sa personnalite. La seconde c'est que ce n'est peut-etre pas lui qui l'a oubliee. Entre ses metteurs en scene et lui, il y a eu incomprehension. Leurs talents divers ne s'accordaient pas. L'auteur a ete sacrifie. Etce n'est pas la derniere fois. Seulement il a eu recours et voilal'occasionde mettre au monde une nouvelle habitude que j'ai beaucoup desiree : la publication des scenarios. Puisque nous arrivons aux scenarios avoua- bles, editez-les. Publiez-les tels que vous les avez concus. Et je vous predis qu'on les lira avec joie. Le livre se venge du theatre en conser- vant les vari antes et les scenes injouables. Qu'il trahisse pareillement l'ceuvre secrete du cinema et de ses impitoyables traditions. » Ainsi se trouve signalee et stigmatisee pour la premiere fois une des plus lourdes tares qui aient pese sur le cinema francais et dont (1) Marcel L'Herbier a confie lui-meme a Andre Lang qui V inter rogeait *u cours de I'enqucte qu'il mena en ig23 pour « La Revue Hebdomadaire » comment de la litterature il vint au cinema : « J'ai compris le cinima pen- dant la guerre, a la Section cinematographique de I'armee. La, j'ai senti la valeur de verite de I'arbre qui tombe, de la fumee qui s'evanouit, du village qui flambe, de V explosion. C'est ce qui me donna I' idee d'un premier film, dont un torrent etait le personnage principal. J'avais souhaite d' exprimer la force magnetique du torrent et montrer comme tout vibrait en fonction de lui , sur son parcours. Une chose tres simple, un jeu d 'ombres et de plans. II n'y avait qu'un homme, role secondaire dont voulut bien se charger Signoret. Quand le film sortit, je vis sur I'ecran un grand Signoret au premier plan et mon torrent etait devenu une petite riviere... C'est peut-etre ce qui me determina a me lancer tout a fait dans la bataille, a executer moi-meme ce que j'avais concu... » Henri Diamant-Berger. 48. Henri Pouctal. 47. Louis Feuillade. 49. Une scene de L'Orpheline, de Louis Feuillade. A gauche Sandra Milovanoff, a droite Rene Clair, a cote de lui Jeanne-Marie Laurent. VAIN V/M y. ■ ■■•«* , 50. Une scene de Monte-Cristo, d' Henri Pouctal. Au milieu Leon Mathot (Dantes), a droite Nelly Cormon (Mercedes) . 51. Une scene des 7>ots Mousquetaires, d' Henri Diamant-Berger. Au centre : Aime Simon- Girard (d'Artagnan), a droite : Maxime Desjardins (M. de Treville). NAISSANCE D'UN ART 193 celui-ci n'a pas fini de souffrir : Timpossibilite dans laquelle l'auteur se trouve de defendre son ceuvre contre ceux qui devraient £tre ses colla- borateurs, la certitude dans laquelle le realisateur se trouve de pouvoir mutiler ou deformer Tceuvre qui lui a ete confiee sans rien risquer etant donne la position dans laquelle il est place entre l'auteur et le produc- teur. Pour la premiere fois aussi, apparait ici l'idee qu'un theme de film pout presenter un inter&t intellectuel ou artistique suffisant pour justifier son auteur de vouloir le faire entrer en contact avec le public autrement que par le truchement des images pour la creation desquelles il a ete imagine. Sans doute cette idee est-elle en contradiction avec la conception meme que Ton doit avoir de l'ceuvre cinematographique, celle-ci ne tirant sa valeur, bien plus, sa raison d'etre, que des seules images qui finalement la composent. Mais comme ceux qui sont charges de realiser ces images ne sont que rarement d'accord avec ceux qui les concoivent, il n'y a en definitive pas d'autre moyen pour le public de prendre connaissance de ce qui aurait pu etre et de le comparer a ce qui a ete fait que de lire ce qu'il a ete prive de voir... De cette suggestion — dont comme de bien d'autres, tout le merite lui revient — Delluc a tire tout le parti qu'elle comport ait en publiant les scenarios de plusieurs des films qu'il realisa plus tard (1) et l'inter£t s'en est revele encore plus grand qu'il ne le croyait lui-meme, puisqu'alors il ne s'agissait pas pour le scenariste de se defendre contre le realisateur. Ce sont ces noms de nouveaux venus : Abel Gance, Andre Antoine, Germaine Dulac, Marcel L'Herbier, Louis Delluc, Jacques de Baron- celli qui donnent a ce chapitre de rhistoire du cinema francais son accent personnel, mais il ne faudrait pas que ces noms, si importants qu'ils soient sur des plans evidemment differents, nous aveuglent au point de faire le silence sur des faits qui, a des titres divers eux aussi, meritent d^tre rappeles. Encore un peu de no uvea u : Films a vedettes En fournissant a Abel Gance les moyens de reveler ce dont il etait capable, Louis Nalpas a rendu au cinema un service inappreciable, mais ce n'est pas le seul et il convient de ne pas mepriser un film comme La Sultane de V Amour que Rene Le Somptier et Charles Burguet (1) Drames de cinema (La Fete Espagnole, Le Silence, Fievre, La Femme de nulle part) (Editions du Monde Nouveau Paris, 1923 J. Abel Gance publia, lui aussi, un scenario, celui de Napoleon (Librairie Plon, Paris i92y). 13 194 HISTOIRE DU CINEMA realiserent en 1918 sur un scenario de Frantz Toussaint (1). Pensez done : un film dont Taction se deroulait dans une atmosphere bien plus feerique que realiste, un film qui devait couter tres cher et qui avait ete entrepris sans l'appui d'un titre se trouvant aureole d'une publicite prealable du seul fait qu'il est celui d'une ceuvre litteraire ou theatrale celebre ou mieux encore populaire. Cette initiative audacieuse fut payee de succes, mais le nombre des films tires des chefs-d'oeuvre — si Ton peut dire — de notre litterature s'en trouva tout juste diminue d'une unite (2). A signaler egalement, encore que la reussite en fut moins eclatante, le Christophe Colomb de Gerard Bourgeois, a signaler pour 1'interpre- tation que donna du principal role, Georges Wague, un des tres rares mimes, sinon le seul dont le talent ait ete — peu souvent mais utile- ment — mis au service du cinema, non moins que parce qu'il est le premier film francais dont le devis depassa le million : l'heure des folies avait sonne ! L'heure de nouvelles vedettes aussi ou plutot de nouvelles futures vedettes. C'est en effet en 1917 que, pour la premiere fois, sont livres a la curiosite et a la sympathie du public deux noms feminins qui, a des titres divers et a des dates plus ou moins eloignees, devaient e^tre ceux de veritables vedettes dans le sens le plus complet et le moins g£nant du mot : Suzanne Grand ais et Gaby Morlay. Employee dans une maison de commerce parisienne, c'est par hasard que Suzanne Grandais etait, toute jeune, montee sur les planches — ■ repondant a une note de l'administration du Theatre des Varietes qui demandait de « jeunes et jolies filles pour figuration » dans la comedie de R. de Flers, A. de Caillavet et E. Arene : Le Roi — et c'est la — encore par hasard ou presque — que le cinema vint ofTrir a la figurante anonyme qu'elle etait des rdles qui, pour ne pas changer, n'etaient (1) De cette prise de contact avec le cinema, Frantz Toussaint garda un souvenir assez bon pour vouloir, quelques annees plus tard, realiser lui- mSme un scenario qu'il avait imagine" : Inch' Allah \1922). (2) Ce film mit en evidence la charmante France Dhelia qui, jusqu'en 1925, restera au premier plan des vedettes du cinema francais qui ne sut que rarement lui donner les roles dont sa nature pouvait s'accommoder et que son talent meritait. A signaler encore parmi les interpretes de ce film Gaston Modot qui, quelque temps plus tard, fut la vedette d'un film « UnOurs» apres lequel il aurait pit devenir une vedette de premiere grandeur. Mais pour lui non plus I'effort intelligent qu'il meritait ne fut pas fait. On retrouvera Modot tout au long de V Histoire du cinema francais, dont il est un des « cas » les plus curieux et les plus sympathiques : tantot acteur, tantot scenariste, tantot meme realisateur. ( V. p. 268 ) Marcel Levesque faisail aussi partie de V interpretation de ce film. NAISSANCE DUN ART 195 encore que de figuration. Et des mois pa^serent ainsi, ju.qu'au jour ou Leonce Perret remarqua la petite figurante, lui confia un rdle un peu plus visible pour finalement faire d'elle sa partenaire dans quel- ques-unes de ses petites comedies (1) : Suzanne Grandais n 'etait plus une figurante — elle avait notamment connu un joli succes dans Fan- taisie de Milliardaire d' Henri Fescourt — mais c'est seulement au lende- main de la guerre que sa personnalite se degagera de maniere a donner a la vedette qu'eile sera devenue sa physionomie particnliere, si par- ticuliere qu'on n'en peut trouver une equivalent e dans l'innombrable personnel feminin du cinema francais (2). Quant a Gaby Morlay — qui etait encore Gaby de Morlay — elle commencait a avoir une situation assez en vue au theatre (3) et elle avait deja tourne plusieurs films comme Pour epouser Gaby (1917) lorsque Charles Burguet lui confia le principal rdle du film qu'il entre- prenait d'apres le roman d 'Andre Theuriet : Au Paradis des Enfants, puis d'Un Ours (oil elle eut pour partenaire Gaston Modot qui etait l'auteur du scenario) et du Chevalier de Gaby. C'etait le commencement d'une carriere de vedette assez irreguliere, assez heurtee m£me, au cours de laquelle le nom du metteur en scene se retrouvera plusieurs fois a c6te de celui de son interprete et qui ne connaitra son plein epa- nouissement que lorsque le cinema sera devenu parlant. Enfin. derniere conque"te du cinema au cours de la guerre : la crea- tion de la Societe des auteurs de films. La societe des auteurs de films C'est en 1908, nous l'avons vu, que pour la premiere fois un pro- ducteur de films s'etait avise de reconnaitre qu'a l'origine d'un film il devait y avoir un auteur et qu'il y aurait peut-6tre interet pour lui, (1) La Paix du Foyer, Eugene amoureux, Cupidon aux manoeuvres, Le Coq en pate, etc. (2) V. p. 456. (3) Gaby de Morlay avait tenu des roles en tons genres — ■ come" die, drame, operette, revue — aux Capucines, a Marigny, au Chdtelet ; elle etait my me devenue pendant quelques semaines une personnalite bien pari- sienne en obtenant, alors qu'aucune femme n'y pensait, le brevet de pilote de ballon dirigeable, a une epoque oU, aux deepens de V avion, toute I 'atten- tion du public etait tournee vers les dirigeables. Au cinema, elle avait debute sous la direction d' Henry Houry dans une serie editee par « Eclipse », se faisant remarquer particulierement dans La Sandale rouge. Puis elle avait ete la partenaire de Max Linder dans « A out 191 4 » et en 191 5 avait t tourne' » Les Epaves de 1' Amour, de Rene Le Somptier. 196 HISTOIRE DU CINEMA producteur, a ce que cet auteur fut de qualite. Ce sont deux hommes de theatre, Le Bargy et Andre Calmettes, nous Taverns encore vu, qui ont tres simplement accompli cette petite revolution dans les mceurs cine- matographiques et on ne saurait leur en 6tre trop reconnaissant : sans doute, tout bien considere et avec tout le recul necessaire, est-ce la le seul apport heureux que le theatre ait fait au cinema. Done il y avait un auteur a l'origine d'un film et le nom de cet auteur figurait en tete du film, dans ce que, par la suite, on fut convenu d'appeler le « gene- rique ». Imm&liatement le r^alisateur du film qui, par une assimilation imprudente et inexacte avec ce qui se passait au theatre, se faisait appeler « metteur en scene », s'avisa de penser qu'il n'y avait aucune raison pour qu'il fut moins bien partage et ce n'etait que justice : voici done que Tetat -civil du film se constitue. Mais, tres vite, les realisateurs- metteurs en scene s'apercurent que le role des auteurs se reduisait dans l'ceuvre commune a fort peu de chose : le plus souvent a une signature qu'ils apposaient, avec un detachement plus ou moins dedaigneux, au bas de l'acte par lequel ils ceMaient au producteur le droit d'utiliser a des fins cinematographiques leur com&Iie ou leur roman et que e'etaient eux, les metteurs en scene, qui faisaient l'essentiel de la besogne d'ordre cin^matographique, ce qui etait indiscutablement exact. De la, a conclure qu'ils etaient les auteurs du film, il n'y avait qu'un pas. Ce pas, les metteurs en scene le franchirent naturellement et, ma foi I on ne peut pas dire qu'ils eurent tort. II reste en effet a demon- trer que, du moins tant que le film resta muet et que le realisateur fut a la fois l'adaptateur de l'ceuvre qui l'inspirait, l'auteur du scenario sur lequel le film allait £tre construit et le realisateur de ce film, le metteur en scene n'etait pas l'auteur du film, exception faite de quel- ques cas extre*mement rares, dans lesquels les auteurs dramatiques et romanciers aux ceuvres desquels le cinema demandait la matiere qu'il allait transformer dans ses studios-usines tinrent a collaborer au film qui courrait le monde sous le titre de leur roman ou de leur drame. Ce fut done de tres bonne foi que, lorsque — en 1917 — les metteurs en scene-realisateurs r^pondirent a l'appel de l'un d'entre eux, Camille de Morlhon, qui avait compris l'inter£t qu'il y aurait a grouper ces forces eparses pour leur donner des regies professionnelles et leur per- mettre de defendre leurs droits en face des producteurs, ils choisirent pour le groupement qu'ils venaient de constituer cette appellation : Societe des auteurs de films. Ainsi « les auteurs de films » avaient une existence legale, administrative, sociale, ce qui ne voulait pas dire que les films avaient pour auteurs uniquement ceux qui se donnaient ce titre. Mais la question ne se posait pas, pour le moment, et quand elle se posera, on se rendra bien compte qu'elle n'etait pas si simple que la creation de la Societe des auteurs de films pouvait le laisser suppo- NAISSANCE D'UN ART 197 ser... Si peu simple qu'en 1947 elle n'est pas encore reglee et qu'elle regoit des reponses qui vaxient suivant les pays, les epoques et les juri- dictions auxquelles elle est posee. Mais bien qu'elle amchat en tete de son papier a lettre une raison sociale dont personne n'avait pense a d^finir le mot principal, la Soci&e des auteurs de films representait une victoire morale a inscrire a l'actif du « cinema-art », victoire dont Timportance apparait pour peu que Ton se souvienne que c'est seule- ment lorsqu'il y avait des auteurs dramatiques depuis des siecles que l'un d'eux — Scribe — pensa en 1829 ^ les grouper et a fonder la Societe des auteurs et compositeurs dramatiques. A peine age de vingt-deux ans, le cinema etait aussi avance que son grand aine le theatre. Qu'il n'ait pas su tirer de cette victoire qu'il venait de rem- porter sur le temps tous les avantages qu'elle comportait, c'est la une autre question dont l'etude d£passerait les limites de cet ouvrage. Et ce n'est pas une raison pour que les « auteurs de films » ceux de demain surtout qui, dans l'exercice de leur profession, pourront s'ap- puyer ^ur une definition precise leur permettant de determiner exac- tement et justement leurs droits, ne se sentent pas lies par une dette de reconnaissance a celui qui, le premier, pensa a leur donner un statut ainsi qu'a tous ceux qui, apres Camille de Morlhon, ont assure a la Societe des auteurs de films la destined qui lui etait due (1). Cet effort d'union tente par Camille de Morlhon sufnrait a montrer qu'il y avait dans les rangs du cinema francais des hommes qui avaient conscience que tout n'y « roulait pas rond » et que si on ne le defendait pas avec intelligence et energie, il ne pourrait resister aux assauts que le cinema americain lui livrait et encore moins a ceux qu'il lui livrerait lorsque la guerre serait terminee, assauts auxquels s'ajouteraient alors ceux qui lui viendraient d'Allemagne et de tous les pays qui, la paix revenue, ne manqueraient pas de reprendre leur expansion cinema- tographique. (1) Fondee au cours de deux assemblies qui se tinrent les 11 novembre et 16 decembrefigij, la Societe des Auteurs de Films eut success ivement pour presidents : Louis Feuillade (igiy-18) , Camille de Morlhon (igig- 22) ; Henri Pouctal ( ig22 — il mourut le 3 fevrier) ; Michel Carre (ig22~ ig25) ; Max Linder (ig2$ — il mourut le 6 octobre) ; Charles Burguet (ig2$-ig4o) ; Marcel L'Herbier (ig40-ig4$) ; Raymond Bernard (depuis ig45). En ig2g, lorsque la Societe des Auteurs de Films conclut un accord avec la Societe des Auteurs et Compositeurs dramatiques et devint partie integrante de celle-ci, elle changea de titre et devint V Association des Auteurs de Films. ig8 HISTOIRE DU CINEMA Fin de la guerre Mais l'effort de cohesion fourni par les « auteurs de films » resta unique : le cinema francais ne trouva pas la force de s'arracher aux methodes empiriques auxquelles il avait ete livre* jusqu'alors. Les horn- mes qui auraient pu l'organiser lui manquaient et ceux qui avaient tout d'abord fait figure de grands hommes a la tSte des maisons dont la production avait regne pendant vingt ans sur tous les ecrans du monde, commencaient a se d^courager ou a se fatiguer, a tel point qu'a la veille de l'armistice Charles Pathe publiait une petite brochure dans laquelle il faisait un expose des plus sombres de la situation, disant a chacun ses verites et dont la conclusion etait la suivante : « Nous avons tellement deshonore notre production que, pour nous rehabiliter, nous avons le devoir de faire mieux avec des moyens moindres. » Que le cinema francais eut le devoir de faire mieux et la maison Pathe la premiere, personne n'aurait eu le mauvais gout de n'en pas convenir... Charles Pathe etait orfevre, il savait de quoi il parlait. Son opinion etait ce qu'il est convenu d'appeler « une opinion autorisee » !... Mais si c 'etait en reduisant les moyens que les dirigeants des maisons de production mettaient a la disposition de leurs auteurs, de leurs reali- sateurs, de leurs techniciens que Charles Pathe esperait rendre au cine- ma francais sa prosperite et sa grandeur passees, il commettait la plus lourde, la plus inexcusable des erreurs et Ton ne saurait s'etonner qu'abandonne a des hommes capables de cornmettre de telles erreurs il en fut arrive au point ou il en e"tait. Louis Delluc, lui-m£me„ malgre son optimisme habituel commencait a desesperer. Mais comme il s'en voulait a lui-me'me d'en £tre arrive la, il s'efforcait de donner a son pessimisme des raisons auxquelles per- sonne avant lui n'avait pense : « Nous assistons a la naissance d'un art extraordinaire. Le seul art moderne peut-£tre, avec deja sa place a part et un jour sa gloire eton- nante car il est, en m£me temps, lui seul, fils de la m^canique et de l'ideal des hommes. On s'est peu int^resse a ses premiers appels. Mais savez- vous jusqu'a quel paroxysme ce delaisse nous menera ? C'est un art puisque sur lui on a accumule toutes les peines et qu'il se venge des aujourd'hui par un reflet de beaute... Done, je crois que dans six mois ou dans six ans, nous pourrons voir des films francais ou il n'y ait abso- lument rien d'idiot : cela n^cessite la suppression totale des scenarios actuels, la suppression presque totale des acteurs et actrices de cine — nous en garderons une douzaine — la suppression presque totale des metteurs en scene actuels — nous en garderons une demi-douzaine et NAISSANCE DUN ART 199 encore ce chiffre est-il tres exagere. Bien d'autres miracles seront encore realises... mais ils ne serviront a rien. Je veux bien croire, comme je vous l'ai dit, que nous aurons de bons films. Ce sera exceptionnel, car le cinema n'est pas dans la race. Toutes les races n'aiment pas tous les arts, n'est-ce pas ? Eh bien, la France qui aime la poesie, le roman, la danse, la peinture, ne sent pas la musique, n'aime pas la musique, ne connait pas la musique. Le genie de Debussy et de Dukas, l'esprit et la diversite elegante de Faure ou de Ravel n'emp£chent pas que l'ideal lyrique du pays se limite a Gounod. Je vous dis — nous verrons si l'avenir le dira aussi — que la France a aussi peu le sens du cinema que de la musique. » (1) Louis Delluc cherchait a justifier son pessimisme par des raisons dont la ported depasse singulierement la mauvaise qualite ou l'insigni- fiance des films et tout ce que comportait de deplorable la situation dans laquelle le cinema fran^ais s'etait mis lui-meme ! Ce faisant, Delluc avait-il mis le doigt sur la plaie : le temperament fran^ais serait-il oppose a ce que le cinema exige de ses fideles ? Ce qui est curieux c'est que, dans un volume qui parut dix ans plus tard, Rene Schwob formula a Tegard de nos compatriotes le m&ne reproche : « La France n'est pas plus le pays du cinema que de la musique. C'est le pays de la peinture et de 1 'architecture, du re*el et de l'individuel. Elle ne cesse de repousser le mystere par passion, dit-elle, de comprendre, mais plutot par une myopie qui l'emp^che de comprendre l'au dela du visible. Les pays du cinema ce sont l'enfantine Amerique et la mystique Russie. » (2) En indiquant quels sont a son avis les pays qui sont doues pour le cinema, Rene Schwob jette sur l'afnrmation, si Ton peut dire negative, de Delluc une lueur qui permet de lui donner toute sa signification. C'est parce qu'elle n'a pas de tradition culturelle la rattachant au thea- tre que « l'enfantine Amerique » a toute la liber te indispensable a la confection d'ceuvres purement cinematographiques. Quant a « la mystique Russie », n'est-ce pas tout simplement parce qu'etant sep- tentrionale elle est habituee a suggerer bien plus qu'a exprimer ce qu'elle pense etsent, qu'elle a ce qu'il faut pour reussir dans l'expression cine- matographique, celle-ci malgre tout ce qu'on peut £tre tente d'en penser restant interieure... ainsi que le prouve l'interpretation des meilleurs, de Sessue Hayakawa a Ivan Mosjoukine, d'Emil Jannings a Charlie Chaplin et de Victor Sjostrom a Greta Garbo. Ce que Ton peut — ce que Ton doit sans doute — dire avec quelque chance de serrer la verite d'un peu plus pres que Delluc et Rene (1) Louis Delluc : Cinema et Cie, pp. 282-283 (Bernard Grasset, Edit., Paris, 1919). (2) Rene Schwob : « La Melodie silencieuse », p. 170 (B. Grasset, Edit.). 200 HISTOIRE DU CINEMA Schwob, c'est que le cinema est un art d'expression septentrionale bien plus que meridionale, cette affirmation se trouvant etayee avec non moins d 'evidence par les films italiens que par les films suedois et par les uns et les autres non moins victorieusement que par ceux de « l'en- fantine Amerique » et de « la mystique Russie ». La m£me demonstration et non. moins peremptoire pourrait toe fournie, sans avoir a sortir de France, par une etude m£me sommaire du temperament et du caractere, voire par un simple coup d'ceil sur l'acte de naissance de nos cineastes — entendons les vrais, ceux qui ont pense a faire du cinema et qui en ont fait ou qui du moins ne se sont pas contentes de rouler dans les ornieres creusees par leurs predecesseurs — d'Abel Gance a Jacques Feyder, de Louis Delluc a Leon Poirier, de Marcel L'Herbier a Jean Epstein, de Germaine Dulac a Rene Clair ; pas un, pour nous limiter, comme il convient, a l'epoque du muet, pas un qui ait vu le jour au sud de la Loire. Affirmer que la France n'est pas le pays du cinema, c'est se laisser aller a une de ces generalisations faciles dans le genre de celle qui vou- drait faire croire qu'en France toutes les femmes sont rousses ainsi que l'affirme cet Anglais, qui mettant le pied sur le sol francais, est servi par une servante d'auberge a la chevelure flamboyante. Ce qui est vrai c'est qu'il y a eu en France — et des le debut — des hommes capa- bles de faire du cinema — Delluc le savait mieux que quiconque — a condition qu'on les laissat s'abandonner a leur temperament et s'eva- der comme ils le voulaient, parce qu'ils avaient compris que cela etait indispensable, des traditions litteraires et surtout theatrales auxquelles est soumis l'esprit francais. Mais cela on ne le leur permit pas. Ce n'est pas le temperament francais qui est rebelle au cinema, mais le climat qui avait ete artificiellement cree autour du cinema, et la meilleure preuve en est dans le fait que lorsque certains des metteurs en scene francais — et dont pas un pourtant n'arrivait a la cheville d'un Gance — se trouverent sur le sol de « l'enfantine Amerique », jouissant de la liberte que le cinema de ce pays possedait a 1'egard de toutes les con- ventions qui faisaient la misere du cinema francais, leur production prit immediatement et tout naturellement une valeur que leurs films anterieurs, faits en France, etaient loin de posseder : « l'enfantine Ame- rique » aurait-elle d'ailleurs pris a son service des hommes appartenant a un pays incapable en bloc et specifiquement de faire du cinema ? Aurait-elle fait a l'un de ces hommes une situation qui n'a pas grand'- chose a envier a celle de ses meilleurs metteurs en scene nationaux, si vraiment cet homme, tout simplement parce qu'il etait francais, avait ete incapable de faire du cinema ? Le succes qu 'Albert Capellani con- nut en Amerique, de 1913 a 1918, et pendant quelques annees encore, avec des films comme La Lanterne Rouge et surtout Hors de la brume NAISSANCE D'UN ART 201 dont Alia Nazimova etait la vedette, est la pour prouver que, meme dans un pays que Ton pouvait estimer particulierement doue pour le cinema parce qu'il n'avait dans son fonds rien qu'il put opposer — ou qui put s'opposer — au libre epanouissement de l'art nouveau, il y avait des Francais capables de f aire du cinema et de telle sorte que Ton put regarder comme une erreur l'amrmation trop absolue de Louis Delluc (1). (1) Les autres Francais qui defendirent alors le bon venom du film francais en Amerique, ct cote d' Albert Capellani, furent Leonce Perret, Louis Gasnier, Entile Chautard et aussi et surtout Maurice Tourneur (v. vol. Ill) TROISlEME partie DES HOMMES ET DES OEUVRES 1919-1929 DES HOMMES ET DES CEUVRES Consequences de la guerre La guerre avait profonctement bouleverse' la vie cinematogra- phique francaise. Alors qu'en 1914 on ne voyait pour ainsi dire pas de films etrangers sur les ecrans francais, ceux-ci, devant Tassaut qu'ils avaient subi pendant quatre ans, s'etaient largement ouverts aux bandes venant d'au dela les f rontieres et particulierement d'ltalie et d'Amerique. C'est ainsi qu'en 1919, a c6te de deux cent huit bandes nationales, ils en avaient accueilli huit cent trente-neuf americaines, soixante-deux italiennes, vingt-deux anglaises et une su£doise. Cette proportion ne variera guere pendant plusieurs annees — en 1921 : cent soixante-trois films francais, six cent cinquante et un americains, soixante-huit italiens, cinquante-deux scandinaves, vingt-sept anglais, deux hollandais, un tchecoslovaque et un autrichien — et l'importation des films italiens diminuera, a mesure que la production des studios romains et turinois se ralentira, sans que le nombre de films francais s'en trouve augmente. La qualite et l'ori- ginalite des films scandinaves vaudra a ceux-ci un succes grandissant pendant que l'Amirique developpera encore son effort, en attendant que les films allemands reprennent place sur les ecrans francais, en depit des engagements solennels que les commercants — distributeurs et exploitants — avaient pris de ne faire pendant dix ans aucune affaire avec les firmes d'outre-Rhin. Cette situation n'avait pas ete sans creer une certaine inquietude chez ceux qui avaient lie leur sort a celui du cinema frangais et qui ne se mettaient pas les mains devant les yeux pour ne pas voir les dangers dont ils ^taient menaces. C'est ainsi que le plus hardi, le plus heureux des industriels, Charles Pathe, sans meme attendre la fin de la guerre, avait publie une petite brochure dans laquelle il faisait un expose tres lucide et tres complet de la situation : concurrence insoutenable faite, non seulement sur le marche mondial mais en France meme, aux films francais par les films americains, possibility d'exportation restreintes aux films d'importance ou de caractere exceptionnels, esprit de routine des producteurs et des metteurs en scene limitant a l'extrlme le nombre de ces films exceptionnels susceptibles de faire carriere a l^tranger, et 206 HISTOIRE DU CINEMA de tout cela Charles Pathe* tirait cette conclusion : « Nous avons tene- ment d6shonore notre production que, pour nous rehabiliter, nous avons le devoir de faire mieux avec des moyens moindres. » Conclusion inat- tendue et peu propre a susciter les efforts necessaires. Cette conclusion exprimait pourtant un etat d'esprit auquel bien peu de producteurs echappaient. Avant raeme d 'engager la lutte sur le terrain artistique comme cela eut ete necessaire en face des films suedois et sur le terrain de l'organisation financiere, industrielle et commerciale avec l'Amerique, ils eprouvaient une lassitude dont ils n'essayaient meme pas de se delivrer. A quoi bon hitter ? L'Amerique avait pris pied en France, elle offrait a l'exploitation des films en tous genres a des prix defiant vraiment toute concurrence, elle avait trouve des appuis parmi ceux-la memes qui, ayant ete les premiers beneficiaires de la prosperite du cinema francais, auraient dil continuer a le servir et a le defendre et qui, au lieu de cela, s'etaient f acilement rendu compte qu'il y avait plus d'int^ret pour eux a distribuer ou a exploiter des films americains qu'a perseverer dans une production que la concurrence rendait de jour en jour moins facile. Fortes de ces complaisances, de ces complicites, les grandes firmes americaines avaient installe des succursales a Paris d'ou elles avaient etendu une enorme toile d'araign^e sur la province, h'6sitant pas a s 'assurer les debouches dont elles avaient besoin en achetant des salles de projection et meme ce qu'en jargon professionnel on appelle des « circuits », avant d'en ar river a envoyer en France leurs metteurs en scene et leurs « stars » afin de realiser des films qui leur permettraient d'affirmer que ce n'etait pas a une volonte de colonisation qu'elles ob&ssaient mais a un tres cordial d£sir de collaboration dont le cinema francais, non moins que l'ameri- cain, devait tirer profit. Et dans cette action lente et habile de penetra- tion, le cinema americain etait d'autant plus fort qu'il etait soutenu sinon guide par son gouvernement a qui la guerre avait appris que le cinema n'est pas seulement un commerce comme un autre, mais qu'il est aussi et surtout un incomparable moyen de r6pandre des idees dont il entendait tirer le maximum d'avantages sur le plan diplomatique et politique. De cette volonte murement reflechie et solidement arretee, la France allait voir les effets redoutables pour elle, le jour ou, convain- cue enfin de la necessite de defendre son cinema national, elle voudrait prendre des mesures de protection pourtant bien legitimes. Mais au lendemain de la guerre, le gouvernement francais n'en est pas encore la : il ne s'interesse pas au cinema et celui-ci, abandonne a lui-meme, trahi par ceux-la memes qui auraient du le defendre ne serait-ce que parce qu'il les a enrichis, se trouve peu a peu vaincu sur son propre terrain par le cinema americain et cela sans avoir esquisse de resistance. Et pourtant, cette resistance aurait 6te possible sinon facile, car elle aurait DES HOMMES ET DES GEUVRES 207 pu concentrer tons ses efforts en face du cinema americain, la concur- rence des films italiens diminuant de jour en jour, celle des films sue- dois n'^tant pas soutenue par une organisation commerciale qui put la rendre dangereuse et les films des pays ex-ennemis devant etre tenus eloignes des ecrans francais pendant une periode de dix ans (1). En fin, il y avait encore une raison pour les dirigeants de la vie cin£matographique francaise de prendre en mains la cause de leur cinema national et c'etait le public francais qui la leur fournissait. Celui-ci, que les films venus de l'etranger instruisaient, commencait, en effet, a se rendre compte que le cinema valait mieux que les Course a la perruque et autres Mefaits a" une tete de veau, mieux meme que L'Assassinat du Due de Guise et les petites comedies de Max Linder. Un mouvement se produisait dans l'opinion ; les journaux et revues ne croyaient plus dechoir en publiant des articles qui traitaient des choses de l'ecran aussi serieusement que de celles de la litterature ou de la scene et au bas de ces articles se trouvaient des signatures qui etaient celles d'hommes prudents que Ton ne pouvait soupconner d'enthou- siasme inconsidere et qui avaient 1 'habitude de tremper leur plume trois fois dans l'encrier avant d'en laisser tomber le mot charge" d'exprimer leur pensee et qui allait engager leur reputation. C'est ainsi que, des 1915, les lecteurs de la grave « Revue des Deux Mondes » n'avaient pas et6 peu surpris, sinon scandalises, de lire un article de Rene Doumic lui-meme ou il etait question du developpement pris par le cinema et de l'attrait exerce sur les foules par les spectacles de l'ecran : « Une vague si enorme s'impose a l'attention. Nous sommes dans l'age du cin^mato- graphe ! » Sans doute y avait-il quelque regret dans cette constatation et l'austere critique deplorait-il au fond de lui-meme que la France, tombant de Corneille, de Moliere et de Racine a Feuillade et a Rigadin, donnat une telle preuve de manque de gout, mais personne n 'etait encore all6 si loin dans l'afrirmation d'une evidence qu'il n'allait desor- mais plus etre possible de nier. Dix ans plus tard, Abel Gance s'ecriera : « Le Temps de l'lmage est venu ». Sans doute y a-t-il loin de la petite phrase du secretaire perpetuel de l'Academie francaise a Tenthousiaste acte de foi de cet apotre du nouvel art qu'est Abel Gance et ne convient- il pas de donner a l'afiirmation du premier la meme valeur qu'au cri du second, mais il n'en est pas moins vrai qu'en 1919-1920, on etait dans «l'age du cinema » et que « le Temps de l'lmage » approchait, mais les industriels et les commercants du cinema etaient les derniers a penser que cela leur creait des obligations. lis ne voyaient que les (1) Cet engagement ne devait pas etre tenu, mais en 1919 et 1920 on pouvait croire que le cinema francais n'avait pas, pour quelque temps du moins, a se preoccuper de la concurrence allemande. 208 HISTOIRE DU CINEMA droits qu'ils s'etaient acquis en faisant fortune et dont le premier etait de continuer a se tromper. Ce sont done, apres comme avant et pendant la guerre, les memes films qui sortent des studios francais (i), les memes romans (2), les memes drames et comedies sur lesquels se penchent producteurs et metteurs en scene (3) et dont Interpretation est assuree par les memes acteurs de la Comedie-Francaise, de l'Odeon et des Theatres des Bou- levards (4) quand ils ne sont pas de l'Op^ra ou de l'Opera-Comique (5) et ce sont les memes hommes qui constituent le gros du personnel qu'uti- lisent les studios des grandes firmes de production : Pathe, Gaumont, Eclair, Eclipse, Film d'Art, Aubert. Quant aux metteurs en scene — puisque ce mot qui ne correspond a, rien et qui est seulement la preuve de la soumissjon origin elle du cinema au theatre s'est impose — ce sont tout d'abord ceux qui travaillaient avant la guerre qui ont la faveur et la confiance des producteurs : avec eux on sait ou Ton va, on est a l'abri des surprises que reservent trop souvent les jeunes, merae quand ils ne sont pas des (1) Void les Hires — eloquents — de quelques films realises en 1 917 : Les surprises d'Anana, Le Toutou de la danseuse, Casimir et Petronille au bal de 1'ambassade, Grospoulot vient de divorcer, Taupin et sa belle- mere, Le reve de Duballot, Zizi fait des siennes..., et void des litres de films de 1919-1920 : Le chahut a l'ecole, Polard est amoureux, Toto man- nequin par amour, Tribulations d'un epicier, Un sombre drame chez Albert Lingot, Lune de miel sans miel, Ducosteau et Gringalet, Plouf veut se suicider... (2) Emile Zola est particulierement recherche : Travail, La Terre, Pour une nuit d'amour, L'Assommoir, Le Reve; de Dumas on voit La Dame de Monsoreau, Les Trois Mousquetaires ; de Balzac Le Pere Goriot ; de George Sand, La Petite Fadette, puis La Mare au Diable ; d'Alphonse Daudet : Fromont jeune et Risler ain6, Jack et Le Petit Chose; de Cher- buliez, Miss Rovel ; de Jules Verne Mathias Sandorf ; de Pierre Loti Le Roman d'un Spahi, Ramuntcho pour en arriver aux Mysteres de Paris d'Eugene Sue, a Jocelyn de Lamartine, a L'Atlantide et a Koenigsmark, de Pierre Benoit. (3) Quant aux ceuvres dramatiques, tous les genres sont exploites : Le Bercail, Le Detour, La Rafale d'Henry Bernstein, comme Gigolette de Pierre Decourcelle, Maman Colibri d'Henry Bataille, comme La Pocharde de Jules Mary, L'Occident d'Henry Kistemaeckers et Le Destin est maitre de Paul Hervieu, comme Un Fil a la patte de Georges Feydeau, Blanchette de Brieux et Les Trois Masques de Charles Mere, comme Le Petit Caf6 de Tristan Bernard. (4) De Feraudy, Jean Herve, Gretillat, Philippe Gamier, P. Capellani, Huguenet, A. Bour, Joube, Signoret, Escande ; Mmes Th. Kolb, C. Fon- teney, Bl. Dufrene, A. Pascal, Euginie Nau, G. Dermoz. (5) Lina Cavalieri, R. Badet, Marthe Lenclud, Kouznetzoff, Napier- kowska. 2. Robert Boudrioz. 53. Henry- Roussell. 54- Leonce Perret. 5. Une scene de Kcenigsmark, de Leonce Perret. Au centre : Huguette Duflos (la Princesse Aurore). 56. Dans Violettes Imfieriales d'Henry- Roussell. Suzanne Bianchetti, Raquel Meller, Andre Roanne. 57. Pierre Blanchar et Raquel Meller dans La Terre Promise d'Henry-Roussell. 58. Maurice Schutz, Charles Vanel et Jacques de Feraudy dans une scene de L' Aire de Robert Boudrioz. DES HOMMES ET DES (EUVRES 209 novateurs. Et avant tous autres, les trois hommes qui, des annees durant, ont donne les preuves les plus regulieres de leur experience : Camille de Morlhon, Henri Pouctal et Louis Feuillade. Les Veterans : i° Camille de Morlhon. — Camille de Morlhon, qui n'avait pas fait moins de douze films pendant la guerre (1), continua pendant les annees 1919 et 1920 a exploiter le domaine dans lequel il etait passe maitre — celui de la comedie dramatique interpretee par des acteurs dont les noms figuraient en tete des amches des plus grands theatres parisiens : Cande, Andre Lefaur pour Une fleur dans les ronces, aussi bien que par des acteurs qui ne devaient leur popularite qu'a leurs creations cinematographiques : Charles de Rochefort et Helene Darly pour Fille dn peuple — puis son activite se ralentit et on ne retrouve plus son nom qu'en tete de quelques films documentaires comme Roumanie, Terre d' Amour qui, dix ans plus tard, vint rappeler^ son nom a ceux qui Tavaient oublie — car plus encore qu'au theatre ou dans le monde des lettres on oublie vite dans les studios (2). 2° Henri Pouctal. — C'est la mort qui, en 1921, mit fin a la carriere d'Henri Pouctal. Jusqu'a cette date Pouctal avait continue son activite de metteur en scene, entassant film sur film — du meilleur et du pire. Du pire : un certain Chantecocq que Louis Delluc ne pouvait arriver a lui pardonner ; du meilleur : Monte-Cristo — le premier des Monte-Cristo francais — dont Leon Mathot avait tenu le role principal, Jean Angelo qui devait en etre le cr^ateur en ayant ete empeche par sa mobili- sation (3). Puis, dans L' Instinct qu'il tira de la piece d'Henri (1) Void les Hires et les inter pretes de quelques-uns des derniers films de Camille de Morlhon : Sous runiforme (Leon Mathot, Louise Colliney), Cceur de Gavroche (Leontine M assart, Felix Gandera), Marise (Arquil- liere, P. Guide", Marise Dauvray), Simone (Duquesne, R. Joube, Lillian Greuze, M. Escande), Expiation (J. Angelo, P. Croue, G. Robinne), L'Ibis bleu (P. Magnier, Jean Worms, Maxa). (2) Lorsqu'il eut cesse toute activite de metteur en scene, Camille de Morlhon ne cessa pas de s'interesser aux choses cindmatographiques. C'est ainsi qu'il continua a s'occuper des inter its de « la Socidte des Auteurs de Films », qu'il avait fondee et dont il avait ete nomme President d' Honneur apres V avoir efiectivement presidie. Puis la Radio Vattira et a partir de 1935 plusieurs grands posies ont inscrit a leurs programmes des emissions signees de son nom. (3) Les autres roles de Monte-Cristo etaient tenus par Nelly Cormon, Marc Girard, Gaston Modot, Jacques Robert. 14 210 HISTOIRE. DU CINEMA Kistemaeckers, il avait fait debuter Huguette Duflos qui, parallele- ment a sa carriere officielle a la Comedie-Francaise, allait parcourir une carriere cin6matographique des plus brillantes ; il avait dirige* Rejane dans Alsace et, sautant avec desinvolture de Georges Ohnet et de Pierre Decourcelle a Emile Zola, il dota le cinema francais de deux films comme tant d'autres : Volonte (Huguette Duflos, Leon Mathot, Paul Amiot) et Gigolette (Ch. de Rochefort et Sephora Mosse) et d'un troisieme : Travail (Huguette Duflos, Raphael Duflos, Leon Mathot) qui marque l'epanouissement le plus complet des methodes de Pouctal, methodes de labeur consciencieux, solide et tranquille, ne cherchant pas a eblouir, demandant a tous ceux qui collaboraient a l'ceuvre de connaitre leur metier, de l'exercer honnetement et de con- tribuer, chacun en ce qui le concernait, a la bonne tenue de l'ensemble. C'etait deja ce qu'a partir de 1935 on se plaira a appeler du travail d'equipe. C'est en effet la le principal merite de Pouctal : sachant ce qu'il valait, mais ne s'illusionnant pas lui-meme sur cette valeur a condition que l'opinion publique n'ignorat pas qu'il etait un des pre- miers — sinon le premier — parmi les maitres du cinema, il avait compris qu'en nelaissant rien a l'improvisation et en sachant s'entourer de ce qu'il y avait de mieux, tant dans le domaine de Interpretation que dans celui de la technique, il entretiendrait autour de son nom l'aureole qui s'y etait formed (1). La suite ininterrompue de succes qu'il remporta vint lui prouver l'exactitude de ce tres sage et tres prudent raisonnement qui, ne serait-ce que parce qu'il etait en avance sur son temps, n'est pas sans merite. Changeant brusque ment son fusil d'epaule, car il s 'etait apercu que le cinema francais ne possedait pas les films comiques auxquels il pouvait pretendre — c'est une d^couverte que ceux qui suivent le mouvement cinematographique font et refont a intervalles plus ou moins reguliers — Pouctal venait de faire sien un personnage auquel La Fouchardiere avait r£cemment donne naissance et qui avait connu une immediate popularity : Bicard dit Le Bouif. Tres habilement il avait choisi pour incarner ce personnage un acteur de cafe-concert valant beaucoup mieux que ce a quoi il etait condamne : Tramel et il avait deja termine les deux premieres bandes de la se>ie : Le* crime du Bouif et La Resurrection du Bouif, lorsqu'une hemorragie cerebrale le terrassa au studio Pathe : mort sinon du soldat sur le champ de bataille, du moins du bon ouvrier sur le chantier. (1) Pour avoir une preuve de la valeur des hommes dont Pouctal savait s'entourer il sufjit de constatev que le succes — et la qualite — des films ay ant Tramel pour vedette resterent les mimes lorsqu'a sa mort ils furent realises par son premier assistant Louis Osmont. DES HOMMES ET DES (EUVRES 211 30 Louis Feuillade. — C'est aussi en plein travail, quatre ans plus tard, que la mort vint surprendre Louis Feuillade. Avant la guerre, Louis Feuillade avait connu le plus grand succes avec Fantdmas ; pendant la guerre, il avait renouvele ce coup de maitre avec Judex et il avait essaime autour de ce morceau de resistance toute une serie de films moins importants dont quelques-uns - — et ce n'etaient pas les meilleurs — n'etaient pas exempts de pretentions patriotiques mais ces essais en tous genres lui avaient facilement montre que, si c'etait dans le domaine des Fantdmas et des Judex qu'il se mouvait le plus ais^ment et le plus avantageusement, il ne lui etait pas interdit de chercher a modifier les limites et meme les aspects de ce domaine. C'est de cette d^couverte raisonnable qu'est nee Involution au cours de laquelle, parmi dix films d'importance et de valeur diverses (L'Orpheline, Vindicta, Le Gamin de Paris, La Gosseline etc.), Les Deux Gamines et Parisette (1) apporterent quelque chose de nouveau et de personnel. Sans doute est-ce toujours le triomphe du romanesque, mais ici le romanesque n'a plus rien de romantique, c'est du romanesque realiste, bourgeois, qui cherche bien plus a attendrir qu'a faire fremir. Plus de personnages d'exception, mais des hommes, des femmes et des enfants — les enfants tiennent une grande place dans les films de Feuillade — qui, s'ils sont encore jetes dans des situations singulieres, ne font que des gestes d'une banalite quotidienne. Avec ces deux der- niers films Feuillade connut un succes — dont une bonne part revient a celle qui en etait la vedette, Sandra Milovanoff — rejoignant presque celui de Fantdmas et de Judex, succes d'ouvrage fait sinon de main de maitre du moins de main de bon ouvrier n'ignorant rien de son metier et ne rougissant pas de le laisser voir. On a beaucoup m^dit de Feuil- lade, sans doute parce que ceux qui souhaitaient que la production francaise reprit la place qu'elle avait avant 1914 et que la guerre lui avait fait perdre, pensaient que ce souhait ne pouvait se realiser que si le cinema francais s'engageait hardiment dans les seules voies de l'art. lis avaient les yeux fixes sur les films suedois, sur ceux d'Abel Gance, de Marcel L'Herbier, de Louis Delluc et n'admettaient pas que, plu- sieurs centaines de milliers de spectateurs venant, chaque semaine, s'asseoir devant les ecrans, il fallut indispensablement fournir a ceux-ci des bandes capables de satisfaire tous les gouts, des films populaires aussi bien que des films artistiques, l'honneur etant ^aui lorsque ces films populaires ne sont pas une offense au gout et a la raison et qu'ils (1) 77 convient de rappeler que Rene Clair a tenu un petit role dans L'Orpheline ££ dans Parisette, ce qui doit itre compte a I'actif de Feuillade puisqu'en fait c'est aupres de celui-ci que I'auteur du Million a commence d'apprendre son metier. 212 HISTOIRE DU CIN£MA sont realises consciencieusement par des hommes connaissant le metier qu'ils exercent, ce qui etait le cas de Feuillade. Celui-ci possedait, en outre, un sens tres exact de Topportunite et aussi, ce qui ne gate rien, une chance qui ne se dementit jamais, car il ne se trompa ni dans le choix de ses sujets ni sur le moment auquel il convenait de les presenter a. un public qui les attendait impatiemment. Ce sont des qualites qui, bien sur, ne font pas les Sjostrom ni les Griffith mais qui, du moins, permettent au cinema de vivre et a ceux qui en vivent de gagner assez d'argent pour pouvoir en mettre une part a la disposition des novateurs et pour etre sans excuses quand ils ne fournissent pas a ceux-ci les mo yens de r^aliser leurs reves bienfaisants (i). Si Ton ajoute que Feuillade fut un des metteurs en scene qui, a cette epoque, surent le mieux choisir leurs interpretes et utiliser leur talent, on aura a peu pres justifie* le succes qu'il remporta et la place qu'il tint. Dedaigneux des vedettes theatrales auxquelles — depuis V Assassinat du Due de Guise — la plupart de ses confreres demandaient de leur procurer le succes qu'ils ambitionnaient, Feuillade n'eut jamais recours qu'au talent d'acteurs inconnus, peu connus ou meconnus — exception faite de Marcel Levesque — qu'il forma et faconna a sa guise et qui lui fournissaient Interpretation homogene et souple dont il avait besoin, tirant de chacun d'eux, le maximum, ce qui, lorsqu'il tombait sur une nature exceptionnelle comme Sandra Milovanoff, conferait a ses films une qualite dont il 6tait le premier a profiter (2). II ne faut done pas exageVer le m£pris dans lequel tant de bons esprits tiennent la production de Feuillade mais il ne faut pas non plus tomber dans l'exageration opposee comme le font Bardeche et Brasil- lach, ordinairement peu enclins pourtant a l'indulgence, qui ne crai- gnent pas d'afnrmer : « Sans Judex dont la gloire fut sans limites, rien n'aurait tenu devant l'etranger. (3) » (1) Les films de Feuillade rapporterent beaucoup d'argent a la Maison Gaumont. Peut-Stre est-ce pour cela que Leon Gaumont permit a Marcel L' Her bier de faire ses premiers films Rose- France, Le Carnaval des Veri- tas, Don Juan et Faust. De son cote Charles Pathe aida assez lar gement A bel Gance pour La Roue et pour Napoleon, il ne faut pas V oublier nonplus. (2) La troupe reguliere de Feuillade etait composee de Sandra Milo- vanoff, d'Edouard MathS, Fernand Herrmann, Georges Biscot, Louis Leubas, Charpentier, Gaston Michel qui mourut au Portugal pendant le travail de Parisette et qui fut remplace par Derigal, Emile Andre qui etait aussi Vassistant de Feuillade, Rene Poyen, Bouboule, Jane Rollette, Greyjane et Olinda Mano. Feuillade eut aussi recours dans la seconde partie de sa carrier e au talent de Blanche Montel, Berthe Jalabert, Andree Lionel, Violette Jyl, Ginette Maddie, Alice Tissot, Francine Mussey, et a celui de Cande, Jean Murat, Joe Hamman. (3) « Histoire de Cinema » (Denoel et Steele Edit. Paris, 1935), p. 144. DES HOMMES ET DES (EUVRES 213 Sans relever ce qu'il y a d'immodere dans le mot « gloire » applique* a Judex comme d'ailleurs a tout autre film, ce que Ton pent dire du chef-d'ceuvre de Feuillade c'est qu'il fut un bon film commercial qui, dans la mesure ou une production francaise le pouvait, occupa les ecrans nationaux au milieu du flot americain et prouva aux spectateurs qu'il y avait encore dans les studios francais des hommes capables de les amuser et meme de les passionner six semaines durant (1). Les Artisans. — Avec ceux de Camille de Morlhon, d'Henri Pouctal et de Louis Feuillade les noms que Ton vit le plus souvent sur les ecrans francais au lendemain de la guerre et qui plus longtemps qu'eux s'y maintinrent, puisque beaucoup d'entre eux y trouvaient encore place lorsque les ecrans devinrent parlants et meme au dela de cette date, sont ceux de Gerard Bourgeois que son Christophe Colomb avait porte au premier rang ; d'Adrien Caillard qui adapta adroitement plusieurs ceuvres d' Alfred Machard ; de Georges Champavert dont La Hurle ou Paul Mounet fit une de ses rares creations cinematographiques et Le Porion (Juliette Malherbe, Benedict) ne sont pas sans merites ; de Jean Durand qui fit de nombreux films dont Berthe Dagmar etait la vedette, entouree d'animaux ; de Ren6 Plaissetty dont Vile sans Nom (Mary Massart, Paul Amiot, Maria Fromet) donna des espoirs ; de Gaston Leprieur, de Maurice Mariaud, de Georges Monca qui, sans renoncer a son travail personnel, s'associera bientot avec Maurice Keroul pour une collaboration durable (2) ; d'Armand du Plessy qui, apres avoir essaye ses forces en Belgique (3), se fixe en France ou il se fait une place quelque peu scandaleuse avec des films comme La Garconne dont la piquante France Dhelia est la vedette (4) ; de Theo Bergerat qui couvre d'un nom celebre des films qui ne sont pas appeles a le devenir, mais qui a du moins le merite d'avoir cru que la grande artiste qu'etait Eugenie Nau, la creatrice de La Fille Elisa, pouvait servir Tart cinematographique et lui donna un role dans La Doulou- reuse Comedie ; de Maurice de Marsan et Charles Maudru qui, separe- ment ou en collaboration firent nombre de films : La Marque revelatrice, Le Gouffre, La Nuit rouge, VEnigme et surtout Le Lys rouge (5) ; de (1) Feuillade mourut en tournant Le Stigmate (ig25)> Le film fut achevi par son gendre Maurice Champreux. (2) V. p. 2ig (3) V. vol. II. (4) Le roman de Victor Margueritte fut de nouveau porte a Vecran lorsque celui-ci se mit a parler. Marie Bell fut la vedette de ce second film. (5) Les piincipaux roles du Lys Rouge etaient tenus par Suzanne Delve, Jean Dax et Georges Lannes. 2i4 HISTOIRE DU CINEMA Gaston Roudes, specialiste des romans et melodrames populaires (Prisca avec Rachel Devirys, Le Petit Moineau de Paris avec Regine Bouet, G. Melchior, Berthe Jalabert, Schutz ) qui adapta aussi et non sans adresse Les Rantzau d'Erckmann-Chatrian avec G. Melchior, Maurice Schutz, France Dhelia et Simone Vaudry et Oiseaux de Passage de Maurice Donnay et Lucien Descaves avec France Dhelia, Mevisto, Lucien Dalsace ; de Louis Paglieri ; d'Ernest Servaes qui se hasarda, un jour, a filmer une Mireille — ce dont la gloire de Mistral se serait bien passee — ou il confia le role d'Ourrias a Joe Hamman, tour a tour dessinateur, acteur et metteur en scene habile a tourner des films du Far- West dans les environs de Paris ; d'Henri Desfontaines qui, aussi actif apres qu'avant la guerre, donna de nombreux films auxquels, visiblement, il n'attachait pas grande importance comme Chateau Historique ou, a cote d'Emile Drain et de Colette Darfeuil, on vit pour la premiere fois sur les ecrans l'amusante Pauline Carton, comme Poker d'As et Belphegor ou Rene Navarre eut ses derniers grands rdles ; de Raoul d'Auchy (Stella Lucente avec Madeleine Lyrisse) ; d'Henri Etievant qui, afin de couronner brillamment une production abondante (La Nuit de la Revanche, Crepuscule d'Epou- vante avec la collaboration de Julien Duvivier), s'associera avec Mario Nalpas pour tenter de faire de Josephine Baker une vedette de l'ecran (i) ; de Robert Saidreau qui, renoncant au film policier de ses debuts (2) realisa quelques agreables comedies (Bonheur conjugal avec Lucienne Legrand, Pierre Etchepare, A. Dubosc ; L'Idee de Francoise avec Gina Palerme, des vaudevilles : Un Fil a la patte avec Germain) avant de connaitre un succes de vraiment bon aloi avec Jack d'apres le roman d'Alphonse Daudet (3) ; d'Andreani qui eut l'honneur de collaborer avec Canudo en r£alisant un roman de celui-ci : V autre aile dont les principaux roles etaient tenus par Charles Vanel, Jean Murat et Marthe Ferrare ; d'Andre Liabel qui, avec La Closerie des Genets dont Henry Krauss, Calmettes, H. Bosc, Viguier, Nina Vanna et Helene Darly etaient les bons interpretes, deploya une derniere fois les qualites qui avaient marque sa longue activite ; de Robert Peguy qui, apres avoir debute en fournissant a Feuillade des scenarios signes Marcel Robert avait commence a faire de la mise en scene et, au len- demain de la guerre avait repris son activite (Le Crime de Monique (1) Cette tentative avait pour titre La Sirene des Tropiques. Le scenario avait ete demande a Maurice Dekobra. Le principal role masculin etait tenu par Pierre Batcheff. (2) V. p. 126 (3) Les interpretes etaient Max de Rieux, Jean Yonnel, Alexiane et Yane Exiane. DES HOMMES ET DES (EUVRES 215 avec Yvette Andreyor et Jean Toulout ; Le Vol (Denise Legeay et Lucien Dalsace) collaborant avec Koline pour 600.000 francs par mots ! pour arriver a la veille du « parlant » a une satire assez violente : Les Mufles avec Suzanne Bianchetti et Pierre Stephen ; de Jean Kemm qui, apres avoir porte a l'ecran trois ceuvres de Paul Hervieu, Le Dedale, L'Enigme et Le Destin est maitre, connut ses plus grands succes dans des films d'un caractere vraiment populaire traites avec une sorte de maitrise comme V Enfant-Roi (Andree Lionel, Madys, Georges Vaultier, Joe Hamman, Louis Sance, Argentin et J.-P. de Baer) en six episodes et Le Bossu (Claude France, Nilda Duplessis, Gaston Jacquet, Marcel Vibert, Jacques Arnna, Pre fils), avant de fournir a Claude France un de ses meilleurs roles avec Andre Cornells d'apres le roman de Paul Bourget comme xl l'avait fait prece- demment pour Genevieve Felix en la choisissant comme vedette de La Ferme du Choquart ou elle avait eu pour partenaires Mary Marquet, Jeanne Even, Mevisto et Maurice Escande et surtout de L' Absolution ; de Rene" Leprince, ancien acteur de cafe-concert qui, engage par Char- les Pathe, s'etait attache a la fortune de la grande maison de Vincennes a laquelle, a travers tous les avatars qu'elle subit, il resta impertuba- blement fidele, produisant d'abord pour elle d'innombrables drames mondains (Le Calvaire d'une Reine, Les Larmes du Pardon, La Lutte four la Vie) dont Gabrielle Robinne et Rene Alexandre avaient ete les seules vedettes jusqu'au jour ou Gabriel Signoret etait venu trans- former en trio le duo si favorablement accueilli par le public, puis deve- nant peu a peu un des plus solides champions de la Societe des Cine- Romans — Emanation de la firme Pathe — pour laquelle il realisa quelques-uns de ses plus populaires succes (L'Empereur des Pauvres aux innombrables episodes imagines non sans pretentions sociales par FeUicien Champsaur et dont Leon Mathot, assiste par Gina Relly, portait le poids sur ses robustes 6paules; L' Enfant des Halles avec Gabriel Signoret, Suzanne Bianchetti, Francine Mussey, Lucien Dalsace; Le Vert Galant avec Aime Simon-Girard, Maurice Schutz, Claude Merelle, Ren£e H^ribel, Madeleine Erickson, de Guingand) contribuant avec le premier de ces trois films populaires et avec Jean d'Agreve, Vent Debout et Mon Oncle Benjamin a faire de Leon Mathot une des plus sures vedettes de l'ecran francais et couronnant sa carriere en devenant le metteur en scene favori de Claudia Victrix (1) (La Princesse Masha, (1) Femine de Jean Sapene, directeur general de la Sociite des Cine- Romans, Claudia Victrix etait venue au Cinima fermement resolue a con- querir les ecrans par tous les moyens comme elle avait, cantatrice, conquis la scene de VOpira et celle de I'Opira-Comique. 216 HISTOIRE DU CINEMA La Tentation) (i). Comme Louis Feuillade pour la maison Gaumont, Rene Leprince fit toute sa carriere au service de la maison Pat he ou de ses filiales ce qui constitue une chance a peu pres inappreciable a une epoque ou, du fait de la concurrence etrangere, la situation des metteurs en scene francais n'etait rien moins qu'assuree. Concurrence etrangere A cette date, en effet, la concurrence etrangere qui avait pris pied en France a la faveur de la guerre et qui s'organisait chaque jour un peu plus largement, un peu plus solidement, laissa voir nettement le danger qu'elle presentait pour la production francaise. L'heure n'est pas encore venue ou William Hays, grand maitre du cinema americain, lancera, au cours d'un banquet, sa formule, appelee au plus grand retentissement : On disait autrefois : « Le Com- merce suit le pavilion ». On pourrait dire aujourd'hui : « Le Commerce suit le film », mais l'Amerique n'avait pas besoin d'une formule — si heureuse qu'elle put etre — pour se rendre compte que, dans son expan- sion a travers le monde, le cinema, qui devenait de jour en jour de facon plus precise son industrie nationale, pouvait lui rendre les plus grands services et non seulement dans le domaine commercial. Et elle inten- sifiait insensiblement et fort adroitement son effort pour coloniser les ecrans francais, concluant des accords pour la distribution massive de ses films, accords qui se revelaient si avantageux que leurs benefi- ciaires ne pouvaient resister, ouvrant des succursales, achetant des salles et merae des circuits de salles et trouvant des collaborateurs parmi ceux qui auraient du s'opposer par tous les moyens a cet envahis- sement. Et dans le meme temps, les films allemands reparaissaient sur les ecrans francais et les dirigeants des firmes berlinoises et munichoises elaboraient entre cin^astes allemands et cineastes francais des colla- borations dont ces derniers etaient rarement les beneficiaires. Cette periode est celle qui voit le d£clin rapide du cinema italien en proie aux memes maux que le cinema francais et c'est heureux car si les studios de Rome, de Milan et de Turin avaient continue a envoyer en France autant de films que pendant la guerre, la production francaise aurait ete completement etouffee. Mais il n'y a des lors, pour ainsi dire, plus de films italiens sur les ecrans francais. Malgre cela, la situation est telle que plusieurs des maisons de pro- (i) Rene Leprince mourut avant d'avoir acheve ce film que Jacques de Baroncelli accepta de mener a son terme. DES HOMMES ET DES CEUVRES 217 duction qui s'etaient developpees et avaient contribue a l'essor du cinema francais sont amenees a disparaitre. Cette disparition retira a la plupart des metteurs en scene et des comediens la securite que leur assuraient les engagements a l'ann^e les liant a ces maisons et les uns comme les autres se virent forces de travailler au jour le jour. La vie cinematographique francaise evoluait d'ailleurs sur un rythme de plus en plus rapide. Des hommes d'affaires surgissaient — on ne savait pas toujours d'ou — remplissaient a la hate les formalins exig£es par la loi pour constituer une societe au capital de . . . Le chiffre leur impor- tant peu car, le plus souvent, de ce capital ils ne possedaient pas le premier sou. Puis ils engageaient le personnel dont ils avaient besoin, louaient un studio et commencaient a tourner. II arrivait qu'ils eussent assez d'argent et de chance pour mener le film a son terme, mais il arrivait aussi qu'avant meme d'en etre a sa moitie, le travail fut brusquement interrompu parce qu'il n'y avait plus d'argent en caisse ou parce qu'un ou plusieurs cheques ayant ete emis sans provi- sion une plainte avait ete deposee au Parquet . . . Comment le travail et la valeur artistique des films realises dans ces conditions n'eussent- ils pas subi les effets de ces mceurs nouvelles ? Pour echapper a ces inconvenients ou du moins pour y parer dans la mesure du possible, quelques metteurs en scene se muerent en hom- mes d'affaires et se firent leurs propres producteurs, mais ils n'echap- perent pas toujours aux dangers qu'ils avaient voulu eviter : au lieu de se trouver en face d'un producteur insumsant, ils dependaient trop souvent encore de commandit aires incertains et au total ils ne travail- laient pas dans de meilleures conditions. Henri Diamant-Berger Les metteurs en scene qui ont eu cette double activite sont nom- breux. II serait vain d'essayer d'en dresser la liste. Mais il eri est un a qui il convient de faire une place particuliere dans ce domaine car il a resiste a toutes les tempetes, trouvant toujours au moment opportun la solution indispensable et surtout parce que, a travers toutes ses aventures il a reussi a attacher son nom a la fois comme producteur et comme metteur en scene a un film qui, aux yeux de beaucoup, plus sensibles aux apparences qu'aux realites, a marque une date de l'his- toire du cinema francais. C'est Henri Diamant-Berger, dont Les Trois Mousquetaires ont, pendant des mois, tenu en haleine la curiosite des foules presque aussi imperieusement que Fantomas ou Judex. Avec ses deux films, Feuillade avait apporte aux ecrans quelque chose de nou- veau ; avec Les Trois Mousquetaires, Diamant-Berger ne leur apportait 2i8 HISTOIRE DU CINfiMA rien de nouveau et il n'y pr^tendait pas, mais il savait mieux faire sa publicite que le champion de la maison Gaumont : Les Trots Mous- quetaires ne sont rien d'autre que le triomphe de la formule lancee par le Film d'Art, un Assassinat du Due de Guise mis au gout du jour par un homme intelligent qui sait ce qui plait au public et qui a vu des films americains. II y avait done du mouvement dans Les Trois Mous- quetaires, des chevauchees, des poursuites exactement comme dans un film du Far- West ; il y avait aussi du « panache » et un cadre his- torique, fourni tantot par des sites reels, tantdt par des decors et tout cela formait un ensemble irresistible aupres de milliers de spectateurs qui, pour avoir recemment decouvert William Hart n'avaient pas encore oublie Cyrano de Bergerac et qui etaient heureux de reprendre contact avec Alexandre Dumas sans avoir a faire le petit effort de tourner les pages d'un livre (i). En homme d'affaires adroit, Diamant-Berger voulut tout naturellement tirer de ce succes tous les avantages qu'il comportait ainsi que Dumas lui-meme l'avait fait et apres Les Trois Mousquetaires il fit Vingt Ans apres. Ce second film valait exactement ce qu'avait valu le premier et pour les memes raisons mais, pas plus qu'en librairie, le succes de Vingt Ans apres n'approchaceluides Trois Mousquetaires. Au lendemain de ces deux bandes importantes par leur longueur, leur interpretation, le montant de leur devis, Diamant-Ber- ger, en homme qui sait ce qu'on peut tirer des contrastes, sautant d'un extreme a l'autre, produisit une s6rie de petits films « bon marche » : Boubouroche, d'apres Courteline pour Martinelli qui, ayant eu la cor- pulence de Porthos, paraissait avoir celle du bonasse amant de la per- fide Adele, puis Le Mauvais Gargon et Gonzague pour Maurice Che- valier (2) et quelques autres, avant de se lancer dans des combinaisons internationales, la plus interessante etant sans doute Education de Prince dont il eut l'id£e de donner le role principal — celui que Jeanne Granier avait si spirituellement cr£e sur la scene des Varied £s — a la premiere et a la plus fameuse des partenaires de Charlie Chaplin, Edna Purviance, qu'entouraient Jean Dax, Pierre Batcheff et Armand Bernard. (1) L' interpretation contribua elle aussi pour une bonne part au succes et a la popularite du film. Elle re'unissait : Aime Simon- Girard, Henri Rollan, Martinelli, P. de Guingand, Armand Bernard, Pre fits, Stacquet, Marcel Vallee, H. Baudin, Joffre, P. Hubert, Charles Dullin, Jacquet, Desjardins, E. de Max, Jeanne Desclos, Pierrette Madd, Claude Merelle, G. Larbaudiere, Bl. A Item, etc. (2) Des igio, Maurice Chevalier avait fait de la figuration dans quelques films de Max Linder, puis il avait ete le partenaire de Mistinguett dans La Valse renversante. DES HOMMES ET DES (EUVRES 219 Des Nouveaux Les metteurs en scene francais qui — a l'exemple d'Henri Diamant- Berger — surent toujours habilement mener leurs affaires parmi les ecueils en tous genres dont la carriere etait he>iss£e sont rares. Ces dimcultes pourtant ne d^courageaient aucun d'entre eux. Ceux qui, venus de l'avant-guerre, avaient continue a travailler, lorsqu'ils furent elimin£s ne le furent qu'a leur corps defendant car lorsqu'on a tate du cinema, on s'y cramponne. En meme temps, des vocations nouvelles se faisaient jour. D'abord parmi ceux qui, appartenant deja au per- sonnel cine'matographique aspiraient a s'eVader de la troupe des « petits, des obscurs, des sans-grade » et a s'elever jusqu'au premier rang, celui, envie de metteur en scene ; parmi ceux aussi qui de plus ou moins loin guettaient l'occasion de p^netrer par la petite ou par la grande porte a l'inte'rieur des studios. C'est ainsi que la cohorte des veterans qui, pourtant serrait Jes rangs dans un sentiment instinctif de defense, se vit renforc^e par des hommes comme Louis Osmont qui, premier collaborateur de Pouctal et n 'ignorant rien de son metier, continua, a la mort de celui-ci, a mettre en scene les films dont Tramel etait le vedette ; Rene Jayet ; Louis de Carbonnat qui, apres avoir essaye* de sortir des sentiers battus avec Le Tour de France de deux enfants, donna encore un beau role a. Rene* Navarre dans L'Aigle de la Sierra ; Henri de Golen, Roger de Chateleux, Charles Keppens, Maurice Keroul qui, avant de conclure avec Georges Monca une association qui donnera aux ecrans L'Ironie du Sort (Denise Lorys, B. Jalabert, D. Mendaille), Sans Fatnille d'apres le roman d'Hector Malot (Denise Lorys, A.-B. Imeson, Henri Baudin) avait realise* seul L'Engrenage ou le talent de Genevieve Felix etait apparu sous son meilleur jour ; Rene Barberis, Paul Barlatier, Henri Vorins ; Roger Goupillieres qui realisa une agr^able Petite Fonctionnaire (Y. Armel) ; Alfred Machin qui se sp^cialisa dans la production de films ou les animaux sauvages et domestiques tenaient une place impor- tante ; Albert Francis Bertoni ; Marcel Manchez qui montra de la deUicatesse dans Claudine et le Poussin (Dolly Davis) ; Gabriel Rosea, Marcel Dumont qui avait fait son apprentissage avec Gaston Roudes ; Emilien Champetier, FeUix Leonnec, Tony Lekain qui s'essaya dans un film publicitaire sur la couture et la mode parisiennes [Mitamor- phoses dont le role principal etait tenu par Andre* Luguet encadre* de deux jolies femmes, Monique Chryses qui disparaitra tres vite de l'horizon cinematographique et Jeanne Helbling qui accomplira une carriere k eclipses) puis devint le collaborateur de Gaston Ravel ; 220 HISTOIRE DU CINEMA Joseph Guarino qui, apres La Dame au ruban de velours dont Arlette Marchal et Charles de Rochefort etaient les vedettes, se lanca dans des combinaisons internationales plus ou moins heureuses ; Jean Manoussi, qui, des ses debuts, avait eveille de grands espoirs avec un film inspire par la guerre V Homme Bleu, remarquablement interprets par Gabriel Signoret et qui fit encore quelques films consciencieux et agr^ables dont le meilleur est sans doute Le Grillon du Foyer ; Daniel Bompard qui sauta en voltige d'une comedie facile {Lily Vertu dont Huguette Duflos etait la vedette) a un drame grand-guignolesque (La Brute avec Andre Nox et Suzanne Bianchetti) et disparut ; Georges Pallu qui, avant de se specialiser dans les films d 'inspiration religieuse et mora- lisatrice avait fait ses premiers pas dans la carriere cinematographique avec un Train de 8 heures 47 ; Gennaro Dini dont La Nuit du Vendredi 13 ne manquait pas de qualites ; Henri Wulschleger qui collabora d'abord avec Alfred Machin puis assura la realisation de plusieurs films dont le meilleur a toutes chances d'etre Le Negre Blanc dont Nicolas Rimsky fut la vedette ; Maurice Champreux — gendre de Louis Feuillade aupres de qui il apprit son metier — qui, apres la mort de son beau-pere fit quelques films de genres tres divers (Apres V amour d'apres la comedie sentimentale de Pierre Wolff et Henri Duvernois avec Blanche Montel, Jeanne Provost et Andre Nox a qui il valut un de ses plus larges suc- ces ; Le Roi de la Peddle, Bibi la Puree avec le comique populaire Biscot ou il revenait aux principes qui avaient assure aux films de Feuillade une vogue persistante) ; Maurice Gleize qui, sans s'imposer par aucune ceuvre vraiment digne d'etre retenue, reussit a durer jusqu'a la naissance du parlant et meme au-dela grace a une intel- ligente adaptation de ses moyens aux exigences commerciales de la production courante ; Leon Mathot qui, passant de Interpretation ou il occupait une des toutes premieres places a la mise en scene, y debuta en r6alisant en collaboration avec Andre Liabel Dans V ombre du harem dont il tenait le principal role avec Louise Lagrange et Rene Maupre pour partenaires et devint, surtout a partir de 1930 un des metteurs en scene les plus actifs de l'ecran francais ; Piere Colombier qui fit ses premiers pas chez Gaumont en realisant de petites comedies comme Soiree de reveillon, Le Taxi 313 X.y avec Saint-Granier et essaya de doter le cinema francais des films gais qui lui manquaient ; Andre Hugon qui collabora d'abord avec Louis Paglieri — notamment pour quatre films avec Mistinguett et Sous les phares ou Andre Nox parut pour la premiere fois — puis volant de ses seules ailes, entassa film sur film : Le Diamant Noir avec Claude Merelle, Ginette Maddie, Henry Krauss, Pierre Fresnay, Romuald Joube' ; Notre-Dame d' Amour avec Claude Merelle, Jean Toulout, Charles de Rochefort ; Le Petit Chose avec Max de Rieux, Debucourt, Sylvette Fillacier, etc. sans DES HOMMES ET DES CEUVRES 221 autre loi qu'une facilite a nulle autre pareille ; Rene* Le Somptier que sa collaboration a La Sultane de V Amour avait signale a l'attention sympathique de tous ceux qui suivaient le mouvement cinemato- graphique, attention sympathique qui l'accompagna lorsqu'il realisa La Montee vers I'Acropole (France Dhelia, Andre Nox, Van Daele), puis La Croisade (F. Dhelia, Van Daele), La Bete traquee ou F. Dhelia reVela des qualites dramatiques qu'on ne lui soupconnait pas, La Dame de Monsoreau d'apres le roman d'Alexandre Dumas (Genevieve Felix, Gina Manes, Rolla Norman, Jean d'Yd, Raoul Praxy), La Porteuse de Pain (Suzanne Despres, Signoret, Genevieve Felix) mais que la politique arracha au cinema avant qu'il eut pu donner a celui-ci l'ceuvre que son intelligence, son experience lui reservaient peut-etre ; Alexandre Ryder qui fit deux films moralisateurs en collaboration avec l'abbe Loutil (Pierre l'Ermite) : Pourquoi j'ai tue mon enfant (Jacqueline Forzane et Pierre l'Ermite) et La Femme aux yeux fermes et surtout Le Double qui est certainement son meilleur film ; Roger Lion (1) ; Pierre Marodon qui, du film a episodes (Le Chateau des Fantomes, Le Diamant vert avec Marthe Lenclud) au drame de cape et d'ep£e (Buridan) evolua intelligemment jusqu'a une Salammbd qui fit couler beaucoup (2) d'encre, eut l'honneur d'inspirer une partition a Florent Schmitt (3) (partition qui cuvrit au film les portes de l'Opera pour une (1) V. p. 422. (2) On rappela le peu de gout que Flaubert avait pour les illustrations, le refus qu'il avait toujours oppose aux editeurs qui voulaient faire des edi- tions illustrees de ses oeuvres : « La persistance que Livy met a me demander des illustration me f ... dans une fureur impossible a decrire. Ah I qu'on me le montre le coco qui fera le portrait d' Hannibal et le dessin d'un fauteuil carthaginois. II me rendra grand service. Ce n'etait guere la peine d' em- ployer tant d'art a laisser tout dans le vague pour qu'un pignouf vienne demolir mon reve par sa precision inepte. » (Lettre a E. Duplan, 10 juin 1862). On rappela egalement le -film qu'une firme italienne avait tire de Salammbo en igi6 dans lequel I'heroine finissait par epouser Matko et qui avait provoque une protestation de « V Association de la Critique ». M. Rene Dumesnil a dit a ce propos tout ce qu'il y avait a en dire dans « En marge de Flaubert » (Librairie de France, Edit. Paris, ig2$). (3) Cette partition recut V approbation unanime aussi bien du public que de la critique. « On doit savoir gre a ceux qui eurent I'idee de tirer un film de Salammbo, d Ricciotto Canudo est un personnage de moindre envergure. Si on voulait le caracteriser d'un mot, on pourrait dire qu'il ne fut a l'endroit de la chose cinematographique qu'un amateur, un dilettante alors que Delluc etait un professionnel dans le sens le plus large du mot. Mais comme cet amateur etait intelligent et sympathique, qu'il avait de l'allure et de l'allant, du pittoresque et de l'entregent, Taction qu'il mena, pour etre tres differente de celle de Delluc, n'en presente pas moins un r£el interet. Italien d'origine, Canudo vivait a Paris depuis de longues annees et, des avant 1914, il s'etait fait une place dans les milieux litteraires d'avant-garde. On connaissait de lui des articles, des poemes, mais on connaissait encore plus sa personne que son ceuvre et la feuille de lierre qu'il portait a la boutonniere de son veston etait celebre de Mont- parnasse a Montmartre. Sans attendre l'entree en guerre de son pays, il s'etait engage et s'etait bravement battu en Argonne dans les rangs de la legion garibaldienne puis il avait ete envoye a Salonique d'ou il etait revenu avec sur les manches les trois galons de capitaine et sur la poitrine l'etoile de la Legion d'Honneur et la Croix de guerre. II s'etait alors mele au mouvement futuriste de Marinetti dont il avait essaye d'acclimater en France les theories et avait decouvert le cinema pour lequel il s'etait mis a batailler dans sa revue « Montjoye » et dans tous les journaux qui, comme « Les Nouvelles Litteraires » (1922) accep- taient qu'il y parlat de l'activite cinematographique et des problemes intellectuels et artistiques que cette activite posait et qu'il en parlat avec une liberte, sur un ton et dans un style auxquels les milieux cine- matographiques n'etaient pas habitues : « Le cinema est ne de la volonte et de la science et de l'art des hommes modern es pour exprimer plus intensement la vie, pour signifier, a travers les espaces et les temps, le sens de la vie perpetuellement neuve... L'ceuvre cinematographique, le film, n'est en definitive que l'exaltation la plus immediatement emoiivante de l'ecriture de la Lumiere ! (1) » En meme temps, connaissant la force des mots, Canudo decidait que le cinema serait dorenavant le « Septieme Art » et, s'etant rendu compte de l'influence des petites chapelles et de l'interet qu'il y a pour un homme intelligent a etre le grand homme d'une de ces petites cha- (1) Un choix de ces articles a ete fait par Fernand Divoire et publie par les soins de celui-ci sous le titre : « L' Usine aux Images » (Etienne Chiron, edit., Paris ig2y). 254 HISTOIRE DU CINEMA pelles, il creait « le Club des Amis du Septieme Art » (C. A. S. A.) ou il groupa quelques cineastes epris de nouveaute et de progres et aux diners duquel il allait tres rapidement faire asseoir tout ce que Paris comptait de snobs. A la fin de ces diners, une discussion etait ouverte et on parlait... On parlait beaucoup et naturellement on ne manquait pas de dire des betises. . . Mais il arrivait aussi que des idees interessantes fussent emises... Et si les betises l'emportaient sur les idees interes- santes, qu'importait ? Ce qui etait plus important c'etait que des hommes et des femmes qui, sans les diners du C. A. S. A. n'auraient jamais pense au cinema, y pensaient, en faisaient l'objet des conversa- tions qu'ils avaient ensuite dans les salons ou ils frequentaient, cou- raient voir les films dont Canudo et ses amis cineastes leur avaient dit les merites. Ainsi se formait pour les salles de projection une clientele qui se serait crue deshonoree si elle n'avait pas eu des gouts differents de ceux de la masse et si elle n'avait pas affirme hautement ses exigences, une clientele pour la satisfaction ou pour l'exploitation de laquelle allaient pouvoir naitre et vivre des entreprises rompant deliberement avec les habitudes des commercants du film et rendant service aux initiatives les plus hardies. On a beaucoup plaisante les snobs et Ton continueradelesplaisanter,cequi n'empeche qu'ils sont utiles aux artis- tes et aux novateurs : les snobs ignoraient le cinema — c'est a peine s'ils s'etaient rapproches de lui au moment de L'Assassinat du Due de Guise a cause de l'Academie et de la Comedie toutes deux francaises dont se recommandait la bande du « Film d'Art », mais ce mouvement d'interet avait ete de courte duree. Grace a Canudo et a son C. A. S. A. un snobisme cinematographique se crea qui allait assurer le succes de « l'Avant-Garde ». Le cinema avait maintenant le « milieu ferme », le a vase clos » indispensable a ses essais, il avait des camaraderies, des centres de ralliement d'ou il pouvait recevoir sinon des mots d'ordre, du moins des indications favorables a son evolution. Excite par son succes, Canudo qui ne manquait ni d'idees, ni d'ac- tivite, elargit son action, repandant la bonne parole dans les milieux les plus divers : a la Bourse du Travail avec Severin-Mars, au Salon d'automne avec Rene Blum. II n'eut malheureusement pas la meme chance quand, a l'exemple de Delluc, il voulut passer a Taction per- sonnelle et le seul film dans le generique duquel son nom figura : U Autre Aile que realisa Andreani n'eut rien de ce qu'il aurait fallu pour lui donner le droit de prendre place a cote de La Fete Espagnole ou de Fumee Noire. Dans le domaine de la critique, Canudo n'a pas non plus l'importance de l'auteur de Cinema et Cie car, s'il avait beau- coup d'idees dont quelques-unes d'un indeniable interet, ces idees restaient le plus souvent d'ordre general et theorique et il ne possedait pas comme Delluc une vue claire des possibilites du cinema-moyen LOUIS DELLUC 255 d'expression non plus que des fins vers lesquelles devait tendre le cinema-art pour se realiser completement. Le C. A. S. A. et « le Cine-Club » C'est done seulement a titre d'animateur et de createur d'un nou- veau snobisme que Canudo peut etre rapproche de Delluc, mais comme celle de tous les animateufs qui ne sont guides que par des considera- tions d'opportunite, son influence prit fin en meme temps que lui : en effet, lorsque Canudo mourut, le C. A. S. A., instrument de son influence, disparut egalement. Au contraire, le « Cine-Club », ceuvre de Delluc trouva tout naturellement le moyen de survivre a. son fon- dateur et d'entretenir l'etat d'esprit que celui-ci avait cree. Sous le titre de « Cine-Club de France », preside successivement par Rene Blum et par Leon Poirier, il mena pendant plusieurs annees une action des plus intelligentes et des plus efficaces, organisant au Vieux-Colombier des conferences d'un indiscutable interet (1) et au Colisee des seances de projection qui firent connaitre les films les plus remarquables des ecoles etrangeres et les moins faits pour une exploitation reguliere, meme lorsqu'ils etaient interdits par la censure, comme Le Cuirasse Potemkine ou La Sorcellerie a travers les ages, ces seances exclusivement reservees aux membres du Club ayant un caractere prive qui leur permettait d'echapper aux rigueurs administratives. (1) La plupart de ces conferences ont ete publiees dans la collection « L'art cinematographique » (Alcan edit. Paris). Itar1* * >- 68. Jean Epstein. 69. Une scene de plein air de La Belle Nivernaise, de Jean Epstein, mm. 70. Leon Mathot et Marie-Antonine Eps- tein dans un scene de Cceur Fidele, de Jean Epstein, 71. Une image de Marguerite Gance dans La Chute de la Maison Usher, de Jean Epstein. 72. La scene finale du Lion des Mogols, de Jean Epstein. Au centre Ivan Mosjoukine, a droite Nathalie Lissenko. GERMAINE DULAC CCEUR DE LAV ANT-GARDE i° « La Souriante Madame Beudet » C'est dans cette atmosphere dont le merite revenait a Louis Delluc et a Canudo que Germaine Dulac, dont les premiers films avaient revele une attachante personnalite, presenta La Souriante Madame Beudet qui produisit une sensation profonde dans le monde cinematographique. Tire d'une comedie de Denys Amiel et Andre Obey qui, creee sur une petite scene d'avant-garde, avait contribue a mettre en evidence ce qu'il y avait d'interessant dans « la theorie du silence » dont se recom- mandait alors la jeune ecole dramatique, le scenario de La Souriante Madame Beudet est un episode de la vie d'une provinciale insatisfaite et romanesque — une sorte de Madame Bovary, mariee non plus a un modeste medecin normand, mais a un petit commergant chartrain — qui, avide de s'evader de son existence mediocre, s'abandonne a ses reves et cela jusqu'a faire le geste qui lui permettra d'etre debarrassee de son mari. Mais a ces reves quelque peu romantiques, la vie apporte un denouement mesquin qui ne manque pas d'ironie. Comedie psy- chologique qui semble assez peu faite paur etre portee a l'ecran et a laquelle Germaine Dulac n'aurait peut-etre pas pense si, avec Fumee Noire et surtout avec Le Silence, Louis Delluc n'avait demontre que le cinema etait capable d'atteindre a cette « precision psychologique » qu'il avait fixee comme but a ses efforts d'auteur et de realisateur et, mieux encore, de rendre sensible par des moyens qui lui etaient per- sonnels, tout ce que, en vertu de « la theorie du silence » les auteurs de la comedie avaient laisse inexprime. Germaine Dulac avait meme pense que Ton pouvait aller plus loin que Delluc dans le domaine de l'analyse psychologique. C'etait, en effet, a la memoire seule de ses personnages que Delluc avait demande de lui fournir les elements de certaines images chargees de nous faire connaitre le passe de ces per- sonnages, images qu'il intercalait parmi les images de gestes et d'actes reels accomplis par ceux-ci. Germaine Dulac eut Tidee d'aj outer l'ima- gination a la memoire et ce sont des images vues a travers une imagina- tion exaltee que, poussant l'analyse psychologique plus loin que Delluc, elle compose arm de rendre sensibles au spectateur des nuances nou- 17 258 HISTOIRE DU CIN&MA velles de l'etat dame de son heroine. Pour y parvenir elle use de toutes les ressources que la technique met a sa disposition : deformations, ralenti, etc. Et, au passage, elle enrichit cette technique de proc£des nouveaux. Voici done le placide Monsieur Beudet qui nous apparatt tel que sa femme le voit : monstre grimacant bondissant sur elle, toutes griffes dehors a la facon d'un tigre pret a la devorer. Cette initiative n'aurait peut-£tre pas recu l'approbation complete de Delluc qui se plaisait a dire : « L'ecran demande, appelle, exige tous les raffinements de la technique, mais le spectateur n'a pas a savoir le prix de cet effort ; il n'a qu'a regarder l'expression et a la recevoir toute nue ou lui parais- sant telle. » En recommandant cette discretion, Delluc, une fois de plus, etait en avance sur son epoque qui se laissait un peu trop facilement griser par la technique et s'abandonnait a cette griserie sans la moindre pudeur. Mais meme si l'initiative de Germaine Dulac avait 6te jugee trop hardie par Louis Delluc, elle n'en 6tait pas moins interessante et elle produisait sur le spectateur un effet d'autant plus remarquable que, a cdte de ces passages de virtuosite ou elle exprimait si fortement les ecarts d'imagination de son heroine, Germaine Dulac faisait preuve, tout au long de son film, d'un sens tres exact de l'intimite, de la vie quotidienne et du detail capable de faire comprendre la psychologie de ses personnages qu'incarnaient de la meilleure facon Germaine Dermoz et Arquilliere. L'ceuvre de Germaine Dulac possede encore une autre originalite etant le seul film d'essai dont une grande firme de production ait pris l'initiative. On retrouve, en effet, dans le generique de La Souriante Madame Beudet la signature du « Film d'Art », le « Film d'Art » de L'Assassinat du Due de Guise ! Les merites de L'Assassinat du Due de Guise n'etaient pas tels qu'on s'etait plu a les regarder en 1909, le caractere du film etant plutdt dans la mise au point que dans l'inno- vation. « Le Film d'Art » n'en avait pas moins donne des espoirs. Malheureusement la mise au point a laquelle ils avaient procede" avec L'Assassinat du Due de Guise avait suffi aux dirigeants de cette firme qui, des annees durant, se contenterent de fouler le meme sentier, la meme grand'route, si Ton prefere : c'avait ete le triomphe de l'adap- tation sans que l'aspect cinematographique du probleme que constitue une adaptation parut meme etre envisage. Tires de drames romantiques, de comedies boulevardieres, de romans en tous genres, les films sortis des studios du « Film d'Art » se succedaient, tou jours interpreters par des acteurs aureoles d'une popularite qu'ils avaient acquise sur les scenes subventionnees aussi bien que sur les boulevards ; ils plaisaient au public pour lequel ils 6taient faits mais on ne pourrait pas en trouver parmi eux un seul qui ait apporte quelque chose a l'art cinematogra- phique. « Le Film d'Art » avait change de mains mais, dirige par Vandal GERMAINE DULAC 259 et Delac, il n'avait en rien modifi£ les methodes inaugur6es par les freres Laffitte (1) car, dans le temps ou Germaine Dulac preparait La Souriante Madame Beudet, Rene Le Somptier, au studio de Neuilly, terminait La Dame de Monsoreau (Genevieve Felix, Rolla-Norman, Jean d'Yd) dont l'unique ambition etait evidemment de faire piece aux Trots Mousquetaires de Diamant-Berger. La Souriante Madame Beudet est, dans la production du « Film d'Art », une exception qui doit etre inscrite a Tactif de Vandal et Delac, une exception a cote de laquelle il convient de placer Knock que Rene" Hervil realisa en 1925 (Fernand Fabre, Rene Lefebvre, Luce Fabiole) et qui marque un tres heureux effort, sinon vers le surrealisme du moins hors des sentiers battus du realisme. Le merite de La Souriante Madame Beudet ne prend toute sa valeur que si Ton se souvient que 1923 est l'annee qui vit sortir des stu- dios francais : La Roue d'Abel Gance et Le Brasier ardent de Volkoff et Mosjoukine, La Femme de nulle part de Louis Delluc, L'Auberge rouge et Cceur Fidele de Jean Epstein, Le Marchand de Plaisirs de Jaque Catelain et aussi Les Opprimes et Violettes Imperiales d' Henry - Roussel, Koznigsmark de Leonce Perret, Le Costaud des Epinettes de Raymond Bernard, V Affaire du Courrier de Lyon et Genevieve de L£on Poirier, La Ligende de Sceur Beatrix de Jacques de Baroncelli, La Gosseline de Louis Feuillade. Ainsi situee, l'oeuvre de Germaine Dulac prend toute sa signification et toute sa valeur. 20 Avatars et d£boires Au lendemain de La Souriante Madame Beudet, on aurait pu suppo- se que Germaine Dulac allait pousser dans la voie ou elle venait de faire faire au cinema un pas important. II n'en fut rien. Douee d'un esprit constamment en eveil et prompt a decouvrir des aspect's de la verite cinematographique la meme ou celle-ci ne se hasardait que rarement, Germaine Dulac etait, pour son cher cinema, capable de bien des choses (1) Charles Delac s' aiiachait surtout a la par tie administrative et com- mercial de I'affaire. II devint en 1928 president de la Chambre Syndicate francaise de la Cinematographic ou jitsqu'en 1940 il joua un role important. Marcel Vandal s'occupait de la direction artistique de la production, ne dedaignant pas d'assurer personnellement la realisation de certains films comme Graziella (Nina Vanna, Dehelly pere et fits, Antonin Artaud), Fleur d' Amour (de Ffaaudy, Van Daele, Rose Mai, Arvel, Therese Kolb) , Le sous-marin de cristal (Tratnel, Rene Lefevre), L'Eau du Nil (Lee- Parry, Jean Murat, Maxudian). Dans tous ces films, Marcel Vandal av ait pour assistant Andre Berthomieu qui, tres vite, devait a son tour devenir rSalisateur. 26o HISTOIRE DU CINEMA sauf de refaire ce qu'elle avait deja fait : repondant aux propositions que lui fit Louis Nalpas, au nom de la Societe des « Cine-Romans », car le grand succes de La Souriante Madame Beudet avait attire sur elle l'attention des producteurs sans en exclure ceux qui etaient le moins capables de la comprendre et de lui permettre de s'exprimer, elle accepta l'engagement qui lui etait propose pour travailler dans la meme equipe que les Rene Leprince, Desfontaines et Luitz-Morat. Resultat d'une double erreur — ou plutot d'une double illusion — car Louis Nalpas etait convaincu — et de tres bonne foi — que Germaine Dulac avait assez de ressources, que son talent etait assez riche, pour infuser un sang nouveau au genre dans lequel sa maison s'etait specialisee et Germaine Dulac — de non moins bonne foi, on s'en doute — avait cru que, connue comme elle l'etait, de celui qui l'engageait, celui-ci n'allait pas lui demander de faire ce dont les autres metteurs en scene de la maison s'acquittaient a la satisfaction generate et que, s'il venait la chercher, c'etait pour lui permettre de faire sinon completement ce dont elle revait mais du moins de chercher une formule nouvelle — une sorte de compromis — dans laquelle Tart et le commerce trouveraient egalement leur compte. Le resultat de cette double illusion fut un film a episodes, Gosseite qui ne portait la marque de Germaine Dulac que par la cons- cience avec laquelle il avait ete realise et qui ne valait guere mieux que tous ceux qui assuraient la prosperity et la vogue populaire de la Societe des « Cine-Romans ». La deception qu'eprouva Germaine Dulac fut sans doute a ce point visible qu'en guise de compensation on accepta de la laisser s'evader du realisme banal et de la sentimentalite melodra- matique pour faire un petit tour dans le fantastique legendaire. Et ce fut LeDiable dans la ville (sur un scenario de J.-L. Bouquet) qui aurait constitue un tres interessant retour au vrai cinema — celui de Georges Melies — si Germaine Dulac avait eu la possibility de materialiser librement, pleinement, ce qu'elle avait en tete mais qui, cette liberte ne lui ayant pas ete accordee, est un film plus riche d'intentions et de- dications que de realites. Ces deux experiences ayant fourni aux deux parties en cause la preuve qu'un modus vivendi profitable a l'une comme a. l'autre n'etait pas facile a trouver et une occasion s'etant offerte a elle, Germaine Dulac reprit sa liberte pour aller tourner en combinaison internationale avec quelques-uns des Russes dissidents de Montreuil, Ame d' Artiste (Nicolas Koline, Ivan Petrovitch, Charles Vanel, Mabel Poulton, Gina Manes, Yv. Andreyor) qui sembla prouver que le compromis entre l'art et le commerce n'etait pas impossible a trouver. Comme si elle eut voulu mettre a profit l'experience qu'elle venait ainsi d'acquerir, Germaine Dulac revint alors aux « Cine- Romans » pour qui elle tira un film d'une comedie dramatique de Romain Coolus ; Antoinette GERMAINE DULAC 261 Sabrier a laquelle Rejane avait, sur la scene du Vaudeville, fait rempor- ter un succes qui lui avait ouvert les portes de la Maison de Moliere. Interprets par Eve Francis qu'entouraient Jean Toulout — Germaine Dulac retrouvait la deux de ses interpretes de La Fete Espagnole — Gabriel Gabrio et Paul Guide, ce film, d'une distinction tres « Comedie- Francaise » en depit des decors d'une note assez moderne, mais terri- blement froid, fut encore une experience — une experience qui ne reus- sit pasmieux que les precedentes a rendre viable cette union de la carpe et du lapin qu'est un film repondant a la fois a des preoccupations com- merciales et a des ambitions artistiques — mais ce fut la derniere : Germaine Dulac dit adieu a la Societe des « Cine-Romans » et, n'obeis- sant qu'a ses aspirations personnelles, elle se lanca dans des experiences d'un autre genre, celles-la memes auxquelles depuis des annees se livraient autour d'elle des jeunes gens qui, si audacieux qu'ils fussent persuades d'etre, n'etaient jamais alles dans leurs audaces aussi loin que Germaine Dulac, le jour ou elle avait entrepris La Souriante Madame Beudet. 3°|Avant-Garde PureJ: Films « sans sujet » De cette periode — fin 1926 a fin 1928 — datent cinq films extre- mement personnels et qui marquent dans 1'histoire de « l'Avant- Garde » francaise et, mieux encore, dans 1'histoire de l'art cinematogra- phique une tendance nouvelle et des plus interessantes : La Coqaille et le Clergyman — le moins personnel des cinq, sa personnalite ayant eu a collaborer avec celle, non moins forte de l'auteur du scenario, Antonin Artaud — film surrealiste ; L' Invitation au Voyage — premier film de poesie pure, si Ton peut dire, traduction en images d'un gout tres delicat et tres sur du poeme de Baudelaire ; puis trois films d'ins- piration purement musicale : Disque 927 — interpretation visuelle de quelques pages de Chopin, Arabesque d'apres Debussy, Themes et Varia- tions. Peut-etre est-ce dans ces cinq films « sans sujets » et particulie- rement dans les trois derniers qui repondaient si pleinement a sa nature, car Germaine Dulac etait profondement musicienne, qu'il faut chercher l'expression la plus complete, la plus libre de son talent et de sa personnalite, sans oublier le petit documentaire sur « la ger- mination d'un haricot » auquel un tres intelligent emploi du procede dit « tour de manivelle » conferait des apparences feeriques et qui fut pour elle, sans qu'elle l'eut cherche, ce qu'Entr'acte fut pour Rene Clair. Dans ces films et dans Taction qu'elle a menee par la plume et par la parole, collaborant a tous les journaux et a toutes les revues qui avaient le courage d'accepter des articles en marge du conformisme 262 HISTOIRE DU CINEMA de l'heure, faisant des tourn£es de conferences en province et a l'6tran- ger, pr^sentant des rapports aux congres, professant a l'Ecole de photo- graphic et de cinematographie de la ville de Pahs et defendant en toutes circonstances et en tous lieux les id£es qui lui etaient cheres et notam- ment l'importance du rythme, qualite essentielle, selon elle, de l'oeuvre cin6matographique. Et aussi la mission — cette mission en laquelle elle croit profondement, ardemment — de comprehension de peuple a peuple et de rapprochement par-dessus les frontieres aussi bien intellectuelles que geographiques, en laquelle elle voit pour le cinema le seul moyen dont il dispose de se racheter de toutes les erreurs qu'il commet et de toutes les fautes que le forcent a commettre les commer- cants qui ne voient en lui qu'un instrument plus propre que les autres a leur permettre de faire fortune. De quelque point de vue qu'on examine sa personnalite et son ceu- vre, Germaine Dulac m6rite de tenir une place importante dans l'his- toire du cinema. « C'est autour de sa pensee et autour de son ceuvre que se sont cristallises en grande partie les principes sur lesquels une intelligence du cin£matographe peut s'appuyer pour se grandir » a dit d'elle Marcel L'Herbier (i) et Ton ne saurait mieuxdire. Cette place doit etre toute proche de celle qu'occupe Louis Delluc au-dessus de qui on devrait, sans hesitation, la placer s'il ne Tavait chronologiquement devancee. Comme lui, en effet, elle eut des idees personnelles sur l'art cine*matographique, comme lui, et peut-etre avec plus de conviction, de foi et de tenacite que lui, car Delluc n'etait pas exempt d'un certain detachement sceptique, elle les exprima par la presse et le livre ainsique par la conference, a quoi l'auteur de « Cinema et Cie » ne se hasarda jamais, comme lui elle mit ses idees en pratique, mais moins intransi- geante que Delluc elle admit que ces idees ne pouvaient pas etre erig£es en regies generates et elle accepta de travailler dans des conditions et pour des fins contre lesquelles elle menait le bon combat et cela sans renoncer pour si peu que ce fut a ses convictions non plus qu'a ses aspi- rations. Comme Delluc enfin, elle exerca une influence sur certains milieux cin^matographiques, influence plus profonde, plus durable que celle de son predecesseur, celui-ci etant disparu trop tot pour que son action produisit tout son effet dansun monde evoluant aussi rapidement que celui du cinema. On avait discute autour de Fievre, on se battit pour et contre La coq utile et le Clergyman et surtout pour et contre L'Etoile de Met de Man Ray et Un Chien Andalou de Bunuel qui n'existerent que parce que Germaine Dulac avait decouvert et demontre que Ton (i) Marcel L'Herbier : « Intelligence du cinema » (Editions Corred, Paris 1946.) GERMAINE DULAC 263 pouvait faire des « films sans sujet » c'est-a-dire des films depourvus de « sujet » selon le sens que les commercants donnaient a ce mot, des films qui tendaient vers ce cin6ma pur auquel Germaine Dulac croyait avec autant de conviction profonde que l'abbe Bremond a la « po6sie pure » et dont Entr'acte de Rene" Clair est reste le plus durable, le plus cdebre exemple. Enfin, Germaine Dulac a senti tout ce que la musique et le cinema peuvent tirer d'interessant d'une collaboration intelligent e et sensible et dans ce domaine encore elle est en avance sur son epoque, bien que, plus que quiconque, elle ait fait des adeptes parce que plus que qui- conque elle etait convaincue et d6sinte>essee. Et c'est en definitive a elle que « l'Avant-Garde » francaise a du son existence. Visages multiples de « l'Avant-Garde » « L'Avant-Garde » est un etat d'esprit ; c'est aussi une expression commode derriere laquelle se dissimulent des hommes et des choses si difTeVents qu'il n'est pas facile de distinguer quel en est le contenu exact. Rene Clair, par exemple, appartient a « l'Avant-Garde, » c'est indiscutable, il en fut meme un des chefs de file, un des dieux, mais il n'est pas moins evident que Marcel L'Herbier y a appartenu lui aussi alors qu'aucun de ses films n'a ete projetedans Tun ou l'autre des sanc- tuaires de « l'Avant-Garde ». Pour essayer d'y voir clair, le plus simple est d'examiner successivement le cas de tous ceux qui ont ete considered comme appartenant a cette fameuse « Avant-Garde ». Peut-etre par- viendrons-nous a distinguer ceux de qui cette reputation est usurp6e de ceux qui y ont droit pour y avoir non seulement tenu une place mais surtout pour y avoir exerc6 une influence. Et tout d'abord ceux qui n'ont existe que pour et par « l'Avant- Garde ». Et au premier rang de ceux-ci, Man Ray, photographe ameri- cain qui, avec ou sans la collaboration du poete surrealiste Robert Desnos, r^alisa plusieurs films : Emalk Bakia, Le Retour a la Raison, Le Chateau du De et surtout L'Etoile de Mer qui merite sans doute d'etre regarde" comme le chef-d'oeuvre du surrealisme cin6matographique. Robert Desnos qui signa le scenario de ce film avait fort bien compris que si un artiste, las du realisme et desireux de s'en evader, cherchait les moyens d'expression capables de l'aider a materialiser son reve, c'^tait, mieux que partout ailleurs, au cinema qu'il pouvait les trouver. Man Ray qui possedait toutes les ressources de son metier lui prouva peVemptoirement qu'il ne s'etait pas trompe en composant quelques- unes des plus belles, des plus eVocatrices, des plus poetiques images qui aient jamais £te fixers sur la pellicule sensible. Ces images tiraient 264 HISTOIRE DU CINEMA bien plus leur valeur de Tart avec lequel leurs elements avaient ete choi- sis et assembles que de Tart avec lequel le mouvement leur donnait les apparences de la vie — ce qui etait parfaitement legitime puisque ce que les auteurs avaient voulu eviter c'etait precisement le realisme de la vie. C'etaient plus des images de photographe ou de graveur que des images de cineaste. L'ceuvrepourtantrestaitcinematographiquedans son ensemble par la facon dont les images s'enchainaient les unes aux autres, naissaient les unes des autres comme les visions successives d'un reve. Jamais le cinema n'avait atteint a une perfection aussi raffinee. Etaujour- d'hui encore on ne voit rien a comparer a L'Etoilede Mer de Man Ray. Eugene Deslaw est, lui aussi, un des representants les plus purs de « l'Avant-Garde » avec Montparnasse, Les nuits electriques et surtout La Marche des Machines (ce dernier en collaboration avec Boris Kauf- mann) (i). Dans ces trois films qui constituent tout son bagage et plus particulierement dans le dernier qui peut etre regarde comme l'ex- pression la plus complete de ses idees et de son talent, Deslaw se meut dans un domaine aussi eloigne que possible de celui de Man Ray. Alors, en effet, que c'est par leur imprecision, le flou de leurs contours que valent les images composees par celui-ci, Deslaw ne se laisse jamais effrayer par ce qu'il peut y avoir de net, de brutal dans les tableaux en face desquels il braque son objectif, qu'il s'agisse des enseignes lumi- neuses des Nuits electriques dont il exprime l'etourdissante feerie aussi bien que des gestes mecaniques des monstres d'acier de La Marche des Machines ; alors encore que Man Ray ne craint pas de nous montrer des images quasi immobiles, c'est au contraire dans le mouvement, dansle mouvement seul, un mouvement souvent frenetiqueetpresquedesordon- ne que Deslaw cherche la valeur, la beaute du spectacle qu'il nous offre. Man Ray compose des images fluides qui s'insinuent en nous, Deslaw des images qui comme des coups de poing nous laissent « knock-out »...(2). II suffit de comparer, meme sommairement, l'art de chacun de ces deux hommes pour se rendre compte des ressources de talent dont a l'Avant-Garde » disposait et on ne comprend vraiment pas que des realisateurs — sinon des producteurs — intelligents aient complete- ment ignore un Man Ray et qu'ils n'aient eu recours a Deslaw que pour des travaux indignes de sa personnalite (3). (1) Boris Kaufmann est le frere de Dziga-Vertoff, (v. vol. II). (2) Le nom de Boris Kaufmann se retrouve a cote de celui de Jean Lods, dans le generique d'un autre film d 'avant-garde qui, sans avoir le charme poetique de L'Etoile de Mer ni la puissante originalite de La Marche des Machines ne manque pas de force evocatrice : Vingt-quatre heures en trente minutes. (3) Deslaw ne fut par la suite que chef monteur, assistant de realisateur (La Guerre des Gosses) et technicien de doublage. GERMAINE DULAC 265 Non moins interessant, non moins significatif le film de Luis Bunuel et Salvador Dali (pour le scenario) : Un Chien andalou dont le surrealisme singulierement plus agressif provoqua un des plus beaux tumultes que connurent les milieux de « l'Avant-Garde » (1) oil pour- tant on ne se scandalisait pas facilement. Les auteurs du Chien andalou obeissaient-ils a des preoccupations sexuelles ? Avaient-il seulement des intentions ? Ce qui est certain, ce qui doit etre seulement retenu, car c'est seulement cela qui compte cinematographiquement, c'est qu'ils avaient compose des images dont on ne saurait sans mau- vaise foi contester l'originalite. C'est aussi que le scandale dont ce film fut l'occasion, s'il depassa tout ce qu'avait pu esperer Canudo en sonnant le ralliement des snobs autour des ecrans, n'en servit pas moins la cause du cinema en prouvant a. ceux qui en doutaient encore que le cinema ce n'etait pas seulement Judex ou Les Trots Mousquetaires et que Ton pouvait trouver des idees dans un film... meme quand elles n'y etaient pas, ce qui n'est pas une raison pour continuer — en 1946 — a faire d'Un Chien andalou l'unique representant de « l'Avant-Garde » et du surrealisme cinematographique (2). Fernand Leger et Dudley Murphy ne se souciaient guere que Ton trouvat des idees dans leur Ballet mecanique, encore que l'atmosphere dont ils avaient enveloppe leurs images fut purement intellectuelle. Fernand Leger avait, en effet, tout simplement transporte au cinema les principes auxquels il obeissait en peinture, choisissant des formes du rapprochement desquelles le mouvement cinematographique lui permettait de tirer des effets auxquels le dessin et la peinture se refu- saient. Reussir a « faire du cinema » et du cinema que Ton qualifiait de « cinema pur » avec des objets inanimes etait un tour de force, un miracle d'ingeniosite qu'Henri Chomette renouvela par deux fois avec Jeux des reflets et de la lumiere et Cinq minutes de cinema pur. Le cas d'Henri Chomette est un des plus curieux du cinema fran- cais : frere de Rene Clair, Henri Chomette avait appris son metier a l'ecole de Jacques de Baroncelli de qui il fut l'assistant pour de nom- breux films. Desireux de voler de ses propres ailes, il vit dans l'avant- garde une occasion de se manifester sans se lancer dans une entreprise qui financierement risquat d'etre aventureuse. De cette experience naquirent Jeux des reflets et de la lumiere et Cinq minutes de cinema pur c'est-a-dire les deux ceuvres qui, avec celles de Fernand Leger, de Man (1) C etaient Pierre Batcheff et Simone Mareuil qui tenaient les deux principaux roles d'Un chien andalou. (2) La signature de Luis Bunuel se retrouve sous un autre film du mime genre L'Age d'Or qui fut interdit par la censtire. (1930) 266 HISTOIRE DU CINEMA Ray et de Deslaw en France et de Walter Ruttmann en Allemagne, peuvent £tre considered comme l'aboutissement de toutes les recher- ches effectives dans le domaine du cinema pur et l'expression la plus complete, la plus interessante de l'esprit « Avant-Garde ». Au lendemain de ces deux films, Henri Chomette fut regarde comme un des grands hommes — ou du moins comme un des futurs grands hommes du cinema francais. Les plus discrets attendaient de lui au moins autant que de Rene" Clair au lendemain d'Entr'acte. Ces beaux espoirs creverent des que Chomette entreprit un film normal : Le Chauffeur de Mademoiselle (Dolly Davis, Albert Prejean) et la deception se renouvela a chacun des films qui suivirent. Henri Chomette n'etait qu'un bon ouvrier. En faut- il conclure qu'il est moins difficile de faire un film d'avant-garde ou du moins un film qui flatte les gouts et r^ponde aux intentions de ceux — amateurs ou professionnels — qui constituent ladite « Avant-Garde » ? Encore plus temeraire et in juste serait de considerer le « cas Chomette » comme la condamnation de cette « Avant-Garde », car il y a des hom- mes qui, apres avoir commence a se manif ester dans les milieux d'avant- garde out reussi a s'en evader et se sont fait une place et un nom au tout premier rang des meilleurs representants de l'art cinematogra- phique francais, ceux-la memes qui nonseulement constituent «l'Ecole francaise » mais encore sans qui cette «Ecole» n'aurait pas ete ce qu'elle fut (I). Utilisation de « l'Avant-Garde » : dlmitri klrsanoff et albert guyot Mais avant d'en arriver a ceux-la dont la personnalite etait assez forte pour r^aliser cette sorte d'exploit, il convient de dire quelques mots de deux hommes qui, animes de l'esprit « avant-garde », mais sans chercher a faire du « cinema pur » comme Deslaw, Man Ray, Fernand Leger ou Henri Chomette, ni de films « sans sujet » comme l'entendaient Germaine Dulac et Luis Bunuel, s'appliquerent a faire ceuvre cinematographique en dehors de tous les sentiers battus, de (i) A ces nonis, il faut a j outer ceux de plusieurs autres jeunes gens qui, persuades qu'ils avaient quelque chose a dire et que le Cinema leur en four- nissait les moyens, reaiiscrent des films plus ou moins interessants , plus ou moins prdtentieux, mais lourds de bonnes intentions, sur lesquels pendant quelque temps Us bdtirent des reves qui ne se realiserent pas : Michel du Lac (Des pieds, des mains) ; Harizeau (Reverie) ; Patton (Premeditations) ; Pierre Bert (Cigarette) ; Henri Gad (Le Cabaret Epileptique dont Jeanne Helbling et joe Alex furent les interpretes) . GERMAINE DULAC 267 toutes les conventions admises, de toutes les recettes recommandees, et reussirent a inteYesser et a 6mouvoir par l'expression toute simple de leur personnalite" dans ce qu'elle avait a la fois d'intelligent et de sensible. Le premier de ces deux hommes est Dimitri Kirsanoff qui avec quatre films : L'Ironie du Destin, Menilmontant, Sables et Brumes d'Automne a compost une oeuvre qui, bien certainement, est dans le domaine po£tique une des plus importantes de tout le cinema francais. Construite sur un point de depart de la plus parfaite banalite : un vieil homme rencontre sur un banc une vieille femme qu'il a aim£e jadis et ils s'apercoivent que, sans s'en douter, ils sont passes a cote du bonheur. L'Ironie du Destin aurait pu etre une « tranche de vie » brutale et sans nuances. Grace a une suite d'images ou s'exprimait aussi exacte- ment que dans un film de Rene Clair un tres touchant amour de Paris, des images auxquelles l'interpretation de Nadia Sibirskaia, habile a marquer la lente metamorphose de la femme, conferait une emouvante humanity, L'Ironie du Destin ne manquait ni de force ni merae d'aprete, mais l'impression que Ton emportait de sa projection etait, malgre quelques images d'un symbolisme facile et inutile, celle que laisse la lecture d'un poeme en prose de Baudelaire. Et Ton en venait a souhaiter tout naturellement que Dimitri Kirsanoff fit, un jour, un film — inspire ou non de Baudelaire — qui aurait eu pour titre — et pour theme — « Le Spleen de Paris ». Ce film, Kirsanoff ne le fit pas, mais il fit un Menilmontant qui, pour etre d'une note realiste plus poussee que L'Ironie du Destin n'en porte pas moins la marque d'une sensibilite parfois un peu maladive mais tou jours singulierement persuasive. Sables qui vint ensuite montre que Kirsanoff sait aussi bien voir que sentir. Mais quelle que soit la valeur de ces trois films, c'est dans Brumes d'Automne qu'il faut chercher l'expression la plus complete de la personnalite de Kirsanoff : ciels brouilles, nuages fuyant, s'effilo- chant, branche qui tombe ridant la surface d'un etang, ou des brumes s'attardent, sous-bois au sol gonfle d'eau sous un matelas de feuilles mortes, fumee au ras d'un toit se perdant dans le gris du ciel... Une symphonie en gris mineur... Et, trait d'union entre toutes ces grisailles, une jeune femme au doux visage, Nadia Sibirskaia, unissant sa melan- colie a celle de la nature. Jamais le cinema francais n'avait fait ni ne devait faire rien d'aussi delicat... Moins sensible peut-etre mais plus apte a dccouvrir des rapproche- ments entre les objets inanimes, a en tirer l'aspect pittoresque, a en faire jaillir l'ironie, Albert Guyot commenca par faire, sous la super- vision de Germaine Dulac, Mon Paris dans lequel les acteurs (Maxudian, Malcolm Tod, Yette Armel, Marfa Dhervilly) tenaient une grande place sans lui fournir la matiere dont il pouvait tirer le mieux parti. 268 HISTOIRE DU CINEMA Avec L'ean coide sous les ponts, ou la part faite a l'etre humain etait moins importante, Albert Guyot put utiliser plus librement son don ^interpretation des choses et de la nature et il y eut dans ce film nombre d'images qui peuvent etre placees parmi les plus significatives qui aient ete composees a cette epoque : avec L'eau coule sous les ponts, Albert Guyot ouvre au cinema le domaine de ce que la litterature s'est plu a nommer populisme. Cette tendance a laquelle appartiendront quelques annees plus tard deux films qui marqueront les debuts de deux jeunes gens destines a se faire une place importante dans le cinema parlant : No gent, Eldorado du Dimanche de Marcel Carne et La Zone de Georges Lacombe, (i) trouva son epanouissement dans A quoi revent les bees de gaz (ou la femme de l'auteur, Mireille Severin, tint un role ana- logue a celui de Nadia Sibirskaia dans les films de Kirsanoff) : paysages du Paris nocturne, quais et berges de la Seine, lueurs et reflets... A la grisaille de Brumes d'Atdomne se substituent ici des oppositions for- tement marquees et dans le noir des ruelles aux paves luisants de pluie, aux ruisseaux gras e'est l'ombre de Jehan Rictus qui longe les murs... Sans doute y avait-il un peu plus de litterature qu'il n'aurait convenu, aussi bien dans les films de Kirsanoff que dans ceux d'Albert Guyot mais de la litterature, le cinema a si souvent fait un si deplorable usage que l'on ne peut en vouloir a l'auteur de Brumes d'Atitomne non plus qu'a celui de A quoi revent les bees de gaz d'avoir laisse se glisser des souvenirs de lecture dans les images qu'ils composaient car presque toujours ici la litterature est poesie (2). De ce « populisme » on retrouve des traces dans certains des films les plus representatifs des jeunes hommes qui, soit pour leurs debuts, soit au cours de leur carriere, ont eux aussi use des possibilites que leur offrait « l'Avant-Garde » pour donner forme a certaines des idees grace auxquelles ils esperaient atteindre au cinema dont ils re- (1) V. p. 437. \ (2) Parmi les manifestations intelligentes de « l'Avant-Garde » il faut encore signaler Construire un feu, d'apres un conte de Jack London, ou Von voit pour la premiere fois la signature de Claude Autant-Lara ; Le Supplice par l'Esp6rance, adaptation d'un conte de Villiers de V Isle- Adam par Gaston Modot, un des meilleurs acteurs francais de I'ecran qui, a plu- sieurs reprises au cours d'une tongue carriere, se manifesta comme metteur en scene et surtout comme scenariste ; L'Horloge, dont l'auteur, Marcel Silver, avait essay e de se liber er du poids du « sous-titre » auquel tous ceux qui revaient d'un meilleur cinema reprochaient d'alourdir le film et, plus encore, de rompre le rythme des images. Dans L'Horloge, (dont les inter- pretes etaient David Evremond que l'on retrouve dans plusieurs films d'essai interessants, Jane Ferney et Volbert) Marcel Silver avait reussi a composer un film sans aucun texte et qui tirait toute sa signification de ses seules images. GERMAINE DULAC 269 vaient et qui, ce faisant, ont degage quelques-unes des tendances qui regirent « l'ecole cinematographique francaise » — muette ou parlante — les uns contribuant a la formation de celle-ci, les autres s'y epanouis- sant plus ou moins librement, plus ou moins heureusement a cote des Marcel L'Herbier, Abel Gance, Jacques Feyder, Rene Clair et quelques autres. De ceux-la, le premier — a la fois par la date a laquelle il debuta, par la duree et par l'importance de son action personnelle qui lui assure a l'extreme pointe de « l'ecole fran9aise » une place aussi importante que dans « l'Avant-Garde » — est Jean Epstein. JEAN EPSTEIN OU " ^INTELLIGENCE DUNE MACHINE " 1° Cceur Fidele Jean Epstein avait fait ses debuts avec un Pasteur (scenario d'Edmond Epardaud) que Jean Benoit-Levy avait entrepris en 1922 pour le centenaire de la naissance du grand savant. De cette collaboration, etait ne" un film honnete, correct, mais froid, un film academique, pourrait-on dire, un film qui ressemblait a une dissertation consciencieuse de bon rhetoricien en vue d'une dis- tribution de prix et qui ne pouvait faire prevoir ni le futur auteur de Cceur Fidele ni le futur auteur de La Maternelle (1) mais dans lequel on peut retrospectivement trouver la preuve que Jean Epstein a, pour travailler, besoin de toute sa liberte — un film qui ne devait rien non plus a la litterature a laquelle avait jusqu'alors sacrifie Jean Epstein (2). Puis il s'etait separ6 de Jean Benoit-Levy et seul avait procede a une adaptation d'un conte fort dramatique de Balzac : L'Auberge rouge, dont la projection avait suffi, par l'intelligence, la force et le sens cinematographique qui caracterisent l'ceuvre, pour qu'on y put voir l'eveil d'une veritable et rare vocation. Cette vocation s'etait affirmee tres rapidement et de facon sensa- tionnelle avec le film suivant : Cceur Fidele. Cceur Fidele est l'histoire toute simple d'une pauvre fille, servante dans un bar du Vieux-Port, a Marseille : prise entre l'amour d'un brave ouvrier et le desir d'un nervi, elle cede a celui-ci. Mais l'amoureux sin- (1) Des difjcrents films que Jean Benoit-Levy realisa an temps du mitet, avec ou sans la collaboration de Marie- Antonine Epstein, sceur de Jean Epstein, le meilleur est bien certainement Pea,u de Peche ou s'expritnait une delicate sensibiliti, discretement expioite'e. Les interpreter de ce film etaient Simone Mareuil et le petit Jimmy que V on retrouvera plus tard sous le nom de Jimmy Gail lard. (2) Jean Epstein avait public plusieurs essais d'ordre philosophique : « La Poesie d'aujourd'hui, un nouvel etat d 'Intelligence » (La Sirkne, edit., Paris) ; « Bonjour, Cinema I » (La Sirene, edit., Paris) ; « La Lyroso- phie » (La Sirene, edit., Paris). Jean Epstein ne renonca pas compUte- ment a la litterature au profit du cinema et il publia encore « L'Or des mers » (roman, Librairie Valois, Paris 1932) et « L'intelligence d'une machine » (Philosophic du Cinema) (J. Melot. edit., Paris, 1946). 272 HISTOIRE DU CINEMA cere n'est pas homme a se laisser priver de celle qu'il aime : il surgit devant son rival et le blesse. Envoye en prison, il n'oublie pas et reste fidele a son amour, si bien que, des sa liberation, il veut arracher au mauvais garcon sa victime. Les deux hommes de nouveau en viennent aux mains et le brave garcon au « cceur fidele » aurait finalement le dessous si la Providence n'intervenait en la personne d'une voisine, une petite infirme qui poignarde le mauvais garcon. Que d'un tel sujet, Jean Epstein n'ait pas fait un sombre melo comme il en etait deja sorti des centaines des studios francais, voila qui suffit a prouver qu'il y avait en lui une forte personnalite. Rien, en effet, ne ressemblait moins a un melo que Cceur Fidele film d'atmosphere et de verite humaine, Jean Epstein s'afnrmant aussi habile a manier les hommes que les choses et ayant des ressources de son metier une connaissance beaucoup plus large que la plupart de ses contemporains. Toutes ces qualites, il les utilisa dans un episode de Cceur Fidele — la Fete Foraine — qui s'imposa au point non seule- ment de rester dans la memoire de ceux qui l'ont vu mais aussi de creer tres rapidement une sorte de poncif de Tart et mieux encore de la vir- tuosity cinematographique : pas de film sans fete foraine, pas de cineaste voulant prouver qu'il etait quelqu'un qui n'eut a cceur de composer « sa » fete foraine... « La Fete Foraine » de Jean Epstein et « La Chanson du rail » d'Abel Gance : les deux « tarte a la creme » des annees 1923- 1925. Mais de toutes ces fetes foraines pas une qui vaille celle de Cceur Fidele, pas une surtout qui ait la sincerite, la mesure que Jean Epstein avait mises dans la sienne, pas une qui contribue a revolution des carac- teres et a la marche de Taction comme le modele-type. C'est que Jean Epstein n'avait pas eu pour but d'eblouir : la virtuosite pure etait bien le dernier de ses soucis. Comme Louis Delluc, comme Germaine Dulac ce a quoi il pretendait c'etait « atteindre a la precision psychologique » et, si possible, pousser plus loin qu'eux. L'episode de la fete foraine lui avait paru etre une occasion de montrer ce dont, dans ce domaine, le cinema etait capable. C'est le docteur Rene Allendy qui, le premier, a laisse voir que cette intention n'avait pas ete perdue : « Une femme tiraillee entre deux hommes, celui qu'elle aime et celui qu'elle est obli- gee de subir. Elle est dans une fete foraine, sur un manege. Les objets defilent — sensation de vertige — et le film nous montre les choses comme elle peut les voir elle-meme : parmi les mille details susceptibles d'accrocher son attention, il en est un qui prend une importance consi- derable : ce sont les personnages articules de l'orgue de Barbaric Au centre, une femme tapant rythmiquement sur une clochette ; de chaque cote, un homme dans le meme role et ces deux homines regardent alter- nativement la femme. Je ne sais si Jean Epstein a choisi ce detail dans une intention symbolique deliberee, mais ce que je sais bien, par mon / k ■A 1 1 1 * mhhhi 73. Alberto Cavalcanti. 74. Henri Chomette. 75- Eugene Deslaw. 76. Une image de La Fille de I' Eavt, de Jean Renoir. 77- Une image de Cinq Minutes de Cinema Pur, d'Henri Chomette. 78. Une image de Tour au Large, de Jean Gr6millon« JEAN EPSTEIN 273 experience psychanatytique, c'est qu'il devait tout naturellement agir sur l'inconscient de l'heroine. II est peu vraisemblable que celle-ci ait pense consciemment qu'elle etait, elle aussi, partagee entre deux hom- ines. Mais l'image devait s'imposer a elle, en vertu d'obscures corres- pondances avec son etat d'ame. De meme, les spectateurs n'analysent' pas Timage symbolique ; il n'en est pas moins certain qu'elle contribue profondement a les emouvoir. (1) » Ainsi, sous des apparences de virtuosite, Jean Epstein poussait plus loin que ses meilleurs predecesseurs dans la voie de l'analyse psychologique par le truchement de l'image cinematographique. Pour un debutant, Jean Epstein avait eu dans Cceur Fidele encore un autre merite : il avait utilise ses trois principaux interpretes avec une habilete de vieux routier. Deux de ceux-ci etaient des comediens doues de personnalites tres differentes et qui avaient deja parcouru une longue carriere : loin d'avoir quelque chose a leur apprendre, ce qui importait c'etait plutot de les depouiller de leur experience et de leur refaire une ingenuite. Ces deux comediens etaient Leon Mathot (le brave ouvrier) et Edmond Van Daele (le mauvais garcon). Le troisieme des trois principaux roles — celui de la pitoyable victime — etait tenu par une jeune artiste Gina Manes qui avait deja ete remarquee dans L'homme sans visage de Louis Feuillade et dans L'Auberge rouge. A quel point Gina Manes reussit a composer en dehors de toutes les con- ventions son. personnage de fille seduite et abandonnee, il suffit pour s'en faire une idee de penser que par la suite, au cours d'une carriere qui fut, parmi les plus interessantes du cinema francais, encore que, sans qu'on puisse dire pourquoi, elle ait pris fin prematurement, jamais elle n'eut a animer un personnage de victime : chaque fois qu'on eut recours au talent de Gina Manes c'etait que Ton avait besoin de ce qu'en France on appelle « une femme fatale » et en Amerique une « vamp ». Mais sous les traits de Gina Manes, cette femme fatale appa- raissait aussi eloignee de celles auxquelles le cinema nous avait habitues que la victime de Cceur Fidele l'etait des pales et pleurnichardes heroines de d'Ennery et de Pierre Decourcelle. Entre les mains de Jean Epstein, Gina Manes laisse deja pressentir ce qu'elle sera avec Jacques Feyder dans Therese Raquin qui reste le point culminant de sa carriere. Cceur Fidele connut un succes tres vif aussi bien aupres du grand public que des amateurs qui, sous l'impulsion de Louis Delluc, deman- daient au cinema autre chose que ce qu'il leur donnait habituellement, ceux-ci appreciant l'absence de toute convention et l'habilete avec (1) Docteur Rene Allendy : « La valeur psychologique de l'image » (V Art Cinematographique » Vol. I. (Alcan Edit. Paris, 1928 J. js 274 HISTOIRE DU CINEMA laquelle le jeune auteur avait su exprimer par des moyens purement cinematographiques ce qu'il avait a dire — et il avait beaucoup a dire — et la foule se laissant prendre, non sans se defendre un peu contre cette virtuosite qui la surprenait et la heurtait, a la sincerite se degageant de cette ceuvre a la fois apre et melancolique qui, par le truchement des images, rejoint une grande tradition litteraire ou l'ame populaire se complait a se reconnaitre. 2° SUJETS VARIES, VIRTUOSITE CONSTANTE Au lendemain de Cceur Fidele, Jean Epstein n'avait qu'a se laisser porter par le mouvement qui s'etait cree autour de son ceuvre p0U|. connaitre un nouveau succes. II se refusa a. cette solution facile e hardiment s'engagea dans une voie inattendue de tous ceux qui le guettaient en choisissant pour theme un conte d'Alphonse Daudet : La Belle Nivernaise. Alphonse Daudet alors que Ton attendait pour le moins Emile Zola ! Qu'est-ce que Jean Epstein allait faire de cette toute simple histoire d'un gamin preferant a tous les agrements d'une vie confortable la liberte a bord de la peniche ou il a vecu sa premiere enfance et la compagnie des braves mariniers qui l'ont eleve. Pourquoi pas Sans Famille ? II en fit un film charmant ou sa sincerite, renoncant a toute virtuosite technique, n'eut pour collaboratrice qu'une simpli- city absolue. Cette ceuvre revelait une sensibilite et une discretion que ni L'Auberge rouge ni Cceur Fidele ne faisaient prevoir. Elle surprit le public qui avait deja camp6 Jean Epstein dans une attitude dont il lui deplaisait de decouvrir qu'elle n'etait pas definitive. Quant a ceux qui avaient aime Cceur Fidele pour son audace, ils furent d6cus par tant de simplicity et ne virent pas ce que cette simplicity comportait en realite de hardi. La Belle Nivernaise ne fut un succes ni d'argent ni d'estime et ce fut a son sujet que se manifesta pour la premiere fois Tin justice qui, a plusieurs detours de sa carriere, s'acharna sur Jean Epstein. Mais peut-etre ne faut-il pas trop regretter que La Belle Nivernaise n'ait pas remporte le grand succes que Ton esperait et dont avait besoin la maison qui en avait con fie la realisation a l'auteur de Cceur Fidele, car cette maison rendit alors a Jean Epstein sa liberte ce qui lui permit de s'engager dans une voie nouvelle. : La Societe russe qui occupait le studio construit a Montreuil par Georges Melies (i) lui ayant alors fait une proposition interessante, (i) V. p. 401 JEAN EPSTEIN 275 Epstein accepta, pensant trouver la un climat plus artistique que celui dans lequel il avait jusqu'alors travaille ainsi qu'une liberte plus grande. Le premier essai qu'il fit a Montreuil ne fut pas des plus heureux. II s'agissait pourtant d'un. film appartenant a un genre repute facile : 1'aventure. Mais Jean Epstein avait-il ce qu'il fallait pour reussir dans ce genre facile et puis le scenario du Lion des Mogols avait-il les qua- lit es elementaires d'un veritable film d'aventures ? Enfin Le Lion des Mogols avait ete entrepris a la demande de la grande vedette de la maison, Ivan Mosjoukine, qui y voyait un beau role pour lui (et Ton sait quelles erreurs commettent les vedettes quand elles obeissent a des considerations de ce genre et a. quelles erreurs elles entrainent ceux qui les suivent, souvent a leur corps defendant, dans ces voies) et qui, une fois n'est pas coutume, se trompa ici lourdement. Une collaboration Jean Epstein-Ivan Mosjoukine etait-elle d'ailleurs possible ? Grand artiste, de formation profondement slave et d'expression purement romantique, Ivan Mosjoukine avait une personnalite trop forte et trop eloignee de celle de Jean Epstein pour que ces deux personnalites pussent s'accommoder l'une de l'autre. En outre Mosjoukine avait des idees sur le cinema — des idees toujours'interessantes, on doit le recon- naitre, meme quand elles etaient discutables — et il cherchait a les imposer aux metteurs en scene de tous les films dont il etait l'inter- prete. Mais si intelligent qu'il fut, il n'etait pas homme a s'apercevoir que ce qui etait possible quand il travaillait avec ses compatriotes Volkoff et Tourjansky, ne l'etait pas avec Jean Epstein. Le resultat de ce malentendu fut un film qui, malgre une course en auto dont certains n'ont pas craint de comparer le dynamisme et la maitrise technique a la « chanson du rail » de La Roue, est bien probablement le moins bon de ceux que signa Jean Epstein et bien certainement le moins bon de ceux dont Ivan Mosjoukine fut le vedette. L'exp6rience ne fut pas renouvelee, la direction des studios de Montreuil ayant compris qu'un homme comme Epstein ne pouvait s'accommoder d'aucune collaboration, fut-elle occulte, fut-elle d'un grand acteur et que le plus sage etait de lui accorder la liberte dont il avait besoin. C'est dans ces conditions que naquit L'Affiche. On a trop souvent ete exagerement severe pour ce film dont Bar- deche et Brasillach ont dit qu'il est « un melo assez sommaire et assez pr^tentieux ». Que le sujet de L'Affiche soit un sujet de melodrame : possible. Mais pas plus que celui de Cceur Fidele dont personne ne con- teste qu'il a fourni un film de grande valeur et de profonde originalite, car l'art cinematographique qui se cherche en est encore a la periode ou la forme l'emporte sur le fond. Que ce melo soit sommaire : possible encore. Mais le cinema ne s'accommode-t-il pas mieux de simplicit6 que de complication et un sujet, surtout quand il est exploite par un 276 HISTOIRE DU CINEMA homme qui a des choses a dire et qui sait les exprimer cinematogra- phiquement — ce qui est le cas de Jean Epstein — n'a-t-il pas plus a gagner a se reduire a une situation unique qu'a se perdre dans les meandres d'incidents accessoires ? Quant a la pretention, le reproche est assez genant venant d'hommes qui n'ont pas vu que la seule pre- tention a laquelle Jean Epstein se soit laisse aller est d'avoir donne a son film une base purement visuelle, c'est-a-dire eminemment cinema- tographique, la plus cinematographique peut-etre qui, jusqu'alors, ait ete portee a Fecran : abandonnee avec un enfant, seul souvenir de rhomme qui l'a seduite, une femme accepte que le gamin serve de modele a un peintre pour une affiche. L'enfant meurt et la malheureuse qui retrouve sur tous les murs le visage souriant du petit mort finit par ne plus pouvoir echapper a cette obsession : elle arrache une affiche et est arreted. Ce qui arrive ensuite est sans interet et il importe peu que, pour satisfaire au besoin de fin heureuse qui a tou jours ete une des plaies du cinema, la pauvre femme fasse un mariage parfaitement inattendu. Ce qu'il y avait d'interessant dans ce sujet c'est qu'il per- mettait de montrer la force de l'image, de rendre sensible l'obsession que l'image repetee cree dans un esprit. De ce theme Jean Epstein avait tire un remarquable parti sans se laisser aller a la virtuosite, que cer- tains lui reprochaient, dont il avait donne des preuves eblouissantes dans Cceur Fidele mais on ne lui sut pas gre de sa discretion. II convient d'aj outer qu'il avait trouve des interpretes remarquables avec Nathalie Lissenko et Camille Bardou. A L' Affiche succeda Le Double Amour, ou, ayant une seconde fois fait confiance a l'emouvante Nathalie Lissenko, il lui donna pour par- tenaire Jean Angelo qui fut ensuite le protagoniste des Aventures de Robert Macaire (avec Suzanne Bianchetti, Alex Allin, Camille Bardou). Mais pas plus que dans Le Lion des Mogols, Jean Epstein ne trouva dans ce film l'emploi de ses qualites (i). Quand il avait franchi le seuil du studio de Montreuil, Jean Epstein avait bien pense qu'il allait trouver la liberte dont il avait besoin. Le Lion des Mogols aurait du suffire a lui montrer qu'il se trompait mais sans doute avait-il pense qu'en acceptant ce scenario et la colla- boration — meme inavouee — de Mosjoukine, c'etait une sorte de droit d'entree dans la maison qu'il acquittait et que cette formalite accom- plie, il jouirait enfin de cette liberte a laquelle il aspirait. Et pendant quelque temps il avait pu con server cette illusion puisque, tant pour Le Double Amour que pour L' Affiche, dont les scenarios comme celui de (i) Non plus que dans Mauprat qu'il fit des qu'il eut repris sa liberte et dont Sandra Milovanoff fut la vedette. JEAN EPSTEIN 277 Cceur Fidele, sont de Marie- Antonine Epstein, il put se regarder comme le maitre a peu pres absolu de son oeuvre. Mais, tres vite, Les Aventures de Robert Macaire, sujet qu'il n'aurait certainement pas choisi s'il avait ete libre, le ramenera a une plus exacte comprehension de sa situation. Trop intelligent pour ne pas s'apercevoir qu'il faisait fausse route, trop loyal pour chercher a donner le change sur sa deception et ses exigences, trop certain de ne pas servir le cinema comme il le pouvait en se consacrant a des Robert Macaire, Jean Epstein reprit son inde- pendance. 30 Jean Epstein, lui-meme II n'avait pas oublie que dans un essai, « Cinema », qu'il avait publie en 1921, il avait ecrit : « Le cinema attache une valeur trop importante a ce qui represente exterieurement les actes de l'intelligence. II est mau- vais peintre, mauvais sculpteur, mauvais romancier. II se pourrait qu'il ne soit pas un art mais autre chose, mais mieux. Ceci le distingue, qu'a travers les corps il enregistre la pensee. II l'amplifie et raeme parfois la cree la oil elle n'etait pas. » Et, un peu plus loin : « Le cinema nomme, mais visuellement, les, choses et, spectateur, je ne doute pas qu'elles existent. » En depit de tous les Lion des Mogols du monde, c'etait la la Verite et c'etait cette Verite qu'il entendait servir. Sacrifiant alors a cette verite les facilites materielles dont il disposait a Montreuil, Jean Epstein travailla pendant trois ans (1926-1929) sans appui mais sans entraves, realisant quatre films tres differents mais qui, a des titres divers, meritent d'avoir leur place dans l'histoire de l'Avant- Garde francaise : Six et demi-Onze (sur un scenario de Marie-Antonine Epstein) (1), La Glace a trois faces (d'apres une nouvelle de Paul Morand, dans laquelle un homme est presente successivement sous trois aspects differents qui sont ceux sous lesquels le voient trois femmes differentes), La Chute de la Maison Usher (d'apres l'ceuvre d'Edgar Poe), Finis Terrae. Avec ces films, Epstein cherche a mettre ses actes en accord avec ses ecrits, sautant de l'intellectualite pure (La Glace a trois faces) a un « caligarisme » epure (La Chute de la Maison Usher) pour aboutir a un realisme sans concession ayant presque la rigueur d'un « documentaire » (Finis Terrae) dans lequel adoptant, comme personne avant lui n'avait (1) Jean Epstein avait intitule son film Un Kodak mais la firme connue sous ce nom lui ayant cherche des difficultes, il avait adopte le titre Six et demi-onze. 278 HISTOIRE DU CINEMA encore ose* le faire les principes de Dziga-Vertoff, il se passa complete- ment d'acteurs professionnels et n'eut recours pour animer ses person- nages qu'a des pecheurs et des ramasseurs de goemons. Mais si audacieux, si logique avec lui-meme qu'il s'y montrat, aucun de ces films ne permit a Epstein d'aller au dela de ce que Ton savait d6ja de lui, a savoir qu'il etait plus intelligent et qu'il savait tirer de l'ins- trument qu'il avait en mains un peu plus que la majorite de ses con- freres. Malheureusement, en montrant avec toute la precision dont le cin6ma est susceptible, ce que, dans sa nouvelle, Paul Morand se conten- tait de suggerer, Jean Epstein ne r^ussissait pas a demontrer que Ton pouvait faire des films capables de satisfaire pleinement les vrais intel- lectuels pas plus qu'il ne parvenait a ressusciter, sous des apparences francaises, c'est-a-dire en le debarrassant de ses exagerations et de tout ce qu'il comportait de mauvais gout, le defunt « caligarisme ». Quant au realisme, on savait depuis longtemps comment il se manifestait cine- matographiquement et meme quel tort il avait fait au cinema, mais ce n'etait pas dans ses voies que souhaitaient le voir s'enfoncer ceux qui d^siraierit que le cinema se renouvelat. Ce n'etait d'ailleurs pas le realisme qui representait l'ideal a atteindre aux yeux de l'homme qui avait 6crit (i) : « Le cinema est le plus puissant moyen de poesie, le plus reel mo3^en de l'irreel.» Et si Epstein, avec Finis Terrae donnait un tel gage aux partisans du realisme cinematographique, c'etait peut- etre tout simplement qu'il voulait tenter sa chance dans tous les domai- nes et montrer aux industriels et commercants qu'il pouvait faire aussi bien — mieux ! — et moins cher que ceux pour qui en dehors du rea- lisme il n'y avait pas de salut. Si Ton ajoute que pour aucun de ces films, Epstein n'eut a sa dispo- sition les moyens materiels qui lui etaient indispensables — sa vie fut une lutte ininterrompue contre les hommes et contre l'argent — qu'il trouva rarement les collaborateurs dont il avait besoin, que, particu- lierement — a l'exception de Debucourt et de Charles Lamy qui etaient remarquables dans La Chute de la Maison Usher — il ne rencontra jamais, en dehors de ses films commerciaux les acteurs capables de le servir comme il le meritait et qu'enfin il etait trop independant pour entretenir autour de lui un chceur de thuriferaires prets a entonner en toute circonstance ses louanges, comme savaient si bien faire quelques autres, on comprendra pourquoi Jean Epstein n'a pas plus sa veritable place dans l'histoire de « l'Avant-Garde » que dans celle de la produc- tion commerciale. Pour beaucoup, sinon pour tous ceux qui connaissent son nom, ce nom reste attache a Coeur Fidele — ce qui n'est deja pas (i) « Cintma », (igzi). JEAN EPSTEIN 279 mal, mais est pourtant insuffisant, Jean Epstein etant un de ceux qui ont le plus ardemment combattu pour un meilleur cinema, payant pour d'autres qui ne le valaient pas, et finalement le plus efficacement con- tribute a la constitution de « l'ecole cinematographique francaise ». Alberto Cavalcanti : « En Rade » et « Yvette » Tout proche de Jean Epstein, il convient de placer Alberto Caval- canti, autant pour l'amour de la recherche qu'il laissa voir tout au long de sa carriere que pour 1'impossibilite dans laquelle il se trouvait de se plier aux exigences des commercants. Moins richement doue" qu'Epstein, allant moins profondement que lui dans l'idee qu'il se faisait des possibility du cinema, moins intran- sigeant aussi, Cavalcanti fut, au moins pour ses tout premiers debuts, place dans des conditions qui lui laisserent l'entiere liberte dont il avait besoin : sans doute les moyens materiels et financiers luietaient- ils parcimonieusement comptes mais ayant des dons fort interessants de d6corateur, il reussit le plus souvent a donner a ses films des appa- rences de vraie originalite qui faisaient illusion et masquaient ce qu'ils avaient d'improvise. De plus il eut la chance de trouver, notamment en Catherine Hessling et en Philippe Heriat, les interpretes capables a la fois de se plier a ce qu'il exigeait d'eux et d'arracher les spectateurs a leur admiration beate et sans controle des vedettes aureolees de publi- city commerciale. C'6tait dans l'entourage de Marcel L'Herbier que Cavalcanti avait acquis l'experience qu'il etait avide de deployer pour son compte personnel et dont il donna les premieres preuves dans quatre petits films : Le Petit Chaperon rouge ou a cot e* de Catherine Hessling, Jean Renoir c6dait a l'irresistible tentation qui le harcelera longtemps d'utiliser un talent d'acteur qui ne depasse guere les limites de la bonne volonte" ; La P'tite Lillie, Rien que les heures ou Clifford Mac Laglen voisinait avec Philippe Heriat et avec une comedienne, Blanche Ber- nis, qui aurait sans doute merite* de paraitre plus souvent sur les ecrans ; La Jalousie du Barbouille (Philippe Heriat, Jeanne Helbling, Pasquali), quatre films qui se recommandaient £galement par la liberte — la gentillesse pourrait-on dire — de leur realisation, liberte atteignant parfois a une fantaisie que Ton ne retrouve nulle part ailleurs si ce n'est dans les films de Rene Clair et par la variete de leur inspiration et la connaissance, vraiment extraordinaire chez un debutant, de toutes les ressources du metier cinematographique dont ils faisaient preuve. Mais quel que fut le merite de ces bandes, il disparait devant celui d'un cinquieme film, pleinement muri celui-la, et qui est bien certaine- 28o HISTOIRE DU CINEMA ment avec Cceur FidUe, l'ceuvre la plus au point, la plus caracteristique de la nouvelle generation : En Rade. Comme Cceur Fidele, En Rade est indiscutablement d'inspiration populiste mais par-dessus Jean Epstein, Alberto Cavalcanti rejoint ici Louis Delluc, le Delluc de Fievre. Comme celle de Fievre, Taction de En Rade se deroule en effet a Marseille, a deux pas de ce Vieux Port qui meriterait bien qu'un jour un essayiste en quete de sujet analysat le r61e qu'il a joue dans la litterature, le theatre et le cinema. Simili- tude de cadre et d'atmosphere, sans doute serait-ce peu de chose mais il y a plus : dans En Rade comme dans Fievre ce qui est interessant c'est que le cinema aborde le theme de l'evasion et plus nettement encore dans En Rade que dans Fievre, Cavalcanti ayant pris pour per- sonnage principal un jeune homme tourmente par le besoin d'aventure et subissant l'appel du large : premiere esquisse — deja tres poussee — du personnage meme dont Marcel Pagnol nous donnera le portrait solidement campe et profondement fouille dans Marius et dans Fanny. Le scenario, du a Philippe Heriat qui pour la premiere fois faisait ceuvre d'auteur, sans se priver pour cela des plaisirs que lui procurait Interpretation ou il s'etait rapidement fait une place enviable, est simple comme il arrive le plus sou vent pour les bons films : un tout jeune homme, fils d'une humble blanchisseuse, est partage entre deux passions qui, loin de se nuire, se complement fort bien et s'exaltent mutuellement : l'amour qu'il a pour une fille, employee comme ser- vante dans un bouge a matelots et le desir d'aventures, double passion qui desespere sa mere. Son amour est-il deja une aventure ou ne desire- t-il si ardemment s'evader que parce qu'il se rend compte que c'est seulement sous d'autres cieux qu'il pourra s'abandonner librement a son amour ? Finalement, c'est sa mere qui l'emportera dans ce conflit : le jeune homme ne partira pas. Cette action toute simple, Cavalcanti l'avait menee avec un art acheve du recit cinematographique, prouvant tout naturellement que les meilleurs sujets de films ne sont pas ceux dont on pourrait faire des pieces de theatre ou des romans mais des nouvelles ou des contes, et sans jamais ceder a une sentimentalite facile non plus qu'au moindre exces melodramatique. Cette discretion ne fut pas appreciee comme elle le meritait : En Rade n'eut pas le succes que ses qualites auraient du lui valoir et ne put pas sortir du cercle etroit de a l'Avant-Garde ». Et pourtant, que de belles images du port peuple des hautes silhouettes des paquebots et des cargos aux flancs baignant dans les eaux tour a tour clapotantes et lourdes d'huiles stagnantes, que d'exacte poesie — une poesie speciale certes, mais exprimee sans complaisance ni mauvais gout — dans ces images de ruelles aux oppositions d'ombre et de lumiere sous les linges sechant de fenetre a fenetre, que de pittoresque naturel depouille de toute litte- L' AVANT-GARDE 281 rature et que de vraie emotion dans les personnages qu'incarnaient si sobrement Nathalie Lissenko qui, avec celui de la mere blanchisseuse, trouva une de ses meilleures creations, Pierre Batcheff, Philippe Heriat qui campa la une silhouette d'innocent d'autant plus curieuse qu'il avait su avec beaucoup d'art et a force de sincerite la depouiller de tout ce qu'elle aurait pu avoir de conventionnel et Catherine Hessling qui, fait unique dans sa bizarre carriere, sut renoncer a peu pres completement a la preciosite minaudiere dont sa personnalite se trouvait si facheu- sement marquee. vSi le cinema francais avait ete organise, s'il avait eu les hommes d'affaires attentifs et d'esprit ouvert dont il avait besoin, Alberto Cavalcanti, au lendemain de En Rade, aurait pu tout faire. Mais il ne trouva personne pour lui permettre d'exploiter ses qualites. II dut cher- cher a echafauder une combinaison grace a laquelle il pourrait utiliser Texperience que ses essais — car il ne faut pas voir dans En Rade autre chose qu'un essai reussi, un essai qui vaut ce que le cinema a fait de meilleur a cette epoque, mais un essai — lui avaient permis d'acque- rir. Et ce qu'il fit ce fut Yvette, c'est-a-dire un beau role pour Catherine Hessling dans un film dont la realisation n 'avait ete rendue possible que par la mise sur pied d'une de ces combinaisons internationales qui etaient alors a peu pres les seules chances que les metteurs en scene les plus interessants avaient de travailler. Tire d'une nouvelle de Guy de Maupassant, c'est-a-dire d'un des ecrivains les plus francais qui aient jamais existe, un des tres rares qui aient ete rebelles a toute influence etrangere, le seul qui n'ait jamais tire que de son terroir — clos normand ou « Boulevard » parisien — la seve de ses ceuvres, ce film dont Taction devait se derouler dans un milieu specifiquement parisien se trouvait tres lourdement handicaps, au depart, par l'obligation dans laquelle Cavalcanti s'etait trouve de confier a des acteurs etrangers plusieurs de ses plus importants roles. Le talent de ces acteurs : lea de Lenkeffy, Walter Buttler, Clifford Mac Laglen, n'est pas en cause ici, mais simplement Timpossibilite dans laquelle ils etaient, Hongroise et Anglais, de donner a leurs per- sonnages tout ce que ceux-ci contenaient et devaient exprimer de francais. Si Ton ajoute que ce n'etait pas Catherine Hessling dont le talent — indiscutable — ne se recommandait pas par ses qualites par- ticulierement francaises, qui pouvait faire contrepoids et restituer a l'oeuvre la saveur dont Guy de Maupassant l'a paree, on cpmprendra qu' Yvette ait decu. Avec le gout qui est une des plus certaines carac- teristiques de sa personnalite, Cavalcanti avait compose autour de ses personnages T atmosphere la plus exacte du milieu special mais si parisien dans lequel l'ecrivain les avait fait evoluer. Et sur ce point, il avait si bien reussi que le decor etouffait un peu Taction et celle qui 282 HISTOIRE DU CINEMA en etait la fr£le, la pitoyable heroine : film d'homme de gout, de deco- rateur mais qui n'avait rien de ce qu'il fallait pour arracher son auteur a a l'Avant-Garde » et demontrer aux producteurs qu'ils avaient tort de dedaigner son talent. Cette demonstration, ce ne fut pas non plus Le Capitaine Fracasse que Cavalcanti tira ensuite du celebre roman de Theophile Gautier qui la fournit. Le Capitaine Fracasse n'est peut-etre pas un aussi bon sujet de film qu'on pourrait etre tente de le supposer a la lecture — la tentative a laquelle Abel Gance se livrera a son tour quinze ans plus tard fournira sans doute un argument a ceux qui par- tagent cette opinion — et il n'y aurait pas grand'chose a dire de ce film d' Alberto Cavalcanti — le dernier qu'il realisa avant la naissance du parlant et le seul pour lequel il ait obei a des considerations nette- ment commerciales — si son interpretation n'avait pas reuni, encadrant la charmante Pola Illery, deux acteurs qui allaient se faire tres vite — particulierement a partir du moment ou les ecrans seront devenus par- lants — une place considerable dans la vie cinematographique : Pierre Blanchar et Charles Boyer. Jean Renoir : de la fantaisie au realisme Du nom d'Alberto Cavalcanti, il est difficile — sinon impossible — de separer celui de Jean Renoir. Tout d'abord parce qu'on le trouve dans la liste des interpretes du premier film de l'auteur de En Fade. Ensuite parce que c'est Jean Renoir qui avait decouvert, et orients Catherine Hessling vers le cinema — il l'avait meme epousee — Cathe- rine Hessling qui, des annees durant, fut l'interprete preferee de Caval- canti et surtout parce que, si par la suite les deux hommes eurent des destinees tres differentes, l'un ne reussissant a s'arracher a « l'Avant- Garde » que pour devenir, apres des experiences decevantes, le meilleur maitre es sciences cinematographiques d'Europe, l'autre s'evadant tres vite de ladite « Avant-Garde » et devenant un des meilleurs realisateurs francais, le seul capable de ce « mariage de la carpe et du lapin » dont nous parlions plus haut, deux facons tres differentes mais aussi convain- cantes l'une que l'autre de prouver que « l'Avant-Garde », comme le journalisme, mene a tout a condition d'en sortir. lis debuterent l'un comme l'autre par des ceuvres qui, sans se rattacher a la meme esthe- tique, tournent aussi deliberement le dos au realisme et font, sous la signature de l'un comme de l'autre, des incursions dans le domaine de la Fantaisie et du Reve. De cette premiere maniere, ce que Jean Renoir nous a laisse de plus valable c'est incontestablement La Fille de I'Eau et surtout La Petite Marchande d'allumettes, ce dernier film etant bien certainement une des ceuvres les plus dedicates, les plus joliment fee- L' AVANT-GARDE 283 riques et poetiques dont l'ecran ait provoque" la naissance, une des plus naturellement hardies sans aucune de ces intentions provocatrices dont se sont trouves gates tant de films interessants : c'etait toute l'ame ingenue et touchante du bon Andersen qui transparaissait a travers les images de La Petite Marchande d'allumettes dont Catherine Hessling etait la parfaite interprete. Tres vite, Jean Renoir s'evada, nous l'avons dit, de « l'Avant- Garde » et, rejetant toute seVerite en vers lui-meme, confiant en ses forces et certain que, quelles que fussent les extremites auxquelles il se laisserait entrainer, il reussirait a n'y pas faire naufrage et a reprendre pied sur le rivage solide et sur ou il trouverait la reussite a laquelle il se savait promis. C'est alors qu'il fit des films aussi differents que Le Bled, Le Tournoi, films de circonstances que n'importe qui aurait pu faire comme il les fit mais qui, prouvant au moins qu'il pouvait travailler comme tout le monde, firent oublier a ceux qui auraient pu lui en tenir rigueur, qu'il etait l'auteur de la si poetique PetiteMarchande d'allumettes. II y eut mieux. II y eut pire, car on trouve encore, en ces ann£es du cinema muet declinant, le nom de Jean Renoir sous un " Tire au Flanc qui ne vaut pas mieux que tous les autres vaudevilles militaires £pars tout au long de l'histoire du cinema francais et qui constituent contre les dirigeants de celui-ci le plus accablant des requi- sitoires. Si Ton veut bien ne voir la que les efforts d'un homme tenace, fermement resolu a ne laisser echapper aucune occasion de s'imposer, il convient de ne pas etre trop severe a l'egard de Jean Renoir, d'autant moins que ces efforts ne furent pas perdus puisqu'ils aboutirent a un film qui, sans etre un chef-d'oeuvre, a du moins laisse voir queiques-unes des qualites par lesquelles son auteur s'amrmera plus tard et montre que, sans plus attendre, il etait capable d'atteindre le grand public. C'est encore a une combinaison Internationale, semblable a celle qui permit a Cavalcanti de realiser Yvette, que Jean Renoir dut de franchir definitivement et honorablement le fosse separant « l'Avant-Garde » de la production normale. Choisissant dans l'ceuvre d'un des ecrivains avec lesquels il a le plus d'affinites — Emile Zola — un des romans les plus connus de la foule : Nana, dans le personnage principal duquel il voyait un role convenant a la personnalite de Catherine Hessling, qu'il encadra de Werner Krauss et de Jean Angelo, Jean Renoir realisa un film un peu lourd, un peu lent, dans lequel quelques passages pittores- ques mettaient des notes vives, mais qui ne manque pas de force, une ceuvre comme on aimerait, somme toute, qu'il en parut beaucoup sur les Gorans. 284 HISTOIRE DU CINEMA Jean Gremillon, cineaste de l'eau De meme qu'il convient de placer Jean Renoir a cote de Cavalcanti, c'est tout a cdte de Jean Renoir qu'il convient de placer Jean Gremillon et plus encore peut-etre, car non seulement la personnalite de ces deux hommes a des caracteres communs mais encore parce que revolution de leur talent — particulierement remarquable une fois que le cinema sera devenu parlant — se developpe suivant des courbes qui restent assez proches Tune de l'autre. Le premier film portant la signature de Jean Gremillon est une sorte de « documentaire poetique » — si Ton admet que les deux mots puis- sent etre accouples — Tour au large ou s'amrme un sentiment tres atta- chant de la mer — sentiment que Ton retrouvera exploite de facons tres differentes dans plusieurs films de Gremillon — et qui constitue une suite d'images d'une qualite rarement atteinte dans les productions de cette epoque. Apres Tour au large, Jean Gremillon s'attaqua a une ceuvre plus importante, Maldonne, d'apres un scenario d'Alexandre Arnoux. Avoir choisi un scenario d'Alexandre Arnoux plutot qu'un vie ax m£lo ou un vaudeville a calecons est une preuve de gout qui aurait du etre prise en consideration par tous ceux que la production courante ne satisfaisait pas. II n'en fut rien : apres s'etre heurte a l'incompre- hension de ses distributeurs qui exigerent que des modifications pro- fondes lui fussent apportees, l'ceuvre qui avait ainsi perdu beaucoup de sa personnalite ne fut pas comprise comme elle le meritait. Et pour- tant elle 6tait profondement humaine et fort emouvante l'histoire de ce brave patron de peniche, un personnage qui n'appartenait pas au personnel habituel des films et que Charles Dullin incarnait avec sa vive intelligence et son art tres subtil de composition. Et les images que Gremillon, aussi heureusement inspire par l'eau lente des canaux et des rivieres que par les flots tumultueux de l'ocean, avait composees faisaient de ce tour de France un digne pendant a son Tour au large... C'est encore la mer que Ton retrouve dans le troisieme film de Gremillon, Gardiens de Phare. Cette fois elle ne parait pas en premier plan. C'est plutot a la cantonade qu'elle se tient. Mais au dela des murs epais de Fetroite tour dans laquelle le drame se deroule, on la devine toujours presente et c'est sa presence qui rend le drame possible et lui donne sa sauvagerie. Avec Gardiens de Phare, Gremillon se montrait audacieux a plusieurs titres. Tout d'abord en realisant un film qui, par ses dimensions, rompait avec toutes les habitudes des directeurs de salles. A l'epoque ou ce film allait aborder les ecrans, ceux-ci offraient a leurs habitues un spectacle compose de plusieurs films de court L'AVANT-GARDE 285 metrage, de genres divers allant des « Actualites 1 a la comedie plus ou moins vaudevillesque en passant par le dessin anime et le documen- taire mais le « grand film », pour employer le terme en usage, le morceau de resistance qui etait la raison d'etre du programme devait etre coule dans un moule fixe qui lui permettait d'etre projete en quatre-vingt-dix minutes. Tout ce qui depassait ou n'atteignait pas cette duree £tait inexorablement refuse par les directeurs de salles qui affirmaient que leur clientele n'admettrait pas qu'on bousculat ses habitudes. C'etait ces habitudes que Gremillon permettait de battre en breche avec Gardiens de Phare. Un film dont la projection ne durait guere plus d'une heure ! On n'avait jamais vu ca. Et ce film, pour atteindre les quatre-vingt-dix minutes — duree d'un spectacle cinematographique normal — devait etre projete accompagne sur tous les ecrans qui vou- draient bien l'accueillir par un petit film comique tire d'une comedie appartenant au repertoire du theatre du Grand-Guignol, comme il l'etait lui-meme d'un drame de Paul Autier et Cloquemin cree sur la meme scene. Enfin, derniere audace, dernier accroc fait dans la trame des habitudes, il n'y avait dans Gardiens de Phare rien de ce que le public etait repute demander aux spectacles de l'ecran : pas de toilettes ele- gantes, pas de scene de bar ni de dancing, pas d'exploits sportifs. Rien qu'une longue scene, se repliant plusieurs fois sur elle-meme avant d'arriver au denouement... Une longue scene entre deux hommes... Et cette scene se deroulait tout entiere dans des escaliers... Cela non plus on ne l'avait jamais vu ! Que de ces escaliers Gremillon — qui avait deja montre dans Maldonne qu'il savait deplacer son appareil et lui trouver des angles de prise de vues particulierement interessants — eut tire des effets ingenieux contribuant a rendre sensible 1'intensite du drame, on ne s'en souciait guere. Et pas plus.apres Gardiens de Phare qu'apres Maldonne, Gremillon ne put disposer des moyens qui lui auraient permis de s'exprimer pleinement et librement. Et il lui fallut encore longtemps marquer le pas avant de pouvoir se glisser a la place qu'il meritait (1). Sanctuaires et Chapelles : Le Vieux-Colombier II n 'etait pourtant pas sans importance que des films comme Tour au Large, La Petite Marchande d'allumettes, En Rade, La Glace a trois faces aient pu arriver jusqu'au public puisque c'etait de l'approbation que ce (1) Comme Jean Renoir, Jean Gremillon ne trouva son expression com- plete et la place a laquelle il avait droit que lorsque le cinema jut devenu parlant. 286 HISTOIRE DU CINEMA public donnait a leurs oeuvres que les auteurs de ces films tiraient la con fiance en eux-memes et la force dont ils avaient besoin pour conti- nuer a travailler hors des senders battus. Ce public ce n'etait pas dans les palaces des grands boulevards — les Champs-Elysees n'etaient pas encore devenus le quartier general de la vie cinematographique — ni dans les salles dites « de quartier » que Jean Epstein et Jean Renoir, Cavalcanti et Gremillon le trouvaient mais dans de petites salles qui s'6taient ouvertes dans des coins de Paris ou, quelques mois plus t6t, nul n'aurait pense" a aller les chercher et cela sur l'initiative d'hommes qui avaient compris que le mouvement cree par Louis Delluc et Ricciotto Canudo avait peu a peu pris assez d'importance pour que Ton put essayer d'en profiter tout en servant la cause d'un meilleur cinema. Le premier qui avait eu cette revelation est Jean Tedesco qui venait de prendre la direction du theatre du Vieux-Colombier aban- donne par Jacques Copeau. La, des le mois d'avril 1924, se rangeant sous la banniere de Canudo, il avait organise des « Vendredis du ye Art » qui avaient amene sur la rive gauche quelques-uns des snobs qui s'£taient groupes autour de Canudo et qui, depuis la mort de celui-ci se trouvaient quelque peu desorientes et cherchaient un centre de ralliement. Ce centre, Jean Tedesco le leur offrait et ils prirent facile- ment l'habitude d'y venir, si bien qu'au mois de novembre suivant un premier spectacle « d'Avant-Garde » y fut donne qui comprenait : un film allemand de Robison et Grau Le Montr eur d' Ombres, le film sans sous-titres de Marcel Silver, L'Horloge et sous le titre Selection de rythmes des passages de La Roue qu'Abel Gance avait r£unis en un montage special. Un mois plus tard, nouveau spectacle consacre a Jean Epstein et compose* de Cceur Fidele, de fragments de L'Affiche et d'une Etude d 'expressions dont le path^tique visage de Nathalie Lissenko avait fourni les elements. (1) (1) Alexandre Arnoux a donni du « Vieux-Colombier » une description qui en fait parfaitement sentir V atmosphere : « Le Vieux-Colombier a garde" I'empreinte de Copeau ; le public date de lui et West pas digage. Quelque chose de litteraire, d'universitaire, de diplomi remplit ce long couloir nu ; la vieille dame qui a de la lecture y abonde et le monsieur grisonnant, a la barbe bien tenue, au ventre de dimensions moyennes, ni trop engraissd par I'exces de nourriture, ni fondu par Vactivite physique, le quinquagenaire qui ne didaigne pas la nouveauti pourvu qu'elle soit morale, instructive et es- tampilUe pari' elite europeenne. On rencontre ici la gauche etl' extreme- gauche de la Sorbonne, celle qui prise dans Gide un calvinisme tiraille entre Nietzsche et saint Paul, un scandale evangilique, dans Valdry une critique de la podsie qui devore la poisie. Les jeunes filles s'habillent avec une exacte recherche de laisser -alter, affectent une coquetterie genevoise, un souci visible du mipris du qu'en dira-t-on ; les jeunes gens pratiquent I'examen de cons- L'AVANT-GARDE 287 En raeme temps, Jean Pascal, directeur de « Cinemagazine » fondait une association de caractere populaire « Les Amis du Cinema » qui, apres s'etre developpee a Paris a partir de 1921, eut des ramifications en province, dont la plus importante fut celle de Montpellier que diri- geait le docteur Paul Ramain. L'exposition des Arts decoratifs qui s'ouvrit a Paris au printemps de 1925 fournit une preuve de plus que « l'Avant-Garde » repondait a une n^cessite et qu'il aurait fallu l'inventer si elle n'eut exists : un homme qui avait 6te mele, aux cotes de Lugne-Poe, et de Paul Fort, au mouvement tendant, aux environs de 1900, a liberer le theatre, de 1'influence Augier-Dumas sous laquelle il etouffait, Charles Leger, s'etait, comme tant d'autres, senti attire par le cinema et il avait entre- pris de faire en faveur de celui-ci, un effort de liberation du meme genre que celui qu'il avait mene au « Theatre des Poetes ». Ayant obtenu l'autorisation d'installer un ecran dans un des pavilions qui avaient 6te construits sur le Cours la Reine, il organisa la des stances regulieres dont les programmes etaient composes de films qui, effrayant les direc- teurs de salles par leur originalite, ne pouvaient acceder aux ecrans. Tres vite, on sut que les films qu'accueillait Charles Leger n'etaient visibles que la et qu'ils repondaient au besoin de nouveaute que beaucoup eprouvaient. Mais comme la salle etait ouverte a tous, qu'il n'etait pas necessaire de montrer patte blanche pour y penetrer, les badauds, qui etaient entres la comme dans un quelconque etablisse- ment des boulevards pour tuer une heure, n'etaient pas longtemps avant d'etre decus ou indignes de ce qu'ils y voyaient. Leurs protesta- tions provoquaient naturellement des repliques et certains soirs il y eut la des manifestations au cours desquelles on en vint parfois aux mains : au Cours la Reine bien plus que partout ailleurs « l'Avant-Garde » se montra batailleuse. L'exposition des Arts decoratifs terminee, Charles Leger poursuivit son effort dans une petite salle du square Rapp — la salle Adyar — ou, des annees durant il organisa r^guliere- ment des seances comportant projection de films et discussion dont cience, la gymnastique rationnelle et le vegdtarisme; toutle monde est propre , chacun est intelligent, informi ; il ne manque a cette petite joule triee qu'un peu de crasse et d'instinct, qu'un peu de stupidite genereuse, de cette betise animate qui lui ferait sentir ce qu'elle comprend et s'unir plus justement en jugeant de travers. Public etroit, sympathique, esclave des disciplines de la liberie moderne, trop perspicace, intuitif helas ! par ordre et par prin- cipe, uniquement parce que I' intelligence n'est plus de mode aujourd'hui, et spontane a la reflexion, public qui rirait de meilleur cceur et moins avec la Ute,au Pelerin ou a La Ruee vers l'Or si on ne V avait persuade par raison demonstrative, que Chariot prouve Bergson et continue Pascal. » (Alexandre Arnoux : « Du jnuet au parlant » (Nouvelle Edition, Paris 1946). 288 HISTOIRE DU CINEMA l'interet n'etait pas niable et qui contribuerent a elargir dans le public les zones accessibles a un meilleur cinema. Les Ursulines et le studio 28 A peu pres dans le meme temps une autre salle s'ouvrait qui allait devenir le veritable quartier general de « l'Avant-Garde ». Cette salle etait situee en plein quartier des Ecoles, a deux pas du boulevard Saint- Michel, de la Sorbonne et de l'Ecole de Droit, dans la petite rue des Ursulines. Elle n'avait jamais abrite d'ecran et, couronnement d'une existence irreguliere et cahotee, elle avait servi a Charles Dullin, avant la creation de « L' Atelier », pour y faire travailler ses jeunes eleves et repeter ses spectacles. Elle etait inoccupee depuis quelque temps lorsque deux des meilleurs acteurs de la troupe cinematogra- phique francaise la decouvrirent : Armand Tallier et Laurence Myrga. Le premier avait joue la comedie autour de Dullin et de Jacques Copeau (1) puis, sans cesser de paraitre sur les planches, il avait ete conquis par le cinema et il s'etait rapidement fait une place interes- sante parmi les jeunes premiers francais (2). Remarque par Leon Poirier lorsque celui-ci avait commence a travailler dans les studios de la rue de La Villette, il etait devenu un de ses interpretes favoris et grace a lui il avait connu un tres grand et tres merite succes dans Jocelyn. C'etait aussi Jocelyn qui avait rendu populaire le nom de Myrga laquelle, sans avoir jamais paru sur les planches, avait deja tenu des roles importants dans plusieurs films de Leon Poirier notam- ment dans, Le Coffret de Jade. Malheureusement, au lendemain de Jocelyn, Armand Tallier estima que la Maison Gaumont, productrice du film, ne reconnaissait pas, conformement a la justice, la part qu'il avait eue dans le succes commun et il prefera tenter sa chance en toute liberte, ce qui lui valut quelques deceptions (3). II etait mur pour orienter son activite dans une autre voie. S'etant associe avec Myrga, il installa un ecran et un poste de projection dans la petite salle que Charles Dullin avait abandonnee pour devenir montmartrois. Le « Studio des Ursulines » etait ne ! Le Studio des Ursulines qui, pendant (1) II avait notamment ete un des createurs des Freres Karamazov. (2) Parmi les roles qu'il avait tenus sur V ecran, il convient de signaler particulierement ceux des Travailleurs de la Mer et du Penseur. (3) On le vit pourtant en vedette dans La Chaussee des G6ants d'apres le roman de Pierre Benoit et dans La Briere que Poirier realisa d'apres le roman d'Alphonse de Chateaubriant et ou il retrouva Myrga, sa partenaire de Jocelyn. 79- Marcel L'Herbier. 80. Suzanne Despres et Paul Capellani dans une scene du Camaval des Verites, de Marcel L'Herbier (Film Gaumont). 8i. Une image d'El Dorado, de Marcel l'Hcrbier. (Film Gaumont) . 82. Philippe Heriat et Jacques Lerner dans Don Juan et Faust, de Marcel L'Herbier (Film Gaumont J . 83. Un decor de Robert Mallet-Stevens dans L'Inhumaine, de Marcel L'Herbier. 84. Une image (surimpression) de L' Argent, de Marcel L'Herbier (Film Cineromans). L'AVANT-GARDE 289 plusieurs annees, allait tenir une place importante — la premiere — dans la vie cinematographique de Paris. Pour inaugurer leur salle, Armand Tallier et Myrga avaient eu la chance — ou l'habilete — de decouvrir un film qui, propose a tout le monde, n'avait trouve personne pour Taccueillir : La Rue sans joie de Pabst. Cette audace fut recompensee et pendant des mois ce fut une ruee vers la petite rue des Ursulines afin de voir ce tableau brutal de la capitale autrichienne au lendemain de la guerre, d'assister a cette decomposition d'une societe etalee sur l'ecran avec une sorte de sadisme par ce metteur en scene inconnu et qui connaissait si bien Tart et la maniere de chatouiller les mauvais instincts de la foule... Et puis il y avait le beau visage douloureux d'Asta Nielsen... Et une debutante — ou quasi-debutante car on l'avait entrevue dans un ou deux films suedois — pale et attendrissante : Greta Garbo. Le Studio des Ursulines, pour son coup d'essai, avait fait un coup de maitre. II etait lance. Ses directeurs pouvaient projeter sur leur ecran tous les films qu'ils vou- laient. lis n'avaient pas de precautions a prendre. lis n'en prirent pas et accueillirent les plus hardis, les plus agressifs des films refuses ailleurs, realisant ce miracle d'avoir 1'agrement et de recevoir l'appro- bation des snobs, aussi bien que de la critique et des professionnels qui croyaient que le cinema est un art et non pas seulement un com- merce. (1) C'etait vers le Studio des Ursulines qu'etaient tournes les espoirs de tous ceux qui souhaitaient la naissance d'un cinema nouveau et les ambitions de tous ceux qui travaillaient a rendre cette naissance possible. Aussi est-ce la que furent projetes a peu pres tous les films qui, a un titre ou a un autre, peuvent etre regardes comme l'expression des tendances nouvelles, de UEtoile de Mer a Entr'acte, de La Glace a trots faces a Jeux des reflets et de la lumiere, de La Marche des Machines, au Diable dans la Ville, de La Coquille et le Clergyman a En Rade. Si « l'Avant-Garde » est un etat d'esprit, nulle part cet etat d'esprit ne s'est epanoui aussi librement qu'au Studio des Ursulines. (2) On se rendait (1) Armand Tallier et Myrga avaient eu une autre idee non moins heureuse : amateurs de contrastes et comprenant que la hardiesse des films d' 'avant-garde qu'ils accueillaient en apparaitrait d'autant plus grande, Us projetaient dans chacun de leurs programmes un ou plusieurs films datant des annees igoo, notamment des « Actualites ». (2) Le tableau qu' Alexandre Arnoux a brosse du Studio des Ursulines n' est pas moins exact ni pittoresque que celui du Vieux-Colombier : « C est un vieux petit theatre de quartier qui n'a jamais du marcher... Salle char- mante, exigue, incommode qui n'a de moderne qu'un bar, elle a trouve sa voie dans le cinema d' avant-garde et son public dans cette sorte de pare ethno- graphique qui s'etend de son seuil au Jockey et a la Rotonde. On yvoitde I'homme blond a lunettes, du brun a pattes de cheveux qui descendent le long des joues, du Jaune anguleux et precieux, du cow-boy a foulard, del'Hindou 19 29o HISTOIRE DU CINEMA devant l'ecran qui y etait installe comme a un pelerinage, avec la cer- titude que Ton allait y assister a quelque miracle et il n'y aurait pas a forcer beaucoup la verite pour pretendre que l'etat d'esprit y devenait etat de grace (i). La vogue que connaissait le Studio des Ursulines ne nuisait en rien au Vieux-Colombier ou etaient projetes les films de Jean Renoir (Fille de Veau, Petite Marehande d'allumeties) et de Jean Gremillon (Tour au Large). Bien au contraire. II y eut meme bientot une clientele a turban, de V Anglais sans chapeau, du Juif polonais acasquette, del'Aus- tr alien aux tongues jambes, du Scandinave a V echine tongue, du Turc trapu, du prince caucasien en espadrilles, de la gitane en chdle a fteurs, du modele gras pour cubiste, du modele maigre pour peintre de genre, de la femme en perles, de la fourrure riche, de V impermeable troue, del' Americaine dontle type oscille de I'iroquoise a la quarter onne, de la puritaine au portrait fran- cais du XVIII* siecle, sans compter les Bretons, les Provencaux et les Auver- gnats qui importent a Paris leur genie regional et dilapident en tubes de couleur, les sardines, les olives ou les marrons paternels. II ne manque meme. pas, personnage paradoxal, exotique, le bourgeois du quartier accompagnS de sa dame en corsage de satin et de sa demoiselle qui suce un esquimau a I'entr'acte. L'orchestre excellent joue des blues sur les themes de Pelleas, des Charlestons tires de la Walkyrie et les dernier es productions de I'ecole d'Arcueil qui debarquent tout droit, sans manipulation qui les retarde, par la ligne de Sceaux... Ah! le bon public si na'ivement complique, si riche d'instinct, de curiosite et d 'abandon ! II veut de V avant-garde, du film sans personnages, de la floraison de cristaux, des doublements et des demultipli- cations de vitesse, des deformatioyis, des stylisations, des nuits de geometries lumineuses, des renversements de conventions, des visages renfles ou degon- fles par des miroirs. A defaut de ces choses substantiates, il se divertit des vieilles bandes qui furent d'actualite il y a vingt-cinq ans, par oil Failures et le tzar entrent dans I'histoire, par ou les modes deviennent une melanco- lique et bouffonne evocation du passe, il s'egaie aux comedies sentimentales que composaient les primitifs du cinematographe, du temps ou I' on parlait avec les levres, ou on poussait le mimodrame devant Vobjectif qui photo- graphiait encore, qui ne tournait pas autour des objets pour sculpter du continu, mais se contentait de regarder dans un plan unique, a des distances fixes comme V ceil du spectateur de theatre, son ancttre en voie d' 'extinction. Public hardi, jeune, qui ne se sent a I'aise que dans ce qui deconcerte, em- porte parfois par une sorte de routine de Vaudace et chauvin a sa maniere, si Von admet que Montparr.asse forme une petite patrie cosmopolite qui a ses prejuges, sa cohesion, son artifice, son naturel, ses lois anarchiques, si V on convient qu'on peut, en somme, se trouver parfaitement chez soi dans la tour de Babel. » (Alexandre Amoux : « Du muet au parlant » (La Nouvelle Edition, Paris 1946). (1) Une tongue serie de succes ininterrompus amena Armand Tallier et Myrga a penser qu'ils disposaient d'une clientele assez nombreuse pour poursuivre, dans un autre quartier et dans une salle plus vaste, V experience qui leur avait si bien reussi. lis prirent la direction du Cinema de I'Ermitage qui venait de s'ouvrir aux Champs-Ely sees . Its y lancerent Cavalcade. Mais tres viie Us durent reconnaitre leur erreur. L'AVANT-GARDE 291 assez nombreuse pour qu'un autre etablissement du meme genre put s'ouvrir, sur la rive droite celui-la, a l'autre bout de Paris, sur les pentes de la petite et abrupte rue Tholoze, le « Studio 28 » sous la direction de Jean Mauclaire, docteur en medecine et journaliste. La aussi, il y eut de belles soirees, notamment celles qui virent la projection des films de Luis Bunuel : Un Chien andalou et L'Age d'Or (1) et plus tard du film de Jean Cocteau Le Sang du Poete. Plusieurs autres salles participerent a ce mouvement, notamment la « Studio Parnasse », le « Studio Bertrand », le « Studio des Agricul- teurs » sans jamais parvenir a s'elever a la hauteur du « Vieux-Colom- bier », du « Studio 28 » ni surtout du « Studio des Ursulines » qui, mieux que tous ses rivaux, doit etre considere comme le type le plus complet des « Studios » par opposition aux « Palaces » et comme le symbole meme de cet etat d'esprit qui, durant les six dernieres annees de This- toire du cinema muet, se manifesta sous les formes les plus diverses et les plus interessantes et exerca tres au dela du milieu ou il etait ne une influence considerable, faisant de « l'Avant-Garde » francaise un pheno- mene unique dans revolution de l'art cmematographique. (1) V. p. 265. L'ECOLE CINEMATOGRAPHIQUE FRANCAISE Debordant, et tres largement, le cadre a l'interieur duquel ses manifestations avaient lieu, « l'Avant-Garde » exerca, en effet, une action double. Tout d'abord, elle ouvrit les yeux et l'esprit d'un public chaque jour plus nombreux qui se trouva ainsi pret a accueillir et, jusqu'a un certain point, a imposer aux directeurs des salles qu'il frequentait, des ceuvres rompant plus ou moins avec des habitudes deja anciennes ; ensuite elle crea dans la presse des polemiques dont, le snobisme aidant, le bon cinema profita et enfin, ayant exprime dans les centres d'experien- ces et a travers le nitre que constituaient les studios, les idees qu'elle voulait repandre, elle permit a ces idees d'etre mises au point par des hommes — et on peut penser a Marcel L'Herbier comme a Abel Gance, a Rene Clair comme a Jacques Feyder — qui souvent les avaient eues les premiers et furent leurs meilleurs propagateurs bien que ne parti- cipant pas directement a son activite ou n'y participant qu'occasion- nellement, mais qui n'auraient peut-etre pas reussi a les imposer si « l'Avant-Garde » n'avait pas existe. Ainsi, grace aux efforts simultanes, sin on tres precisement conjugues de « l'Avant-Garde » et d'un certain nombre d'hommes travaillant dans des milieux moins fermes, mais tres proches d'elle par la comprehension qu'ils avaient des besoins et des possibilites du cinema, se trouva cons- titue un tres large mouvement qui va de Cceur Fidele a Napoleon en passant aussi bien par Don Juan et Faust, La Roue, Paris qui dort, Crainquebille que par L'Etoile de Mer, Jeux des reflets et de la vitesse, La Coquille et le Clergyman et Entr'acte ; aussi bien par La Petite Mar- chande d'allumettes, Tour au Large, En Rade, Un Chien andalou, A quoi revent les bees de gaz, Brumes d'automne et La Chute de la Maison Usher que par VImage et Therese Raquin, Feu Mathias Pascal, Le Chapeau de Paille d'ltalie et Les deux Timides, mouvement auquel, pour sa richesse, sa diversite nuancee, sa liberte, sa hardiesse, l'Etranger n'a rien a opposer de comparable et qu'il est permis de designer du terme general d'« Ecole cinematographique francaise ». « L'Ecole cinematographique francaise » .' il est assez difficile d'en delimiter les contours — justement en raison de cette interpenetration des elements qui la composent et de ceux qui constituent « l'Avant- 294 HISTOIRE DU CINEMA Garde » — et il ne Test pas moins (Ten indiquer l'esprit et les caracteres, tant dans son inspiration que dans sa forme. C'est, en effet, en vain, que Ton chercherait dans le cinema francais quelque chose d'analogue au mouvement expressionniste allemand : en France, pas de tendance generate mais une serie d'initiatives, de recherches individuelles, d'efforts independants les uns des autres, ce qui est conforme au tem- perament national, pas de directives generates. A l'origine, ce qui meri- tera, un jour, d'etre appele « l'Ecole cinematographique francaise » n'est qu'une gerbe de bonnes volontes... « Une gerbe » n'est d'ailleurs pas completement exact, car ces bonnes volontes n'ont pas de lien entre elles. Elles ne se connaissent meme pas. Elles ont pourtant un but commun, aussi general, aussi vague : faire autre chose que ce que Ton fait et meme continuer a faire ce que Ton fait, mais le faire mieux. II ne s'agit pas de revolution — revolutionner le cinema sera plus tard la pretention des elements les plus avances de « l'Avant-Garde » — mais bien plutot de mise au point, ce qui est aussi parfaitement con- forme au genie national. Certes, on regarde devant soi, mais on ne vise pas trop haut. On ne pretend meme pas que le cinema que Ton aime, auquel on croit, au service duquel on veut se consacrer, soit un art. Rien n'est plus significatif a cet egard que la polemique qui s'ins- titua dans les derniers mois de 1917 entre deux hommes qui allaient, a des titres divers et dans des domaines tres differents, tenir leur place dans la vie cinematographique : Marcel L'Herbier et Emile Vuillermoz. Le Cinema est - il un Art ? Emile Vuillermoz qui s'etait fait dans la critique musicale une place importante et jouissait de l'autorite la plus justifiee, ayant publie dans « Le Temps » un article ou il voyait dans le cinema un art capable de prendre sa place a cote de ses aines, Marcel L'Herbier qui venait de decouvrir le cinema, repliqua dans le magazine « Le Film » (1) en un long article qui, en depit de sa verbosite et du style bizarre auquel se complaisaient alors les milieux litteraires d'ou venait l'auteur, merite qu'on en reproduise certains passages d'autant plus significatifs que celui qui les a ecrits va tres vite etre regarde non sans raison comme le representant le plus qualifie de « Tart cinematographique ». Marcel L'Herbier commence par regretter que la France n'ait pas (1) Marcel L'Herbier : « Hermes et le Silence » (Le Film, igi8 ; Les Feuilles Libres igig.) L'£COLE FRAN£AISE 295 su tirer tout le parti qu'il meritait de l'appareil construit par les freres Lumiere : « Depuis qu'une invention en quelque sorte miraculeuse — et dont V importance ne semble commensurable qua celle de V invention de V impri- nter ie — a commence son oeuvre qui tend a tuer le Verbe... depuis que, s'incorporant le mouvement et visant a une traduction populaire et vemce et silencieuse du drame quotidien ou du paysage naiurel, le cinematographe, cette subtile machine-a-imprimer-la-Vie, est apparue comme une puis- sance pragmatique du plus favorable avenir, des nations etr anger es I'ont pratique avec une methode, une ingeniosite et une perseverance ou V esprit francais n'a pas toujour s su marcher du meme pas.. . » Puis, cet acte de foi en l'avenir du cinema formule, ce coup de cha- peau adresse a rAmerique et a l'ltalie et ce coup de patte porte aux dirigeants du cinema francais, Marcel L'Herbier s'indigne que dans cette machine-a-imprimer-la-Vie, on puisse voir un art : « ...A la suite du verbe, des arts, du dessin, de la musique et de la danse qui, tous, a ce qu'il apparait, onl commence d'exister quand I'homme ayant commence de souffrir fit de sa premiere larme son premier Dieu... a la suite de ce qui suscita, parmi les durees ephemeres, ces ceuvres d'eter- nite forgees de toute piece par une nostalgie feconde et dont V ensemble represente aux assises des siecles, comme le Jugement de Dieu sur le genie de I'homme... a la suite, dis-je, de ces miracles memorables, temoi- gnage d'arts immemoriaux, etablir ainsi d'emblee le cinematographe et comme nle 5e Art)) (1) et comme un Art egal aux autres, bien qu'il soil sans naissance et le seul qui ne puisse jaire remonter sa souche jus- qu'a la source meme de la tristesse humaine, n'est-ce pas, en efjet, pour nous deconcerter d'abord ?... V Art est essentiellement ^ une forme d' exa- geration, d'emphase », un feu transcendant « dont le mensonge, cest-a-dire V expression des belles choses fausses, constitue implicitement le but))... Aussi nous le demandons : l' opposition n'est-elle pas, des cette constata- tion, suffisamment marquee entre le but des arts immemoriaux et le but de celui que Von a surnomme, au berceau, le cinqaieme ? Car, n'apparait-il pas clairement aux yeux de tous que le but de la cinegraphie, art du reel, est, tout a Voppose, de transcrire aussi fidelement que possible, sans trans- position ni stylisation et par les moyens d' exactitude qui lui sont speci- (1) Cette conception du « Cinema : 5e Art » n'eut aucun succes — sans doute etait-il trop tot — alors que, quelque temps plus tavd, Canudo imposa sans peine celle du « Cinema : j* Art ». De son cote, Jean Cocteau eut I'ide'e de donner au cinema sa Muse, qui fut naturellement la dixieme, mais sans aucun succes, en France tout au moins, car en de nombreux pays, I' expres- sion « la ioe Muse » a ete adoptee alors qu'on n'y utilisa jamais celle de « 7e Art ». 2Q6 HISTOIRE DU CINEMA fiquement propres une certaine verite phenomenale ? Et de fait, separee de la musique qui accompagne for cement ses images et des mots que for ce- ment elle donne a lire sur les sous-titres (musique et litterature dont elle n'a plus le droit de tirer profit si elle exige qu'on la lienne pour un art en soi parce que ce sont des emprunis a d'autres arts et exterieurs a elle) nous la voyons alors, reduite a elh-meme, tdcher, comme obsequieusement, a representer juste le contraire de ce qu'essayerent de rendre manifeste dans leur appetit d'absolu les arts consolants de Virrealite. Ainsi, par exemple, aux antipodes de la poesie pure... pour qui les aurores, les paysages, une amante et la vie elle-meme ne sont que des mots et des inflexions de Vdme, c'est une vie par contre toute naturelle a la manure universelle, une vie de stride verite oil le drame est restreint a ce qu'il est dans des gestes, oil le paysage est sans style tel qu'il est dans sa photo- graphie, ou V amour est sans absolu, tel qu'il est dans ses pleurs, la vie que peuvent imprimer les presses a images. Des lors, que I'on veuille bien nous tenir quitte de poursuivre en detail la discrimination d'autres divergences entre Vactivite artistique et Vactivite cinegraphique. Et qu'il nous suffise de signaler Vune comme esoterique — c'est-a-dire s'exercant par ses moyens et ses resultats dans un sens aristocratique, aryanique, hermetique et viril — V autre exoterique et, pour obeir au caractere meme de sa superior ite qui est dans ce qu'elle doit satisfaire a la meme heure et dans tous les pays, toutes les foules, se democratisant, se vulgarisant, se nivelant a peu pres au mediocre : Vune avec ses lois traditionnelles, ses strides conventions d'unite, ses regies artiflcielles ou chevaleresques, etant a I'image d'une societe fortement hierarchisee et hautement cultivee, V autre sans mesures, sans contraintes, sans controle, etant a I'image d'un etat mondial sans culture et eparpille dans Virresponsabilite ; Vune, en fin, personnelle... et repugnant a toute collaboration (car collaborer n'est-ce pas se reconnaitre une equivalence au monde et, par la-meme, n'est-ce pas se damner aux yeux de V Art qui veut V exception du Genie ?), V autre au contraire, ne pouvant s'exercer qu'a travers les meandres d'une collaboration inces- sante, intime et multiple qui va du scenariste au metteur en scene et aux interpretes et a Voperateur ou meme a la lumiere capricieuse du soleil et jusqu'a cette mecanique singuliere qui entend crier par elle-meme et selon ses lois qu'est Vappareil de prise de vues. En resume, si, se rendant a ces arguments dont tous semblent considerables et le premier decisif, on veut bien laisser desormais a quelques periodiques de province la satisfaction de tenir... la cinegraphie pour le 5e art, il resterait encore a s' entendre ici sur la qualite et la quantite des virhialites artistiques que cette adivite comporte. Question toute simple, semble-t-il, a condition que Von veuille bien, des qu'on la pose, distinguer les arts avec Vart. Car, si les arts, les grands arts... sont une terre uniquement promise au genie, Vart par contre — c'est-a-dire cette sorte d'ingeniosite personnelle ou professionnelle qu'on L'fiCOLE FRANQAISE 297 nomme I' art — petit se rencontrer partout, chez tout le monde et chez le tisserand comme chez la dentelliere ou le grand couturier, chez le medecin ou Vavocat, hommes de I'art et jusque parfois chez le feuilletoniste... a plus forte raison chez les artisans de la cinegraphie. En fin de compte, de celui-la qui, refusant de desarmer devant ces arguments — et qui, voulant s'en tenir an resultat visible defilant sur Vecran — nous propose- rait en contestation la beaute qui s'y projette de certaines figures ou de certains jardins ou de certains reflets de lune sur la mer, qualifies par lui de purement artistiques — de celui-la, dis-je, nous nous hdterons de disqualifier la satisfaction et nous le renverrons incontinent a cette autre beaute quit doit admirer sans conteste : celle des chromos ou bien de cartes heureusement illustrees. Et peut-etre, en outre, oserons-nous moquer un peu les etranges ideaux de cet amateur, tellement etranger aux penchants ideals du pays oil s'inventa Versailles, qu'il puisse considerer un payszge naturel sans mourir de I'envie d'en corriger les barbarismes ou contempler un coucher de soleil sans aussitot rever de le repeindre avec les nuances de son dme. Mais surtout, nous prendrons d'abord le soin de lui laisser enten- dre que si quelques visages charges d'angoisse, quelques sites insolitement ensoleilles ou quelques passages de voiles sur des flots de flamme peuvent parfois eveiller en nous a leur apparition stir Vecran comme une emotion d'ordre artistique c'est que par I'atavisme d'une education seculaire nous avons appris a voir ces realites, sans art en elles-memes, a travers les peintres, les musiciens ou les poetes qui, par leur propre grandeur, en firent des temoignages d'une realite superieure ; si bien qu aveugles aux imperfections que nous presente leur veriie photo graphique nous leur retro- cedons par d'incons denies reminiscences des bribes de cet etat de perfec- tion ou nous les vimes dans les beaux mensonges de I'art. Au contraire d'un art — a peine susceptible d'art — et ne brillant, quand il brille, que d'une beaute empruntee aux arts — voila a notre sens comment Von doit juger le cinematographe actuel pour autant qu'on V examine du fond du passe et qu'on lui applique une vue envoutee par la lourde hypnose des siecles de mensonge — comme nous avons vu que le font ceux-la qui, retrospectivement, le somment de se montrer une ode ou quelque dixieme symphonie patronnee par une ioe muse. Mais pour quiconque par contre juge la cinegraphie sous V angle pragmatiste, pour quiconque la considere de Vhorizon de Vavenir, les choses soudain changent et la cinegraphie se rehabilite, comme par miracle, jusqu'a sembler d'une part une force plus efficace et plus puissante, plus dynamique et plus proteenne que la Presse quotidienne ou V instantaneite telegraphique et d' autre part pour « VEn- Masse » que void debarrasse des nostalgies supra-terrestres, nobles mais vaines et qui a repudie la menteuse infinitude de V Art oil sa souve- rainete se deplait, faute d' accoutumance au feu spirituel... pour al'En- Masse » tout tendu vers cette contemplation de la verite ou Guyau fait 298 HISTOIRE DU CINEMA tenir I'irreligion de I'avenir, le cinematographe semble devoir etre avant tout dans I' organisation des echanges mondiaux cet organe de presse visuelle que I'homme, universalisant la sociabilile, ira volontiers lire pour une somme et dans une communaute democratiques, apres V accomplissement d'un lugubre travail, cedant a la propension vers ce delassement organise dont William James a esquisse le lerrestre evangile. Mais le cinemato- graphe semble devoir etre aussi, parjois dans ses films d'affabulation, mats surtout dans ses documents, tout autre chose que le theatre de. dis- cours, le roman d' 'analyse ou les rapports trahis par I'ecriture des savants. Et la vue des « Actualites » de guerre en dit deja long stir le drame realiste qu'il est, seul a notre connaissance , capable de montrer avec cette acnite, cette exactitude et pourtant cette Strange sublimation oil il le porte. Aussi nous nous devons de marquer, des maintenant, le film, moyen miraculeux, de notre originalite propre : celle du talent jrancais. Car, prenons en conscience : puisque le cinematographe va devenir dans le temps futur cette arme incessante qui « poursuivra sur les champs de bataille de la paix un feroce arrosage d 'images et d'idees » el puisque, au debut, son esthetique va consister a vulgariser, a mettre en ceuvre induslriellement, a repeter dans une ubiquite scientifique les pieces uniques des musees anterieurs de I'art, ne sommes-nous pas tout designes et mieux que de moins artistes, pour essayer de maintenir dans une juste decence cette besogne, imposee par I'dge, d'emietter indefiniment par evocations, sug- gestions, rappels ou visions precises, a travers les fugitifs miscellanies' du film, le bloc de ces fameux temoignages ou I'homme s'etait cristallise sous I' aspect d'un dieu... Ah! suivons en ceci I'universel Baruch et soyons done propres aussi, fits de Sophocle et de Racine, a cette sorte de symphonie nouvelle qui se construit avec des leit-motiv e de pay sages, des contrepoints de gestes, des fugues d 'ombres. Du naturalisme epais ou elle se vautre encore, dirigeons-la, pour que notre sceau soit sur sa des- tinee, vers un symbolisme d'abord elementaire mais qui se fera par la suite de plus en plus suggestif des graces heritees de I'art et surtout signi- ficatijs de la pensee tragique des choses... Ainsi devant I ' epanouissement de I'art du photo graphe, deja I'art du peintre s'est habilement rejugie dans des expressions subjectives ou dans I' abstraction. Gloire done a I'art des images, langage universel des joules quotidiennes ! ... Et tout aussi bien, ne nous laissons pas un instant rebuter par le fait que dans cette activite a base communautaire et scientifique V improvisation compte pour peu de chose contre la patience et la methode et la minutie qui ne sont point tout a fait des qualites d'ici... » A bien des egards ce texte est interessant, non settlement parce qu'il s'eleve — avec quelle eloquence et a l'aide de quels arguments ! — contre la conception du « Cinema-Art », mais encore parce que son auteur y montre une clairvoyance, rare a l'epoque, aussi bien sur les L'£COLE FRANgAISE 299 possibility du « Cinema-Instrument » que sur le role qui lui incombe dans la Socicte nouvelle, nee de la guerre : qu'il s'agisse, en effet, des pretentions faussement artistiques affichees par certains metteurs en scene, amateurs de « virages chimiques », lourds d'intentions poetiques, de la servilite a laquelle l'ceuvre cinematographique est tenue a l'egard de la partie la plus basse de sa clientele, du caractere collectif — en meme temps qu'artisanal — de l'ceuvre cinematographique et de sa soumission obligatoire a la machine et aux circonstances physiques dans lesquelles son travail s'accomplit ; qu'il s'agisse de l'avenir vers lequel le cinema s'achemine et du role d'informateur qu'il tiendra dans « l'organisation des echanges mondiaux », veritable journal que l'homme ira « lire pour une somme et dans une communaute democratiques » — qui done, meme aujourd'hui, pourrait mieux dire ? — ou encore de la faculte qu'il a d'etre autre chose que « le Theatre de discours, le roman d'analyse ou les rapports trahis par l'ecriture des savants » ; qu'il s'agisse de la necessite d'arracher le cinema au naturalisme et de l'orienter « vers un symbolisme d'abord elementaire mais qui se fera par la suite de plus en. plus suggestif... de la pensee tragique des cho- ses » ou de l'obligation pour tous ceux qui se sont mis au service du cinema francais, de marquer du sceau du « talent francais » cette « sorte de symphonie nouvelle qui se construit avec les leit-motive de pay sages, des contrepoints de gestes, des fugues d'ombres » — la formule ne manque pas de bonheur — aussi bien que de l'incompatibilite originelle existant entre le temperament francais enclin a l'improvisation et le travail d'ou nait l'ceuvre cinematographique, travail qui exige « patience, methode et minutie qui ne sont pas tout a fait des qualites d'ici », Marcel L'Herbier voit juste et voit loin, beaucoup plus juste et beau- coup plus loin que la majorite de ses compatriotes et de ses confreres. Et s'il se refuse a considerer a priori le cinema comme un art, e'est uni- quement parce que, influence par son education classique et soumis a une tradition exigeante, il l'examine « du fond du passe » et que, malgre lui il le soumet a une mesure et a des regies dont il reconnaitra tres vite tout ce qu'elles contiennent de perime et dont il ne se servira que pour creer autour de l'ceuvre cinematographique une atmosphere plus intel- ligente, elever cette ceuvre jusqu'au niveau de ceux qui ont recu la meme formation que lui et en faire vraiment une ceuvre d'art. Sept ans plus tard, Marcel L'Herbier reviendra sur cette question alors qu'il vient de terminer Feu Mathias Pascal — les huit films qu'il a iaits n'ont pas modifie son point de vue — et dans une etude que publieront « Les Cahiers du Mois », il ecrira : « Pas un de mes amis, pas un de mes ennemis qui ne m'ait jusqu'ici reproche, d'une voix plus ou moins blanche, cette insistance que je mets a voir le cinematographe dresse contre I'Art. Cette jois, il ne s'agit plus — comme en 1918 — de 300 HISTOIRE DU CINEMA prouver que le cinema n'est pas un art, mats « qu'il y a un antagonisme fonder, une lutte de principe, d' essence entre les arts tels qu'ils furent et le cinemato graphe tel qu'il sera...)) Quel crime dans cette affirmation ? Que menace-t-elle ? Que ruine-t-elle dans la traditionnelle et solide maison des Muses ?... Un fabricant de pneus dresse chaque jour impunement V automobile contre le cheval ; V avion ou la T. S. F. se dressent d'eux-memes sans coup ferir contre les frontieres nationales . . . et Von n'admet pas. qu'un immense fosse separe la « maniere-Art » par laquelle V emotion humaine etait anciennement transmissible au monde et la « maniere- cinemato - graphe » par laquelle, a I'aube du vingtieme siecle (ere nouvelle qui meri- terait qu'on ramendt pour elle a zero le compteur des siecles) , elle peut se transmettre desormais autour du globe par-dessus les aristocraties, I' in- telligence et les frontieres. Pierre Seize appelle le cinemato graphe : « Un nouvel age de I'Humanite ». 77 me semble, il vous semblera bientot que ce n'est pas V affirmation d'un visionnaire. Elle est d'un homme qui parait en avance parce qu'il ne retarde pas ; parce qu'il voit le fait actuel. Le cinemato graphe est venu au-devant de V emotion humaine comme un auxiliaire, exact au rendez-vous de devolution, comme le vehicule qu'il lui fallait desormais pour etre transporte en tous points a toute heure, suivant noire loi presente de voyage et d'instantaneite : un vehicule ving- tieme siecle et contradictoire a Vancien vehicule d' emotion que fut I'art, contradictoire en ce qu'il ne cherche plus a imposer a Veterniie le rayonne- ment de cette emotion — en ce qu'il ne I'enferme plus dans cette torpille d'or que I'art langait perpendiculairement a I'espace pour quelle alldt percer en profondeur la couche des ages futurs... Contrairement a ce que fait I'art, le cinemato graphe ne vise qu'a distribuer V emotion humaine, ephemere telle qu'elle Vest sur la pellicule ephemere, mais etiree horizon- talement sur la plus grande largeur du monde. II la transporte dans le minimum de duree a travers le maximum d'espace. Ainsi quand I'art viole le Temps, le cinemato graphe viole I'espace (i) . L' antagonisme de ces appetits contraires pourrait suffire a faire admettre que le cinematogra- phe, essentiellement, lutte avec I'art. Mais evitons une derniere equivoque. ...Considerer le cinemato graphe contre I'art, ce n'est pas consider er que I'art, a quelque dose que ce soil, ne saurait se rencontrer dans la composi- tion d'une ceuvre d'ecran mais e'est dire que I'ceuvre d'ecran est dans son essence et dans sa portee de nature opposee a I'ceuvre d'art et que, meme si on a compose un film avec art, e'est-a-dire suivant certaines aptitudes que Von porte en soi de bon artisan, voire de grand artiste, on n'a fait (i) Ces idees relatives aux relations du cinema, du temps et de I'espace, Marcel L'Herbier les a encore exprimees dans une autre etude : « Le cine- matographe et I'espace » (Collection « V Art Cinemato graphique ». A lean Edit. Paris ig28.) L'£COLE FRANQAISE 301 en definitive un bon film que dans la proportion ou Von s'est eloigne du plan traditionnel de I'ceuvre d'art... L' Esprit du cinematographe c'est de se liber er de toutes les contagions. Avant tout, de cette hypnose du passe, de cet hermetisme de I'art oil veulent le ramener ceux qui le numerotent a la suite des Beaux- Arts, comme la cinquieme roue de leur carrosse (1). Jusqua present jouet, demain outil formidable aux mains des democraties prochaines, le cinematographe a le devoir de se connaitre soi-meme, en fonction de I'avenir, desinfecte de ce qui jut » (2). Cette fois, Marcel L'Herbier a suffisamment eclaire sa lanterne et le moins clairvoyant y voit clair : ce n'est pas par modestie qu'il denie au cinema toute pretention a etre un art, c'est par ambition, par orgueil, c'est parce qu'il le veut au-dessus de tous les arts et ne pouvant en rien etre ramene a leur niveau, fut-ce par une communaute d'eti- quette. (1) Canudo, qui etait un de ceux-la, n'etait pas moins ambitieux que Marcel L'Herbier ; il le rejoignait lorsqu'il ecrivait : « Nous avons besoin du cinema pour crier V art total vers lequel tous les autres, depuis toujours, ont tendu. » (R. Canudo : « L'Usine aux Images », p. 5. E. Chiron, Edit., Paris ig2j). (2) « Cinema », « Les Cahiers du Mois », Numeros 16-ij. (Emile Paul Edit. Paris 1925.) MARCEL L'HERBIER OU LE CINEMA INTELLECTUEL S'appuyant sur de tels principes, desireux de donner au cinema une personnalite sans rien de commun avec tout ce qui a existe avant lui, Marcel L'Herbier aurait du jouer un role considerable dans la vie de « l'Avant-Garde » mais, a l'epoque ou il se lanca dans la bagarre cinematographique, « l'Avant- Garde » n'existait pas, meme sous la forme d'une expression facile et quand elle se crea, il etait deja trop engage dans les voies de la pro- duction normale pour tenir un role dans la vie de cette « Avant-Garde » : il n'a done pas travaille pour « l'Avant-Garde » et ce n'est pas sur les ecrans du Studio des Ursulines, du Vieux-Colombier que ses films furent projetes (i). Et pourtant, aucun nouveau venu n'a, au cours des annees 1919-1923, compris comme lui qu'il fallait faire autre chose que ce que Ton faisait, possede les moyens de s'evader des chemins battus ni eveille chez les mainteneurs des vieux errements plus de craintes et d'hostilite : Marcel L'Herbier a fait de « l'Avant-Garde » avant « l'Avant-Garde » et a cdte de « l'Avant-Garde ». De meme que Louis Delluc — mais deux ans avant celui-ci — Marcel L'Herbier avait debute au cinema comme auteur de scenarios, mais les deux premieres experiences qu'a. ce titre il avait faites — Le Torrent et Bouclette (2) — lui avaient suffi pour se convaincre que, tant qu'il laisserait a d'autres le soin de traduire en images les pen- sees qu'il confiait au papier, il ne connai trait que deceptions et il avait resolu d'etre son propre realisateur. Debuts chez Gaumont De cette resolution le premier fruit avait ete Rose-France qu'il entreprit a peine demobilise et qu'il dedia au lieutenant Pierre Marcel, (i) L'Inhumaine fait exception a cette regie. Ce film ne jut pas realise pour la Maison Gaumont mais pour la fir me « Cinegraphie » dont Marcel L' Herbier etait le seul maitre. S'il avait commence sa carrier e dans une salle d' avant-garde peut-Hre aurait-il trouve le public dont son originalite avait besoin. (2) V.. p. 192. 3***» , p 1 _* X 9HH 85. Abel Gance. 86. line scene de La Roue, d'Abel Gance (Severin-Mars et Ivy Close) 87. Napoleon, d'Abel Gance : trois exemples d'effets obtenus par l'usage du triple ecran. (Napoleon : Albert Dieudonne, Josephine : Gina Manes.) MARCEL L'HERBIER 305 Despres, Paul Capellani, Marcelle Pradot — , qui aurait pu etre signe Louis Feuillade ou Henri Pouctal : Marcel L'Herbier en avait tellement conscience qu'il refusa de signer Le Bercail qu'il considerait comme un « test », mais il avait conquis droit de cite aux Buttes-Chaumont et il allait pouvoir y etre traite comme le pere de Fantomas et de Judex ou presque. Pour un debutant qui, moins d'un an plus tot, avait scandalise 1'immense public emplissant la salle du Gaumont-Palace sur l'ecran de laquelle etait presente Rose-France ,c' eta.it une victoire, une victoire dont tout le jeune cinema francais avait de quoi se rejouir et s'enor- gueillir. Les consequences de cette victoire furent de 1919 a 1922 cinq films fort differents aussi bien par leur inspiration que par leur realisa- tion et qui n'avaient de commun entre eux qu'une indiscutable volonte de ne pas fouler les chemins battus, de ne pas donner naissance a une formule et d'echapper a toute banalite : Le Carnaval des Verites et L' Homme du Large (1920), Villa Destin et Promethee banquier (1921), El Dorado et Don Juan et Faust (1922). • Par son scenario, le premier de ces films n'est pas tres eloigne de Rose-France et Ton peut y voir, en meme temps que l'expression meme de ce que Marcel L'Herbier pensait alors que devait etre une ceuvre cinematographique, une volonte de revanche de la part de son auteur pour les concessions qu'il avait ete contraint de faire en tournant Le Bercail. Le titre : Le Carnaval des Verites montrait nettement des pretentions symbolistes et ces pretentions s'accommodaient assez mal d'une intrigue de caractere plutot melodramatique. C'etait le manage de la carpe et du lapin, operation qui ressemble toujours plus ou moins a. celle qui consiste a vouloir resoudre la quadrature du cercle : la partie du public qui aurait pu etre seduite par les pretentions symbolistes trouva le melo indigne d'elle et la foule populaire ne fut pas dominee par le melo au point de pouvoir accepter ce qu'il y avait de neuf dans le spectacle qui lui etait offert. Le resultat de l'experience se revelait tel que Marcel L'Herbier ne put pas pousser plus avant dans la voie ou il s'etait engage et c'est un pas en arriere qu'il dut faire aim de reprendre haleine en acceptant une deuxieme fois de demander a une ceuvre pre- existante la matiere de son film suivant. C'est a Balzac qu'il s'adressa cette fois et de cette collaboration naquit : L'Homme du Large. (1) Tout le monde est d'accord pour dire que de l'ceuvre importante que Marcel L'Herbier realisa au cours de cette premiere partie de sa carriere, L'Homme du Large est une piece maitresse. Le sujet n'est pourtant pas de ceux vers lesquels, a en juger par Rose-France et Le Carnaval des Verites, Marcel L'Herbier se sentait naturellement porte. (j) La nouvelle de Balzac qui inspira L'Homme du Large a pour titre : Un drame au bord de la mer. 20 306 HISTOIRE DU CINEMA L'action simple et rude est d'un realisme qui ne saurait s'accommoder du moindre symbolisme et les personnages qui s'y meuvent — des pecheurs bretons — ne ressemblent en rien a ceux dont Marcel L'Herbier avait jusqu'alors fait sa compagnie. Le film ne se ressent pourtant pas de cette contrainte que sujet, personnages et sentiments imposerent a son realisateur, celui-ci ayant reussi a evoluer parmi tous les ecueils avec la plus complete aisance, montrant meme une force dont on ne retrouvera un nouvel exemple que dans certains passages de L' Argent et il tira de ses interpretes (Roger Karl, Jaque Catelain, Marcelle Pradot), une impression d'humanite et de simple verite que Ton cher- cherait en vain dans tout le reste de son ceuvre. V Homme du Large fut done une reussite, une vraie, dans laquelle ilyaurait quelque chose d'inexplicable si Ton ne savait que rintelligence fait des miracles et que rintelligence — la seule de ses nombreuses et brillantes qualites devant laquelle nul ne refuse de s'incliner — est bien probablement la marque la plus personnelle, la plus caracteristique de l'ceuvre de Marcel L'Herbier. L'intelligence ici a fait miracle et U Homme du Large merite veritablement d'etre regarde comme un modele d'adaptation a la fois souple et fidele. Mais comme Le Bercail, L' Homme du Large n'est dans cette periode de debut qu'un « en marge », si Ton peut dire, de l'ceuvre de Marcel L'Herbier et, si consciencieuse qu'en ait ete l'adaptation, si soignee qu'en ait ete la realisation, ceux qui cherchent a se faire une idee de son auteur d'apres ce qu'ils connaissent de lui, ont quelque peine a le regarder comme un fils de son esprit. Marcel L'Herbier ne s'attarda d'ailleurs pas parmi les pecheurs bretons, car il n'a rien d'un Antoine et ce n'est pas « La Vie telle qu'elle est » qu'il ambitionne de ressusciter sur l'ecran. Aussi des qu'il le peut, se tourne-t-il vers des sujetsqu'ila lui-meme imagines et dont il pense qu'ils lui permettront de s'exprimer librement, largement, sans avoir a subir la gene de couler sa pensee dans le moule d'une pensee etrangere : Villa Destin et Promethee banquier (Eve Francis, Gabriel Signoret, J. Catelain), sont, en 192 1, le produit de cet effort vers la personnalite, mais l'accueil fait a ces deux films deconcertants par leur manque d'unite et surtout par tout ce qu'ils laissaient voir de pretentions litteraires extra-cinematographi- ques, ne valut guere mieux que celui qu'avait recu Rose-France et ce fut bien certainement parce qu'il se rendit compte que ses affaires allaient se gater et qu'il lui fallait faire des concessions que Marcel L'Herbier choisit pour le film qui devait succeder a ces deux echecs un sujet capable de plaire a la direction d'une maison ou le melo etait en honneur. L'anecdote qui sert de support a El Dorado — histoire d'une danseuse qui se sacrifie pour son enfant — est, en effet, depourvue de veritable originalite, ne laisse guere voir de pretentions symboliques MARCEL L'HERBIER 307 et se contente d'un romantisme accessible au premier venu, reunissant des personnages familiers a tous ceux qui ont lu Hugo, Eugene Sue et d'Enner}', depuis l'homme riche et egoiste qui a seduit et abandonne une pauvre fille apres l'avoir rendue mere jusqu'au pitre difforme epris de beaute — « ver de terre amoureux d'une etqile » — depuis la dan- seuse qui, mere incomparable, demeure un modele d'honnetete quoiqae vivant sous le toit de la debauche, jusqu'au bel etranger, pare de tous les dons de la jeunesse et de la fortune — parfait symbole de l'amour (Marcel L'Herbier n'a pu renoncer a tout symbolisme) (1). Ce scenario justifie pleinement Louis Delluc qui, au lendemain de la presentation du Torrent, voyait deja en Marcel L'Herbier « un poete sensible, severe, jaloux, demesure et minutieux, brillant et candide ». Sans doute peut- on penser qu'a propos & El Dorado, Marcel L'Herbier ne s'est pas montre extremement severe envers lui-meme, mais entre Le Torrent et El Dorado il y avait eu Rose-France et Le Car naval des Verites dont certains disaient qu'on « n'y voyait pas tres bien ou l'auteur voulait en venir » et qui firent a beaucoup l'effet d'« etudes un peu hermetiques et hesi- tantes » (2). II y avait eu aussi Villa Destin et Promethee banquier dont, sans avoir a craindre d'etre taxe d'injustice, on pourrait en dire autant. Et tout cela lui avait appris qu'il est dangereux d'etre severe envers soi-mcme et que la vie n'est faite que de concessions. Quant a sa candeur, il n'est pas temeraire d'estimer qu'elle s'etait assez fortement nuancee d'habilete car l'anecdote sur laquelle est construit le scenario 6! El Dorado, si nous admettons qu'elle ne soit qu'un pretexte, apparait d'une habilete remarquable par les possibilites cinematographiques et artistiques dont elle etait grosse et dont celui qui l'avait imaginee a su tirer le meilleur parti. Jamais encore le cinema n'avait eu comme ici l'occasion de prouver qu'en toute ceuvre d'art veritable ce qui importe, c'est plus la forme que le fond (3), Marcel L'Herbier essayant d'ailleurs (1) C'est d'ailleurs de « melodrame cinemato graphique » que Marcel L'Herbier a autorise M. Raymond Payelle (Philippe Heriat) a qualifier le recit qu'il a tire du scenario d'El Dorado et public aux « Editions de la Lampe Merveilleuse » (Paris 1921). (2) Henri Fescourt et Jean-Louis Bouquet : « L' 'Idee et VEcran » /. (Haberschill et Sergent Edit. Paris 192$.) (3) Ce pas donne a « la forme » sur « le fond » n' etait pas du gout de tous ceux qui allaient s'asseoir devant les ecrans. C'est de cette opinion que les lignes suivantes sont le reflst : a Chez L'Herbier comme chez Delluc, Taction passe au second plan. L'Herbier qualifie El Dorado « melodrame », ce qui montre son dedain du sujet. Pour nombre de realisateurs, seule la technique compte. On jette un scenario en pdture au public meprise mais les inities savent qu'ils ne doivent faire Hat que de certains passages. » (Henri Fescourt et J.-L. Bouquet : Op. cit.). 3o8 HISTOIRE DU CINEMA de se creer une forme personnelle, combinaison du « tableau » et du « rythme ». Tout d'abord l'Espagne qui revit dans El Dorado est une Espagne a la fois vraie et choisie — choisie par un homme qui a lu Maurice Barres et qui connait Goya — cette Espagne fertile en contrastes que l'objectif est capable d'exprimer avec plus de force et de souplesse dans les rapprochements que le pinceau, le burin ou la plume la plus romantique — la maison de danses et la chambre de l'enfant malade constituaient une opposition facile sans doute mais dont Marcel L'Herbier avait joue en virtuose, la ramenant en leit-motiv tout au long du film— cette Espagne-la a fourni a Marcel L'Herbier l'occasion de doter le cinema francais de sa premiere ceuvre d'art plastique. Certes, il y a de la litterature dans l'Espagne d'El Dorado — mais dans quel film de Marcel L'Herbier n'y a-t-il pas de litterature ? — et une litte- rature dont l'auteur oublie souvent Barres et Pierre Louys pour Blasco Ibanez, mais malgre cette litterature, El Dorado est une ceuvre d'art inattaquable pour la qualite de ses images, qualite qui vient sans doute de celle de la photographie (i), mais d'abord et surtout de la facon dont ces images avaient ete composees et vues par le scenariste-reali- sateur avant d'etre enregistrees par le « cameraman ». Et cette ceuvre d'art plastique atteint a une valeur cinematographique a laquelle aucun autre film de l'epoque ne peut pretendre. El Dorado est arrive devant le public en 1922 quelques semaines avant La Roue d'Abel Gance et quelques mois avant La Souriante Madame Beudet de Ger- maine Dulac et Cceur Fidele de Jean Epstein (1923). Tous les procedes techniques — flou, surimpression, deformation — dont le cinema dis- posal alors et dont Louis Delluc avait indique l'utilisation a des fins psychologiques ont ete mis a contribution par Marcel L'Herbier, peut-etre avec un peu d'indiscretion mais avec une intelligence, une sensibilite et surtout un souci de la qualite des images a la composition desquelles ils servaient qui n'ont ete oublies par aucun de ceux qui ont vu le film. L 'interpretation ne fut pas, elle non plus, etrangere a la forte impression d'art qui se degage de la projection d'El Dorado : entouree de Jaque Catelain, de Marcelle Pradot, de Philippe Heriat (que Ton retrouve dans tous les films de Marcel L'Herbier des annees 1920 a 1925) ainsi que de Georges Paulais, de Claire Prelia et d'Edith Rheal, c'est Eve Francis sur qui reposait tout le poids de l'ceuvre, poids d'autant plus lourd que cette remarquable comedienne n'est pas dan- seuse ; mais de cette difriculte Eve Francis vint a bout sinon en se jouant du moins en artiste ayant appris le cinema a l'ecole de Delluc et sans (1) Le « cameraman » <2'E1 Dorado etait Lucas qui, enive cent films, sera un des collaborateurs d'Abel Gance pour Napoleon. MARCEL L'HERBIER 309 que l'ensemble de son interpretation en paraisse gene, et c'est avec une exactitude dans le detail de la composition et une emotion qui ne diminuait en rien la precision de son jeu qu'elle sut traduire toutes les nuances de son complexe personnage (1). Pour tout cela, El Dorado merite le sort que Leon Moussinac (2) lui a fait en l'inscrivant dans « Naissance du cinema » entre La Fete Espagnole et Fievre parmi les films qui marquent les etapes les plus importantes de revolution de Tart cinematographique, notant a son propos (d'artdeM. Marcel L'Herbier, son souci constant de perfection et de recherche, le raffinement de sa vision, les moyens techniques qu'il a decouverts », estimant pourtant que ce film « ne repond pas absolument a une formule ideale » — c'est evidemment le sujet qui amene cette restriction sous la plume de Moussinac — mais ne craignant pas de souligner « toute l'originalite et l'audace d'une realisation qui s'egale en technique aux plus parfaites productions de l'ecran » et ajoutant que « les artistes y ont decouvert l'expression subtile d'une composition ou la sensibilite se substitue en fin a la realite et qui suggere avec une rare perfection » (3). Bien que, avec El Dorado, il eut reussi a « parler a toute la foule » ce qui, selon Louis Delluc, est le propre des « maitres de l'ecran », Marcel L'Herbier n'avait pas renonce a travailler pour une elite et a amener cette elite devant les ecrans. II le prouva bien en choisissant pour son prochain film un sujet plus difficile, un de ces sujets qu'il croit capables d'assurer l'avenement du cinema auquel il aspire : Don Juan et Faust. (1) Le choix de cette artiste comme vedette d'un film que, tant pour son sujet que par le cadre dans lequel ce sujet se developpe on ne peut s' empScher de rapprocher de La Fete Espagnole, montre mieux que tout V influence pro- fonde exercee par Louis Delluc sur tous ceux qui voulaient se consacrer au cinema y compris les mieux doues et les plus personnels. (2) « El Dorado est reste jusqu'a ce jour V ceuvre la plus complete de Marcel L' Her bier » (Leon Moussinac : « Naissance du cinema ». J.Povo- lozky, Edit. Paris, 1925). (3) C'est ce que constatent egalement en d'autres termes, parce qu'ils s'adressent a un autre public, Arnaud et Boisyvon quand Us ecrivent dans leur « Cinema pour tous » : « Marcel L'Herbier est un amoureux de I'ob- jectif dont il connait toutes les ressources. Nul mieux que lui ne sait combiner les superpositions d' images, les teintages bleus, mauves, rouges, verts, sepias, la typographic des litres. II entoure d'une aureole d'etoiles une barque qui s'enfuit sur la mer, il illustre le tourment d'une dme par les flots de la mer qui apparaissent par transparence sur une mer livide. Veut-il exprimer la deformation que subit un pay sage dans le cerveau d'un peintre aux conceptions modernes ? II le photo graphie au tr avers d'un verre deformant. Toujours il cherche du nouveau et il trouve. » (Etienne Arnaud et Boisy- von : « Le Cinema pour tous ». Gamier freres, Editeur Paris ig22.) I 310 HISTOIRE DU CINEMA Jamais jusqu'alors un biijet de film n'avait ete autant que celui-la, concu sous le signe de la litterature, les deux personnages qui en etaient le support n'ayant d'autre realite que celle d'entites litteraires — des entites figurant parmi les plus complexes, les moins nettement deli- mitees, les plus alourdies de commentaires, les plus grosses d'interpre- tations diverses auxquelles la litterature universelle ait donne naissance. Jamais non plus le symbole n'etait encore apparu aussi nettement qu'ici, Taction etant faite d'une lutte entre ces deux personnages qui, pour les necessites du moment, avaient ete depouilles de tout ce qui n'etait pas, pour Faust, volonte de dominer et, pour don Juan, besoin de seduire. II n'y avait pas dans un tel schema de quoi toucher le public qui avait accepte El Dorado malgre ses audaces de forme, pour l'attrait romanesque et sentimental qu'il y avait trouve ; il n'y avait pas non plus, soit dit sans vouloir diminuer le merite de Jaque Catelain (don Juan un peu mince), de Vanni-Marcoux (Faust), de Philippe Heriat, de Marcelle Pradot, de Lerner (1) l'autorite ni surtout le beau visage changeant et toujours emouvant d'Eve Francis et ce n'etaient pas les decors de Robert Jules-Gamier d'une stylisation souvent un peu froide ou se mouvaient de beaux costumes de Claude Autant-Lara, non plus que quelques pittoresques paysages qui pouvaient suffire a conquerir la foule que ce desir d'intellectualiser, d'aristocratiser le cinema dont elle avait plus ou moins nettement la sensation chaque fois qu'elle se trouvait en face d'un film signe Marcel L'Herbier, genait et humiliait. II en fut done de Don Juan et Faust comme de Rose-France, du Carnaval des Verites et Marcel L'Herbier dit poliment adieu aux studios des But- tes Chaumont (2). (1) Les autres roles Staient tenus par Johanna Sutter, Claire Prelia, Madeleine Geoffroy, Noemi Seize et par Deneubourg, Andre Daven et Michel Duran, ces deux dernier s devant renoncer bientot a V interpretation pour des activites cinematographiques plus inter essantes. (2) Don Juan et Faust souleva V enthousiasme de Canudo qui ecrivit : « La beaute et la puissance expressive de cette ceuvre, nouvelle d'idees et de formes, Strange et troublante de significations et de technique, ont egalement bouldverse le public d' elite qui admire un tel effort et les mevcantis du cinema qui ne le comprennent pas... Cependant Don Juan et Faust marque une date certaine dans I'histoire du cinema et dans cette ascension fatale de V ceuvre de Veer an vers les sommets de V intelligence atteints par les autres arts. (R. Canudo : « L'Usine aux Images », p. 134. Chiron Edit., Paris 1927J On pent rapprocher de cette opinion celle de Philippe Amiguet : « Une page d'histoire pour infante, un recueil d' images seigneunales... Un mer- veilleux point de depart pour toutes les reveries et pour toutes les imagina- tions. » (Fred. Philippe Amiguet : v. Cinema I Cinema ! » p. 22. Payot Edit. Lausanne 1923.) MARCEL L'HERBIER 311 Evolution : de « L'Inhumaine » a « L'Argent » Maintenant qu'il etait son maitre, qu'il n'avait plus a trouver des sujets capables de plaire a un homme qui, quel que fut son desir d'aider les jeunes et de favoriser les progres d'un cinema evolue, ne pouvait pas plus oublier Fantomas et Judex que Louis Feuillade et Arthur Bernede, Marcel L'Herbier s'entoura d'hommes de sa generation, partageant ses gouts et ses idees et voyant l'avenir du cinema a travers des verres teintes des nuances qu'il cherissait : L'Inhumaine naquit de cette collaboration. Pierre Mac Orlan, dont La Cavaliere Elsa venait de fournir une consecration litteraire au mouvement d'idees ne dans Test europeen, en avait ecrit le scenario, Darius Milhaud qui se trouvait a l'extreme pointe de l'Avant-Garde musicale en avait compose la musique (1), Fernand Leger et Robert Mallet-Stevens, dont les oeuvres ameutaient les visiteurs des Salons ou elles etaient exposees et qui s'in- teressaient au cinema (2), en avaient avec Claude Autant-Lara dessine (1) Marcel L'Herbier, qui fut un des premiers a atlacher une grande importance a I' accompa gnement musical de ses films, avait deja eu recours a un musicen de grand talent pour El Dorado dont il avait demande la par- tition a Marius- Francois Gaillard. (2) Robert Mallet-Stevens qui, des 1920, avait etabli les decors du film de Raymond Bernard : Le Secret de Rosette Lambert estimail que « V archi- tecture moderne est essentiellement photogenique ». « Grands plans, lignes droites, sobriili d'ornements, surfaces unies, oppositions nettes d' ombres et de lumiere, quel meilletir fond peut-on river pour les images en mouve- ment, quelle meilleure opposition pour mettre en relief la vie ? » demandait-il dans le numero special que « Les Cahiers du Mois » consacrereni en 1925 au cinema. C est l'avenir qui repondra a cette question et montrera qu'il avait raison et tellement raison que vingt ans plus tard il n'y aura pas d'autres decoys d'inlerieurs dans les studios que ceux dont il avait determine les elements. Robert Mallet-Stevens afjirmait encore : « L' architecture moderne ne sert pas seulement le decor cinematographique mais marque son empreinte sur la mise en scene ; elle deborde de son cadre : V architecture (cjoue ». Et ici encore, on peut penser qu'il s' etait mo'ntre bon prophete. Quant a Fernand Leger il attachait assez d'importance au cinema pour reconnaitre que les spectacles de V ' ecran exercaient une influence sur son talent et, reciproquement, pour vouloir que le cinema tint compte des idees qu'il avait sur I' evolution de la peinlure : « Personnellement, ecrivait-il dans « Les Cahiers du Mois », je reconnais que le grossissement du plan, V individualisation du detail m'ont servi dans certaines compositions. Grace a I' ecran, le prejuge du •• plus grand que nature » n'exisle plus. L'avenir du cinema comme du tableau est dans I' inter il qu'il donnera aux obj?ts, aux fragments de ces objets ou aux inventions purement fantaisistes et imagina- tives. L'erreur picturale c' est le sujet. L'erreur du cinema c' est le scenario. 312 HISTOIRE DU CINEMA les costumes et les decors dont l'execution avait ete assuree par Alberto Cavalcanti. Tout cela representait une volonte tres nette, tres raisonnee de faire ce qui n'avait pas encore ete fait et de montrer ou le cinema pouvait trouver sa verite et s'il suffisait d'etre intelligent et d'avoir du talent pour faire ceuvre cinematographique valable et durable, L'lnhu- maine aurait ete un des plus surs chefs-d'oeuvre de Tart cinematogra- phique car jamais autant d'intelligence et de talent n'avait ete mis au service d'une ceuvre de l'ecran que par cette reunion d'hommes jeunes et hardis dont chacun avait deja donne d'interessantes preuves d'une personnalite qui, dans le domaine ordinaire de leur activite, allait leur valoir une reputation universelle. Et pourtant, en depit d'un certain nombre de scenes se deroulant dans un laboratoire, oil Ton peut voir un essai de ce merveilleux scientifique qui fera, pour une bonne part, le succes de Metropolis de Fritz Lang, L'Inhumaine ne fut qu'une ceuvre volontaire et froide — la plus froide peut-etre qu'ait signee Marcel L'Herbier — qui n'avait rien de ce qu'il fallait pour toucher le public. Aussi celui-ci resta-t-il de marbre, deconcerte par le futurisme plus ou moins cubiste des decors et regrettant que l'emouvante Eve Francis qui avait si bien servi El Dorado eut ete remplacee ici par Georgette Leblanc, certes tres belle, mais transportant a l'ecran l'impassibilite de Mona Vanna sans parvenir a ressusciter les souvenirs qui s'atta- chaient a 1'inspiratrice de Pelleas et Melisande (i). La tentative a laquelle Marcel L'Herbier s'etait livre en amenant au studio des hommes comme ceux dont il s'etait entoure pour L'Inhu- maine etait aussi interessante qu'audacieuse. Elle meritait de reussir. Son echec ne decouragea par Marcel L'Herbier qui, non moins hardi, entreprit, apres un assez long entr'acte, de porter a l'ecran l'oeuvre d'un ecrivain que le cinema tentait depuis longtemps deja mais que Degage de ce poids negatif, le cinema peut devenir le gigantesque micros- cope des choses jamais vues et jamais ressenties. II y a la un domaine enorme qui n' est nullement d'ordre documentaire mais qui a ses possibilites drama- tiques et comiques... Je soutiens qu'une planche de porte qui bouge lente- ment (objet) est plus emouvanie que la projection en proportions reelles d'un personnage qui la fait mouvoir (sujet). Partant de ce point de vue, il y a un renouvellement complet du cinema et du tableau. Toutes les valeurs negatives qui encombrent le cinema actuel sont le sujet, la litterature, le sentimentalisme , en somme Vetat de concurrence au theatre. Le vrai cinema c' est Timage de 1/ objet totalement inconnu pour nos yeux et qui est emou- vant si on salt le presenter. Naturellement, il faut savoir s' en servir. C est assez difficile. Cela demande une culture plastique qu'a part Marcel L' Her- bier et Rene Clair, tres peu possedent. » Ce sont ces idees que Fernand Leger a exploitees a fond dans son film Ballet mecanique ( V. p. 26$.). (1) Les autres roles etaient tenus par Jaque Catelain, Philippe Heriat, L. V. de Malte et Fred Kellermann. MARCEL ■L'HERBIER 313 celui-ci avait jusqu'alors tenu a l'ecart. C'est de Luigi Pirandello qu'il s'agit cette fois et de Feu Mathias Pascal qui permit en fin a Marcel L'Herbier de toucher, comme il l'avait toujours souhaite, un public d'elite sans heurter de front la foule. Toutes les chances de succes semblaient d'ailleurs avoir ete reunies ici avant me me que le premier tour de manivelle eut ete donne : Pirandello etait deja connu a Paris grace a Benjamin Cremieux qui avait traduit et fait representer plusieurs de ses comedies ainsi qu'a Charles Dullin et a Georges Pitoeff qui, le premier avec Chacun sa verite et le second avec Six personnages en quite d'auteur, avaient, sui- vant l'expression consacree fait courir pendant de longues semaines au Theatre de l'Atelier et a la Comedie des Champs-Elysees le « Tout- Paris » que Marcel L'Herbier voulait convertir au cinema. D'autre part, engage pour realiser ce film par la societe d'emigres russes « Albatros », l'auteur d'El Dorado allait trouver au petit studio de Montreuil ou, de Melies a Jean Epstein, tant d'ceuvres interessantes etaient nees, une atmosphere dans laquelle il ne pouvait manquer de se sentir plus a l'aise que sous les verrieres des Buttes-Chaumont. Enfin, avec Mosjoukine, choisi pour etre la vedette de son film, il allait avoir l'interprete capable a la fois de la comprendre et de l'aider de son experience comme seule Eve Francis avait pu le faire jusqu'alors et cela tout en mettant a son service un prestige et une popularity que la creatrice de La Fete Espagnole, malgre son grand talent, ne possedait pas au meme degre. Si Ton ajoute que chacun de ces elements favorables ayant eu son plein rendement, Marcel L'Herbier tira le meilleur parti de ce melange de mystere et d'humour que constituait le sujet — d'un pirandellisme d'ailleurs assez facilement accessible — qu'il avait choisi, ainsi que des sites qu'^l alia demander a Rome et a la campagne romaine de lui four- nir pour servir de toile de fond a son action ; qu'Alberto Cavalcanti, evitant de ceder aux seductions d'un « caligarisme » perime, avait su composer des decors d'un gout tres sur exactement dans l'esprit de l'ceuvre et propres a en faire apparaitre ce qu'elle contenait de myste- rieux non moins qu'a favoriser « ces revelations visuelles que nous attendons du veritable cinema et qui emeuvent en nous quelque chose de plus profond que le sentiment meme » (1) ; que celles-ci furent fort heureusement servies par deux operateurs habiles Jean Letort et Rene Guichard et que Mosjoukine, seconde par une interpretation de premier ordre encore qu'heterogene qui groupait Lois Moran et Marcelle Pradot, Jean Herve, Pierre Batcheff, Pauline Carton, Michel Simon, trouva dans le personnage du heros de l'aventure ces occasions de passer du (1) Francois Berge (a Les Cahiers du Mois », N°* 16-ij, 1925.) 314 HISTOIRE DU CINEMA dramatique au comique auxquelles il se complaisait et excellait, on aura donne quelques-unes des raisons qui firent de Feu Mathias Pascal une des oeuvres les plus intelligentes et les plus originales — les plus reussies aussi — qui soient alors sorties des studios francais, celle probablement qui, parmi les intelligentes et les originales, recut du public l'accueil le plus sympathique et le plus comprehensif. Pourquoi, au lendemain de ce succes, Marcel L'Herbier quitta-t-il la societe « Albatros » pour signer un contrat avec la Societe des « Cine-Romans » ? II y a la un de ces petits mysteres dont la vie cine- matographique est riche, un mystere inexplicable car Marcel L'Herbier devait bien savoir qu'en tombant sous la coupe de Jean Sapene — « le Gouverneur » tel etait le surnom que lui avaient donne ceux qui, au « Matin » comme aux studios de Joinville, avaient affaire a lui — il allait se heurter a un homme autrement difficile que Leon Gaumont, lequel avait certes des idees personnelles — ce qui d'ailleurs n'etait peut-etre pas le cas de Sapene — mais regnait en maitre plutot debon- naire sur ses collaborateurs. Quelle qu'ait pu etre la raison a laquelle l'auteur d'El Dorado avait cede en entrant aux « Cine-Romans », il n'allait pas etre longtemps avant de le regretter car, des trois films qu'il fit pour cette societe* : Le Veriige, d'apres une piece de Charles Mere (1926) avec Emmy Lynn pour vedette, encadree de Jaque Catelain et de Roger Karl, Le Diable au Coeur (1928), d'apres un roman de Lucie Delarue-Mardrus (VEx-Voto) ou il essaya de retrouver sa veine de L' Homme du Large (1) et enfin L' Argent d'apres le roman d'Emile Zola, trois films qui representaient un travail de premier ordre tel qu'on en pouvait attendre autant d'une firme disposant de capitaux considera- bles et d'un personnel experiments que d'un homme qui avait derriere lui dix films de grande importance, aucun n'avait vraiment rSussi a se liberer de l'ideal-maison (2), ni ne laissait transparaitre la per- sonnalite prcfonde de l'auteur a. la facon d'un El Dorado, d'un Don Juan et Faust et meme d'une Inhumaine, non plus que ses aspirations. L' Argent pourtant valait beaucoup mieux que les deux autres et non seulement parce qu'etant le resultat d'une combinaison internatio- nale dont le pivot etaient deux vedettes de l'importance de Brigitte Helm et d' Alfred Abel qu'en touraient Henry Victor, Alcover, Jules Berry, Raymond Rouleau, Marie Glory, Yvette Guilbert, Mary Costes, (1) Inaugurant le systeme des ((collaborations Internationales » auquel il sacrifiera plusieurs fois, Marcel L'Herbier avait confie le principal role de ce film a V artiste anglaise Betty Balfour qu'entouraient Catherine Fonteney, Jaque Catelain, Andre N ox et Roger Karl. (2) A la meme epoque, Germaine Dulac faisa.it pour la Societe des Cine- Romans Antoinette Sabrier qui ne s'eleve guere non plus au-dessus de cet ideal-maison ». MARCEL L'HERBIER 315 rien n'y avait ete Economise, ni les capitaux, ni le temps mais aussi parce que, se degageant d'une froideur qui lui a ete souvent reprochee Marcel L'Herbier s'etait laisse emporter par une espece de fievre qui donnait a certaines scenes — comme celles de la Bourse (1), — une vie tumultueuse et une force inattendues d'un veritable lyrisme moderne, devant lesquelJes les plus difficiles s'inclinerent. Mais si imprevues qu'el- les fussent venant de Marcel L'Herbier, si reussies meme qu'on les jugeat unanimement, ces scenes ne parvinrent pas a faire de U Argent le drame puissant et de grande portee sociale que le titre faisait esperer. Peut-etre la faute en incombe-t-elle pour une part a l'adaptation qui comportait a l'egard du roman des libertes inutiles et plus encore sans doute a Interpretation qui, parce qu'on l'avait voulue brillante, avait fini par etre composee d'elements un peu trop disparates, les uns n'ayant pas du cinema une tres grande habitude, les autres etant assez peu faits pour s'accorder avec un homme plus ou moins eloigne" d'eux, et man- quait de cette homogeneite qui, seule, peut conferer a une ceuvre de l'ecran une personnalite veritable. Quoi qu'il en soit, le resultat ne fut pas a la hauteur de l'effort fourni, effort tel que Marcel L'Herbier aurait merite de trouver la 1'occasion de nous donner son chef-d'oeuvre. V Argent fut le dernier film que Marcel L'Herbier realisa pour le compte de la Societe des 'Cine-Romans (2). Ayant repris sa liberte, l'auteur d'El Dorado realisa encore un film d'ordre commercial supe- (1) Dans son « Usine de Reves », Ilya Ehrenbourg raconte V incident suivant ; « La Societe des Cine-Romans avait charge le metteur en scene Marcel L'Herbier de faire un film d'apres L' Argent, le roman de Zola. Marcel L'Herbier, jusqu' alors ne s'etait jamais occupe de speculations boursieres — c' est un artiste et un esthete. En homme consciencieux, il se rendit tout d'abord a la Bourse pour etudier un monde qui lui etait inconnu. Sur les marches de la Bourse, de jeunes gaillards poussaient des cris frene- tiques. lis agitaiept leurs Cannes et laissaient tomber des gouttes de sueur et leurs chapeaux melons ; Us crachaient des chiffres. Marcel L'Herbier n' est pas un enfant, pourtant il fut decontenance. Que criait-on ? Avait-on de'couvert sous les marches de la Bourse un filon aurifere ou les fontaines de Paris s' etaient-dles changees en sources de petrole ? Un homme sale, le visage convulse et la cravale de travers, cria en bousculant son voisin : « 68 ! ... 68 ! ... » Quel admirable figurant. Voila comme il faudrait en trouver un. Gros plan ! De quoi s' occupe-t-il. De petrole ? De cuivre ?... De caout- chouc ?... Le possede cut un sourire dedaigneux : « Un bleu fa... « 68 !... » // vendait des actions de cinema. » (2) La participation de Marcel L'Herbier a I'activite de la Societe des « Cine-Romans » faillit se terminer de facon dramatique, une explication d'ordre professionnel entre le realisaieur de L' Argent et le grand maitre de la Societe ayant amene celui-ci, qui n' admettait pas la contradiction, a se livrer a des voies de fait sur son interlocuteur qui deposa une plainte au Parquet. Le proces ne fut evi'e que de justesse, grace a un arbitrage de I' Association des Auteurs de Films. • 316 HISTOIRE DU CINEMA rieur : Nuits de Princes (i) d'apres un scenario de Joseph Kessel avec Gina Manes, Alice Tissot, Nathalie Lissenko, Jaque Catelain, Nestor Ariani pour interpretes, dans lequel on ne retrouvait aucune des heureuses audaces qui avaient valu a son auteur, au temps de Rose-France, du Carnaval des Verites et merae de L'Inhumaine, tant d'hostilite dans le monde des commercants et fait naitre tant d'espoirs parmi ceux qui, croyant en un cinema meilleur, voyaient en lui un des initiateurs de l'art qu'ils attendaient. Ah ! il etait loin le temps ou Ton s'evertuait a diriger cette « symphonie nouvelle » qu'est le cinema vers un « sym- bolisme » meme « elementaire » ! De l'esthetisme aux concessions D'ou vient que les espoirs qu'a son arrivee au studio Marcel L'Herbier avait eveilles ne se soient pas mieux realises ? Tout d'abord, sans doute, de ce que, comme tant d'autres qui, venus du theatre, ont continue a faire du theatre au cinema, venu de la litterature au cinema — et d'une litterature plutot anemique sinon morbide — il ne put jamais se depouiller completement de cette litterature et qu'il entoura toujours son travail cinematographique, plus encore peut-etre quand il le pen- sait que quand il le realisait, d'une atmosphere litteraire ou trainaient des souvenirs assez peu compatibles avec les exigences du cinema. Peut- etre aussi de ce que, non moins ambitieux qu'intelligent, son ambition le poussait en avant pendant que son intelligence lui disait qu'il ne reussirait pas a s'imposer s'il s'entetait dans les voies ou il s'etait engage et l'incitait a composer avec les resistances auxquelles il se heurtait. C'est ce terrain d'entente que Marcel L'Herbier a cherche tout au long de sa carriere, donnant des gages a l'opposition puis le regrettant et cherchant a prendre sa revanche : Le Bercail apres Rose-France, Le Carnaval des Verites apres Le Bercail et L' Homme du Large apres Le Carnaval des Verites jusqu'au jour ou, las de lutter et peut-etre avec un peu d'ironie sinon de mepris envers lui-meme, il se resigna a sacrifier au genre « commercial » plutot que de rester inactif. Mais il ne renonca jamais a cette volonte d'aristocratiser intellectuellement et artistique- ment le cinema qui l'avait conduit au studio et qui dix annees durant, dans Le Diable an Cceur en 1928 aussi bien que dans Le Bercail en 1919 lui evita toujours toute vulgarite. De cette volonte, Philippe Ami- guet a fort justement analyse les effets quand il a ecrit : « Avant (i) Ce film, termini a I'epoque oil le cinema devint parlant, jut sonorise par la suite. MARCEL L'HERBIER 317 lui, le cinema francais s'encanaillait... II se mourait de banalite, de boursouflure et de mauvais gout. L'Herbier est arrive. Doue d'une intelligence subtile, d'un gout delicat, d'une culture etendue, il a bous- cule les mauvaises habitudes, il a denonce erreurs et turpitudes, puis patiemment... il a construit une ceuvre francaise, une ceuvre ou Ton retrouve, avec l'esprit de Voltaire, l'intelligence de Debussy et la fantaisie de Giraudoux. » (1) On a dit — et ce fut la le sujet de maints echos, le plus sou vent ironiques, dans la presse specialised — que, pendant qu'il dirige le travail de ses films, Marcel L'Herbier ne quitte jamais ses gants. On n'a pas ose preciser que ces gants etaient blancs. Mais on peut voir en ce detail vestimentaire, vrai ou faux, un symbole et dire des films de Marcel L'Herbier qu'ils sont, bons ou moins bons, l'ceuvre d'un homme gante de blanc, d'un homme qui ne se laisse jamais aller a « tomber la veste », si accablante que puisse etre la temperature du studio parce qu'on ne se met pas en manches de chemise dans un salon, d'un homme qui, au bistro du coin, prefere le bar ou frequentait Jean de Tinan et a la lecture d'un feuilleton de Jules Mary celle d'un poeme de Stephane Mallarme ou de Paul Valery. Un homme qui peut-etre aussi se penche un peu trop souvent sur son miroir, non pas tant par narcissisme que par inquietude. Un dand}^, somme toute — les qualites que Philippe Amiguet lui reconnait : « intelligence subtile, gout delicat, culture etendue, besoin de bousculer les mauvaises habitudes » ne sont-elles pas exactement celles qui, de tous temps et par toutes les civilisations, ont fait les dandys ? Comment, etant tel, Marcel L'Herbier aurait-il pu faire des films qui ne fussent pas un peu froids et manieres ? Mais a quoi bon le lui reprocher — on est dandy ou on ne Test pas — car quelque incompatibilite qu'il y ait entre le dandysme d'une part, le cinema et surtout la vie cinematographique d'autre part — c'est une chance et une victoire pour 1'art cinematographique d'avoir vu venir a lui un homme de cette nature et de cette qualite. Sans doute pour- rait-on plus justement regretter que Marcel L'Herbier n'ait pas reussi a se debarrasser &e sa timidite naturelle, qu'il n'ait pas ose aller jus- qu'au bout de ses conceptions car il n'est pas temeraire de penser que, s'il s'etait un peu moins observe, il aurait sans doute reussi a se creer un style personnel et peut-etre a l'imposer. Plusieurs fois, il a laisse dire qu'il avait 1 'intention de porter a l'ecran Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. Pourquoi n'est-il jamais alle au dela de l'intention ? N 'aurait-il pas trouve la, mieux encore sans doute qu'avec Feu Mathias Pascal, le sujet capable de s'accorder avec ses qualites non moins qu'a- (1) Fred. P. Amiguet : a Cinema I Cinema I » (Payot Edit. Lausanne, 1923 )■ 318 HISTOIRE DU CINEMA vec ses defauts ? Litterature pour litterature, Oscar Wilde ne valait-i pas mieux pour Marcel L'Herbier qu'Emile Zola ? Mais il n'y a pas seulement de la literature dans l'ceuvre de Marcel L'Herbier et, si Ton veut definir son art, c'est bien probablement la definition qu'en a donnee Philippe Amiguet qui se trouve la plus proche de la verite : « Un film de Marcel L'Herbier c'est tour a tour la puis- sance evocatrice des formes, la persuasion des paysages, la magie des ombres et des clartes, la nettete geometrique des noirs et blancs. Aussi L'Herbier est-il, avant tout, un compositeur, un symphoniste qui cons- truit des symphonies visuelles, debordantes de nuances, de traits rares, de decouvertes ingenieuses, de contrastes saisissants. Avec reflexion, il dispose la matiere, il l'enveloppe de lumiere, la souligne ou l'attenue a son gre\ Et, si elle lui resiste, il la deforme et la reconstruit selon sa vision... Certes on peut faire d'innombrables objections aux realisa- tions de M. L'Herbier. On peut leur reprocher d'etre trop artificielles, trop voulues, trop tendues. On peut leur reprocher egalement de n'at- teindre jamais jusqu'aux nappes souterraines de l'emotion et de ne flatter en nous que certains besoins exterieurs de l'intelligence et de la sensation. Mais tout cela n'empechera pas que L'Herbier appartienne a la famille des grands createurs d'images » (i). Que ce « grand createur d'images » n'ait pas eu l'audace et l'ente- tement de poursuivre son experience jusqu'a ses extremes consequences, qu'il se soit contente de demi-mesures, on ne saurait assez le regretter. Mais ces regrets ne doivent pas nous empecher de lui etre reconnaissants d'avoir — des 1919 — commence a creer un snobisme cinematogra- phique et, realisant une serie de films dont l'originalite, inegale de 1919 a 1925, disparait helas ! a peu pres completement au dela de cette date, mais qui, a des titres divers — notamment par la mise au point, la tenue et le raffinement de leur realisation — se distinguent nettement et profondement de l'ensemble de la production de l'epoque, d'avoir efficacement contribue a donner au cinema frangais une physionomie personnelle ou l'intelligence de la conception sert de support a une presentation ordonnee et harmonieuse : qualites qui resteront les caracteristiques constantes de « l'Ecole cinematographique fran^aise ». En fin, Marcel L'Herbier a un autre titre a la reconnaissance de ceux qui croient que l'art cinematographique peut atteindre a ses fins naturelles sans rien emprunter aux prestiges sous lesquels le theatre est tou jours pret a. l'ensevelir : en ce qui concerne les relations theatre- cinema, toute son ceuvre est une protestation et une reaction contre les theories et les pratiques du a Film d'Art ». Venu au studio en qualite (1) Fred. P. Amiguet : « Cinema ! Cinema ! », pages 23, 24. (Payot Edit. Lausanne, 1923.) MARCEL L'HERBIER 319 de scenariste, Marcel L'Herbier n'a jamais cesse de croire a la superio- rite du scenario original sur l'adaptation (sur treize films realises par lui en dix ans, il y en a six qui reposent sur des scenarios originaux, cinq qui sont des adaptations d'ceuvres litteraires et deux des adapta- tions d'ceuvres theatrales) et, meme quand il a ete force d'adapter une piece de theatre (Bercail, Vertige) jamais, en effet, il ne s'est paresseu- sement refugie entre les brancards du theatre ; jamais, non plus, dans les limites ou il etait son maitre, il n'est alle chercher sur les affiches de la Comedie-Francaise ou des grandes scenes boulevardieres les noms aureoles capables de valoir a ses films la sympathie remuneratrice de la foule — exception faite de Paul Capellani et de Suzanne Despres d'une part (Le Bercail), de Jean Herve (Feu Mathias Pascal) et d'Emmy Lynn, d'autre part (Le Vertige) au talent de qui il n'eut re- cours qu'assez tard (1926) et bien plus sans doute pour son experience cinematographique que pour son passe theatral — preferant s'adresser a des comediens de scenes d'avant-garde dont l'esprit lui plaisait (Roger Karl appartenait a la troupe de Copeau, Michel Simon a. celle de Pitoeff, Eve Francis etait l'interprete preferee de Paul Claudel de qui elle avait joue a « l'CEuvre » L'Otage et L* Annonce faite a Marie — et plus encore peut-etre que pour cela fut-ce parce qu'elle etait la collaboratrice de Louis Delluc qu'il la choisit — comme Georgette Leblanc etait l'interprete habituelle de Maeterlinck) et preferant a tous ceux-la qui ne venaient de nulle part, que n'alourdissait aucune tradition, aucune habitude theatrale incompatible avec le jeu cinema- tographique comme Claude France (Rose-France) et Loi's Moran (Feu Mathias Pascal) et surtout comme Marcelle Pradot, Philippe Heriat et Jaque Catelain dont il fit les elements permanents de son interpretation et qui lui resterent longtemps fideles : quand Marcelle Pradot renonca au cinema elle n'avait fait a Marcel L'Herbier d'autre infidelite que d'avoir paru dans un film de Jaque Catelain Le Marchand de Plaisirs ; Philippe Heriat, apres quelques creations au theatre, renonca a. Interpretation pour commencer une carriere litteraire ou il reussit rapidement et brillamment. Un disciple : Jaque Catelain Quant a Jaque Catelain, non content d'etre devenu, comme Claude France, une vedette non seulement francaise, mais internationale, il avait aupres de Marcel L'Herbier pris un gout si vif du cinema qu'il ne put resister a la tentation de mettre ses pas dans ceux de son maitre et realisa, plus ou moins « supervise » par celui-ci, deux films : Le Marchand de Plaisirs (1923) dont l'interpretation etait assuree par 32o HISTOIRE DU CINEMA lui-meme entoure de ses camarades ordinaires : Marcelle Pradot, Claire Prelia et Philippe Heriat, et La Galerie des Monstres (1924) ou apparais- sent des noms nouveaux (dont quelques-uns vont connaitre la noto- riete) : Lois Moran, Yvonneck, Jean Murat, Simone Mareuil, Van Duren (un danseur), Le Tarare (un nain), Ture Dahlin (un journaliste suedois) (1). Si Ton disait de ces deux films qu'ils auraient pu etre signes « Marcel L'Herbier », on ne se tromperait guere et on serait a peu pres juste a leur egard mais on ne le serait completement qu'en precisant qu'ils se dis- tinguaient de ceux de Marcel L'Herbier par un melange d'humanite et d'humour qui leur conferait une saveur que Ton chercherait en vain aussi bien dans Rose-France et dans Le Carnaval des Verites que dans El Dorado et dans Don Juan et Faust, Quoiqu'il soit assez difficile de determiner en quoi consistait exactement le role de « superviseur » tenu par Marcel L'Herbier, ces deux films laissent voir des qualites assez certaines pour que Ton soit autorise a se demander ce qui a em- peche Jaque Catelain de leur donner des freres. Probablement l'impos- sibilite dans laquelle il se trouvait de poursuivre une activite de reali- sateur sans renoncer a son activite d'acteur. En sacrifiant celle-la a celle-ci, peut-etre Jaque Catelain fut-il imprevoyant car le jour vint assez rapidement ou, paraissant moins souvent sur les ecrans, il perdit une partie de la faveur que le public lui avait longtemps accordee alors que, sans meme avoir a trop compter sur la chance, il aurait probable- ment pu mener une non moins heureuse et plus longue carriere de met- teur en scene (2). (1) Pour La Galerie des Monstres, Alberto Cavalcanti etait V assistant de Jaque Catelain. (2) De ces deux frtms^ Leon Moussinac a ecrit : « Le Marchand de Plaisirs est un debut representatif. II a beaucoup desarine la critique car si V on reussit a discuter le fond du theme et sa virile un peu irritanie, on ne trouve Hen a reprenare a une representation toujours au fait des meilleurs pvocedes expressifs, congue avec intelligence, realisee avec gout, mesnre et une sorte de hautaine distinction. »« La Galerie des Monstres a confirme ces qualites. » f« Naissance du cinema » /. Povolozky Edit. Paris 1925.) 88. Jacques Feyder (Photo Willinger, VienneJ. 89. Jean Angelo et Stacia de Napierkowska dans L'Atlantide, de Jacques Feyder. ' 90. Une scene de L'Image, de Jacques Fevder avec Arlette Marchal. 91. Raquel Meller et Fred Louis Lerch dans Carmen, de Jacques Feyder. 92. Maurice de Feraud1 et le petit Jean Forest dans une scene de Crainqnebille, de Jacques Fevder. ABEL GANCE OU LE TEMPS DE L'IMAGE EST VENU D ans une conference qu'il fit en 1927, alors qu'il etait en plein coeur du travail d'ou allait sortir son Napoleon, Abel Gance comme en extase, adressait au cinema cet hommage public qui est un veritable acte de foi : « Le cinema dotera I'homme d'un sens nouveau. II (I'homme) ecoutera par les yeux. « lis out vu par les voix ! » dit le Talmud. II sera sensible a la versification lumineuse comme il V a ete a la prosodie. II verra s'entretenir les oiseaux et le vent. Un rail deviendra musical. Une roue sera aussi belle quun temple grec. Une nouvelle formule d' opera naitra. On entendra les chanteurs sans les voir, 6 joie ! « La Chevauchee des Walkyries » deviendra possible. Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinema car leurs royaumes seront a la fois mimes et plus vastes. Renversement fou et tumultueux des valeurs artistiques, fioraison subite et magnifique de rives plus grands que ceux qui furent ? Non seulement imprimerie mais Jabrique de reves... Le temps de V image est venu... Toutes les legendes, toute la mythologie et tous les mythes, tous les fonda- teurs de religions et toutes les religions elles-memes, toutes les grandes figures de I'Histoire, tous les reflets objectifs des imaginations des peuples depuis des millenaires, tous, toutes attendent leur resurrection lumineuse et les her os se bousculent a nos portes pour entrer. Toute la vie du rive et tout le rive de la vie sont prits a accourir sur le ruban sensible et cen est pas une boutade hugolesque que de penser qu Homer e y aurait imprime Vlliade ou peut-itre mieux VOdyssee. Le temps de V image est venu! Expliquer ? Commenter ? A quoi bon ? Nous marchons, quelques-uns , sur des chevaux de nuage et, quand nous nous battons, c est avec une realite pour la contraindre a devenir du revel La baguette de coudrier est dans tout appareil de prise de vues et I'ceil de Merlin V Enchanteur s'est mue en objectif. Copier la realite ? Pour quoi faire ? « Ceux qui ne croient pas a V immortalite de leur dme se rendent justice! » a dit Robespierre: ainsi de ceux qui ne croient pas au cinema. lis ne verront jamais que ce quits peuvent voir et contesteront I' or mime de V evidence. Que de spectateurs dans La Roue nont vu que des histoires de locomotives et de catastrophes 21 322 HISTOIRE DU CINEMA de trains dans Us images: que n'ont-ils vu entre celles-ci la catastrophe des coeurs autrement elevee et douloureuse! ... Les yeux confondent trop ce qui bouge avec ce qui tressaille, ce qui remue avec ce qui vibre ; les coeurs sont encore trop loin des yeux pour notre regne et cependant a des signes certains auxquels il faut quon s habitue, je reconnais que le temps de V image est venu!... Oui, un art est ne, souple, precis, violent, rieur, puissant. II est partout, en tout, sur tout! Toutes les choses courent a lui plus vite que les mots ne se rangent sous la plume lorsquune pensee les appelle. II est si grand quon ne le peut voir en entier et qui voyant ses mains, qui ses pieds, qui ses yeux, s' eerie: « C'est un monstre auquel il manque une dme! » Aveugles! Un couteau de clarU elargit peu a peu vos paupieres! Regardez bien. Des ombres adorables et bleues jouent sur la figure de Sigalion : ce sont les Muses qui dansent autour de lui et le cile- brent a I'envi. Le temps de V image est venu ! ... Un grand film ? Musique : par le cristal des dmes qui se heurtent ou se cherchent, par Vharmonie des retours visuels, par la qualiU meme des silences; peinture et sculpture par la composition; architecture par la construction et I'ordonnance- ment; poesie par les bouffees de reves volees a I'dme des etres et des choses et danse par le rythme interieur qui se communique d I'dme et qui la fait sortir de vous et se meter aux acteurs du drame. Tout y arrive. Un grand film ? Carrefour des arts ne se reconnaissant plus au sortir du creusetde lumiere et qui renient en vain leurs origines. Un grand film ? Evangile de demain! Pont de reve, fete d'une epoque a une autre! Art d' alchimiste : grand ceuvre pour les yeux! Le temps de V image est venu! (i) » Neuf annees separent l'heure ou cet acte de foi cinematographique fut formule par celui qui n'etait encore que l'auteur de Mater Dolorosa, de J* accuse ! et de La Roue, du jour ou Marcel L'Herbier, repondant a Emile Vuillermoz, se refusait a considerer le cinema comme un art et afin de justifier la position qu'il avait prise et d'etayer sa demonstra- tion, entassait les raisonnements sur les raisons et les deductions sur les arguments (2). En neuf ans, le cinema avait, certes, assez evolue pour qu'une evolution se fut produite dans les esprits et que les plus intelligents de ses serviteurs fussent tout naturellement amenes a modifier l'opinion qu'ils avaient de lui, mais ce ne serait pas se livrer a un jeu gratuit de l'esprit que de pretendre que ce n'est pas de dates qu'il s'agit ici mais de temperament et de supposer qu'en 1917 comme en 1927, Abel Gance, s'il en avait eu l'occasion, aurait laisse echapper de ses levres fremissantes le meme acte de foi. (1) Abel Gance : « Le Temps de I' Image est venu t » (Collection « L' Art cinematographique » n° 11. Alcan Edit. Paris 1927.) (2) V. p. 295 et sq. ABEL GANCE 323 Ce n'est d'ailleurs pas seulement parce qu'il permet de pr6ciser deux positions extremes — pour Marcel L'Herbier, le cin6ma n'est pas un art, pour Abel Gance non seulement il est un art, mais il est, a lui seul, tous les arts, l'art en soi — et qu'il fait toucher du doigt, pour ainsi dire, tout ce qui separe l'un de l'autre deux des hommes qui ont le plus fait pour conduire le cinema francais vers ses destinees que le texte ci-dessus est interessant. C'est aussi parce qu'il est un document psy- chologique qui met successivement en lumiere les differentes facettes de la personnalite extremement attachante, parce que fortement mar- quee, de son auteur. Au lendemain de la presentation de La Zone de la Mori (1), Louis Delluc avait adresse a Abel Gance cette adjuration : a Si jamais vous entendez dire que vous voyez trop grand, je pense que vous rirez tran- quillement. On ne voit jamais trop grand... Ne cessez jamais de voir trop grand ! (2) » Gance avait-il inscrit ces encouragements en face de sa table de travail afin de les avoir constamment sous les yeux ? Avait-il d'ailleurs besoin qu'on le poussat a voir grand ? Ce qui est certain, c'est que la critique prevue par Delluc lui avait et6 adressee — et combien de fois ! et sur quel ton I — a propos de J'accuse ! Le rire tranquille prevu, lui aussi, par Delluc accompagnait-il le haussement d'epaules dedaigneux par lequel Gance repondit a ces reproches ? Peu importe ! Ce qui est indiscutable, c'est qu'il continua a voir grand, a voir tres grand : La Roue le prouva et aussi l'opinion qu'il s'etait faite du cinema, opinion qu'en toutes occasions il laissait voir, quand il ne la lancait pas comme un defi a la face des hesitants, des tiedes : « Evan- gile de demain ! Pont de reve jete" d'une epoque a une autre ! » Et ce ne sont pas la de simples formules, car il sait quels ricanements de tel- les affirmations soulevent, a quels risques elles l'exposent et il est pret a se battre pour prouver qu'elles expriment des Veritas qu'il est a peu pres le seul a prendre au serieux. Car il a la foi ! II croit au cinema : il ne connait rien de plus beau, rien de plus grand, rien qui merite autant qu'on lui consacre sa vie en attendant de mourir pour lui s'il le faut. Et pourquoi y croit-il ? Uniquement parce que le cinema permet de « donner une forme a des reves ! » Gance est un idealiste. Aussi, foin du realisme ! La realite n'est la que pour que le cinema en fasse du reve ! Et ceux qui ne croient pas au cinema et en cette mission qui est la sienne ne m£ritent pas de vivre !... « Le temps de l'image est venu ! » Ne croi- rait-on pas entendre le prophete Elie annoncant les temps nouveaux ? (1) V. p. 184. (2) Renforgant et precisant V opinion de Delluc, Lion Moussinac a ecrit a propos de La Roue : « Abel Gance voit haut et grand. C'est un eloge qu'il est presque seul a meriter. » (Leon Moussinac : « Naissance du cini- ma ». /. Povolozky, Edit. Paris, ig2$). 324 HISTOIRE DU CINEMA En l'entendant parler ainsi, certains qui ne voient dans le cinema qu'une occasion de combinaisons ingenieuses aboutissant a des contrats remunerateurs a moins que ce ne soit a un travail facile n'exigeant aucun apprentissage et fertile en pauses aimables en compagnie de jeunes femmes faciles, ricanent ou rigolent. lis out tort car tout cela est tres serieux, tres sincere et Ton devrait bien plutot etre tente de le trouver emouvant le spectacle de cet homme — apotre, prophete, martyr s'il le faut : les betes ne sont-elles pas la toutes pretes a le deVo- rer ! — qui, les bras en croix, le regard extasie, indifferent au ridicule qui le guette, car il est le seul a s'etre aussi completement donne au dieu nouveau — le seul avec Germaine Dulac — , clame sa foi ! Une foi assez speciale car il y a du pantheiste en Abel Gance : pour lui le cinema est dieu. — « II est partout, sur tout, en tout ! » — et rien dans la nature — y compris les grandes figures de l'Histoire, les h£ros — n'existe qu'en fonction du cinema. Un pantheiste ing£nu qui fait appel a l'autorite de Shakespeare, de Beethoven, de Rembrandt — sans oublier le Talmud ! — pour appuyer ses affirmations comme il a pris l'habitude de recourir a Lucrece, a Confucius, a Rabindranath Tagore pour donner un sens plus haut aux images de ses films qui, pourtant, se suffisent a elles- memes... Sans oublier Homere ni Hugo ! C'est d'ailleurs a Hugo que Bardeche et Brasillach, qui n'ont pour l'auteur de Mater Dolorosa et de ]' accuse ! aucune indulgence, le comparent a deux ou trois reprises dans leur « Histoire du Cinema ». Comparaison grosse de sous-entendus car ce n'est evidemment pas pour ce qu'il a de meilleur qu'a propos d'Abel Gance l'auteur des Miser ables a son nom jete dans la bagarre cinematographique mais, si perfide qu'elle soit, cette comparaison qui ne manque pas d'exactitude constitue encore un eloge d'une singuliere valeur car on ne voit pas bien — meme en cherchant — a propos de quel autre auteur de films elle pourrait etre faite, et prononcer sans sourire — ni faire sourire — le nom de Victor Hugo a propos d'Abel Gance montre mieux que tout la place que celui-ci occupe dans l'histoire du cinema francais et plus particulierement dans l'histoire du cinema francais des annees 1919- 1929 qui, de l'aveu unanime, constituent la grande epoque de l'art cinematographique francais. Venu de la litterature au theatre et au cinema (i)7Abel Gance avait pris contact avec la vie des studios et avec le travail cinematographique en tenant, comme Rene Clair le fera quelques annees plus tard, de petits r61es dans quelques films puis, comme Louis Delluc et Marcel L'Herbier, en placant ici et la des scenarios dont il etait l'auteur. Ce (1) V. p. 183. ABEL GANCE 325 double aspect de sa personnalite, Abel Gance ne s'en liberera que difficilement et lentement, quelle que soit la vivacite des critiques qui lui seront a ce sujet adressees : nous le retrouverons, en effet, tenant un role dans Napoleon comme dans La Fin du monde et, pendant des annees il ne realisera que des scenarios composes par lui. (Ilfaudrala crise provoquee par l'irruption du « parlant » dans la vie cinematogra- phique francaise et l'echec de La Fin du Monde pour qu'il consente, non sans une longue et meritoire resistance, a travailler sur une matiere qui lui soit etrangere.) Cette volonte bien arretee de ne pas chercher son inspiration ailleurs qu'en lui-meme, de travailler sans collaborateurs, Abel Gance n'est pas le seul a l'avoir manifested a la meme epoque : Henry- Roussell, Marcel L'Herbier et Louis Delluc — exemples d'autant plus significatifs qu'ils viennent d'hommes aussi differents que possible — avaient vu les avantages de cette methode mais alors que le premier reussissait a imposer sa facon de voir par l'habilete avec laquelle il assurait a ses films des succes commerciaux aussi grands que s'il eut choisi ses sujets parmi les ceuvres les plus populaires de la scene ou de la librairie et que le second, moins habile qu'Henry-Roussell et moins entete qu'Abel Gance, etait oblige de recourir a la collaboration d'Emile Zola, de Charles Mere, d' Henry Bernstein, l'auteur de J* accuse! se voyait repro- cher cette preuve d'intelligence et de personnalite comme une intole- rable manifestation de son impudent orgueil. Mais il laissait dire et continuait a refuser tout ce qui d'une facon ou d'une autre l'aurait limite dans la libre expression de sa personnalite. Peut-etre d'ailleurs n'aurait-il pas fallu pousser beaucoup Abel Gance pour l'amener a declarer que ce qui l'interessait avant tout dans le cinema c'etait la possibility que celui-ci lui offrait de faire ceuvre d'ecrivain : hypothese peut-etre osee mais qui pourrait assez facilement trouver sa justification dans tout ce qu'il y a de litteraire et surtout de manifestations de gout pour la litterature dans ses scenarios. Trop souvent Abel Gance scena- riste — ou plutot Abel Gance ecrivain — a fait du tort a Abel Gance homme de cinema, mais ses detracteurs ont eu tort d'une part d'atta- cher plus d'importance a ses scenarios qu'a la facon dont il les realise — au fond qu'a la forme — et d'autre part de ne pas admettre qu'il ne lui est possible de s'exprimer de facon interessante que s'il travaille sur des idees et des sentiments lui appartenant en propre (1). (1) Les films qu'il a du realiser dans les premiers temps du parlant, sur des scenarios dont il n' etait pas l'auteur, qu'il s'agisse d' adaptations d' ceuvres litter aires ou thidtrales : Le Maitre de Forges, Le Roman d'un jeune homme pauvre, La Dame aux Camelias, Poliche (G. Ohnet, 326 HISTOIRE DU CINEMA « La Roue » : Naissance d'un Lyrisme Cinematographique Cette importance, donn£e par Abel Gance a ses scenarios, La Roue plus encore que J' Accuse ! en fournit la preuve. De ce film, Bardeche et Brasillach ont dit qu'il est « avec Intolerance de Griffith et Les Rapa- ces de Stroheim un des monstres du cinema. Mais un monstre d'une importance presque unique ». Ce scenario a, en effet, quelque chose de monstrueux, mais bien plus dans le sens que Ton est tente de donner a ce mot apres a^oir lu Les Miserables que dans celui qu'il prend si on l'applique a Intolerance ou aux Rapaces, le film de Griffith n'etant en rien monstrueux, mais seulement d£mesure ou plut6t hors des mesures habituelles a une oeuvre cinematographique et celui de Stroheim £tant indiscutablement monstrueux par les personnages qu'il nous presente et les sentiments qui possedent ces personnages, ce qui n'est pas le cas de La Roue, une fois admis que son metrage depasse quelque peu celui des films qui composent ordinairement les programmes, ce qui n'a rien de monstrueux. Les Miserables, au contraire, ont quelque chose de monstreux non pas a cause de leurs dimensions — le roman- fleuve n'est pas une innovation contemporaine — mais par leurs pre- tentions : pretention de faire accomplir au lecteur le tour complet d'une societe" et d'etablir un systeme philosophique et social sur un fait divers. Si La Roue a quelque chose de monstrueux, c'est par des pretentions du meme genre, d'ailleurs assez confuses. Le scenario de La Roue conte l'histoire d'un m6canicien de chemin de fer qui, parmi les debris d'un wagon du train qu'il conduit et qui a deraille, trouve une fillette dont les parents sont morts. II adopte l'en- fant, l'eleve a cote de son propre fils et quand elle est devenue une jeune fille, les deux hommes, le pere et le fils, s'eprennent d'elle en meme temps. Un ingenieur se presente au bon moment pour mettre fin a cette rivalite et il epouse la jeune personne. Mais quelques mal- heurs ayant fait autour d'eux place nette, le mecanicien — qui entre temps est devenu aveugle — retrouve la jeune personne qui l'aidera a achever une vie que la fatality les a empeches de faire ensemble. Ce drame — la rivalite du pere et du fils — aux p^ripeties quelque peu arbitrages auxquelles se sont deja complu tant d'ecrivains, O. Feuillet, A. Dumas fils, H. Bataille) ou d'un scenario original : la Lucrece Borgia que Leopold Marchand imagina pour Edwige Feuillere, semblent bien prouver — et le Beethoven qu'il rdalisa a la mime dpoque sur un scenario de lui vient renforcer cette opinion — qu'il ne travaille a son aise que s'il n'a pas d' autre collaborates que lui-rnSme. ABEL GANCE 327 se double d'un autre drame plus original encore que presque aussi arbitraire et plus cin£matographique : celui de 1'homme qui pcrd l'usage du sens qui lui est precis^ment indispensable pour exercer son metier : le m£canicien qui devient aveugle comme Beethoven devient sourd. C'est de ce drame a la fois professionnel et humain et de tout ce qui a trait au metier de son heros qu'Abel Gance a tire le meilleur de son film, tout ce qui donne a ce film son originalite, sa valeur et lui permettra d'exercer une influence profonde et durable sur revolution de l'art cin^matographique. Pour ext£rioriser la vie professionnelle de son heros, la vie du milieu ou il se meut, le drame dans lequel il se debat et auquel restent meles les etres et les choses parmi lesquels il accomplit les gestes quotidiens qui lui permettent de gagner sa vie, car un m£ca- nicien de grande ligne n'est pas un homme du monde, selon la formule de Paul Bourget, disposant de loisirs qui lui permettent d'analyser ses sentiments et de penser a ses affaires de cceur, Abel Gance a imagine une technique absolument nouvelle qui lui permet de meler les objets inanim£s a la vie affective des hommes : decoupage de certaines de ses scenes en une infinite* d'images et montage de ces images selon un rythme savamment combine et d'une souplesse que Ton est tente de qualifier d'instinctive, de maniere a donner non seulement l'impression de la vitesse et de la simultaneity d'actions differentes et de sensations eprou- vees par des personnages differents, mais encore l'impression d'un poeme aux rythmes artistiquement entrelaces, aux leit-motive ingenieusement ramen^s, aux harmonies savantes adroitement utilisees (1). L'innovation etait aussi hardie qu'heureuse et le cinema n'en avait pas encore connu qui repondit mieux a ses possibilites car c'etait le mouvement qui etait a l'origine et a la base de cette innovation qui a fait dire a Germaine Dulac : « L'ere de l'impressionnisme commencait, ramenant au mouvement pari e rythme, cherchant a creer l'emotion par la sensation... Dans La Roue la psychologie" devenait d£pendante d'une cadence. Les person- nages n'etaient plus les seuls facteurs importants de l'ceuvre, mais la longueur des images, leur opposition, leur accord tenaient un r61e primordial a cote d'eux. Rails, locomotives, chaudiere, roues, mano- metre, fumee, tunnels : un drame nouveau, brutal, compose d'une (1) Void ce qu'a ce propos icvivait Canudo : « En rialite La Roue est un film double. L'un tvop sentimental et affaibli par des developpements romanesques et des incidents comiques d'une puerilite deroutante et du plus deplorable effet. L' autre, une « suite rythmique » de I'acier anime par Vhomme rayonnant, une sensibilitd irresistible qui centuple celle de V homme et oriente le cinema vers les votes imperieusement nouvelles, dtr anger es a la litterature, a la peinture et mime a la musique. » f« U Usine aux Images » p. 128. Chiron Edit. Paris 1927.) 328 HISTOIRE DU CINEMA juxtaposition de mouvements bruts, de deroulements de lignes se trans- formant, se developpant en une courbe logique et sensible surgissait. La conception de l'art du mouvement rationnellement compris repre- nait ses droits, nous conduisant magninquement vers la symphonie visuelle placee hors des formules connues (i). » C'est aussi « le rythme avec ses premiers essais de mesure cinegra- phique » que Leon Moussinac regarde comme le merite essentiel et le plus original de La Roue lorsqu'il ecrit : « Je n'estime certes pas que de cette matiere si riche, si mobile, si profonde, Abel Gance ait use avec la perfection que nous sentons possible, mais il est le premier a en avoir asservi la richesse dans le desordre (2), la mobilite, la profondeur, pour tout dire, la beaute originale. C'est un point de depart pour des reali- sations prodigieusement modernes et a l'echelle de ce temps enfin. Plastique emouvante du sentiment qui s'exprime au dela de la raison mecanique, dans le jeu des fumees et des bielles (3). » . De son cote, Jean Epstein qui pense que « l'aspect photogenique d'un objet est une resultante de ses variations dans l'espace-temps », estime qu'avec « ces courses de roues », Abel Gance « notre maitre actuel a tous » a compose « les phrases les plus classiques actuellement ecrites en langage cinematographique » parce que « ce sont la les images ou les variations, sinon simultanees, du moins concourantes des dimensions espace-temps jouent le role le mieux dessine (4). » Une innovation aussi hardie, d'un caractere aussi nettement cine- matographique ne pouvait etre accueillie comme elle le meritait par un public qui allait chaque semaine s'asseoir devant les ecrans mais qui n'aimait pas assez le cinema et surtout le connaissait trop mal pour accepter ce qui venait le troubler dans ses petites habitudes. La Roue dechaina done des tempetes non seulement parmi la clientele ordinaire des salles publiques mais encore parmi les professionals qu'une audace (1) Germaine Dulac : notes inedites. (2) « J'aime ce magnifique desordre ordonne et j' admire Abel Gance quand il se dellvre et se livre ainsi en bloc, torche projetee qui brule, flamme de desastre et qui aussi eclaire et loin ! Chaque fois qu'il a essaye d'une dis- cipline, qu'il s'est limite, qu'il a ecoute les voix de la sagesse, Gance s'est appauvri... II faut accepter ou rejeter Gance en bloc ! » (Leon Moussinac : « Naissance du cinema ». /. Povolozky Edit. Paris 1923). C'est aussi V opinion d' Abel Gance, lui-mSme qui, pendant qu'il tournait Napoleon, disait a un ami : « II faut me prendre tel que je suis, avec tous mes defauts et avec mes qualites, si j' en ai I » (3) Leon Moussinac : « Naissance du Cinema ». (J. Povolozky Edit. Paris 1925). (4) Jean Epstein : « Le cinematographs vu de V Etna ». (Les Ecrivains reunis, Edit. Paris, 1926.) ABEL GANCE 329 aussi comprehensive desorientait et quelques-uns de ceux qui- assis- taient a la « presentation corporative » du film au Gaumont-Palace se souviennent encore de l'indignation qui soulevait certains invites — metteurs en scene, producteurs, acteurs — plus ou moins specialises dans l'adaptation de tout repos des melodrames et des vaudevilles les plus ecules, qui criaient au scandale, estimant qu'Abel Gance se moquait du monde parce qu'il etait plus hardi, plus intelligent qu'eux, plus amoureux de son art et plus conscient des ressources de son metier. Quelques mois plus tard, ces memes hommes, mettant a profit les trouvailles et les procedes mis au point par l'auteur de La Roue, se livraient tant bien que mal aux virtuosites du « montage rapide » et Ton ne saurait citer les titres de tous les films ou Ton pourrait retrouver des imitations plus ou moins heureuses de ces passages de La Roue dont les images de plus en plus breves et montees sur un rythme de plus en plus serre, haletant, donnent aux spectateurs l'impression d'etre dans un train, emporte par une course de plus en plus rapide que rien ne pourra arreter et qui doit fatalement aboutir a la catas- trophe. Ces passages qu'accompagnait un admirable commentaire musi- cal d'Arthur Honegger (1) sont devenus classiques et il n'est pas un amateur de cinema qui ne parle avec enthousiasme de « La Chanson du Rail » et de la « Chanson de la Roue » meme quand il ne les a jamais vus. Tout cela : rythme, montage rapide, commentaire musical, sym- bolisme facile — le premier titre choisi par Abel Gance pour son film etait La Rose du Rail — ne meritait evidemment pas seulement des eloges sans restrictions et Ton pourrait et fort justement parler de desordre (2), d'abus de litterature et Ton ne s'en priva pas, mais c'est Leon Moussinac qui a raison lorsqu'il remarque que tout cela est « la rancon de quelque chose a quoi nous devons, dans des lueurs eblouis- santes, quelques coups d'admiration. Ce n'est pas moi qui oserai recla- mer jamais davantage, a l'heure presente, d'un precurseur. II nous importe peu qu'on se trompe, il nous sufnt qu'on ose. II me sufnt qu'Abel Gance ait affirme dans La Roue, un certain nombre de fois, (1) Ces pages ont connu le plus grand succes non seulement aupres des amateurs de musique qui se trouvaient parmi les amateurs de cinema, mais encore dans le monde musical. Elles sont souvent executees dans les grands concerts sous le titre : « Pacific 231 ». (2) Dans une conference « Pour une Avant- Garde nouvelle » qu'il fit au Vieux-Colombier le 14 decembre 1924, Jean Epstein s'eleva contre tant limitation desordonnee : « Aujourd'hui on abuse du montage rapide j usque dans les documentaires : chaque drame possede une scene montee par petits bouts quand ce n'est pas deux ou trois... C'est trop tard ; ce n'est plus inte- ressant ; c'est un peu ridicule. » (Jean Epstein : a Le cinematographe vu de I'Etna ». Les Ecrivains reunis » Edit. Paris 1926.) 33Q HISTOIRE DU CINEMA avec une puissance exacte, des v£rit£s qui £tourdissent moins qu'elles n'^clairent, ce qui est mieux, puisqu'il s'agit d'un art en formation (i).» Un film comme celui-la, par son melange de realisme, de roman- tisme exaspeVe* et d'un lyrisme purement cin6matographique entiere- ment nouveau, avait besoin d'acteurs de grand talent. Abel Gance qui, attachant la plus grande importance a Interpretation de ses ceuvres, a toujours su trouver les acteurs les mieux faits pour les roles qu'il leur destinait et tirer de ces acteurs le maximum, eut ici avec Ivy Close, comedienne anglaise inconnue en France, aussi charmante en jeune femme qu'en toute jeune fille, Gabriel de Gravone, Pierre Magnier, Terof et surtout avec Severin-Mars de veritables collaborateurs capa- bles de le comprendre et de se consacrer de tout leur cceur a leur tache difficile. Severin-Mars qui s'etait deja fait remarquer dans La ioe Sym- phonie, Un cceur magnifique et J' Accuse ! comme un artiste de grande classe se pliant avec autant d'intelligence aux exigences du cinema — qu'il aimait et comprenait — qu'a celles de la scene, d£ploya dans son personnage complexe et douloureux de mecanicien dechir6 entre deux passions imperieuses, un talent extremement personnel qui, particulierement dans la derniere partie du film, atteint a une sorte de genie qui le fit comparer an Mounet-Sully d'CEdipe Roi. Severin- Mars £tait vraiment l'acteur le mieux fait pour s'adapter au lyrisme qu'Abel Gance venait de creer. « Napoleon » : paroxysme d'une carriere De ce lyrisme Abel Gance allait donner de nouvelles preuves dans le Napoleon qu'il presenta en 1927 apres quatre longues ann6es de preparation et de travail (2). Ce film qui englobe l'enfance et les debuts du jeune Bonaparte, la revelation de son genie militaire au siege de Toulon, la formation de son genie constructeur et organisateur a travers les episodes de la Revolution auxquels il est mele, sa passion pour Josephine et le d£but de la premiere campagne d'ltalie, n'etait dans l'esprit de son auteur que la premiere partie d'une ceuvre beaucoup plus considerable qui se serait etendue sur toute la carriere et sur toute l'ceuvre du Consul et de l'Empereur et qui n'aurait pris fin qu'avec la mort du heros vaincu mais grandi par son exil sur le sinistre rocher de Sainte-Helene (3) (1) Leon Moussinac : « Naissance du cinema » (J. Povolozky, Edit. Paris 1925). (2) Napoleon fut present^ a V Optra, le jeudi 7 avril 1927. (3) A plusieurs reprises, Gance crut qu'il allait pouvoir rdaliser son ceuvre dans toute son ampleur, mais il en fut toujours empeche, ceux a qui ABEL GANCE 331 Gance continuait a voir grand et s'il avait £te la Delluc aurait 6te* con- tent et fier. L'auteur de La Roue n'avait d'aiileurs pas cach6 ses inten- tions puisque, a l'heure 011 il allait presenter son film, il 6crivait, sous e titre : « Comment j'ai vu Napoleon » ces lignes qui peuvent aussi bien £tre qualifiers de t^meraires que de courageuses : « Napoleon c'est Promethee. II ne s'agit pas ici de morale ni de politique mais d'art. Quelle existence, des lors, fut plus tragique que celle de l'homme qui ecrivit cette phrase : « Toute ma vie, j'ai tout « sacrifie, tranquillite, interet, bonheur a ma destinee. » Ce n'est done pas pour realiser un « film historique » banal que j'ai tente de ressusciter dans le langage des images la prodigieuse figure de celui qui se pro- clama lui-meme une parcelle de rocher lance dans l'espace mais parce que Napoleon est un abrege du monde. Mes premieres recherches se porterent vers le choix d'un style cinematographique susceptible d'atteindre un tel but. J'avais pense, depuis La Roue, que Ton pourrait tou jours emouvoir en dehors de la signification dramatique des images. De la, necessite de nouveaux apports techniques de prise de vues pour assouplir le style cinematographique... Ma tendance generate dans Napoleon a ete celle-ci : faire du spectateur un acteur, le meler a Taction, l'emporter dans le rythme des images... Napoleon c'est le conflit perpetuel entre le grand revolutionnaire qui voulait la Revolution dans la paix et faisait la guerre dans l'espoir d'etablir une paix definitive... C'est un etre dont les bras ne sont pas assez grands pour serrer quel- que chose de plus grand que lui : la Revolution. Napoleon est un paro- xysme dans son £poque, laquelle est un paroxysme dans le Temps. Et le cinema, pour moi, est le paroxysme de la vie. » Ces lignes sont £galement revelatrices des intentions de leur auteur touchant particulierement Napoleon, que de sa psychologie : « Prom£- th£e », « rocher lance dans l'espace », « Revolution, paroxysme dans le Temps », ces mots, ces expressions qui d'un autre merit eraient de faire sourire, c'est tout naturellement qu'ils viennent sous la plume d'Abel il s'adressait dtant effvaye's par les dimensions de V entreprise qui depassaieni de beaucoup celles des plus importantes affaires cinematographiques con- nues et plus encore peut-itre par tous les bruits qui couraient sur le prix qu' avait coute la realisation de la premihe partie et sur le deficit qu' avait laissi V exploitation de celle-ci, bruits qu'ils ne cherchaient mime pas a eontroler et qui d'aiileurs ne correspondaient pas a la vevite. Gance alia chercher a I Stranger les concours qu'il ne pouvait trouver en France et un projet de collaboration franco-russe fut, entre autres, elabore qui aurait permis la realisation de toute la partie centrale de Vceuvre, des debuts de V Empire a la retraite de Russie. Mais au dernier moment, le projet fut abandonne. Finalement, il n'y eut que la derniere partie du scenario — ■ exil et mort a Sainte-HeUne — qui put Hre realisee, malheureusement pas en France, mais a Berlin par Lupu-Pick. 332 HISTOIRE DU CINfiMA Gance, c'est quand il les prononce qu'il est lui-meme et il faut le prendre tel qu'il est. Quant au « cinema, paroxysme de la vie », il faudrait avoir constamment cette formule presente a l'esprit quand on parle d'Abel Gance, car elle est le secret de son art. « Si les films historiques sont toujours si grossiers, a ecrit Rene Schwob dans « Une Melodie Silencieuse » et precisement a propos de Napoleon, c'est qu'ils ne savent pas s'elever au-dessus de l'anecdote. Et pourtant il est clair qu'un film historique doit atteindre a une perfection plus haute puisque, a l'invention personnelle d'une intrigue s'ajoute la collaboration de la realite meme sur le plan ou le visible et Tin visible, se rejoignant, se substituent dans une intime reciprocity (i). » S'il avait connu ces lignes a l'epoque ou il commencait a songer a Napoleon, Abel Gance y aurait certainement trouve l'expression de sa pensee et le but de son ambition car il est bien evident qu'il n'a pas voulu faire ce qu'il est convenu d'appeler « un film historique ». II n'en a pas moins documente son scenario beaucoup plus serieusement que la plupart de ceux qui se sont attaches a trouver, tout au long de sa carriere, des arguments pour justifier leur severite l'ont cru ou ont affecte de le croire (2) et ce scenario ne laisse dans l'ombre rien de ce (1) Rene Schwob : « Une melodie silencieuse » (Grasset Edit. Paris 1929.) (2) De ce point de vue, un des plus severes parce que d'une bonne foi insoupconnable fut Leon Moussinac qui, apres avoir declare que Napoleon est faux d'abord, dangereux ensuite et reclame notre condamnation sans oyppel » precisait ainsi sa pensee : « Le cineaste a pris ici toute la respon- sabilite du sujet en annoncant « Napoleon vu par Abel Gance ». Nous le rendons done seul responsable d'un scenario qui nous restitue sous un Bonaparte de pure fantaisie, surgi d'une Revolution francaise constam- ment fausse au point de vue historique et mime au point de vue purement bourgeois, inacceptable... Napoleon s'adresse aux masses. Les masses y ont couru a cause du titre, a cause d'Abel Gance, a cause de la publicite. Or je defie ces masses de ne pas itre convaincues, d' apres le film que la Revolution frangaise, dont les mots d'ordre servent encore de gargarisme quotidien aux democrates, n'a fait que detruire tout ce qui avait ete fait « de bien » sous V and en regime, qu' elle n'a fait qu'assassiner des poetes, des savants, des innocents magnanimes, qu' elle fut conduite par des detraques, des maniaques et des fous et que Napoleon Bonaparte est heureusement survenu pour tout remettre en ordre selon les bonnes lois de la discipline, de I'autorite et de la patrie, pour tout dire de la dictature militaire. Voila le fait dont on peut estimer les consequences a la valeur mime des images qui servent a I'expri- mer. On devine une bibliothtque mal lue, des textes peu assimiles, des details demesurement grossis par pur besoin liiteraire, une absence de methode scientifique dans la preparation, V organisation de V oeuvre, un sujet jamais domine. Une sorte de synthese seule etait possible, grace a un choix precis des elements et des materiaux fournis par I'Histoire (Voir La Fin de Saint- P6tersbourg de Poudovkine et Octobre d' Eisentein, traitant de la Revo- ABEL GANCE 333 qui peut expliquer le personnage du futur empereur mais il enleve a cette documentation sa secheresse et sa froideur en en faisant une trans- position lyrique a laquelle on ne peut serieusement rien reprocher qu'une tendance a un symbolisme facile dont la manifestation la plus importante est la creation de deux personnages — un masculin et un feminin — a la fois artificiels et conventionnels qui n'ont d'autre raison d'etre que de symboliser bien banalement l'amour du petit peuple de France pour celui qui incarne ses esperances. Cette reserve faite quant au « fond » de l'ceuvre, il n'est personne qui n'ait senti la nouveaute, la hardiesse, la beaute de la forme et meme qui ne se soit incline devant elle (1). lution russe de igiy), sans sombrer dans le lyrisme romantique et sentimen- tal des correspondances plus ou moins secretes et des ragots anecdotiques. Ainsi le sens aurait surgi sans equivoque. Ainsi V unite d' expression qui fait completement defaut a Napoleon eut ete realisee. » Et Moussinac conclut en disant que « le fond » m&me de Napoleon « appelle notre revolte et aide notre condamnation sans reserve ». (Leon Moussinac : « Panoramique du Cinema », pp. 54 et suivantes. Editions a Au Sans Pareilv, Paris ig2g.) (1) Bardeche et Brasillach qui ne cessent jamais d' 'Stre fort severes pour Abel Gance reconnaissent que cette forme nous a valu « quelques instants qui sont par mi les plus beaux du cinema universel ». (Bardeche et Brasil- lach : « Histoire du Cinema », p. 243. Denoel et Steele, Edit. Paris 1935) . Quant a Leon Moussinac, apres avoir reconnu qu'en depit des « erveurs de principe » il y a a tirer profit de V ceuvre de Gance « pour notre initiation cinematographique, en raison des apports techniques considerables et des beautes essentiellement cinegraphiques qu' elle contient et qui ddpassent de beaucoup ce qu'on trouve d' ordinaire dans les meilleures productions mon- diales : apports et beautes qui contribuent au perfectionnement de V instru- ment original et le preparent a ses hautes tdches futures », il ajoute : « Qu'on ne vienne pas dire que ces apports, ces procedes, cette science sont inutiles puisque mis au service d'une idee fausse et danger euse. lis sont utiles puis- qu'ils restent et constituent une etape dans les progres de la cinematogra- phic, puisqu'ils enrichissent la matiere nouvelle, puisqu'ils perfectionnent I' instrument. Je veux dire par exemple, que si les images du Cuirasse Po- temkine qui est actuellement le chef-d' ceuvre du genre, avaient ete realisees en fonction des procedes techniques nouveaux que Gance a introduits dans Napoleon, la puissance de rayonnement du film d'Eisenstein eut, peut-itre, ete accrue. L' expression d'une image animee gagne singulierement en force lorsque sa valeur plastique est realisee avec le maximum de perfection, lorsque le rythme qui I'anime ou dans lequel elle est comprise est fixe par une technique approfondie. » Et, apres avoir fait au passage cette constata- tion : « On peut affirmer qu'il n'y a pas dans Napoleon un seul passage sans originalite technique », il conclut : « Au point de vue cindmatographique, Napoleon, mauvais film parce que suite d 'images, a ete I' occasion pour 334 HISTOIRE DU CINfiMA Innovations techniques C'est qu'Abel Gance a mis au service de Napoleon une technique s'appuyant souvent sur des procedes nouveaux et portee a son point de perfection, quand elle n'est pas renouvel£e, qui lui a permis, au moins en trois passages importants de son film de rendre perceptible au plus insensible le lyrisme qu'il portait en lui. Ces trois passages sont ceux de la double tempete sur mer et a la Convention, de la bataille de boules de neige a Brienne et de 1'entree de l'armee en Italic Peut-etre peut-on dire que « la double tempete » n'est que l'exploi- tation de « la Chanson du Rail », mais « le montage rapide » s'accom- pagne ici de « surimpressions » d'un symbolisme sans doute superflu mais qui en soulignent singulierement la virtuosite, cette virtuosity etant la consequence d'une de ces initiatives hardies dont Abel Gance a toujours eu le secret et qui a consiste a arracher l'appareil de prise de vues au support fixe qui le clouait au sol, lui donnant ainsi la mobilite dont Tobjectif avait besoin pour traduire tous les mouvements de la vie. Fixe sur une plate-forme qu'animait un mouvement de pendule, l'appareil se balancant au-dessus des bancs de la Convention avait reussi a donner aux images qu'il enregistrait le mouvement de va-et- vient correspondant a celui des vagues. Dans la bataille de boules de neige a laquelle les eleves de l'ecole de Brienne se livrent sous le com- mandement de leur jeune camarade faisant ainsi son apprentissage de l'art de la guerre, l'audace avait £te" port6e encore plus loin et la mobilite de l'appareil de prise de vues encore accrue, cet appareil £tant fixe par des courroies sur la poitrine d'un operateur, ce lui lui permet- tait d'intervenir dans la melee comme un simple combattant dont il avait la mobilite, la nervosite. Ayant eu cette id£e, Abel Gance, on doit le remarquer, en abusa peut-etre quelque peu, ne laissant d'un bout a l'autre de son film £chapper aucune occasion de donner a son appareil la liberte dont il avait jusqu'alors He prive et de nous prouver, de meme coup, que de cette liberte il savait faire le meilleur usage, allant jusqu'a le fixer sur la selle d'un cheval pour une de ces poursuites qui 6taient alors plus que jamais un morceau de bravoure a la seduction duquel un cineaste, si grand qu'il fut, etait incapable de register, ce qui Abel Gance de mettre en jeu des qualites originates qui ont abouti a unenri- chissement de la matiere photo genique, en somme a un progrds incontes- table : une date dans I'histoire du developpement technique du cindmato- graphe. » (Leon Moussinac : « Panoramique du cindma », pages 54 et suivantes. Editions « Au Sans Pareil », Paris 1929.) ABEL GANCE 335 eut parfois pour r6sultat des images chaotiques qui ne sont pas un effet de l'art ; en voulant servir le lyrisme qui le possede Gance retombe dans ce realisme auquel il a decide une fois pour toutes de tourner le dos. Pour l'entree en Italie ce n'est pas de son immobility qu'Abel Gance a lib£re son appareil enregistreur, mais de ses dimensions res- treintes, etablies une fois pour toutes, qu'il a voulu delivrer l'ecran sur lequel devaient etre projetees les scenes grandioses auxquelles il s'etait efforce de donner la vie. Pour cela, il imagina « le triple ecran », c'est- a-dire qu'a droite et a gauche de l'6cran ordinaire il installa deux ecrans de dimensions 6gales ce qui mettait a sa disposition trois surfaces blanches semblables sur chacune desquelles, en utilisant un proc^de" commandant trois appareils rigoureusement synchrones, il pouvait projeter soit trois fois la meme image, soit trois images diffeVentes qui se completaient pour former une sorte de fresque ou encore trois images differentes (1 + 1 + 1 ou 1 -f 2) dont l'une prenait du fait de ses deux voisines une valeur et meme un sens autres ou plus complets que ceux qu'elle aurait eus si elle avait 6te projet6e seule. II suffit d'avoir vu l'effet produit par les images de l'entree de l'arm^e en Italie — les colonnes de soldats d6filant sur les deux Ecrans lateYaux pendant que l'£cran central etait occupe" par une carte de 1' Europe sur lequel venaient se superposer en double surimpression une silhouette de Bonaparte et en « gros plan » un visage 6nigmatique de Josephine — pour comprendre ce que « le triple 6cran » apportait a l'art cinemato- graphique, quels moyens renforc^s et elargis d'expression il mettait a sa disposition, quelles facilites il lui procurait pour s'eVader du realisme et l'orienter vers ce « Symbolisme de plus en plus suggestif des graces h6ritees de l'art et surtout significatif de la pensee tragique des choses » auquel Abel Gance aspirait non mo ins ardemment que Marcel L'Herbier. Parlant du « triple £cran », Abel Gance qui n'a jamais craint de s'expliquer au risque de fournir des arguments a ses adversaires et a ses detracteurs systematiques, a dit : « Je me suis servi du « triple ecran » en y combinant trois expressions : physiologique, cer£brale et affec- tive. Je demande un effort de comprehension et de fusion de ces trois elements a la meme seconde, que dis-je ? au seizieme de seconde et j'ai pu constater que si l'un de ces elements me quitte, les deux autres m'abandonnent aussitot. Que les cceurs, les esprits et les yeuxrestent ouverts au moins a l'indulgence ! » Cette innovation n'etait 6videmment pas sans defauts et elle en presentait au moins deux de nature tres diff^rente (1) : son utilisation (1) Sans parler d'un troisUme que Rene Schowb a SM le seul a signaler . « Le triple ecran est encore susceptible d'evoluer bien ou mat. Et son impre- visible inclination en faveur de tel developpement ou de tel autre, fait qu'on 336 HISTOIRE DU CINEMA ne pouvait aller sans des frais eleves que les grands etablissements pou- vaient seuls assumer et, ce qui etait plus grave, incapables d'embrasser d'un seul regard les trois ecrans, les spectateurs se trouvaient condam- nes a une sorte de lecture de gauche a droite ou de droite a gauche exi- geant d'eux un effort analogue a celui qu'ils sont forces de fournir aujourd'hui lorsque, assistant a la projection d'un film parlant « sous- titre », ils doivent successivement regarder l'image puis lire le texte imprime dans la partie inferieure de celle-ci et cela le plus rapidement possible, talonnes par la crainte de n'avoir pas termine cette double operation au moment ou image et texte disparaitront, remplaces par une image nouvelle et la suite du dialogue. Mais ce dernier inconve- nient aurait bien certainement perdu de son importance avec l'accou- tumance et il n'est pas interdit de supposer que Ton aurait sans doute trouve assez facilement, pour peu qu'on l'eut voulu, le moyen de rendre plus pratique et surtout moins couteux l'usage du « triple ecran », si bien que Ton est en droit de regretter qu'a cette innovation d'une im- portance indiscutable, aucun auteur de films n'ait eu recours apres Abel Gance, au moins pour certaines ceuvres exceptionnelles. Le grand ecran dont on se sert maintenant communement ne permet qu'un agrandis- sement de l'image sans aucun des effets faciles au « triple ecran ». Mais ce n'est pas seulement quand il a recours a des moyens exceptionnels comme « le triple ecran » que Gance, dans Napoleon, se laisse aller a son lyrisme et il y a, tout au long du film, des scenes ou, sans autre recours a la technique que quelques discretes « surimpres- sions », il est arrive a donner une impression de grandeur assez rare au cinema et, mieux encore, a doter les spectateurs d'une ame collective liberee de leurs mesquines preoccupations quotidiennes, telle, par exem- ple, la scene ou, avant de partir pour prendre le commandement de l'armee d'ltalie, Bonaparte vient, un soir se recueillir dans la salle deserte de la Convention ou l'accueillent les ombres de ceux qui ont fait la Republique et qui sont morts pour qu'elle vive. Telle encore s'abandonne a sa presente ambiguite comme a un plaisir assez trouble. Deja, il nous offre une vue plus haute d'apparences plus vastes, mais pres- que en mime temps, negligeant V esprit, multiplie la sottise ordinaire par trois. » Mais il voyait tres nettement les possibilites — les devoirs — du nouveau procede quand il ajoutait : « U ecran agrandi ne doit pas seulement agrandir le decor, mais dessiner des rythmes soustraits au champ habituel de la vision. II doit permettre a I' esprit de dominer les mouvements una- nimes qui jusqu'a present lui echappaient. » Mais c' est evidemment au « triple 4cr an » qu'il pensait quand, ayant revu le film, il constatait qu' Abel Gance « au lieu de dechainer une symphonie » se plait a detailler des pano- ramas. » (Rene Schwob : « Une milodie silencieuse ». Grasset Edit. Paris 1929.) 93- Une scene du Voyage Imaginaire, de Ren6 Clair. 94. Ren6 Clair. 5. Une scene de Paris qui dort avec Pre fils, Madeleine Rodrigue, Stacquet, Albert Prejean, Henri Rollan et Charles Martinelli. • itaient mieux qu'une Princesse aux clowns ou une Yasmina. 460 HISTOIRE DU CINEMA Genevieve Felix et Gaby Morlay Non loin d'une part d'Huguette Duflos par sa blondeur pourtant moins lumineuse et plus frele et d'autre part de Suzanne Grandais par sa gentillesse populaire, Genevieve F61ix qui, apres d'enviables succes dans des personnages simples (Micheline, Miss Rovel, La Ferme du Choquart) fut, un jour, « la Dame de Monsoreau » sous la direction de Rene Le Somptier et qui, elle non plus, n'eut jamais la chance de tra- vailler sous la direction d'un homme de veritable valeur cinematogra- phique. Tres proche aussi de Suzanne Grandais, du moins par l'emploi vers lequel on l'orienta a ses debuts, Gaby Morlay (i) qui, accomplissant heureusement une evolution analogue a celle qu'elle accomplissait au theatre, se manifesta bientot dans des roles moins super ficiels. Mais si interessantes que soient ces manifestations d'un talent tres personnel — la meilleure etant celle qu'elle fit dans Faubourg Montmartre que Char- les Burguet tira du roman d'Henri Duvernois — Gaby Morlay ne sera vraiment une vedette que dans le cinema parlant. Nous l'y retrouverons ainsi que Francoise Rosay dont il convient pourtant de ne pas avoir l'air d'oublier les creations qu'elle fit dans Gribiche de Jacques Feyder et dans Les Deux Timides de Rene Clair et qui laissent clairement pres- sentir l'importance qu'elle prendra a son retour d' Hollywood ou en 1928 elle accompagna Feyder (2). C'est aussi dans le rayon des ingenues — jeunes premieres comme Suzanne Grandais, Huguette Duflos et Genevieve Felix — qu'il faut ranger Sandra Milovanoff, vedette tour a tour de Louis Feuillade, Jacques de Baroncelli et Rene Clair, qui, malgre ses remarquables interpretations, disparut avec le cinema muet et Louise Lagrange qui montra de charmantes qualites de sensibilite dans Le Torrent et dans La Femme nue mais qui, partageant sa carriere entre la France et les Etats-Unis, fit figure de vedette franco-americaine sans s'etre vraiment imposee par des creations indiscutables (3). (1) D&s ses debuts Gaby Morlay avait eti traitie en vedette et par mi ses premiers films on en trouve qui sont tout simplement intituUs : Pour £pouser Gaby (1917) et Le Chevalier de Gaby (ig2o). (2) C'est aussi dans le cinema parlant que I' on retrouvera Germaine Dermoz qui merite pourtant' d' Hre classde parmi les meilleures artistes du cinema muet en France pour sa remarquable interpretation de La Souriante Madame Beudet. (3) Soulignant la faveur dont cette artiste jouissait, une grande consul- tation populaire organisee par I ' Union des A rtistes la nomma « Princesse LES VEDETTES 461 Raquel Meller Raquel Meller, elle, n'6tait pas une ingenue, en depit de ses preten- tions. (1) C'est a l'Olympia 011, patronnee par l'ecrivain espagnol Gomez Carrillo et les amis que celui-ci comptait dans la presse parisienne, elle avait tres rapidement conquis le public francais avec ses chants du folklore iberique qu'Henry-Roussell, qui venait de perdre la collabora- tion d'Emmy Lynn, l'avait d^couverte. Frappe par son beau visage pale, ses grands yeux tour a tour languissants et fievreux, par la puis- sance d'expression de sa sobre mimique, il lui avait offert un role fait exactement a la mesure du talent qu'il avait immediatement devine en elle et c'avait ete Les Opprimes (1923). Du jour au lendemain, Raquel Meller fut portee au premier rang des vedettes de l'ecran francais. Violettes Imperiales, moins d'un an plus tard, ne fit que confirmer cette promotion : grace pudique, elans populaires, passion contenue, aisance a se mouvoir sous les costumes les plus divers et surtout mystere du regard derriere lequel chaque spectateur peut a sa guise decouvrir ce dont il reve personnellement, Raquel Meller avait tout ce qu'il fallait pour conquerir la faveur des publics les plus divers et nombreux etaient ceux qui avaient l'impression qu'Henry-Roussell venait avec cette Espagnole de donner au cinema francais la grande vedette qu'il cher- chait. La Terre promise (1924) mit une sourdine a cet enthousiasme. L'effet de surprise que Ton avait eprouve avec Les Opprimes, et qui s'etait prolonge avec Violettes Imperiales avait-il disparu ? Le person- nage de jeune Juive polonaise qu'Henry-Roussell lui avait con fie dans ce nouveau film lui convenait-il moins bien que ceux, nettement espa- gnols, qu'elle avait eu a faire vivre dans les deux premiers ? Etait-ce la presence de sa sceur a ses cotes dans un role, n^cessairement moins sympathique, mais presque aussi important que le sien qui lui faisait tort ? Tout cela reuni sans doute. Mais ce qui etait certain, c'est que Ton ne subissait plus sans le discuter le charme de la creatrice de « la Violettera ». La verite etait tout simplement que, grisee par l'encens que brulait constamment sous son nez la petite cour dont elle aimait a s'entourer et s'exagerant la force qu'elle representait, elle s'etait moins du cinima frangais » en ig2g en meme temps que son beau-frere, Pierre Blanchar en Halt ilu le prince. (1) Void sur ce point V opinion de Jacques Feyder : « Tres pieuse et fdrue de principes rigides, elle souhaitait n'incarner — a Vicran — que des heroines pures, nobles et chastes. » (« Le Cinema notre mitier » Albert Skira, Edit., Geneve, 1944.) 462 HISTOIRE DU CINEMA docilement soumise a son metteur en scene : Raquel Meller etait devenue la vedette qu'on lui disait qu'elle etait. Et comme elle n'etait en realite qu'un admirable instrument, un instrument d'une rare sen- sibilite, a partir du moment ou elle se derobait a celui qui savait en jouer, elle perdait une partie de son talent. On s'en apercut encore mieux lorsqu'elle fut tombee entre les mains de Marcel Silver (La Ronde de Nuit, 1926) et de Roger Lion (La Venenosa, 1928). Jacques Feyder, lui-meme, dans Carmen, ne parvint pas a tirer d'elle ce que Roussell en avait obtenu dans des personnages bien moins beaux et il echoua uniquement parce que leurs deux natures £taient incapables de s'en- tendre et que Raquel Meller se derobait sans le vouloir a l'autorite* de celui qui l'employait. Carmen fut un sursaut, maisce sursautn'eut pas assez de force pour donner un nouvel elan a une carriere qui avait commence" a decliner des La Terre Promise et qui peut en definitive etre consideree comme l'ceuvre du seul Henry-Roussell (1). Gina Man£s II y avait une person nalite singulierement plus forte en Gina Manes. A propos de Cceur Fidele, de Napoleon et de The'rese Raquin, nous avons deja dit quelques mots de cette actrice et il suffit de pouvoir inscrire les titres de trois films comme ceux-la a l'actif de la meme interprete pour donner l'impression que cette interprete a quelque chose de plus que la tres grande majorite de celles que Ton pare du titre de vedettes. Nee au cceur meme de Paris, dans ce faubourg Saint-Antoine, berceau de tous les reves ambitieux, foyer de toutes les revoltes gene- reuses de la grande ville, Gina Manes a passe quelques mois de sa jeu- nesse en Corse, juste le temps qu'il fallait pour preciser tout ce qu'il y avait deja en elle d'ardeur et de besoin de liberte. Puis il lui avait fallu se debrouiller dans la vie et elle s'etait hardiment jetee dans les compli- cations que connaissent toutes celles qui se refusent a mettre leurs pas dans les traces des pas de leurs parents. Theatre : petits roles au Palais- Royal, aux Capucines. Maladie. Convalescence dans le Midi. Rencontre avec Rene Navarre qui l'envoie a Louis Feuillade : debuts au studio dans L'Homme sans visage. D'autres roles dans des films sans impor- tance, puis La Dame de Monsoreau et Jean Epstein qui l'a remarquee la choisit pour etre la partenaire de Leon Mathot dans L'Auberge (1) Apr as la naissance du parlant, Roussell refit une nouvelle version des Violettes Imperiales avec elle et Suzanne Bianchetti dans les roles qu'elles avaient cries. Georges Peclet remplacait Andre Roanne. LES VEDETTES 463 rouge puis dans Cceur Fidele. Des lors, Gina Manes n'arrete plus de travailler (1) mais sans retrouver le succes de Cceur Fidele jusqu'au jour ou Abel Gance qui prepare son Napoleon et n'a pu s'entendre ni avec Raquel Meller, ni avec aucune des comediennes auxquelles il avait pense pour le role de Josephine, se souvient d'elle qu'il a vue dans Cceur Fidele et la choisit. Cette fois, Gina Manes est vraiment une vedette et une vedette de la classe internationale, si bien que Jacques Feyder qui Fa, lui aussi, remarquee dans Cceur Fidele lui confle le r61e de Therese Raquin qu'il va tourner a Berlin. Ce film vaut a Gina Manes plusieurs engagements par des firmes allemandes, et pour des combi- naisons internationales — germano-suedoises ou italo-allemandes — utilisant les studios berlinois : elle est vraiment une « vedette inter- nationale » (2). On se plait a voir en Gina Manes une « femme fatale », une « vamp », la « femme fatale-type » du cinema francais. C'est une opinion un peu facile et Gina Manes, si elle est indiscutablement une « femme fatale », est aussi quelque chose de mieux et de plus complet. Et raeme lorsqu'elle est une « femme fatale », elle sait l'etre en dehors de toute convention : elle n'est pas l'incarnation, le symbole de l'esprit du mal, elle est habi- tee, possedee, persecutee par un destin plus fort que sa volonte" : elle est une victime. Therese Raquin est une victime. Mais quelle que soit la force avec laquelle elle impose un tel personnage, quelle que soit la credibility qui se degage de son interpretation, c'est Jean Guyon- Cesbron qui a raison lorsque, dans l'etude qu'il lui a consacree (3) il ecrit : « Parce qu'elle a un physique fascinant, parce qu'elle provoque un grand trouble dans le cceur et surtout dans les sens, parce qu'elle possede un « sex-appeal » comparable a celui des « vamps » les plus c61ebres, qu'elles se nomment Greta Garbo, Brigitte Helm ou Marlene Dietrich, parce que son vivant visage et la lumiere de ses yeux se pretent aux expressions les plus dures, les plus perverses ou les plus canailles, on l'a un peu prematurement fixee dans la categorie des femmes fatales et des heroines maudites. Ce n'est pas, notez-le bien, un contre-sens. Pour la simple raison qu'elle est magnifiquement et tres directement humaine et parce que sa capacite vitale est des plus intenses et la rend (1) Void les titres des films dans lesquels elle tint un role an cours de cette periode de debuts: Les six petites filles d'E. Violet; La Chiffa, Le sept de trefle, L' Homme aux trois masques de Rene Navarre. (2) Void les titres des films qu'elle fit a Berlin : Looping the loop de Robison avec W. Krauss ; Destin de femme de Robison avec R. Klein- Rogge ; Ivresse de Molander avec Lars Hanson ; S. O. S. de Carmine Gallone avec A. Nox. Voir vol. II. (3) Jean Guyon-Cesbron : Gina Manes (Collection Hollywood, Nou~ velle Librairie Francaise, Edit. Paris 1932). 464 HISTOIRE DU CINEMA propre, sans peine, aux pires aventures, elle est capable de traduire n'importe quelle verite humaine et la force de n'importe quelle passion, fut-ce les plus aff reuses... » Et Ton en arrive a cette conclusion que Gina Manes n'est une femme fatale « que dans la mesure ou toute femme vraiment femme porte en elle des instincts inquietants que seules les plus fortes ont le courage de montrer et d'assouvir. Elle les possede parce qu'elle est femme avec une richesse et une vigueur de la plus belle trempe et elle les interprete d'une facon si compromettante parce qu'elle est artiste avec toutes ses fibres de femme... Mais surtout c'est une creature prodigieusement saine et vivante, personnelle et solide, profonde sous ses airs d'independance et de gouaille, infiniment sen- sible a l'abri de sa brutalite... Gina Manes est une artiste de premier ordre et parce que ses qualites de femme et ses dons d'artiste se fondent puissamment et forment une masse a la fois tres originale et tres simple, elle est de la lignee, dans l'ordre cin^matographique, de celles que leur humanite embrasee a portees au faite de l'art dramatique. Et Ton peut attendre d'elle, si le destin la favorise et si les roles qu'elle merite lui echoient, les plus resplendissantes realisations, (i) » Le destin ne la favorisa pas. Et pourtant, elle avait franchi sans trop d'encombre le passage du muet au parlant qui fut fatal a tant de vedettes. Et Gina Manes ne fit jamais rien de mieux que Ther&se Raquin, ne s'eleva pas plus haut qu'avec Therese Raquin, mais elle laisse son nom attache a trois des ceuvres les plus importantes du cinema muet, trois ceuvres qui, sans elle, on peut bien le dire sans faire de tort a Jean Epstein, a Abel Gance non plus qu'a Jacques Feyder, n'auraient pas tout a fait et6 ce qu'elles furent. Eve Francis On ne voit pas bien de quelle autre « vedette » du cinema francais on pourrait en dire autant, s'il n'y avait Eve Francis. « Cette figure tragique, ou deferlent d'humaines passions, brille d'un eclat incomparable au ciel de la cinematographie francaise, (c'est F. Ph. Amiguet qui parle) (i). Eve Francis est la tragedienne de l'ecran ! Des qu'elle apparait sur la toile, les eclairages deviennent blafards, les choses s'assombrissent. Dans le bouge ou elle danse, une rose rouge a la bouche, les tables, les chaises, les bouteilles et les flacons du comp- toir prennent de la gueule. Aussi cree-t-elle une atmosphere pathetique. Elle tend Taction jusqu'au drame. Elle plante dans tous les cceurs (i) F. Ph. Amiguet: « Cinema / Cindma ! » (Payot Edit. Lausanne 1923)- 139- Sessue Hayakawa et Tsuru Aoki dans La Bataille d'E. E. Violet. 140. Une scene de Terreur, d'Edward Jose (a gauche: Raoul Paoli, au centre Pearl White, a droite Marcel Vibert). ';_,,;.-, ;.'."' ; |/| :: £ e § ^k. *• M f" i '• lk' ^* &*r„ ' > 141. Gloria Swans on dans une scene de Madame Sans-Gene de Leonce Perret (a sa gauche : Madeleine Guitty). 142. Max Linder dans une scene du Roi du Cirque, d'E. E. Violet. LES VEDETTES 465 l'angoisse. II lui faut done, pour qu'elle soit a l'aise, des interieurs charges d'ames et de vices. Des interieurs ou s'agitent des humanities di verses... Et maintenant le masque ! Dans cette face aux traits essen- tiellement latins, je vois tout d'abord deux yeux en amande. Je ne connais point leur couleur, mais ils doivent etre profonds, bien formes, lis doivent etonner par leur passion, par ce qu'ils expriment. Puis je vois ce front net, volontaire, lisse comme du marbre, cette bouche allongee ou la sensualite s'accroche, ce col et ces epaules harmonieuses, cette chair enfin qui fait penser a un poeme de Baudelaire. Rien de mievre chez cette artiste. Rien de mediocre, mais, au contraire, de la force, de l'originalite, de la saveur. Son jeu est petri d'intelligence. II decouvre des tresors de culture. Quand une autre vedette francaise joue, on dit : « Elle a passe par le Conservatoire... Elle a eu un prix de comedie ! » Mais quand Eve Francis joue, on ne dit rien, on la regarde se mouvoir. On admire comme la lumiere se pose sur sa robe photo- genique. On sent des choses interieures. On aime le cinema ! a II y a beaucoup de litterature dans ce portrait et de la moins bonne, mais il y a aussi, ramassee en une formule de huit mots, l'explication la plus complete, la plus precise de la personnalite et du talent de cette artiste : « Quand Eve Francis joue, on aime le cinema ». Mais a cote de ces huit mots, il y en a d'autres : « figure tragique », « tragedienne de l'ecran », « atmosphere pathetique », « chair qui fait penser a un poeme de Baudelaire », « jeu petri d'intelligence », « tresors de culture » qui fournissent une explication non moins complete, non moins precise de sa carriere et de son succes. Eve Francis fut en effet une vedette, mais elle ne le fut que pour un tres petit cercle d'amateurs de cinema, le tres petit cercle qui se mouvait autour de Louis Delluc, de Marcel L'Herbier, de Germaine Dulac, e'est-a-dire la partie la plus intellec- tuelle, la plus artiste de « l'Avant-Garde ». Pour tous les autres, e'est- a-dire pour les directeurs de maisons de production et de location de films, pour tous les directeurs de salles aussi, Eve Francis representait une sorte de phenomene dont il fallait farouchement se garder si Ton voulait mener le cinema vers ses fins naturelles qui sont de gagner de Targent. Et non content de faire aimer le cinema a ceux qui la voyaient, ce phenomene pretendait donner une lecon a tous ceux qui en vivaient ! Louis Delluc, le propre mari d'Eve Francis, n'affirmait-il pas qu'elle avait « du cinema une vision speciale qui est probablement celle qu'il faut ! (1) » Aussi Eve Francis n'apporta-t-elle la collaboration de son intelligent talent qu'aux films de Delluc, de Marcel L'Herbier et de Germaine Dulac : El Dorado, La Fete Espagnole, Le Silence, Fievre, (1) Louis Delluc : « Cinema et Cie » (Bernard Grasset, Edit. Paris 1 919). 30 466 HISTOIRE DU CINEMA La Femmc de nulle part, L'Inondation et sans doute eut-elle raison ; car la seule fois ou elle travailla dans un film dont la realisation etait soumise bien plus a des considerations d'ordre commercial qu'a des considerations d'ordre intellectuel et artistique : Antoinette Sabrier que Germaine Dulac adaptait d'apres la piece de Romain Coolus, elle ne s'y montra pas egale a. elle-meme. Mais qu'importe ! Avoir ete l'interprete ordinaire — et indispensable — de Louis Delluc, l'inter- prete aussi de La Fete Espagnole et d'El Dorado c'est-a-dire de six ceu- vres dont la moindre a sa place dans l'histoire de Tart cinematogra- phique, est pour une comedienne un lot assez beau pour que Ton n'ait pas a regretter la quarantaine dans laquelle Eve Francis a ete tenue, des annees durant, par tous les industriels et tous les commercants (i). Encore des noms A cote de ces deux noms : Gina Manes, Eve Francis, ceux de toutes les grandes coquettes et femmes fatales, de toutes les ingenues et jeunes premieres qui, un jour ou quelques saisons ont ete ou ont paru etre des vedettes parce qu'elles avaient connu la faveur non seulement du public mais des producteurs, paraissent bien pales, qu'il s'agisse de Claude Merelle (Milady des Trois Mousquetaires) ou de Gina Palerme (Margot, Froufrou), de Gina Relly (L'Empereur des Pauvres) ou d'Yvonne Sergyl (Le Miracle des Loups) et meme de Claude France et d'Arlette Marchal qui, l'une et l'autre, connurent la joie des beaux engagements a l'etran- ger. Mais la premiere mourut et la seconde cessa son effort avant d'etre devenues vraiment les vedettes qu'elles auraient pu etre si elles avaient ete aiders par une maison de production. Malheureusement, organise comme il l'etait, le cinema francais ne possedait ni les armes ni les moyens qui lui auraient permis de creer des vedettes, de les pousser, de se servir de leur talent pour sa publicite, car a l'exception de la Societe des Cine-Romans qui n'attachait pas une tres grande importance a la (i) « EvelFrancis a interprete tous les films de Louis Delluc. Et si Von prend soin de les comparer, on se redd, compte aiscment que dans chacun d'eux, elle a un masque different et des expressions differentes ... Nous n' avons pas en France, d'actrice de cinema qui puisse lui etre comparee. Ceci n' est pas un vain hommage. Si les idees de Louis Delluc doivent demeu- rer et avoir de I' influence, ce sera sans doute parce que d'autres metteurs en scene les auront adoptees et parce que des critiques les auront defendues. II serait injuste de ne pas associer a son nom I'actrice dont le visage douloureux a tant ajoute de tragique a ses films et qui a contribue a lui faire accorder pendant sa vie une part de la notoriete a laquelle, mort, il a droit. »(Daniel- Rops. Les Cahiers du Mois, 16-17, 1925)- LES VEDETTES 467 vedette, il n'y avait pas de societe de production possedant sa troupe. Les acteurs tournaient un film ici, puis ils attendaient un nouvel enga- gement qui leur permettrait d'en tourner un autre la. Comment dans ces conditions le cinema francais aurait-il eu a son service des vedettes qu'il put opposer a celles d'Hollywood ou, les acteurs etant lies par des contrats de longue duree avec les firmes qui les emploient, celles-ci n'hesitent pas a engager sur leur nom des sommes considerables qui sont la condition et le plus sur moyen de faire briller ce nom au firma- ment des « stars ». Et pourtant, ce n'etaient pas les talents qui man- quaient au cinema francais des annees 1920-1929, de Suzanne Despres et Rachel Devirys, si simplement emouvantes Tune dans L 'Ombre dechiree, l'autre dans Visages d'Enfants, a Dolly Davis (Paris en cinq jours, Le Voyage imaginaire) France Dhelia (La Sultane de V Amour, La Montee vers VAcropole) et Andree Brabant (Le Reve, Le Mariagede Mademoiselle Beulemans) trois ingenues valant bien celles d'Hollywood ; de Suzanne Bianchetti a qui son interpretation de LTmperatrice Eug6nie dans Violettes Imperiales valut d'etre specialised dans les per- sonnages de souveraines (Catherine II dans Casanova, Marie- Antoinette dans Napoleon et Cagliostro) alors qu'elle possedait des qualites d'emo- tion et de simplicite (Verdun, Visions d'Histoire) et meme de gaite (L'Heureuse Mort) qui restaient inemployees, a Myrga dont le beau temperament dramatique si bien utilise par Leon Poirier dans Jocelyn, Genevieve, La Briere, n'interessera jamais aucun autre realisateur, aucun producteur... Et Tina Meller qui reussit a sortir de l'ombre de sa sceur et afhrma tant d'ardeur passionnee dans Michel Strogoff et dans La Maison du Maltais ?... Et Marcelle Pradot : cet oiseau rare, dont Marcel L'Herbier revela la jeunesse, la purete, la distinction dans El Dorado et dans Don Juan et Faust. Et Nadia Sibirskaia, Mireille Severin, Cathe- rine Hessling qui ne purent jamais s'evader des milieux de « l'Avant- Garde » ou elles avaient fourni les plus interessantes preuves de talent ? Laquelle de celles-la n'aurait pas ete une vedette dans le sens le plus large du mot si elle avait trouve l'appui indispensable ? Et ne pourrait- on en dire autant de la brune et fine Suzy Vernon qui montra de char- mantes qualites (Le Roman d'un jeune homme pauvre) et fit un instant figure de vedette entre Paris et Berlin ; de la douce et blonde Annabella qui, apres des debuts presque sensationnels dans le Napoleon d'Abel Gance, devait devenir une vedette du cinema parlant ; de Colette Darfeuil et meme de la petite Regine Dumien qui prouva dans Petit Ange et dans Petit Ange et son pantin, que meme en ce qui concerne les enfants prodiges, le cinema francais n'avait rien a envier a son concur- rent d'outre-Atlantique. Sans parler de toutes celles qui, pour avoir debute sur les ecrans avant ou pendant la guerre, n'en meritaient ,pas moins de voir leurs noms voisiner avec ceux des Lillian Gish, Mary 468 HISTOIRE DU CINEMA Pickford, Nazimova et Mae Murray, qu'il s'agisse de Renee Sylvaire, d'Yvette Andreyor, de Simone Frevalles, de Denise Lorys, d'Andree Lyonel et de quelques autres (i). Vedettes hors serie Negligeant trop souvent ces excellents elements, metteurs en scene et producteurs se lamentaient et, pour se procurer les vedettes qui etaient indispensables au lancement de leurs films, ils allaient chercher les noms aureoles de la publicity dont ils avaient besoin partout ou ils pensaient en trouver. Et d'abord, comme a l'epoque de L'Assassinat du Due de Guise, a la Comedie-Francaise qui leur fournit de Feraudy, remarquable dans Crainquebille et dans Les deux Timides, de Max {V Ami Fritz), Jean Weber (Figaro), Jacques Guilhene, Therese Kolb qui fut notamment la partenaire de Tramel dans la serie du Bouif, M. T. Pierat qui fit une apparition sur les ecrans dans un film dirige par son camarade Andre Luguet Pour regner (1926), Madeleine Renaud (Vent-Debout, La Terre qui meurt) et Marie Bell (Paris, son premier role — lequel fut entierement coupe a la veille de la presentation — Madame Recamier) toutes deux interessantes mais qui ne s'imposerent vraiment que lorsque le cinema fut devenu parlant. Puis, quand ils eurent pros- pecte la Maison de Moliere, metteurs en scene et producteurs se tour- nerent vers l'Opera et l'Opera-Comique qui leur procurerent : Maria Kouznetzoff (Champi-Tortu), Lucienne Breval a qui Antoine confia le role de Rose Mamai dans L'Arlesienne (2), Marguerite Carre que Jacques Feyder employa, on ne voit pas tres exactement pourquoi, dans Crainquebille, Marthe Ferrare (Les Hommes nouveaux), Claudia Victrix qui regna pendant un temps sur la Societe des Cine-Romans (V Occident, La Princesse Masha, La Tentation), Georgette Leblanc que Marcel L'Herbier prefera a Eve Francis pour VInhumaine ; Lina Cavalieri 1 VI dole brisee d'apres un scenario d'A. Dieudonne) et Zina Brozia /V Affaire de Biarritz, 1919), Vanni-Marcoux qui tint avec beaucoup (1) Parmi les artistes dont les noms a cette epoque figurerent le plus souvent dans les generiques des films on peut citer : Ginette Maddie, Denise Legeay, Pierrette Madd, Gil Clary, Lucienne Legrand (vedette ordinaire des films de Donatien), Blanche Montel, Jeanne Helbling, Simone Mareuil, Francine Mussey, Regine Bouet, Monique Chryses, Violette Jyl, Germaine Fontanes, Madeleine Erickson, Henriette Delannoy, Renee Heribel, M.-L. Iribe, Elmire Vautier, Suzanne Talba, Michele Verly, Daniele Parola. (2) Sur ce film, il faut lire le reportage de Rene Benjamin : Antoine dechaine. ((Euvres libres, septembre ig2i). LES VEDETTES 469 d'autorite le role de Charles le Temeraire dans Le Miracle des Loups, Maurice Renaud dont Henry-Roussell utilisa la prestance et 1' elegance dans La Verite. Apres — et meme avant — les chanteuses ce fut le tour des danseuses : Regina Badet qui avait paru sur les ecrans des avant la guerre, Stacia de Napierkowska qui connut son plus grand succes avec VAtlantide, Marthe Lenclud qui fut, un temps, l'interprete attitree de Pierre Marodon (Le Diamant vert, Buridan), Maria Dalbaicin qui parut dans plusieurs films de la Societe des Cine-Romans (Surcouf, L'Espionne aux yeux noirs, Mylord VArsouille). Et apres la danse, le music-hall et le cirque, en commencant par Mistinguett que, des avant 1914, on avait vue dans nombre de films comiques ou melodramatiques, et par Maurice Chevalier qui, apres la guerre et grace a Diamant- Berger, remporta assez de succes (Le Mauvais garcon, Gonzague, Jim Bougne, boxeur ) pour etre appele a Hollywood. Comme Mistinguett et Chevalier, c'est du music-hall d'avant-guerre ou il etait le rival de Thales que venait Georges Wague qui connut son plus grand succes dans le Christophe Colomb de Gerard Bourgeois et participa a un essai de film en relief sans lendemain. Et aussi Yvette Guilbert qui tourna en France Les Deux Gosses et fut en Allemagne une des interpretes du Faust de Murnau ; Edmonde Guy qui parut dans L'Oublie de Germaine Dulac ; Gaby Deslys qui fut, impromptu, mise en vedette d&ns Le dieu du Hasard avec, pour partenaire, son camarade, le danseur Harry Pilcer ; la belle Fabris qu' Antoine alia chercher parmi les « femmes nues» de Marigny pour en faire « L'Arlesienne », la belle et malefique Arlesien- ne qui, sortant de l'ombre mysterieuse ou Alphonse Daudet l'avait habilement laissee, passait au premier plan du film ; Eugenie Buffet qui eut l'honneur d'etre choisie par Abel Gance pour animer la noble figure de Mme Lcetizia ; Polaire qui, apres quelques succes d'avant- guerre comme Le Friquet, parut encore dans Le Masque du Vice ; Josephine Baker qui ne retrouva pas sur l'ecran (La Sirene des Tropi- ques) son grand succes de la scene ; le clown Footit qui fut excellent dans une silhouette de Louis Delluc, Fievre ; les Fratellini (Reves de clowns de Rene Hervouin) ; le danseur Van Duren qui parut a cote de sa partenaire Edmonde Guy dans L'Oublie, puis tint le role principal du Figaro de Gaston Ravel et de Tony Lekain, et l'ecuyer Albert Rancy. Les sports, eux aussi, furent mis a contribution, les uns apres les autres. C'est ainsi que la boxe fournit Georges Carpentier que, des 1919, on put voir dans Les Aventures d'un champion, le tennis Suzanne Lenglen, l'athletisme Paoli (Terreur, Phroso), l'escrime Aldo Nadi (Le Tournoi de Jean Renoir) et 1' aviation Sadi-Lecointe qui fut la vedette d'un film de Diamant-Berger, Le Roi de la Vitesse (1923) ainsi que Pelletier d'Oisy qui tint un role dans un film de Rene Le Somptier, dont Paul Cartoux et Henri Decoin avaient ecrit le scenario, Le P'tit Parigot. 47o HISTOIRE DU CINEMA Tout cela ne suffisant pas, le cinema en vint a offrir des engagements non plus a des vedettes du music-hall et du sport mais a une vedette de la vie parisienne comme Jacqueline Forzane dont le dessinateur Sem avait popularise la silhouette dans maints illustres et qui fut excellente dans La Pocharde d'Etievant, dans Paris de Rene Hervil, dans L'lle Enchantee d'Henry-Roussell et raeme a des femmes qui n'avaient pour elles qu'un nom deja celebre mais d'une celebrite a laquelle elles n'a- vaient elles-memes en rien contribue : Lysiane Bernhardt, petite-fille de la grande Sarah, qui fit une agreable apparition dans Onne badine pas avec V amour ; Jeanne de Balzac qui etait peut-etre la petite-niece de l'auteur de la Comedie humaine et qui, apres avoir ete tout de go la Salammbo du film de Pierre Marodon, parut encore dans quelques films (Titi premier Roides Gosses, Madame Recamier) et prefera finalement les Folies-Bergere au studio ; Andree La Fayette qui n'avait probable- ment aucun lien familial avec l'organisateur de la Garde Nationale de 1789 et qui arriva, un jour, d'Amerique pour faire croire aux na'ifs qu'avec elle c'etait l'histoire de France qui se mettait au service du cinema : deux petits tours sur les ecrans (Rue de la Paix, Fecondite) et il n'y eut plus d' Andree La Fayette, du moins dans le cinema francais. Apres les noms pares de celebrite par l'Histoire depuis plus ou moins d'un siecle, les noms brusquement aureoles par l'actualite et la publicite, ceux des laureates des « Concours de Beaute » organises par des jour- naux ou des magazines desireux de faire naitre en l'esprit de leurs lectrices les plus dangereuses illusions et de fournir au Cinema sa ration de jeunesse. Des douzaines et des douzaines — pour ne pas dire des cen- taines — de jeunes filles qui s'etaient laisse prendre a cet appeau, combien furent-elles celles qui firent a peu pres la carriere dont elles avaient reve ? Dolly Davis, Marcya Capri qui furent parmi les laureates d'un concours organise par « le Journal ». Et puis Lily Damita sous le nom de Damita del Rojo gagnante d'un concours organise par « Cinemaga- zine » qui, renoncant tres vite au premier pseudonyme — Lily Deslys — qu'elle avait choisi, connut sous son pseudonyme d£finitif de Lily Damita quelques succes dans des films autrichiens et allemands et parut ensuite dans quelques studios d'Hollywood ou le mariage la fixa dans l'oisivete ; la gentille Pauline P6 qui, venue de Corse et ayant emporte une des premieres recompenses au concours des « Provinces francaises » dont « le Journal » avait pris l'initiative, parut dans un film de Rene Carrere, Corsica (1) puis retomba dans l'ombre ; la non moins gentille Agnes Souret, triomphatrice du meme concours ou elle representait le pays basque qui, se sentant aussi mal a l'aise au studio ou elle tourna Le Lys du Mont Saint-Michel qu'aux Folies-Bergere ou elle fut l'etoile (1) Dans ce mSme film Lily Deslys tenait elle aussi un role. LES VEDETTES 47* d'une revue, gagna l'Amerique du Sud ou elle mourut (1928) sans s'etre remise de l'aventure qui lui etait arrivee et a laquelle elle four- nissait inconsciemment la morale qui s'imposait. Et pendant que le cinema francais s'eparpillait ainsi a rechercher de tous cotes les vedettes dont ses commercants etaient persuades qu'il ne pouvait se passer, il ne remarquait pas les talents qu'il avait sous la main tant masculins que feminins et peut-etre meme plus nombreux et plus originaux parmi les hommes que parmi les femmes. Jean Toulout, Leon Mathot et quelques autres Au retour de la paix, le cinema francais disposait, en effet, d'une troupe masculine importante ou les elements les plus jeunes pouvaient fort heureusement s'appuyer sur des elements plus experimentes venus de l'epoque anterieure a 1914 dont beaucoup allaient donner le meil- leur d'eux-memes pendant cette derniere periode du cinema muet. Au premier rang de ceux-ci, Jean Toulout a qui, entre des douzaines d'au- tres, son interpretation de Javert dans Les Miser ables (version Fescourt) aurait du valoir une vedette mondiale ; Joe Hamman ; Maurice Schutz a qui Henry-Roussell donna sa chance dans le due d'Albe des Opprimes ; Roger Karl qui, tou jours interessant sous les aspects les plus divers (L'Appel du Large, Le Courrier de Lyon, Le Vertige) n'eut vraiment la place a laquelle il avait droit que dans le parlant ; Jean Dax qui ne fut pas aussi largement utilise que son talent aux aspects varies (La Bataille, V Assommoir) le meritait ; Georges Melchior qui, s'etant evade de la troupe de Feuillade, remporta, dans L'Atlandide de Jacques Feyder (role de Saint-Avit) un succes qui n'eut pas assez de lendemains ; Constant Remy( Le Coupable, Altemer le Cynique) ; Leon Mathot qui retrouva dans V Empereur des Pauvres le grand succes populaire qu'il avait connu pendant la guerre dans Monte-Cristo et qui en remporta encore de plus interessants dans L'Auberge rouge et dans Cceur Fidele de Jean Epstein, mais qui renonea, peut-etre un peu prematurement, au metier d'acteur pour celui de metteur en scene ; Rene Navarre et Rene Creste qui ne retrouverent jamais le succes que leur avaient valu, au premier Fantomas et au second (mort trop tot) Judex ; Harry Baur qui, apres sa remarquable creation dans V Ame du Bronze d'Henry- Roussell n'aurait jamais du cesser de travailler et qui ne travailla que rarement tant que le cinema resta muet ! Que de talents insumsamment employes encore avec Charles Dullin si digne d'attention dans Maldonne et que Ton n 'avait remarque que dans Le Miracle des Loups et dans Le Joueur d'Echecs ; avec R. Joube, d'un beau romantisme (Mathias Sandorf, ]' Accuse!, Le Miracle des Loups) avec Maxudian, si sobre et si 472 HISTOIRE DU CINEMA pittoresque dans La Terre Promise, dans Phroso et dans les films franco- portugais de Roger Lion ; avec Marcel Vibert a qui sa belle creation dans Les Opprimes ne rapporta pour ainsi dire rien ; avec Gaston Modot dont le talent de composition s'affirmait dans chacune de ses creations, de La Fete Espagnole a Carmen ; avec G. Gabrio remarquable dans Jean Valjean des Miser ables ; avec Rolla Norman qui anima si passionnement le difficile personnage de Matho dans Salammbo ; avec Emile Drain qui, chaque fois qu'il paraissait sous la redingote grise et le petit chapeau de Napoleon remportait un succes tel qu'on ne pensait jamais a lui pour un role moins imperial ; avec Daniel Mendaille dont le talent solide se manifestait de facon aussi sure, quel que fut l'emploi qu'on lui confiait. Combien d'autres encore pourrait-on citer, de P. Vermoyal acteur tourmente (Mathias Sandorf, La nuit du n Septembre) et d'Henri Baudin aussi habile a. composer un personnage royal (La Bouquetiere des Innocents) que celui d'un homme du peuple (Le Petit Jacques) a Philippe Heriat, interprete habituel de Marcel L'Herbier (El Dorado, Don Juan et Faust, V Inhumaine) qui fit peut-etre sa plus intelligente creation dans En rade de Cavalcanti ; de Gabriel de Gravone, jeune premier dans la meilleure des traditions (Rouletabille chez les Bohemiens, La Roue), a Pierre Batcheff, si charmant avec ses yeux reveurs (En Rade, Le Joueur d'Echecs, Les Deux Timides) mais qui disparut trop tot, ce qui fut aussi le cas de Georges Vaultier, remarque a juste titre aussi bien dans Le Fantome du Moulin-Rouge que dans Kcenigsmark, pendant que Georges Lannes se faisait remarquer dans Les Mysteres de Paris et que Jean Murat, apres des debuts difficiles, commencait a retenir l'attention dans Carmen... N'auraient-ils pas ete tous ou presque tous des « vedettes » si le cinema francais avait eu la forte organisation de son concurrent americain ? Et Camille Bardou si repugnant dans Les mysteres de Paris, et Jose Davert d'une si forte simplicite avec son visage taille a coups de serpe (La Briere ; Verdun, Visions d'Histoire) n'etaient-ils pas dignes d'une popularity universelle au meme titre qu'un George Bancroft ou un Wallace Beery ? Et pourtant, quelle que fut l'estime en laquelle les tenaient ceux qui utilisaient leur talent, quelle que fut la sympathie dont ils etaient entoures par le public, aucun d'eux n'atteignit avant 1929 la grande vedette. Gabriel Siqnoret Quelques-uns en approcherent pourtant. Et tout d'abord Gabriel Signoret qui, avant 1914, avait fait ses preuves dans nombre de films oii il faisait presque tou jours equipe avec la belle Gabrielle Robin- ne et Alexandre. Menant de front une aussi grande activite au theatre LES VEDETTES 473 qu'au cinema, aussi richement doue pour l'un que pour l'autre et surtout connaissant a fond son metier d'acteur, Gabriel Signoret aurait pu etre un grand acteur de l'ecran. II ne le fut pas parce qu'il se contentait trop facilement et aussi parce qu'il n'eut jamais la chance de mettre son talent au service d'un metteur en scene et d'une ceuvre de grande classe: il fit du metier et ne fit que cela, qu'il s'agisse du Pere Goriot ou de V Enfant des Holies, de La Porteuse de Pain, des Deux Gosses ou de L' Homme bleu. Mais ces interpretations sumsaient aussi bien aux metteurs en scene qu'au public et on doit le regretter, car dans Le Reve que Jacques de Baroncelli tira du roman d'Emile Zola, la facon dont Signoret interpreta le personnage de l'eveque — un personnage difficile , on le vit bien quand Le Bargy le reprit dans la seconde version que Jacques de Baroncelli en donna — n'est pas d'un acteur qui n'a que du metier, sans parler de la creation qu'il fit dans Le Silence de Louis Delluc qui est d'un grand acteur d'ecran. AlME SlMON-GlRARD ET CHARLES DE ROCHEFORT Populaire, Aime Simon-Girard le fut, lui aussi, au lendemain des Trots Mousquetaires. Comment aurait-il pu en etre autrement ? On ne chevauche pas, on ne ferraille pas sur la moitie des ecrans francais sous le feutre a panache du sympathique Gascon sans connaitre la faveur populaire. Ce succes, la Societe des Cine-Romans chercha a l'ex- ploiter en confiant a Aime Simon-Girard d'autres personnages plus ou moins aureoles de legende et ce furent : Le Vert-Galant, Mylord VAr- souille, Fanfan-la-Tulipe ! Mais ce ne fut plus jamais d'Artagnan. Charles de Rochefort, lui, venait de l'avant-guerre ou il avait debute a cote de Max Linder. Taille en force, sportif, il avait tenu des roles en tous genres et etait arrive a s'imposer. Puis il etait parti pour l'Ameri- que ou il avait reussi a etre le partenaire de plusieurs vedettes impor- tantes : Gloria Swanson, Pola Negri et Interpretation du role du Phara- on dans Les Dix Commandements de C. B. de Mille lui avait fait une sorte de celebrite. Revenu en France, il fut le partenaire de Gloria Swanson — role du Marechal Lefebvre — dans la Madame Sans-Gene que celle-ci tourna sous la direction de Leonce Perret. Puis, grande vedette, avec Huguette Duflos, de La Princesse aux Clowns, il reussit a prolonger quelque peu une notoriete qui se derobait d'autant plus qu'il se parta- geait entre le studio et le music-hall. 474 HISTOIRE DU CINEMA Armand Tallier et Jaque Catelain C'est une popularity d'un genre tout different que connut Armand Tallier : venu du theatre ou il avait donne des preuves de talent aux cotes de Jacques Copeau, ce fut sous la direction de Leon Poirier que Tallier manifesta le mieux les qualites d'intelligence, de sensibilite qui caracterisaient son talent et notamment dans Jocelyn et dans La Brier e. Jocelyn : tout le romantisme ; La Brier e : tout le realisme. Jocelyn : un jeune pretre dechire entre la religion et l'amour ; La Brier e : un jeune paysan dechire entre la tradition et l'amour. Un acteur de l'ecran francais eut rarement tache plus delicate et aucun ne s'en serait tire mieux que Tallier. Au lendemain de Jocelyn, il etait aussi populaire en France qu'Aime Simon-Girard au lendemain des Trots Mousquetaires, mais personne ne pensa a utiliser cette popularity et Tallier dut attendre La Brier e (1924) pour retrouver un role et apres La Briere personne de nouveau ne pensa a lui jusqu'en 1926 ou Jean Durand se rappela qu'il existait et lui confia le principal role de La Chaussee des Giants. Mais Jean Durand n'etait pas Leon Poirier et La Chaussee des Geants ne fut ni La Briere, ni Jocelyn. Decu, Armand Tallier renonca a l'interpretation et ouvrit le Studio des Ursulines (1). L'ceuvre qu'il y accomplit, associe a sa camarade Myrga, est conside- rable. Mais si interessante qu'elle soit, on ne peut s'empecher de regret- ter que son talent d'acteur n'ait pas ete plus souvent, plus largement employe car il etait de rare qualite. Autre jeune premier, Jaque Catelain. De qualite plus delicate encore que celui d' Armand Tallier, le talent de Jaque Catelain fut parfaite- ment compris et utilise par Marcel L'Herbier qui le decouvrit, le forma et de Rose-France a L'Inhumaine, au Diable au Cceur et au Vertige lui donna toutes les occasions de se manifester. Peut-etre meme Marcel L'Herbier surestima-t-il parfois les possibilites de son interprete favori — ce fut le cas dans Don Juan et Faust — mais du moins Jaque Catelain n'est-il pas de ceux qui peuvent se plaindre de n'avoir pas ete employes. Car il ne le fut pas seulement par Marcel L'Herbier et c'est a lui que Leonce Perret fit appel pour etre le partenaire d'Huguette Duflos dans Kcenigsmark, ce qui lui valut de penetrer plus avant dans la sym- pathie du public et c'est lui qui fut une seconde fois le partenaire d'Huguette Duflos dans Le Chevalier a la Rose, consecration interna- tional de son vedettariat. (1) V. p. 288-290. LES VEDETTES 475 Pierre Blanchar Pierre Blanchar avec qui Ton doit completer ce brelan de jeunes premiers apporte une note plus grave, plus pensive. Le premier role qui attira l'attention sur lui fut celui de Lamartine que Leon Poirier lui confia dans Jocelyn : ce n'etait guere qu'une silhouette que Ton voyait reparaitre entre les divers episodes de Taction, mais il y avait tant de noblesse, tant de melancolie, tant de romantisme naturel dans cette silhouette que Ton ne pouvait pas ne pas sentir tout ce qu'il y avait en ce jeune acteur de passion contenue dont le cinema pouvait faire bon usage. Pierre Blanchar dut pourtant attendre pendant pres de deux ans une nouvelle occasion de paraitre sur les ecrans. Cette occasion, c'est a Henry-Roussell qu'il la dut avec La Terre Promise ou il fit une creation vraiment magistrale. A leur tour, Mercanton et Hervil penserent a lui quand ils porterent a l'ecran Aux Jar dins de Murcie. Mais en depit de l'interet que presentent ces interpretations et celles qui suivirent, notamment dans Le Joueur d'Echecs et dans La Valse de V Adieu, c'est seulement lorsque le cinema sera devenu parlant que Pierre Blanchar s'elevera jusqu'au tout premier rang des vedettes francaises, dans l'emploi non plus de jeune premier mais de grand premier role. Jean Angelo En attendant, c'est Jean Angelo qui dans cet emploi a la plus haute cote aupres des producteurs et des metteurs en scene francais. Venu du theatre — il avait debute aupres de son pere dans la troupe de Sarah Bernhardt — Jean Angelo avait paru pour la premiere fois dans un petit role de V Assassinat du Due de Guise et peu a peu il avait con- quis ses grades. La guerre l'avait empeche de tenir le role principal de Monte-Cristo qui etait echu a Leon Mathot, mais s'etant apres sa demobilisation refait une place de jour en jour plus grande dans les studios il eut la satisfaction de voir ce role lui revenir lorsque Henri Fescourt tira une seconde version du celebre roman d' Alexandre Dumas (1929). Mais la consecration qu'il attendait de ce rdle, Jean Angelo n'eut pas a attendre si longtemps avant de la connaitre et c'est des 1921 qu'il put en jouir grace a L'Atlantide de Jacques Feyder qui re vela vraiment tout ce qu'il y avait en lui de force simple, de sobre autorite, tout ce qui pouvait lui valoir la sympathie des foules et l'estime des gens de gout. Appuye sur le succes de son capitaine 476 HISTOIRE DU CINEMA Morhange, il ne cessa pas de travailler, s'accommodant, avec un peu trop de nonchalance, de tous les roles qu'on lui offrait, passant de Fromont jeune et Risler ami qu' Henry Krauss tira du roman de Daudet au Jockey disparu de Jacques Riven (1921), de L'Ecuyere de Leonce Perret aux six episodes de Surcouf de Luitz-Morat, avant de tourner Le Double Amour et Les Aventures de Robert Macaire de Jean Epstein (1925) et Nana de Jean Renoir (1926). II y a de tout dans cette liste — incomplete — du meilleur et du pire. Mais quel que fut le personnage qu'il avait a faire vivre sur la toile, quel que fut le metteur en scene au service duquel il se consacrait, Jean Angelo, par tout ce qu'il y avait de vraiment viril et de profondement sympathique en lui, tirait tou jours son epingle du jeu, faisant illusion sur la valeur de son role quand le film etait mediocre et s'elevant tout naturellement a la hauteur de l'ceuvre quand celle-ci etait de qualite. Edmond Van Daele Premier role aussi Edmond Van Daele, mais premier role d'un genre tout different : moins simple, plus tourmente, d'un emploi plus difficile que Jean Angelo, mais capable de tenir des rdles plus dangereux, donnant une impression inquiete et inquietante aussi naturellement que Jean Angelo donnait l'impression d'une force honnete et sure. Rien de ce que Van Daele faisait n'etait indifferent et meme quand il etait entre les mains d'un metteur en scene quelconque — ce qui lui arriva trop souvent — il reussissait a liberer de tout ce qu'ils avaient de conventionnel les personnages dont il etait l'interprete et meme a leur donner un veritable relief et souvent une sorte de densite humaine qui ne doivent rien a l'auteur ni au realisateur du film : ce que Van Daele a apporte a des films comme Ames siciliennes, La Montie vers I'Acropole, La Croisade, Pour une nuit d'amour, L'Ombre du Peche, Nine est vraiment inappreciable. Mais c'est naturellement dans Cceur Fidele de Jean Epstein et dans V Inondation de Louis Delluc qu'il taut chercher le meilleur de cet acteur capable, sans aucun artifice et meme sans aucun effort de composition, de representer aussi vraisembla- blement un personnage crapuleux qu'un personnage sympathique. Que ce comedien qui pouvait tout faire, ait trop souvent ete appele a faire n'importe quoi est regrettable, mais qu'on l'ait laisse inactif alors qu'il pouvait rendre de grands services encore pendant de longues annees, est parfaitement inexpliquable. LES VEDETTES 477 Charles Vanel Comme Van Daele, Charles Vanel pouvait donner les apparences de la vraisemblance aussi bien a des heros sympathiques qu'a des person- nages antipathiques, mais ce furent ces derniers qui constituerent pendant longtemps sa specialite (Tempetes, La Maison du Mystere) et il fallut que Jacques de Baroncelli lui con fiat des roles sympathiques (La Flambee des rives, Pecheur d'Islande) pour que Ton s'apercut que Vanel pouvait etre bon aussi bien, mieux peut-etre, que mechant. Mais malgre l'etendue de son clavier, malgre la diversite des person- nages auxquels il pouvait donner les apparences de l'humanite, peut- etre n'est-il pas exagere de penser que Vanel ne trouva jamais le vrai- ment beau role qui Taurait porte au tout premier plan qu'il meritait : on avait recours a lui quand on avait un role difficile a distribuer, un role souvent en demi-teintes, car on savait qu'il viendrait a bout de toutes les difficultes et qu'il donnerait du relief a ce qui n'en avait pas. C'etait de l'estime que les producteurs avaient pour lui et non de l'enthousiasme. Vanel d'ailleurs ne faisait rien pour qu'on s'enthousias- mat a son sujet : simple, discret et meme un peu ours, il se tenait a l'ecart, ne recherchant pas la publicite et se contentant de faire son metier le plus consciencieusement possible. Cette estime, l'Etranger la lui accordait aussi bien que le cinema francais car c'est lui qui, en Alle- magne, parmi cinq ou six films,, eut Thonneur d'incarner Napoleon dans le Waterloo de Karl Griine (1928) : besogne ingrate s'il en fut et qui, comme tant d'autres roles dont il avait ete Finterprete, ne pouvait rien rapporter a Charles Vanel. Pourtant celui-ci, plus heureux que Van Daele ne cessa jamais de travailler et franchit sans encombre le cap du « parlant », prouvant, apres comme avant, que le cinema fran- cais avait en lui un de ses plus solides, de ses plus expressifs inter- pretes. Andre Nox Andre Nox, lui aussi, pouvait avec la meme facilite camper des personnages sympathiques que des antipathiques, mais ou il excellait, oil il etait meme sans rival, c'etait quand il s'agissait de presenter un type humain exceptionnel : homme de genie ou fou. Andre Nox avait appartenu au monde de la finance quand l'amour du theatre Tavait amene a paraitre dans des spectacles d'amateurs sous son veritable nom d' Andre Nonnez. De la, vers la fin de la guerre, il etait passe au 478 HISTOIRE DU CINEMA studio. Le Penseur d'Edmond Fleg et Leon Poirier avait tres vite attire l'attention sur lui : le role ne ressemblait a aucun de ceux aux- quels l'ecran etait habitue, le film paraissait exceptionnel lui aussi : comment dans ces conditions Andre Nox aurait-il pu ne pas paraitre un etre d'exception ? II fut done etiquete, classe : poetes, inventeurs medecins, savants, tels furent les personnages qu'on lui donnait a animer et toujours il repondait aux espoirs qu'on avait mis en lui. Doue d'une tete magnifique : front immense, traits marques, yeux profondement enfonces sous d'epais sourcils broussailleux, il avait tout ce qu'il fallait pour repondre a l'idee que l'imagination popu- late se fait des personnages qu'il avait a faire revivre. Comme pour Vanel, la reputation que ces interpretations lui valaient, franchit les frontieres et, a defaut de l'Amerique, ce fut l'Allemagne qui lui apporta la consecration internationale a laquelle il avait droit, notamment en le choisissant pour tenir un role important en face d'un autre inter- prete des personnages dont il s'etait fait une speciality : Conrad Veidt dans Le Comte Kostia que Jacques Robert tourna en combinaison franco-allemande. Mais Andre Nox etait capable d'exprimer les senti- ments d'etres plus simples et il le prouva bien dans Apres I' Amour ou il tint le role cree sur les planches par Lucien Guitry et aussi dans L'Orphelin du cirque oil il donna beaucoup de pittoresque a un per- sonnage de clown, en attendant que Leon Poirier lui demandat tout simplement d'exprimer la bonte, la pitie d'un aumonier militaire dans Verdun, Visions d'Histoire (i). Severin-Mars C'etait aussi dans Interpretation des personnages exceptionnels que Severin-Mars pouvait rendre le plus de services au cinema francais. Abel Gance avait, le premier, compris la personnalite de Severin-Mars, (i) Voici un beau portrait d' Andre Nox par Jean Arroy : « Belle figure d'apotre moderne, voici Andrd Nox, au masque ravage par la douleur, V ' angoisse ou le desespoir. J'ainie ce visage pathetique oil s'inscriveni en rides profondes les grandes soufjrances silencieuses. J'aime aussi cette c on centra Hon de pensee qui, en voulant le taire, re'vele plus profondement le tourment interieur. Petit theatre d'argile humaine, ou les sentiments les plus profonds et les emotions les plus intenses se donnent la replique en si- lence, le masque torture d' Andre Nox fut le centre psychologique de bien des drames dont Le Penseur, Le Crime de Lord Arthur Savile, La Mort du Soleil et cet hallucinant Sens de la Mort, d' apres Bourget, furent certaine- ment les plus bouleversants. » (Cine magazine, ig fevrier ig26.) LES VEDETTES 479 a la fois acteur et auteur (1). Mais cette personnalite ne trouvait que rarement son emploi sur les planches parce qu'elle effrayait un peu les auteurs et plus encore peut-etre les directeurs. Et sans doute en aurait-il ete de meme au cinema si Abel Gance ne s'etait pas trouve la au bon moment. Sans se ressembler, les personnalites de ces deux hom- ines avaient pourtant tout ce qu'il fallait pour s'accrocher. Dans La Dixieme Symphonie, puis dans J' Accuse ! Abel Gance avait done confie a Severin-Mars des roles extremement difficiles sortant quelque peu des mesures de la moyenne humanite, mais qui se trouvaient exactement a la taille de Severin-Mars. C'est ce qu'avait tres bien vu Louis Delluc qui, au lendemain de La Dixieme Symphonie ecrivait : « Severin-Mars s'habille comme Paul Mounet et joue comme Guitry. Et il est tout de meme lui. Et il est « Gance » par-dessus le marche... On doit lui donner ce qu'on ne lui a pas donne au theatre. Et si on ne le lui donne pas, il n'a qu'a le prendre (2). » Severin-Mars etait, en effet, homme a prendre ce a quoi il savait qu'il pouvait pretendre. Malheu- reusement, la mort ne lui en laissa pas le temps. Pourtant, avant de mourir il eut la possibility de donner les preuves de tout ce que le cinema perdrait le jour ou il disparaitrait : La nuit du 11 Septembre et L'Agonie des Aigles, de Bernard Deschamps (ou il campa deux personnages : celui d'un demi-solde et celui — assez inattendu, en verite — de Napo- leon Ier), Le Cceur magnifique dont il fut a la fois l'auteur, le realisateur et le principal interprete, manifestations d'un talent d'une richesse, d'une diversite vraiment exceptionnelles dont son interpretation de Sisife dans La Roue d'Abel Gance marque le sommet. Quel autre acteur aurait pu tenir ce personnage de mecanicien de locomotive qui, peu a peu, a mesure que Taction evolue, prend figure de symbole et represente l'humanite tout entiere. Charles Vanel ? Werner Krauss ? Ni l'un ni l'autre n'aurait eu le lyrisme necessaire. Andre Nox ? C'est l'aspect quotidien du personnage qui nous aurait echappe. Emil Jannings ? Peut-etre, mais combien plus lourd que Severin-Mars et sans cette ingenuite qui, aux pires minutes de douleur, apparaissait dans les prunelles claires de celui-ci. Severin-Mars dans La Roue, on l'a dit, mais on peut le repeter, c'est Mounet-Sully dans (Edipe. Si la mort ne l'avait pas si vite enleve au studio, Severin-Mars, rejoignant Eve Francis, aurait sans doute exerce une influence heureuse sur revo- lution du cinema francais : etant ce qu'il etait, ce que les films auxquels (1) II etait notamment l'auteur, en collaboration avec Mine Camille Clermont, d'une comedie dramatique a la fois originate et puissante, Ames sauvages, qui avail He creee sur la scene du theatre Re jane. (2) Louis Delluc : « Cinema et Cie » (Bernard Grasset Edit. Paris igig) . 480 HISTOIRE DU CINEMA son nom reste attache le montrent, il semble bien qu'il eut ete, parmiles innombrables acteurs de l'ecran francais, le seul capable d'exercer cette influence (i). COMIQUES EN TOUS GENRES La troupe comique est moins riche que la troupe dramatique. II n'y a rien la d'etonnant puisque le film comique, des le milieu de la guerre, se trouva quelque peu neglige. Et pourtant quel encouragement aurait du etre pour les producteurs et les metteurs en scene et plus encore pour les acteurs le succes que s'etaient fait et presque sans effort Max Linder et Prince-Rigadin. Mais les premiers films de Charlie Chaplin etaient arrives sur les ecrans. Pouvait-on lutter contre eux ? Fermant les yeux sur tout ce que ceux-ci devaient a Max Linder, on fut decourage avant d'avoir essaye de les concurrencer. Puis ce fut le tour des films de Fatty, d'Harold Lloyd, de Buster Keaton... Le film comique francais vegeta. Et pourtant, il avait a sa disposition des talents non negligeables qui, apres Max Linder et Prince-Rigadin, avaient ce qu'il fallait pour distraire les foules, a commencer par Marcel Levesque dont nous avons deja parle. Mais Marcel Levesque n'etait pas le seul, on le vit bien avec Les Trois Mousquetaires dont pour une bonne part le succes fut fait par Armand Bernard, fort amusant selon la meilleure tradition des pitres dans le personnage de Planchet, le valet de d'Artagnan : bien utilise, Armand Bernard aurait peut-etre (i) Quand Severin-Mars mourut (iy juillet ig2i), Maurice Mae- terlinck dont il avait ete un des interpretes dans L'Oiseau bleu (role du chien) lui rendit cet hommage : « Dans tin cceur qui deja, a%i moment ou je le connus, ne s'ouvrait plus aussi jacilement qu'aux heures confiantes de la jeunesse, je lui garde un pieux souvenir. C etait un grand honnSte homme, un gentilhomme dans toute la beaute du terme. On sentait que son amitie etait sure, comme celle d'un frere. Je Vai rencontre en des jours oil la vie ne lui etait pas encore bien clemente et je n' oublierai jamais le tact charmant, la noblesse elegante et souriante avec laquelle il luttait contre des difficultes qui eussent fait dechoir une volonte moins ferme et moins haute. Au milieu des plus fdcheuses cir- constances, il avait I' air d'un grand seigneur qui vient de perdre au jeu, mais qui n'a rien a craindre de I'avenir. Si je ne parle pas du lettre, dont j'eus plus d'une fois V occasion d'eprouver la culture, et dont Vimagination puissante etait si speciale, ni du grand acteur qui, notamment, a Saint- Wandrille, mit sur pied un Macbeth, souvent de premier ordre et parfois hallucinant, c'est qtie d'autres le feront mieux que moi. J'ai voulu avant tout, rendre hommage a V homme, car c'est V homme que Von pleure, quand on pleure un ami. » (Lettre de Maurice Maeterlinck a Denise Severin-Mavs.) 143- Donatien. 144. Louis Mercanton 145. Rene Hervil. */" ih ^omn}ent on faisait un travelling en 1927. (Tenant les bras de I'appareil : Alexandre Volkoff ; reglant la mise au point de I'appareil de prise de vues : les operateurs Toporkoff et Bonrgassof). 147- Les deux Bonaparte du Napoleon d'Abel Gance : Albert Dieudonne et le jeune Roudenko. 1 ;'■ ■ u. ■> *' ' *'■ ~ * aV"-t j__ i ■^ *** *" ., .Mortenig2$. (2) Lion Moussinac : « Panoramique du Cinema ». (3) Georges Sadoul qui est un farouche adversaire des trusts — et on ne pense pas a le lui reprocher — n'etaye pas d 'arguments bien solides V accusation qu'il lance a ce sujet aux deux grandes maisons francaises :■ « Gaumont et Pathe dominerent la production. Pathe, societe gigantesque ramifiee dans le monde entier, fut le premier grand trust du cinema et joua a ses debuts un role progressif. Mais ce temps fut bref ... » (Georges Sadoul t Cinema d'aujourd'hui » (Editions des Trois Collines, Geneve, 1946.) (4) V. vol. III. 488 HISTOIRE DU CINfiMA s'appuyait sur des organisations puissantes qui lui donnaient con fiance en lui-meme et l'autorisaient a se croire tout permis. Malgre les incon- venients qui pouvaient en resulter, qui sait si une organisation puis- sante du cinema francais n'aurait pas reussi a tenir le cinema americain en £chec quand il commenca a prendre dangereusement pied dans la vie francaise ? L'Amerique est la terre d 'election des trusts, mais pas la France, et ce ne sont pas les trusts qui ont fait la faiblesse du cinema francais de 1919 a 1929, mais bien au contraire l'emiettement des initiatives, des activites et des possibilites et le combat en ordre disperse, en tirailleurs, contre des concurrents solidement organises en blocs massifs par la force des trusts d'outre-Atlantique (1). Cette situation, il faut le reconnaitre, ne comportait pas seulement des inconvenients et des raisons de faiblesse, car, artistiquement par- Ian t, elle n'etait pas denuee d'avantages, surtout etant donne le temperament francais. Ce combat en tirailleurs auquel les auteurs et realisateurs de films se trouvaient contraints par la carence a la fois des pouvoirs publics, des grandes entreprises et des hommes d'affaires en tout genre, laissait en effet place a toutes les initiatives, fouettait les imaginations et les amours-propres et stimulait les rivalries. C'est parce qu'ils n'etaient sous la dependance d'aucun producteur, sous contrat avec aucune maison de production, que Rene Clair a fait Entr'acte, Jean Epstein La chute de la Maison Usher, Jacques Feyder L'Image, Marcel L'Her- bier L'Inhumaine et Louis Delluc tous ses films. Et Abel Gance aurait-il fait Napoleon, si au lendemain de L.a Roue, il etait reste lie a Pathe et n'avait pas ete force de s'entourer de concours etrangers qui mettaient a sa disposition des moyens qu'il n'aurait pas trouves dans une maison de production reguliere, si puissante qu'elle ait ete ? Tant et si bien que Ton peut affirmer que, exception faite des premiers films de Marcel L'Herbier et de Leon Poirier, realises pour la firme Gaumont, de Cozur Fidele de Jean Epstein, de U Argent de Marcel L'Herbier, des Miser ables d' Henri Fescourt, entrepris par Pathe et la Societe des Cine-Romans qui lui succeda, de La souriante Madame Beudet pour quoi Germaine Dulac trouva aupres de Delac et Vandal la com- prehension et Taide dont elle avait besoin, de ce qui, signe Rene Clair, Epstein, Feyder, L'Herbier d'une part, Volkoff et Mosjoukine d'autre part, sortit du studio de Montreuil pour la Societe Albatros, rien de ce qui constitue « l'ecole cinematographique francaise » non plus que de ce (1) Denis Marion : « Aspects du cinema ». (Editions Lumiere, Bru- xelles, 1946.) LE CINfiMA FRAN£AIS EN 1929 489 qui contribua a l'effort de « l'Avant-Garde », rien de ce qui fut de valeur dans la production 1919-1929 ne fut l'oeuvre d'une maison ayant une activite reguliere. « Un film est une marchandise » se complai- saient a dire les producteurs a la suite de Louis Aubert. « Un film est une ceuvre d'art », repliquaient les auteurs et realisateurs. La verite est evidemment a mi-chemin de ces deux definitions trop absolues Tune et l'autre pour etre exactes, encore que Ton soit fortement tente de donner raison a Denis Marion qui, sur la couverture meme de son bref mais substantiel volume « Aspects du Cinema », inscrit cette formule « Technique, Industrie, Commerce, Propagande, Diver- tissement, Magie... mais surtout un Art ! » Mais, a voir les resul- tats obtenus de 1919 a 1929, on ne peut s'empecher de penser que ce ne sont pas les commercants qui avaient raison et qu'il convient peut- Stre de les feliciter de s'etre enferm£s dans une position trop etroite, car, ce f aisant, ils ont mis les partisans du cinema-art dans l'obligation de prouver le mouvement en marchant, ce qui a valu au cinema fran- cais de pouvoir, a l'exterieur comme a l'interieur de ses frontieres, opposer Paris qui dort a La Bouquetiere des Innocents et La Femme de Nulle Part a L'Empereur des Pauvres. Malheureusement, les auteurs et realisateurs de films n'ont jamais su pro fit er des avantages que le succes des meilleures de leurs ceuvres leur procurait. Dedaignant la force que l'union leur aurait procuree, ils restaient dans l'etat d'inorganisation ou ils se trouvaient avant que Camille de Morlhon eut cree « La Societe des Auteurs de Films » et quand les obligations de leur metier les mettaient en face d'un com- mercant, producteur, distributeur ou directeur de salle, ils etaient incapables de defendre leurs droits et leur liberte. Des lors, il n'existait pas de succes assez grand pour pouvoir leur assurer l'independance indispensable et, au lendemain de son Napoleon, Abel Gance, comme Jacques Feyder apres sa Therhse Raquin, etait dans l'obligation de se lancer a la recherche du producteur ou du commanditaire qui lui per- mettrait d'entreprendre un nouveau film : celui auquel il pensait deja ou meme un autre. Comment, dans ces conditions, s'etonner qu'ils n'aient pas toujours su se garder des combinaisons dont ils devaient etre les premieres victimes et qu'ils aient trop souvent fait des films qui repondaient moins a leurs idees personnelles qu'a celles des com- mercants toujours enclins a sous-estimer le public pour lequel ils tra- vaillaient. II aurait fallu qu'ils fussent des saints aspirant a la palme des martyrs pour qu'il en fut autrement et Ton chercherait en vain le realisateur de films qui oserait affirmer sans craindre d'etre dementi qu'il n'a fait que ce qu'il a voulu, meme dans les bandes dont il avait reussi a imposer le sujet a ses employeurs ou a ses commanditaires. Sans doute en a-t-il ete a peu pres de meme partout, mais cette sujetion 49o HISTOIRE DU CINEMA n'a nulle part ete aussi regrettable qu'en France, car c'est bien certaine- ment en France que se trouvent les plus significatives, les plus pro- bantes reussites de realisateurs abandonnes a eux-memes ou travaillant sans se soucier des gouts du public. « Les gouts du public » — tel fut, en effet, des les premiers jours de la vie cinematographique, le grand argument que les commercants opposaient a toutes les velleites d'originalite des auteurs et realisateurs. Et pourtant, il n'est pas un film rompant plus ou moins avec les habi- tudes qui n'ait ete accueilli comme il le meritait, qu'il s'agisse de La Roue ou de Cceur Fidele, de La Souriante Madame Beudet ou d'El Dorado, du Brasier Ardent ou de Verdun, Visions d'Histoire. Caligari lui-meme qui, lorsqu'il arriva en France, fut regarde par toutes les « competences » comme inacceptable par le public francais et qui malgre ces avis autorises (!) connut un succes depassant celui de la simple curiosite, ne parvint pas a convaincre les commercants que Toriginalite meme la plus audacieuse paye : avant comme apres cette r£ussite de Initiative la plus hardie qui ait 6te prise depuis L'arroseur arrose, producteurs, distributeurs, exploitants francais continuerent a craindre Taudace comme la peste et a regarder comme des fous les auteurs et realisateurs qui osaient leur proposer quelque chose qui ne fut pas la rendition de quelque chose de deja fait, de deja vu, de deja beneficiaire. Quand on a jete ainsi un coup d'ceil sur les conditions materielles et encore plus morales dans lesquelles ont ete obliges de debuter les jeunes hommes tentes par le cinema et qui n'y firent leurs premiers pas qu'au lendemain de l'armistice, le seul sentiment que Ton doive eprou- ver est Tadmiration, admiration d'autant plus grande que non seule- ment ces jeunes hommes — Julien Duvivier aussi bien que Rene Clair, Jean Renoir aussi bien que Jean Epstein, Jean Gremillon aussi bien qu'Alberto Cavalcanti — ont pu vivre de leur metier, assurer et agrandir peu a peu leur situation et doter Tart auquel ils s'etaient voues de formes nouvelles et d'ceuvres personnelles. Ce merite apparait encore plus grand quand on sait que le cinema n'a jamais eu en France la clientele qu'il a dans la plupart des autres pays. C'est en France, en effet, que Ton a le plus vivement critique le gout du public pour les spectacles cinematographiques, et des mora- listes a tout faire ont jete l'anatheme sur le danger que representent ces spectacles (i). On n'a pas attache a ces sermons et a ces diatribes toute (i) De ces diatribes void un exemple cite' par Marcel L'Herbier dans « Intelligence du Cinema » : « Le Cinemato graph e se signale generalement par le mauvais gout et Vimmoralite. II distille le poison moral aux enfants et aux gens du peuple. Les films policiers, criminels, licencieux et demora- lisateurs forment avec le concours des affiches-reclames evocatrices, de futurs cambrioleurs, de futurs chenapans, de futurs bandits. Aussi a-t-il maintes LE CINEMA FRAN£AIS EN 1929 49* l'importance que leurs auteurs esperaient, mais il en est pourtant reste quelque chose dans les esprits et certains milieux bourgeois provin- ciaux ne se sont pas debarrasses de toute mefiance a Tegard du cinema. Si Ton ajoute que la vie des campagnes francaises est faite de telle facon qu'elle ne fournit pour ainsi dire aucune clientele a l'ecran, on comprendra pourquoi la vie cinematographique ne s'est pas deve- loppee en France aussi rapidement, aussi genereusement, non seulement qu'aux Etats-Unis, mais encore qu'en Allemagne et merae qu'en Angleterre. « Sur les 120.000 ou 130.000 salles, dont 25.000 pour les Etats-Unis, il y en avait en 1928, 4.500 en France, y compris 1.500 patronages et 500 salles occasionnelles, — a en croire le rapport que M. Gael Fain redigea pour la Chambre syndicale francaise de la Cinemato- graphic, — 4.460 en Allemagne, 4.000 en Angleterre, 8.000 en Russie, etc. 11.000 a 12.000 personnes seraient employees dans les salles francaises. Le capital investi dans l'industrie cinematographique mondiale oscil- lerait entre 3 et 4 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, l'industrie cinematographique viendrait au troisieme rang avec 1 milliard 500 millions, immediatement apres l'industrie des conserves (2 milliards 200 millions de dollars) et celle des automobiles (1 milliard 700 millions). Puis viennent 1' Allemagne, 1' Angleterre, la France et 1' Italic On evalue pour la France a 1 milliard 500 millions de francs les capitaux engages dans les salles d'exploitation et a 500 millions les capitaux engages dans les societes d'edition qui produisent les films. Le chiffre d'affaires annuel realise en France s'eleverait, pour les directeurs de salles a 800 millions et pour les producteurs, editeurs et distributeurs a 150 millions... Les societes d'edition francaises font vivre 1.000 machinistes, 4.200 figurants et 1.000 artistes. Les artistes et les figurants se partagent de 15 a 20 millions d'appointements... La France produit actuellement de 60 a 70 films par an. En 1927, 67 films ont ete realises qui ont absorbe 80 millions de francs. La France importe, d'autre part, de 600 a 750 films americains, de 40 a 50 films allemands, etc. De septembre 1926 a septembre 1927, on aurait exploite en France 413 grands films dont 245 americains, 81 francais, 52 allemands, 10 italiens, etc. » Bien que M. Gael Fain emploie la un prudent conditionnel, en face fois motive les observations des moralistes. Nous ne saurions trop nous indi- gner contre V audace des entrepreneurs de spectacles, lis en prennent vraiment aleur aise. Nous ne saurions trop nous elever contre V influence pernicieuse des films exploites par les maquignons de I'immoralite, ces ennemis de V hygiene nationale. Nous ne saurions trop mener une energique campagne contre le cinematographe quand son but est de pervertir, de degrader. Pour la patrie, joignons-nous a ceux, trop rares, qui jettent V alar me. Contre le Cinema, ecole du vice et du crime. Pour le Cinema, ecole d' education...* (Edouard Poulain, imprimerie de I'Est, Besancon, igi8.) 492 HISTOIRE DU CINEMA de tels chiffres on est tente de dire que le Francais n'aime pas le cinema et c'est peut-etre vrai, en depit de l'empressement avec lequel les midinettes se jettent chaque semaine sur les magazines ou elles peuvent trouver les dernieres indiscretions plus ou moins inge- nieuses sur les vedettes hollywoodiennes. Non ! Le Francais n'aime pas le cinema. II ne l'aime pas comme il aime le theatre, qui fait partie de ses traditions nationales les plus profondement enracinees et dont on peut vraiment dire qu'il l'a dans le sang. Si interessante, si efficace qu'elle ait ete, Taction de Delluc, de Canudo, du Cine-Club, de Charles Leger, des Studios d'Avant-Garde, de la partie de la Presse qui echap- pait aux servitudes de la publicite, n'avait pas encore reussi a amener devant les ecrans tous ceux qui auraient du voir dans le cinema un moyen d'expression digne de leur sympathie et de leur interet. Un mouvement avait ete cree, mais ce mouvement n'avait pas depasse certains milieux snobs et le cinema continuait a avoir des ennemis irreductibles qui n'hesitaient pas a dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas et a le dire avec autorite. Que Paul Souday s'exclame « Le cinema, c'est de la sous-crotte de bique ! », on peut voir en cette affirmation une de ces boutades auxquelles le critique du « Temps » se laissait facilement emporter et qui n'avaient d'importance que pour lui-meme. Mais que Rene Doumic n'hesite pas a declarer : « Le cine- ma ?... Un inquietant retour vers la barbarie ! » ou Anatole France : «Le cinema materialise le pire ideal populaire... II ne s'agit pas de la fin du monde, mais de la fin de la civilisation », voila qui est plus grave parce que d'une part le directeur de « La Revue des Deux Mondes », quoi qu'en puissent penser les disciples de « La Nouvelle Revue Fran- caise », non seulement dirige, mais encore represente une partie de l'opinion et parce que, d'autre part, l'auteur des Dieux ont soif est universellement regarde comme un esprit moderne, qu'aucune nou- veaute, si audacieuse qu'elle puisse etre, n'effraie et que Ton est autorise a penser qu'il sait de quoi il parle puisque plusieurs de ses ceuvres (i) ont ete portees a l'ecran, l'une d'elles notamment (Crain- quebille) avec un succes suffisant pour que son auteur puisse avoir du cinema une opinion favorable. Mais ces opinions ne provoquent que de rares reactions et de faibles protestations : le cinema n'est pas entre dans les mceurs francaises, on ne le prend pas au serieux. Pour ceux qui ne cherchent pas a en vivre, il n'est qu'une distraction, un passe-temps, quelque chose comme un petit animal encore un peu sauvage dont le comportement, (i) Les ceuvres d' Anatole France qui, a cette epoque, ont ete portees a l'ecran sont Le Lys Rouge, Thais, Crainquebille et Jocaste. LE CINEMA FRAN£AIS EN 1929 493 parfaitement imprevisible, merite parfois un peu d'attention bien- veillante. Mais rien de plus. Aussi, la production a-t-elle pu tomber de deux cent huit films en 1919 a soixante-dix en 1929 sans que l'opinion s'en soit emue : les films americains, allemands et autres ne sont-ils pas la pour assurer aux ecrans des programmes suffisants pour les cinquante-deux semaines de l'annee ? Le cinema est ne en France, mais il n'est pas pres d'en etre devenu l'industrie nationale. C'est en France qu'il est devenu un art, qu'il a decouvert les voies dans lesquelles il pouvait et devait se developper, qu'il a pris les differentes formes sous lesquelles il pouvait se manifester mais le public francais n'a pas l'air de s'en rendre compte et il n'a aucune reconnaissance, aucune consideration pour ceux qui ont permis a cet art d'evoluer. Que ce passe-temps qu'est pour lui le cinema lui permette d'avoir du monde une vision plus large et plus precise, une connaissance plus complete, plus rapide et surtout plus facile que celle dont tradi- tionnellement il va chercher les elements dans la lecture et plus par- ticulierement depuis le debut du xixe siecle dans celle des journaux, il l'accepte sans toujours s'en apercevoir de facon tres precise, mais ce r^alisme lui, plait. II lui plait tellement qu'il lui est difficile d'admettre que ce qu'il voit sur l'ecran n'a pas eu lieu. Les premiers spectacles que celui-ci lui a -offerts etaient de simples enregistrements de ban ales realites sans la moindre intervention d'imagination humaine si bien que peu a peu et tout naturellement on fut « dispose a croire, comme l'a fort justement note Denis Marion, que la projection sur l'ecran impli- quait necessairement une realite anterieure qu'elle se bornait a repro- duire (1). » Et cette disposition persista lorsque la plus grande partie du spectacle cinematographique fut composee de films a base d'imagi- nation, ces films qui n'avaient d'autre but que de plaire au public, s'efforcant tout naturellement d'etre une reproduction aussi fidele que possible de la realite. Jusqu'oii cette reproduction de la realite — malgre les efforts d'un Melies, d'un Rene Clair a peu pres seuls a avoir vu qu'elle ne constituait pas 1' unique fin vers laquelle le cinema devait tendre — pouvait-elle aller, personne ne Timaginait, les exigences du public se faisant chaque jour plus imperieuses a cet egard. L'evolution de l'art cinematographique se poursuivait done a peu pres suivant une seule direction, Taction d'un Abel Gance, d'un Marcel L'Herbier, d'un Rene Clair, d'une Germaine Dulac, en France, des expressionnistes en Allemagne demeurant sans effet sur les producteurs pour qui, en dehors du realisme, il n'y avait pas de salut. (1) Denis Marion: « Aspects du cinema')). (Editions Lumiere, Bru- xelles, 1946.) 494 HISTOIRE DU CIN&MA Que cette evolution fut arrivee en 1928, a un tournant ou plut6t a une impasse, qui s'en rendait compte aussi bien dans le public que parmi les industriels et les commercants ? Et pourtant apres Therese Raquin et Napoleon, apres Un Chapeau de paille d'ltalie et La Passion da Jeanne d'Arc, il n'y a plus guere de voies nouvelles ouvertes devant le r£alisateur qui en tend ne pas recommencer ce qu'il a deja fait etqui, constatant que le cinema ne doit pourtant pas etre vide* de son contenu, cherche encore et toujours du nouveau (1). Ce nouveau c'est d'Amerique qu'il surgira et qu'il arrivera en France dans le courant de 1929 avec le « parlant ». Le « parlant » qui, repondant au vceu secret de la foule, enfoncera encore plus profondement le cinema dans son cher realisme. Le « parlant » en face duquel les meilleurs d'entre les cineastes francais — aussi bien Jacques Feyder que Rene Clair — hesiteront assez longtemps avant de l'accepter et de se resigner a le servir. S'ils hesitent ainsi, c'est non pas peut-etre parce qu'ils ne voient pas que le parlant c'est l'avenir et la seule chance que le cinema ait de poursuivre son evolution normale, mais parce qu'ils se sentent envahis par une melancolie bien comprehensible en pensant a tout ce que le cinema muet a ete — espoirs, ambitions, efforts, deceptions — a tout ce qu'il aurait pu etre pour eux s'il avait 6t6 mieux compris, mieux servi par ceux a qui il a le plus largement profits et en vers qui il aurait 6te" encore plus genereux s'ils avaient 6te plus conscients de leurs devoirs et de ses possibilites. (i)«Th6rese Raquin, Les Damnes de l'Ocean, Solitude, la Foule abordaient a cet age heureux et detestable d'un art ou la perfection de sa technique et la surete de ses effets le vouent au deperissement, oil le hasard et I 'incertitude du resultat ne jouant plus pour Vouvrier pleinement maitre de sa main, les meilleurs frolent, pour se divertir, les precipices, ou ceux qui possedent le plus de hardiesse et de genie, se jettent a I'abime par horreur de la prudence, par appetit d'un risque que leur labeur quotidien cesse de leur procurer. Le createur veut toujours trembler. Nous cherchions tous un pre- cipice. Les Warner Brothers nous I'ont fourni et sans marchander sur la qualitd du vertige. » (Alexandre Arnoux : « Du muet au parlant ». La Nouvelle Edition, Paris, 1946.) INDEX DES NOMS CITES John Abbott : p. 53. Alfred Abel : p. 314, 427. Leon Abrams : p. 425. Abric : p. 437. Marcel Achard : p. 250, 364. Raymond Aimos : p. 41. Marcella Albani : p. 429. Albert I de Monaco : p. 450. Pierre Alcover : p. 314, 384, 389. Jeanne d'Alcy : p. 51, 453. Joe Alex : p. 266. Rene Alexandre : p. 215, 384. Alexiane : p. 214, 237. Marcel Allain : p. 99, 101. Marc Allegret : p. 437, 439, 441. Rene Allendy : p. 272. Louis Allibert : p. 229, 231. Alex Allin : p. 276. Blanche Altem : p. 218. Denys Amiel : p. 242, 257. Fred Philippe Amiguet : p. 191, 310, 3i7> 3i8, 373, 376, 464. Paul Amiot : p. 210, 213. Emile Andre : p. 212, 455. Marcel Andre : p. 372. Henri Andreani : p. 80, 118, 130, 214, 254, 340. Robert Andrews : p. 427. Yvette Andreyor : p. 98, 101, 130, 215, 235, 260, 393, 455, 468. Josette Andriot : p. 126. Jean Angelo : p. 116, 129, 209, 232, 237, 276, 283, 346, 393, 399, 421, 424, 475, 478. Annabella : p. 239, 338, 426, 467. Andre Antoine : p. 121, 181, 423, 459- Andre-Paul Antoine : p. 444. Tsuru Aoki : p. 236, 425. Arcy-Hennery : p. 444. Christian Argentin, p. 215. Nestor Ariani : p. 316. Yette Armel : p. 219, 267. Etienne Arnaud : p. 309. Jacques Arnna : p. 215, 237. Alexandre Arnoux : p. 136, 169, 172, 238, 284, 286, 289, 494. Arquilliere : p. 86, 120, 126, 209, 258. Jean Arroy : p. 404, 478. Antonin Artaud : p. 259, 261, 338, 381. Leon Arvel : p. 259, 359. Astaix : p. no, 149. Gabriel Astruc : p. 371. Genica Athanasiou : p. 231, 426. Athanasiu : p. 145, 447. Jane Aubert : p. 225, 421. Louis Aubert : p. 131, 142, 156, 345, 346, 483, 484, 489. . Raoul d'Auchy : p. 98, 214. Leon Audouin-Dubreuil : p. 440. Mary Ault : p. 429. J.-G. Auriol : p. 444. Claude Autant-Lara : p. 268, 310. Gine Avril : p. 250. Lew Ayres : p. 357. B Andre Bacque : p. 128. Regina Badet : p. 123, 129, 131, 208, 469. Jean-Paul de Baere : p. 215. Auguste Bailly : p. 401. Mme de Baillehache : p. 401. Josephine Baker : p. 214, 469. Betty Balfour : p. 422. Jeanne de Balzac : p. 222, 470. George Bancroft : p. 472. Augusto Bandini : p. 427. Vilma Banky : p. 426. Rene Barberis : p. 219. Gina Barbieri : p. 437. 49<> HISTOIRE DU CINEMA Charlotte Barbier-Krauss : p. 229, 435- Eric Barclay : p. 237, 384, 387, 401, 428. Lia Bardi : p. 351. Maurice Bardeche : p. 9, 92, 144, 212, 333. Camille Bardou : p. 126, 230, 276 407, 472. Paul Barlatier : p. 219. Auguste Baron : p. 73. Louis Baron : p. 87. Jacques de Baroncelli : p. 119, 188, 216, 259, 265, 383-387. 4i6, 421. Jean Barreyre : p. 427. Charles Barrois : p. 353, 356. Iris Barry : p. 53. John Barrymore : p. 399. Julia Bartet : p. 117, 452, 453. Leon Bary : p. 237, 427. Henry Bataille : p. 208, 249, 250, 434. Pierre Batcheff : p. 218, 239, 265, 281, 313, 337, 368, 391, 393, 428, 472. Charles Baudelaire : p. 28, 249, 261, 267, 463. Henri Baudin : p. 218, 219, 222, 231, 232, 233, 237, 422, 427, 472. Harry Baur : p. 128, 164, 425, 472. A. Bayard : p. 444. Henri Becque : p. 146. Wallace Beery : p. 472. Marie Bell : p. 213, 227, 231, 235, 468. Benedict : p. 213, 400. Enrico Benfer : p. 429. Rene Benjamin : p. 468. Alexandre Benois : p. 340. Pierre Benoit : p. 208, 223, 234, 237, 288, 345, 346, 427, 442, 459. Edmond Benoit-Levy : p. 109-114, 445- Jean Benoit-Levy : p. 156, 271, 43i, 443- Annette Benson : p. 234, 386, 427. Berangere : p. 230. Francois Berge : p. 313. H. Bergson : p. 144. Theo Bergerat : p. 213. J. Berliet : p. 438. Alex Bernard : p. 429. Armand Bernard : p. 218, 428, 480. J.-C. Bernard : p. 443. Leon Bernard : p. 164, 232. Paul Bernard : p. 230. Raymond Bernard : p. 129, 157, 180, 197, 259, 311, 389-391* 421. Tristan Bernard : p. 208, 345, 389. Arthur Bernede : p. 131, 164, 175. Lysiane Bernhardt : p. 235, 470. Sarah Bernhardt : p. 120, 122, 123, 126, 128, 164, 424, 425. Blanche Bernis : p. 279 r Henry Bernstein : p. 182, 208, 225, 304, 383. Jules Berry : p. 314. Camille Bert : p. 234, 391, 422, 426, 428. Pierre Bert : p. 266. Andre Berthomieu : p. 34, 259, 436. Jean Bertin : p. 237. Francesca Bertini : p. 225, 421, 427. Andre-Francis Bertoni : p. 219. Maurice Bessy : p. 45. Betove : p. 428. Suzanne Bianchetti : p, 158, 215, 220, 225, 230, 237, 276, 337, 377, 381, 401, 408, 427, 441, 462, 467. Prof. Bidet : p. 446. Georges Biscot : p. 212, 220. Rene Bizet : p. 428. Stuart Blackton : p. 152. Carlyle Blackwell : p. 422. Jacqueline Blanc : p. 232. Rene Blancard : p. 230. Pierre Blanchar : p. 34, 227, 281, 377< 39i» 461, 475- Noe Bloch : p. 398, 403. Rene Blum : p. 254, 255. Betty Blythe : p. 427. Boisyvon : p. 309. Boldireva : p. 398. Daniel Bompard : p. 220. PepaBonafe : p. 128, 401. Carmen Boni : p. 427. Jean de Bonnefon : p. 120. Dr. Bordas : p. 443. Henry Bordeaux : p. 433. Jean Borlin : p. 366. Henry Bosc : p. 125, 130, 158, 214. Romeo Bosetti : p. 80. Bouboule : p. 212. INDEX DES NOMS CIT.£S 497 Victor Boucher : p. 126. Boucot : p. 95, 233. Robert Boudrioz : p. 233, 237-239, 241, 250, 401, 421. Regine Bouet : p. 214, 242, 468. J.-L. Bouquet : p. 232, 260, 394. Armand Bour : p. 117, 118, 208. Thorny Bourdelle : p. 377, 381. Bourgassoff : p. 398. Gerard Bourgeois : p. 130, 169, 194, 213, 428. Paul Bourget : p. 215, 421. Frederic Boutet : p. 351, 383. Edmond Boutillon : p. 57, 59. Berthe Bovy : p. 82, 115, 116. Charles Boyer : p. 281, 426. Mme Boyer : p. 385. Rene Boylesve : p. 404. Andree Brabant : p. 235, 384, 389, 393, 401, 407, 436, 467. Jean Bradin : p. 427. Albert Bras : p. 406. Henry Brasier : p. 237. Robert Brasillach : p. 9, 92, 144, 212, 333. Hans Brausewetter : p. 381, 430. Breon : p. 98, 101, 455. Pierre Bressol : p. 127, 232. J.-L. Breton : p. 448. Lucienne Breval : p. 468. Leon Brezillon : p. 59. Jeanne Brindeau : p. 242, 399, 425. Adolphe Brisson : p. 116. Louise Brooks : p. 427. Gaston Brotteaux : p. 80. Zina Brozia : p. 468. M. Brucker : p. 444. Adrien Bruneau : p. 445, 446. Jane Bruno-Ruby : p. 67, 237. Andre Brunot : p. 123. Julia Bruns : p. 427. Bujard : p. 167. Lucien Bull : p. 447, 448. Eugenie Buffet : p. 338, 469. Luis Bunuel : p. 262, 265. Leonce H. Burel : p. 167, 237, 339. Charles Burguet : p. 98, 131, 169, 180, 193, 195, 197, 229, 230, 457- 459» 460. Walter Butler : p. 281. Adrien Caillard : p. 213. Pierrette Caillol : p. 230. Andre Calmettes : p. 114, 117, 118, 119, 150, 196, 214. Miss Campton : p. 95, 231. Adolphe Cande : p. 123, 130, 209, 212, 239. Arturo Canero : p 429. Riccioto Canudo : p. 102, 116, 128, 164, 214, 253-255, 286, 295, 301, 310, 327, 374, 376, 410, 492. Albert Capellani : p. 80, 120, 121, 185, 200, 201. Paul Capellani : p. 208, 305, 319, 422, 453- Marcya Capri : p. 421, 427, 470. Louis de Carbonnat : p. 219. Genevieve Cargese : p. 434, 438. Renee Carl : p. 98, 101, 233, 455. Marcel Carne : p. 268, 437, 439. Pierre Caron : p. 236. Georges Carpentier : p. 469. J. Carpentier : p. 146. Joaquim Carrasco : p. 427. Marguerite Carre : p. 348, 468. Michel Carre : p. no, 120, 197. Rene Carrere : p. 233, 234. Betty Carter : p. 429. Max Carton : p. 237, 313. Pauline Carton : p. 214, 428. Paul Cartoux : p. 469. Jacques de Casembroot : p. 438. Jean Cassagne : p. 237. Paul Caste lnau : p. 441. Virginia de Castro : p. 422. Jaque Catelain : p. 233, 237, 259, 304» 306, 308, 310, 314, 316, 319, 320, 399, 428, 474. Alberto Cavalcanti : p. 249, 279- 282, 320, 421, 490. Lina Cavalieri : p. 208, 468. Cazalis : p. 137. Madeleine Celiat : p. 128. Blaise Cendrars : p. 165, 177. Acho Chakatouny : p. 232, 237, 338, 399> 4i8, 427, 434- Georges Champavert : p. 213. Emilien Champetier : p. 219. Maurice Champreux : p. 220. Felicien Champsaur : p. 164, 215. 32 498 HISTOIRE DU CIN£MA Georges Chaperot : p. 347, 350, 352. Charlie Chaplin : p. 41, 51, 90, 91, 94, 108, 177-179* J99> 4°6, 410, 415, 453, 480. Georges Charensol : p. 364. Georges Charlia : p. 237, 242, 401, 426, 427. Charpentier : p. 212. Alphonse de Chateaubriant : p. 288, 378. Roger de Chateleux : p. 219. Chaumont : p. 79, 80, 118. Emile Chautard : p. 118, 125, 126, 201, 237. Chavez : p. 427. Jeanne Cljeirel : p. 348. Gaston Chelle : p. 444. Pierre Chenal : p. 437, 439. Gaston Cherau : p. 384. Victor Cherbuliez : p. 208, 231. Maurice Chevalier : p. 89, 131, 218, 469. Luigi Chiarini : p. 7. Samama Chikly : p. 157. Edouard Chimot : p. 233, 234. Andre Chomel : p. 443. Henri Chomette : p. 265, 266, 442. Frederic Chopin : p. 261. Jean Choux : p. 236, 422. Mady Christians : p. 386. Suzanne Christy : p. 429. Monique Chrysts : p. 219, 231, 242, 468. Rene Clair : p. 51, 90, 136, 200, 211, 244, 261, 263, 279, 312, 324, 357, 359-369, 402, 427, 442, 460, 481, 488, 490, 493, 494. Gil Clary : p. 422. Maurice Claudius : p. 76, 128. Georges Clemenceau : p. 236. Camille Clermont : p. 479. Ivy Close : p. 330. Jean Cocteau : p. 295. R. Cohendy : p. 441. Emile Cohl : p. 34, 132, 133-139, 149, 37i, 4i8. Rene Coiffard : p. 246. G. Michel Coissac : p. 9, 19, 20, 24, 28, 38, 71, no. Alexandre Colas : p. 399. Georges Colin : p. 422. A. Collette : p. 445. Louise Colliney : p. 209, 237. Pierre Colombier : p. 220, 401. Dr. Comandon : p. 68-69, x45, 447> 449- Lillian Constantini : p. 231. Romain Coolus : p. 242, 466. Jacques Copeau : p. 286. Jean Coquelin : p. 434. Nelly Cormon : p. 123, 209, 235. Ricardo Cortez : p. 225, 421. Andre Corthis : p. 247, 251. Mary Costes : p. 314. Edgard Costil : p. 154. Benjamin Cremieux : p. 313. Rene Creste :' p. 98, 101, 175, 177, 233, 455, 47i. Francis de Croisset : p. 239, 356. P. Croue : p. 209. J.-L. Croze : p. 153, 154, 158. James Cruze : p. 410. I) Berthe Dagmar : p. 213. Lil Dagover : p. 393, 427, 428. Ture Dahlin : p. 320. Dahon : p. 372. Maria Dalbaicin : p. 232, 469. Salvator Dali : p. 265. Gilbert Dalleu : p. 126, 230, 233, 236. Lucien Dalsace : p. 214, 215. Pierre Daltour : p. 426. Arnold Daly : p. 265, 427. Damia : p. 337. Lili Damita : p. 425 ,470. Ph. Damores : p. 130. Colette Darfeuil : p. 214, 426, 427, 467. Helene Darly : p. 209, 214, 400, 401. Rene Dary : p. 95. Alphonse Daudet : p. 208, 274, 469. Leon Daudet : p. 191. Marise Dauvray : p. 167, 209. Andre Daven : p. 250, 310. Jose Davert : p. 231, 378, 381, 427, 472. Constantin J. David : p. 428. Dolly Davis : p. 219, 229, 231, 266, 366, 401, 466, 470. INDEX DES NOMS CIX£S 499 Jean Dax p. 82, 213, 218, 236, 425, 426, 428, 434, 471. Olga Day : p. 427. Max Dearly : p. 8j, 123, 457. Henri Debain : p. 232, 233, 237, 389> 393, 399- Andre Dearie: p. 106, 125, 145, 447. Jean Debucourt : p. 220, 234, 235, 278. Claude Debussy : p. 261. Henri Decoin : p. 469. Pierre Decourcelle : p. 113, 120, 150, 174, 208, 210, 422. Andre- Deed : p. 81, 235. Emile Dehelly : p. 120, 259. Jean Dehelly : p. 259, 381, 437, 438. Maurice Dekobra : p. 234, 427, 428. Charles Delac, p. 16, 122, 156, 180, 259, 488. William Delafontaine': p. 340, 444. Lucie Delarue-Mardrus : p. 314 Henriette Delannoy : p. 468. Louis Delaunay : p. 117. Louis Delluc : p. 92, 105, 122, 164, 171, 174, 176, 182, 184, 185, 190, 191, 192, 198, 200, 245-252, 257, 258, 259, 280, 303, 307, 3i9, 324, 325, 375> 383, 456, 458, 465, 466, 470, 479, 488, 492. Maly Delschaft : p. 429. Jeanne Delvair : p. 120, 122, 232, 384, 385. Suzanne Delve : p. 213. Jules Demaria : p. 106, 125. Georges Demeny : p. 30, 34. Georges Deneubourg : p. 310, 357, 406. Georges Denola : p. 120. Juliette Depresle : p. 372. Suzy Depsy : p. 130. Lucie Derain : p. 443. Derigal : p. 212. Germaine Dermoz : p. 128, 208, . 258, 460. D. Bernard Deschamps : p. 236, ,398. Pierre Desclaux : p. 446, 450. Jeanne Desclos : p. 218, 432, 433. Henry Desfontaines : p. 60, 80, 120, 127, 130, 156, 214, 260. Maxime Desjardins : p. 167, 218, 230, 236, 237, 433. Eugene Deslaw : p. 264. Gaby Deslys : p. 129, 231, 469. Lily Deslys : p. 234, 470. Xenia Desni : p. 225, 421. Robert Desnos : p. 263. Suzanne Despres : p. 189, 221, 234, 305, 319, 373, 374, 467- Otto Detlefsen : p. 406. Georges Devallieres : p. 237. Alexandre Devarenne : p. 130, 156, 158. Rachel Devirys : p. 214, 225, 349, 427, 436, 467. Suzanne Devoyod : p. 459. Dr. Devraigne : p. 443. Lien Deyers : p. 429. France Dhelia : p. 83, 213, 221, 231, 385, 427, 467- Marfa Dhervilly : p. 267. Serge de DiaghilefT : p. 367, 411. Henri Diamant-Berger : p. 217, 218, 225, 361, 428, 469. Cecile Didier : p. 128. A. Dieterle : p. 123. Marlene Dietrich : p. 463. Albert Dieudonne : p. 117, 130, 233, 337, 415, 468. Gennaro Dini : p. 220. Walt Disney : p. 52, 54, 133, 139, 418. Fernand Di voire : p. 253. Donatien ; p. 234. Maurice Donnay : p. 428. Marcel Doret : p. 443. Roland Dorgeles : p. 166. Giulio Dorian del Torre : p. 429. Dorival : p. 123. A. Domes : p. 425. Gabrielle Dorziat : p. 232. Edmond Douheret : p. 449. Rene Doumic : p. 144, 207, 492. Dr. Doyen : p. 68, 69, 145. Emile Drain : p. 158, 214, 225, 472. Jean Dreville : p. 437, 439. Arturo Duarte : p. 422, 428. Albert Dubeux : p. 117. Andre Dubosc : p. 123, 214, 231. Dubois : p. 444. Paul Due : p. 384. 500 HISTOIRE DU CINEMA Huguette Duflos : p. 210, 220, 230, 232, 235, 426, 434, 459, 460, 473, 474- Raphael Duflos : p. 210. Blanche Dufrene : p. 208. R. Duges : p. 237, 380. Germaine Dulac : p. 67, 188-190, 200, 241, 245, 252, 257-267, 327, 373> 375, 465, 466, 488, 493- Charles Dullin : p. 218, 236, 284, 288, 313, 390, 391, 427, 471. Marcelle Ch. Dullin : p. 391. Alexandre Dumas : p. 180, 218, 221. Alexandre Dumas fils : p. 188 , 326. Regine Dumien : p. 232, 242, 467. Marcel Dumont : p. 219. Henry Dupuy-Mazuel : p. 225, 390, 39i- Edmond Duquesne : p. 82, 123, 209. Michel Duran : p. 250, 310. Jean Durand : p. 95, 98, 156, 213. Georges Dureau : p. 85, 149. Albert Durec : p. 231, 428. Henri Duvernois : p. 460. Julien Duvivier : p. 214, 427, 431, 432-435, 49°. Yan B. Dyl : p. 237. Dziga-Vertoff : p. 278, 381. Thomas A. Edison : p. 23, 30, 31, 32, 35, 38, 53, 64, 147- Ilya Ehrenbourg : p. 315. Lia Eibenschutz : p. 428. S. M. Eisenstein : p. 332. Robert ElHott : p. 223, 429. Isobel Elsom : p. 386. Andrews Engelmann : p. 428. Edmond Epardaud : p. 435. Jean Epstein : p. 173, 200, 249, 252, 259, 271-279, 280, 286, 327, 329, 342, 401, 435, 450, 462, 464, 476, 488, 490. Marie-Antonine Epstein : p. 271, 276, 435, 436. Madeleine Erickson : p. 215, 468. Camille Erlanger : p. 172. Pierre l'Ermite : p. 221. Joseph Ermolieff : p. 397, 398, 409. Maurice Escande : p. 208-, 209, 215, 237, Jean d'Esme : p 441. Georges d'Esparbes : p. 236. Pierre Etchepare : p. 95, 214. Henri Etievant : p. 120, 128, 130, 214, 40O, 428, 432. Jeanne E tievant p. 130. Jeane Even : p. 215. Nicolas Evreinoff : p. 428. J. David Evremond : p. 236, 237, 242, 268. Yane Exiane : p. 214. Jane Faber : p. 233. Henri Fabert : p. 235. Luce Fabiole : p. 259. Fernand Fabre : p. 259. Fabienne Fabreges : p. 103. Fabris : p. 469. Gael Fain : p. 491. Douglas Fairbanks : p. 454. Joseph Faivre : p. 125. Claude Farrere : p. 236, 383, 425. Fatty (Arbuckle) : p. 452, 480. Genevieve Felix : p. 215, 219, 221, 460. Jacques de Feraudy : p. 233, 238. Maurice de Feraudy : p. 208, 259, 348, 368, 427, 468. Jane Ferney : p. 268. Marthe Ferrare : p. 214, 230, 232. Rene Ferte : p. 438. Henri Fescourt : p. 98, 180, 195, 393-395, 42i, 488. Louis Feuillade : p. 8i, 98-101, 104, 108, 150, 169, 174, 177, 197, 211-213, 259, 305, 360, 372, 455, 462, 481. Edwige Feuillere : p. 326. Octave Feuillet : p. 248, 326. Georges Feydeau : p. 208. Jacques Feyder : p. 200, 223, 345- 358, 402, 421, 424, 442, 460, 461, 462, 463, 464, 475, 488, 489, 494. Sylvette Fillacier : p. 220. George Fitzmaurice : p. 171. Olaf Fjord : p. 234, 428. Gustave Flaubert : p. 221. Edmond Fleg : p. 374, 375, 478. Max Fleischer : p. 136. Robert de Flers : p. 194, 356. INDEX DES NOMS CIT£S 501 Robert Florey : p. 31. Focillon : p. 139. de Fonbrune : p. 145, 447. Germaine Fontanes : p. 238, 468. Catherine Fonteney : p. 208, 231, 372. Footit : p. 134, 179, 249, 469. Felix Ford : p. 236, 425. Jean Forest : p. 348, 349. Louis Forest : p. 21. Maurice Forster : p. 167, 442. Jacqueline Forzane : p. 221, 231, 237, 400, 470. Kenelm Foss : p. 429. Georges de la Fouchardiere : p. 481. Michel Fourrc-Cormeray : p. 44. Lucy Fox : p. 223, 429. Anatole France : p. 143, 235, 347, 492. Claude France : p. 215, 227, 304, 319, 399, 427, 428, 434, 466. Victor Francen : p. 432. Paul Franceschi : p. 346. Eve Francis : p. 191, 226, 242, 245, 249, 250, 251, 252, 261, 306, 308, 309, 310, 312, 313, 319, 464- 466, 468, 479. Paul Franck : p. 82. Georges Franju : p. 80. Jean-Jose Frappa : p. 390, 391. Les Fratellini : p. 237, 469. Francois Fratellini : p. 425. Fabienne Frea : p. 237. Fr^chet : p. 445. Guy du Fresnay : p. 236. Pierre Fresnay : p. 220, 230, 232. Simone Frevalles : p. 468. Frois : p. 449. Maria Fromet : p. 213. Pierre Frondaie : p. 130, 383, 434. Alphons Fryland : p. 427. Loie Fuller : p. 244. Jaro Fiirth : p. 239. Clark Gable : p. 454. Gabriel Gabrio : p. 242, 261, 386, 393, 427, 472. Henri Gad : p. 266. Eugene Gaidaroff : p. 418. Jimmy Gaillard : p. 271, 436. Marius-Francois Gaillard : p. 311. Felix Galipaux : p. 73, 90, 134. Georges Galli : p. 434. Carmine Gallone : p. 427, 463. Soava Gallone : p. 427. Gambard : p. 80. Abel Gance : p. 98, 117, 144, 156, 165, 166, 182-188, 103, 200, 207, 259,271, 281, 286, 321-343, 358, 380, 398, 399, 415, 426, 458, 463, 464, 478, 488, 489, 493. Marguerite Gance : p. 338. Felix Gandera : p. 83, 209. Simon Gantillon : p. 248. Garbagni : p. 80. Greta Garbo : p. 199, 289, 357, 463. Philippe Gamier : p. 119, 120, 208. Robert- Jules Gamier : p. 310. Claude Garry : p. 82, 123. Louis Gasnier : p. 80, 8y, 174, 201, 453- Marco de Gastyne : p. 233, 234. Leon Gaumont : p. 64-66, j^, 76, 97, 105, 135, 141, 146-148, 149, 150, 212, 288, 303, 313, 371, 485. Theophile Gautier : p. 281. Constantin Geftmann : p. 340. Firmin Gemier : p. 130, 184. Simone Genevois : p. 234, 400. Augusto Genina : p. 427. Madeleine Geoffroy : p. 310. Jim Gerald : p. 367, 368, 481. Paul Geraldy : p. 459. Marc Gerard : p. 209. Germain : p. 214. Valeska Gert : p. 429. Andre Gide : p. 437, 442. Jean Giroux : p. 443. Lillian Gish : p. 467. Lucien Gleize : p. 220, 371, 428. Maurice Gleize : p. 427. Mary Glory : p. 314, 393. Bernhard Goetzke : p. 239, 393, 428. Henry de Golen : p. 219. Edmond de Goncourt : p. 246. Michel Gorel (off) : p. 355, 437. Gosch : p. 397. L. Gouget : p. 130, 400. Roger Goupillieres : p. 219. Jean Gourguet : p. 438. Mona Goya : p. 438. 502 HISTOIRE DU CINEMA Georges Grand : p. 123. Suzanne Grandais : p. 98, 103, 129 180, 194, 226, 230, 393, 456, 457 460. Jeanne Granier : p. 86. H.-C. Grantham-Hayes : p. 427 Fred-Leroy Granville : p. 427. Grau : p. 286. Gabriel de Gravone : p. 120, 232 233> 330, 398, 399» 427» 472 Bert Green : p. 138. Georges Gregoire : p. 128. Jean Gremillon : p. 284, 285, 490 Jacques Gretillat : p. 120, 128 189, 208, 232. Lillian Greuze : p. 209. Greyjane : p. 212. D.-W. Griffith : p. 50, 129, 326 Manuel Grillo : p. 429. Raoul Grimoin-Sanson : p. 72, 75 Grivolas : p. 54. Grock : p. 179. Jeanne Grumbach : p. 128. Karl Griine : p. 478. Henry Gsell : p. 223. Joseph Guarino-Glavany : p. 219. Enrico Guazzoni : p. 345. Eugene Gugenheim : p. 150. Rene Guichard : p. 313. Paul Guide : p. 126, 209, 230, 242, 261, 408. Yvette Guilbert : p. y^, 314, 422, 469. Jacques Guilhene : p. 123, 126, 130, 399» 468. Louis Guilloux : p. 347. Pierre de Guingand : p. 215, 218, 225, 421, 426. Lucien Guitry : p. 225, 348, 478, 479- Sacha Guitry : p. 231. Jean Guitton : p. 401. Madeleine Guitty : p. 225, 230, 242, 372. Alice Guy : p. 66, 189. Edmonde Guy : p. 469. Jean Guyon-Cesbron : p. 463. Albert Guyot : p. 267, 268. H Georges Haardt : p. 440. Jane Hading : p. 122. Ludovic Halevy : p. 434. Lillian Hall-Davis : p. 386. Forrest Halsey : p. 421. Joe Hamman : p. 127, 212, 214, 215, 235, 427, 472. Pierre Hamp : p. 231. Lars Hanson : p. 463. Mary Harald : p. 235. Harizeau : p. 266. Diana Hart : p. 427. Georges Hatot : p. 80. Sessue Hayakawa : p. 51, 90, 118, 171-173, 199, 236, 251, 412, 425. Fabien Haziza : p. 435. Jacques Hebertot : p. 364. Ivan Hedquist : p. 429. Louis d'Hee : p. 237. Jeanne Helbling : p. 219, 233, 239, 266, 427, 468. Brigitte Helm : p. 314, 463. Hennion : p. 449. Philippe Heriat : p. 234, 279, 280, 281, 307, 308, 310, 319, 320, 337, 390, 472. Renee Heribel : p. 215, 225, 427, 468. Edouard Herriot : p. 235 , 419, 485, 486. Fernand Herrmann : p. 98, 212, 455- Henri Hertz : p. 158. Jean Herve : p. 83, 128, 208, 232, 313, 319. Paul Hervieu : p. 208, 215, 383. Rene Hervil : p. 95, 129, 169, 192, 231, 259, 426, 459. Rene Hervouin : p. 237. Catherine Hessling : p. 233, 279, 280, 282, 426, 467. Andre Heuze : p. 80, 8i, 130, 156. Andre Heuze (petit) : p. 435. Irene Hillel-Erlanger : p. 189. Hieronimus : p. 438. Jack Hobbs : p. 426. M. Hollebecque : p. 252. Arthur Honegger : p. 329. Pierre Hot : p. 391, 436. Henry Houry : p. 127, 195, 224, 232. Pierrette Houyez : p. 349. Paul Hubert : p. 218, 399, 425. Roger Hubert : p. 339. INDEX DES NOMS CITfiS 503 Victor Hugo : p. 175. Andre Hugon : p. 132, 156, 220, 428. Felix Huguenet : 122, 208. Marjorie Hume : p. 422. J.-K. Huysmans : p. 354. Pola Illery : p. 281, 428. A.-B. Imeson : p. 219. Denis d'Ines : p. 128. Rex Ingram : p. 428. Marie-Louise' Iribe : p. 233, 346, 468. Maria Jacobini : p. 434. Jacouty : p. 340. Gaston Jacquet : p. 215, 218, 225, 231, 237, 427, 433, 434. Berthe Jalabert : p. 158, 212, 214, 219, 232, 237. Celine James : p. 230. Harry-James : p. 237. Emil Jannings : p. 199, 479. Janssen : p. 17, 29. V. Jasset : p. 125, 126. Rene Jayet : p. 219. Rene Jeanne : p. 158, 231. Edith Jehanne : p. 391. Gladys Jennings : p. 421. Jean Joffre : p. 218. Justine Johnstone : p, 233. Joly : p. 60, 64. Paul Jorge : p. 399. Edward Jose : p. 427. Romuald Joube : p. 120, 128, 167, • 208, 209, 220, 390, 401, 471. Charles Jourjon : p. 125, 141, 237. Louis Jouvet : p. 245. Jenny Jugo : p. 408. Henri Jullien : p. 130. Violet te Jyl : p. 212, 468. K Albert Kahn : p. 145, 447. Alexandre Kamenka : p. 352, 398. Vera Karally : p. 398. Diana Karenne : p. 398, 408, 428. Roger Karl : p. 229, 250, 306, 314, 319. 374- 377> 405, 428, 471. j Paul Kastor : p. 131, 156. Boris Kaufmann : p. 264. Buster Keaton : p. 94, 406, 480, 481. Fred Kellermann : p. 312. Jean Kemm : p. 80, 169, 215, 226. Charles Keppens : p. 219. Rene Kerdyk : p. 360. Maurice Keroul : p. 213, 219. Joseph Kessel : p. 316, 426. Mary Kid : p. 428. Dimitri Kirsanoff : p. 267, 268. Henry Kistemaeckers : p. 208, 209, 384» 459- George Kleine : p. 127. Rudolph Klein-Rogge : p. 408, 427, 463. Therese Kolb : p. 208, 233, 259, 437> 468. Nicolas Koline : p. 215, 260, S3^» 398, 399, 400, 401, 406. Alex Koubitzky : p. 338. Maria Kousnetzoff : p. 208, 384, 468. Rene Koval : p. 128. Nathalie Kovanko : p. 398, 399, 400, 403. Kowal-Samborsky : p. 429. Henry Krauss : p. 120, 130, 214, 220, 228, 229, 231, 340, 407, 433, 435, 454. Werner Krauss : p. 283, 426, 463, 479- Harry Krimer : p. 337. Jules Kruger : p. 156, 339. Eugene Labiche : p. 366-369. Pierre Labry : p. 401. Michel du Lac : p. 266. Georges Lacombe : p. 268, 437, 439. Georges Lacroix : p. 98, 118, 156. Andree Lafayette : p. 428, 470. Pierre Laffitte : p. 114-117, 150. Louise Lagrange : p. 220, 225, 421, 460. Maurice Lagrenee : p. 237. Lallement : p. no, 149, 156. Etienne Lallier : p. 444. 504 HISTOIRE DU CINfiMA Lamartine : p. 208, 375, 376. Albert Lambert : p. 115, 117, 453. Georges Lampin : p. 340. Charles Lamy : p. 230, 233, 278, 481. Andre Lang : p. 192. Fritz Lang : p. 121, 312, 341. Gabrielle Lange : p. 128. Georges Lannes : p. 213, 232, 434, 472. G. Lara : p. 120. Germaine Larbaudiere : p. 218. Jacques Lasseyre : p. 237. Germaine Laugier : p. 227. E.-M. Laumann : p. 102. Jeanne-Marie Laurent : p. 130, 356, 377, 378, 381. Eugene Lauste : p. 31. Eve Lavalliere : p. 87, 123. Henry Lavedan : p. 115, 116, 119, 122. L£ar : p. 60, 75. Charles Le Bargy : p. 114, 115, 117, 120, 150, 196, 235, 453, 473. Georgette Leblanc : p. 312, 319, 468. Flora Le Breton : p. 427, 428. Frank Lederer : p. 434. Andre Lefaur : p. 130, 209. Rene Lefevre : p. 259, 427, 436, 481. Denise Legeay : p. 215, 399, 426, 468. Charles Leger : p. 287, 311, 492. Fernand Leger : p. 178, 265. Dr. Legendre : p. 447. Andre Legrand : p. 441. Jean Legrand : p. 237. Lucienne Legrand : p. 214, 234, 468. Rene Le Henaff : p. 438. Lucien Lehmann : p. 236. Maurice Lehmann : p. 224. Tony Lekain: p. 116, 219, 234, 235. Jules Lemaitre : p. 115, 117, 119, 122. Lucienne Lemarchand : p. 227. Marthe Lenclud : p. 208, 221, 469. Suzanne Lenglen : p. 469. Ica de Lenkeffy : p. 281, 427. Jacqueline Lenoir : p. 438. Felix Leonnec : p. 219. Henry Lepage : p. 432. Lepine : . p. 80. Gaston Leprieur : p. 130, 213. Rene Leprince : p. 80, 215, 260. Pierre Leprohon : p. 379, 440, 441, 442. Fred Louis Lerch : p. 353, 427. Jacques Lerner : p. 310. Gaston Leroux : p. 378. Prof. R. Leroux : p. 443. Rene Le Somptier : p. 193, 195, 221, 259, 460, 469. J. -P. Le Tarare : p. 320. Jean Letort : p% 313. Louis Leubas : p. 212. Marcel Levesque : p. 95, 98, 104, 105, i77> 455, 480. Marcel L'Herbier : p. 7, 116, 156, 171, 192, 197, 200, 212, 231, 262, 263, 279, 294-320, 324, 325, 358, 373, 401, 421, 437, 458, 465, 467, 474, 488, 490, 493. Andre Liabel : p. 125, 214, 220, 224. Gustave Libeau : p. 429. Raphael Lievin : p. 222. Rina de Liguoro : p. 408, 427. Olga Limburg : p. 428. Max Linder p. 52, yy, 85, 86-93, 102, 150, 179, 195, 197, 389, 426, 453-455, 473, 480. Roger Lion : p. 221, 237, 401, 422, 426, 429, 452, 462. Andree Lionel : p. 212, 215, 230, 468. Nathalie Lissenko : p. 276, 281, 286, 316, 397, 398, 401, 403, 406, 407, 409. Harold Lloyd : p. 94, 480. Lochakoff : p. 397. Jean Lods : p. 264. Lo Duca : p. 9, 45. Dr Lomon : p. 449. Malvina Longfellow : p. 422. Nestor Lopes : p. 429. Georges Lordier : p. 81, 130. Jean Lorette : p. 433. Claire de Lorez : p. 225, 422, 426. Lotte Lorring : p. 433. Rene Lorsay : p. 346. Lortac : p. 139. Denise Lorys : p. 219, 436, 468. Pierre Loti : p. 208, 384. INDEX DES NOMS CIT£S 505 Loutil (abb£) : p. 221. Pierre Louys : p. 383. Ernst Lubitsch : p. 351. Lucas : p. 339. Andre" Luguet : p. 34, 219, 233, 468. Luitz-Morat : p. 98, 231, 232, 260. Auguste Lumiere ': p. 16, 18, 21, 23. 27, 33, 34, 38, 40, 41, 42, 43, 44, 45. 58, 132, 149- Louis Lumiere : p. 16, 17, 18, 21, 23, 27, 33, 34, 38, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 58, 108, 132, 149. Jenny Luxeuil : p. 239. Emmy Lynn : p. 184, 186, 226, 227, 314, 319, 457-458, 461. Madeleine Lyrisse : p. 214. M Tim Mac Coy : p. 399. Alfred Machard : p. 213, 232, 233. Alfred Machin : p. 80, 154, 219, 220. Clifford Mac Laglen : p. 279, 281. Mack Sennett : p. 51, 82. Pierre Mac Orlan : p. 311. Pierrette Madd : p. 218, 468. Ginette Maddie : p. 212, 220, 233, 438, 468. Marguerite Madys : p. 215. Maurice Maeterlinck : p. 372, 480. Pierre Magnier : p. 82, 123, 209, 33Q. Rose Mai : p. 259. Fernand Mailly : p. 224. Juliette Malherbe : p. 213. Nicolas Malikoff : p. 428. Feliccia Mallet : p. 60. Robert Mallet-Stevens : p. 311. L. V. de Malte : p. 312. Marcel Manchez : p. 219. J. Mandement : p. 444. Gina Manes : p. 221, 260, 273, 316, 338, 353-355, 401, 427, 428, 462- 464. Cecil Mannering : p. 231. Olinda Mano : p. 212. Jean Manoussi : p. 219. Mansuelle : p. 120. Manzoni : p. 237. Pierre Marcel : p. 154, 303, 446. Arlette Marchal : p. 219, 225, 234, 235, 237, 350, 466. Leopold Marchand : p. 326. Rolf de Mar6 : p. 364, 367. Simone Mareuil : p. 265, 271, 320, 436, 437, 468. E.-J. Marey : p. 23, 29, 30, 31, 33, 34, 145, *49> 447- Jean Margueritte : p. 350. Maurice Mariaud : p. 169, 213. Marie de Roumanie : p. 244. F.-T. Marinetti : p. 253. Denis Marion : p. 7, 488, 489, 493. Jeanne Marken : p. 183, 189. Dr. Stephane Markus : p. 427. Jane Marnac : p. 130. Andre Marnay : p. 399. Pierre Marodon : p. 221, 421. Mary Marquet : p. 215, 425. Severin Mars : p. 159, 166, 173, 186, 187, 233, 236, 254, 330, 375, 398, 478-480. De.us^ Severin-Mars : p. 480. Maurice de Marsan : p. 213. Mona Martenson : p. 427. Charles Martinelli : p. 218, 362. Jules Mary : p. 208, 383, 400, 401. Leontine Massart : p. 82, 130, 209. Mary Massart : p. 213. Edouard Mathe : p. 98, 212, 455. Leon Mathot : p. 180, 209, 210, 215, 220, 223, 273, 427, 454, 462, 47i. Christian Matras : p. 443. Mattel : p. 393. J.-P. Mauclaire : p. 53, 106, 291. Charles Maudru : p. 213. Georges Mauloy : p. 235. Guy de Maupassant : p. 234, 281, 399- Rene Maupre : p. 220, 236, 399, 401. Clement Maurice : p. 18, 19, 20, $j, 68, 130, 149. Georges Maurice : p. 154. Edouard de Max : p. 120, 218, 468. Maxa : p. 209. Maxudian : p. 227, 229, 259, 267, 337, 422, 425, 426, 472. Francois Mazeline : p. 438. Desdemona Mazza : p. 230, 424, 433, 434- Ila Meery : p. 427. 506 HISTOIRE DU CINfiMA Meinhardt : p. 340. Georges Melchior : p. 101, 214, 346, 425, 428, 433, 455, 471. Georges Melies : p. 21, 34, 42, 43- 55. 65, 66, 76, yy, 79, 94, 106, 107, 112, 121, 135, 149, 150, 361, 368, 397, 453, 493. Raquel Meller : p. 227, 237, 351, 422, 461-462, 463. Tina Meller : p. 394, 467. Daniel Mendaille : p. 219, 231,' 377, 381, 426, 472. Georges Mendel : p. 75. Jean Mercanton : p. 129, 423, 425. Louis Mercanton : p. 115, 164, 169, 192, 231, 422, 423, 425. Charles Mere : p. 208, 229, 314, 383, 426. Loi's Meredith : p. 429. Claude Merelle : p. 215, 218, 220, 231, 232, 466. Prosper Merimee : p. 351-353. Felix Mesguich : p. 22, ^y, 39, 149. Mevisto : p. 214, 215. Michaut : p. no, 130, 149. Gaston Michel : p. 98, 212, 372. Marc Michel : p. 367. Hans Mierendorff : p. 419. Choura Milena : p. 234. Darius Milhaud : p. 311. Adelqui Millar : p. 427. Cecil B. de Mille : p. 129, 171-173, 251, 473- J.-K. Raymond Millet : p. 443. Jacqueline Milliet : p. 428. Sandra Milovanoff : p. 175, 211, 212, 235, 276, 360, 362, 366, 385, 386, 393> 427, 455- Jean Milva : p. 237. Yves Mirande : p. 401. Mistinguett : p. 94, 120, 131, 220, 469. Jean Mitry : p. 350. Gaston Modot : p. 194, 209, 230, 231, 232, 234, 245, 249, 268, 353. 385, 386, 391, 393, 401, 427, 472. Charles Moisson : p. 19. Gustaf Molander : p. 427, 463. Mme Monbazon : p. 424. Georges Monca : p. 76, yy, 80, 81, &7> 93, 169, 213, 219, 453. Louis Monfils : p. 233, 399. Monier : p. 446. Blanche Montel : p. 212, 220, 377, 422, 468. Conchita Montenegro : p. 385. Lois Moran : p. 313, 319, 320. Paul Morand : p. 277. Jean Morizot : p. 487. Gaby Morlay : p. 180, 194, 195,. 230, 236, 237, 357. Morle : p. 444, 460. Camille de Morlhon : p. 80, 81-83, 169, 196, 197, 209, 489. Ivan Mosjoukine : p. 199, 252, 259, 275. 313, 337> 397. 398, 399» 4°o, 401, 403, 409-417, 488. Charles Mosnier : p. 348. Sephora Mosse : p. 210. Paul Mounet : p. 117, 213, 479. Mounet-Sully : p. 115, 117, 142, 330, 452, 453, 479. Leon Moussinac : p. 171, 249, 250, 309, 320, 323, 327, 332, 333, 340, 343. 355. 359. 366, 375. 4°8, 483. Mundwiller : p. 339, 397. Suzanne Munte : p. 235. Jean Murat : p. 212, 214, 237, 259, 320, 353, 425, 472. Dudley Murphy : p. 265. Mae Murray : p. 467. Musidora : p. 98, 233, 237, 427, 455. Alfred de Musset : p. 235. Francine Mussey : p. 212, 215, 400, 401, 468. Edward Muybridge : p. 31, 35. Laurence Myrga : p. 288-290, 374, 376> 377, 37%, 44L 467. N Serge Nadejdine : p. 401. Aldo Nadi : p. 469. Kathe de Nagy : p. 428. Nita Naldi : p. 225, 421. Louis Nalpas : p. 180-184, 193, 260, 393. Mario Nalpas : p. 214. Stacia de Napierkowska : p. 120, 190, 208, 237, 345, 427, 469. Eugenie Nau : p. 208, 213, 233. Rene Navarre : p. 98, 101, 214, 219, 232, 235, 455, 462, 463, 471. INDEX DES NOMS CITfiS 507 Pierre Nay : p. 381. Alia Nazimova : p. 201, 467. Pola Negri : p. 351, 473. Lotte Neumann : p. 422. Asta Nielsen : p. 289, 351. Jose Nieto : p. 427. Charles Npdier : p. 383. Pierre Nogues : p. 145, 150, 447. Lucien Nonguet : p. 58, 59, 80, 81, 87, 453- Jacques Normand : p. 130. Rolla Norman : p. 221, 222, 399, 428, 433, 434, 472. Line Noro : p. 434. Ivor Novello : p. 424. Andre Nox : p. 220, 221, 225, 231, 232, 237, 242, 374, 381, 398, 399, 421, 426, 427, 428, 463, 477, 478, 479- Armand Numes : p. 120, 348. O Andre* Obey : p. 242, 257. Mary Odette : p. 406, 427. Rudolf Oertel : p. 34. O'Galop : p. 139. Georges Ohnet : p. 123, 184, 210, 248. Paul Ollivier : p. 401, 481. Juan de Orduna : p. 427. Louis Osmont : p. 210, 218, 340. Richard Oswald : p. 427. Reginald Owen : p. 422. G.-W. Pabst : p. 289. Louis Paglieri : p. 132, 214, 220. Marcel Pagnol : p. 280. Jean Painleve : p. 64, 439, 440. Paul Painleve : p. 448. Gina Palerme : p. 214, 236, 425, 466. Georges Pallu : p. 220. Nelly Palmer : p. 235. Raoul Paoli : p. 422, 427, 428/ 469. Valentino Parera : p. 427. Dita Parlo : p. 427, 434. Dariele Parola : p. 468. Lee Parry : p. 259. Andree Pascal : p. 208. Jean Pascal : p. 287. Pasquali : p. 279. Charles Pathe : p. 63-65, 68, 76, 83-85, 88, 93, 95, 108, 116, 137, 141, 145, 198, 205, 212, 343, 447,485- E.-C. Paton : p. 266. Georges Paulais : p. 234, 308. Pauley : p. 426. Gaston Paulin : p. 134. Paulus : p. 49. Livio Pavanelli : p. 429. Georges Peclet : p. 232, 237, 438, 462. Sylvio de Pedrelli : p. 233, 239, 399, 422. Robert Peguy : p. 130, 214. Pelletier d'Oisy : p. 469. Jean Perier : p. 123. Ernest Perochon : p. 384. Benito Perojo : p. 427. Leonce Perret : p. 95, 98, 102, 103, 104, 165, 183, 195, 201, 223-225, 259, 421, 423, 454, 456, 459. Pr. Perrin : p. 449. Valentine Petit : p. 103, 421. Ivan Petrovitch : p. 224, 225, 234, 260, 421, 427. Peyrot des Gachons : p. 449. Francis Picabia : p. 363. Lupu Pick : p. 331. Mary Pickford : p. 467. Marie-Therese Pierat : p. 233, 468. Emile Pierre : p. 95, 154, 339. Suzy Pierson : p. 422. Harry Piker : p. 231, 469. Rosario Pino : p. 429. Luigi Pirandello : p. 313. Pirou : p. 38, 60, 75. Georges PitoefT : p. 313. Robert Pizani : p. 237. Rene Plaissetty : p. 213. J.-A. Plateau : p. 23, 27-29, 35. Armand du Plessy : p. 213. Nilda du Plessy : p. 215, 239. Pauline P6 : p. 234, 470. Leon Poirier : p. 98, 157, 200, 255, 259, 288, 371, 382, 440, 441, 474, 475, 478, 488. Polaire : p. 123, 126, 469. Andre Pollack : p. 227. Erich Pommer : p. 127. 508 HISTOIRE DU CINfiMA Emile Poncet : p. 237. Dr. Porte : p. 443. Emilio Portes : p. 429. Henri Pouctal : p. 80, 118, 169, 180, 183, 197, 209, 305. W. Poudowkine : p. 413. Mabel Poulton : p. 260. Rene Poyen : p. 212. Marcelle Pradot : p. 305, 306, 308, 313, 319, 320, 467. Raoul Praxy : p. 221. Pre fils : p. 215, 218, 367, 481. Albert Prejean : p. 232, 266, 357, 361, 362, 366, 367, 390, 437, 481. Claire Prelia : p. 308, 310, 320. Charles Prince (Rigadin) : p. 8y, 93, 103, 180, 454. Promio : p. 37, 149. Jacques Protazanoff : p. 360, 397, 398. Jeanne Provost : p. 82, 220. Edna Purviance : p. 218, 428. Arthur Pusey : p. 427. Felix Pyat : p. 401. Q Gustave Quinson : p. 401. Quintin : p. 158. R Benjamin Rabier : p. 139. Raimu : p. 128. Dr. Paul Ramain : p. 287. Pierre Rameil : p. 446. Pierre Ramelot : p. 233. Albert Rancy : p. 469. Georges Raulet : p. 232. Gaston Ravel : p. 98, 116, 219, 234, 235, 421. Ravet : p. 428. Man Ray : p. 262, 264. Eva Raynal : p. 237. Marthe Regnier : p. 123. Therese Reignier : p. 236, 422. Rejane : p. 123, 164, 209, 423. Gina Relly : p. 215, 422, 427, 466. Constant Remy : p. 128, 232, 233, 471. Jules Renard : p. 435. J.- Joseph Renaud : p. 237. Madeleine Renaud : p. 236, 468. Maurice Renaud : p. 227, 469. Jacques Renaux : p. 423. Jean Renoir : p. 233, 279, 282, 283, 337> 426. Gabrielle Reval : p. 232. Emile Reynaud : p. 23, 30, 32, 33> 34, 133. *34> 135. Edith Real : p. 308. A.-P. Richard : p. 49, 146. Emilien Richaud : p. 400. Daniel Riche : p. 80, 81. Jean Riche pin : p. 164, 422. Max de Rieux : p. 214, 220, 233, 394- Gennaro Righelli : p. 416. Arthur Rimbaud : p. 249. Nicolas Rimsky : p. 220, 397, 398, 399, 401, 427. Dolores del Rio : p. 351. Leon Riotor : p. 22, 445. Jacques Riven : p. 237. Enrique de Rivero : p. 427. Andre Roanne : p. 227, 346, 425, 427, 462. Jacques Robert : p. 209, 231, 426. Gabrielle Robinne : p. 115, 209, 215, 457- Dr. Arthur Robison : p. 286, 463. Charles de Rochefort : p. 89, 209, 210, 219, 220, 223, 225, 237, 473. Madeleine Rodrigue : p. 362. Henri Rollan : p. 218. Gladys Rolland : p. 236. Jane Rollette : p. 212, 455. Rollini : p. yy, 81. Jules Romains : p. 245, 348-351. Stewart Rome : p. 393. E. de Romero : p. 224. Daniel-Rops : p. 466. Francoise Rosay : p. 235, 351, 368, 460. Edmond Rostand : p. 122, 126, 137. Roudakoff : p. 398. Wladimir Roudenko : p. 338. Gaston Roudes : p. 127, 128, 214, 219. Germaine Rouer : p. 233, 422, 426. Raymond Rouleau : p. 314. Jacques Roullet : p. 232. Jacques Roussel : p. 385. INDEX DES NOMS CIT&S 509 Henry-Roussel : p. 164, 165, 225- 228, 237, 259, 325, 357, 458, 461, 475- E. Routier-Fabre : p. 237. Edmond Roze : p. 130. Lucien Rozenberg : p. 95, 454. Francois Rozet : p. 235, 393. Willy Rozier : p. 422. Rene Rufly : p. 340. Maria Russlana : p. 237. Walter Ruttmann : p. 266. Alexandre Ryder : p. 221, 380. Sadi-Lecointe : p. 469. Georges Sadoul : p. 9, 23, 65, 487, Robert Saidreau : p. 126, 169, 214. Georges Saillard : p. 128. Saint-Granier : p. 220. Saint-Ober : p. 377. Saint-Saens : p. 116. Andre Salmon : p. 178. Louis Sance : p. 215. George Sand : p. 208. Jules Sandeau : p. 459. Manuel San German : p. 427. San Juana : p. 385. Jean Sapene : p. 314, 487. Victorien Sardou : p. 119, 224. Albert Sarraut : p. 442. Erik Satie : p. 364. Marcel Sauvage : p. 444. Sauvageot : p. 157. Leon Sazie : p. 126, 127. Schildknecht : p. 340. H.-A. von Schlettow : p. 356. Florent Schmitt : p. 221. Robert Scholz : p. 429. Maurice Schutz : p. 214, 227, 230, 231, 232, 238, 242, 338, 362, 381, 386, 425, 427, 471. Rene Schwob : p. 199, 332, 335, 367. Noemie Seize : p. 310. Pierre Seize : p. 21, 364. Sem : p. 470. Vera Sergine : p. 119. Yvonne Sergyl : p. 230, 390,^466. Mary Serta : p. 428. Ernest Servaes : p. 214. Jean Servais : p. 227 . Jacques Severac : p. 438. S 'vt rin-Mars (voir Mars). Mireille Severin : p. 268, 467. Shakespeare : p. 81. Bernard Shaw : p. 413. Leslie Shaw : p. 422. Nadia Sibirskaia : p. 267, 268, 467. Gabriel Signoret : p. 82, 8^, 129, 164, 208, 215, 220, 221, 233, 235, 306, 384, 386, 422, 426, 427, 472, 473. Silvain : p. 414. Marcel Silver :. p. 237, 268, 286, 462. B. Simon : p. 237. Marcel Simon : p. 233. Michel Simon : p. 313, 319, 408, 422, 439- Aime Simon-Girard : p. 215, 218, 232, 473- Jean de Size : p. 237. Victor Sjostrom : p. 199, 341. Max Skladanowski : p. 32. Edward Sloman : p. 415. Germaine Sodiane : p. 238. Cecile Sorel : p. 115, 120, 123. Gabrielle Sorere : p. 67, 244. Madeleine Soria : p. 393. Paul Souday : p. 492. Agnes Souret : p. 232, 470. Pierre Souvestre : p. 99, 101. Stacquet : p. 218, 367, 481. Andree Standard : p. 4-18, 427. Nina Star : p. 418. Ladislas Starevitch : p. 417, 418. Stendhal : p. 416. Pierre Stephen : p. 215, 237, 434. Rene Sti : p. 439. Stouvenaut : p. 237. Henri Strentz : p. 179. Erich von Stroheim : p. 326. Wladimir Strijewsky : p. 416. Eugene Sue : p. 208, 459. Johanna Sutter : p. 310. Hans Stiive : p. 427. Svoboda : p. 418. Gloria Swanson : p. 224, 421, 423, 473- Renee Sylvaire : p. 237, 468. Sylvie : p. 83. 5io HISTOIRE DU CINEMA Suzanne Talba : p. 435, 468. Armand Tallier : p. 98, 184, 288- 290, 374. 37b> 378, 474- Constance Talmadge : p. 425. Clara Tambour : p. 224. Abel Tarride : p. 235. Elyane Tayar : p. 233. Olga Tchekowa : p. "367. Carlo Tedeschi : p. 408. Jean Tedesco : p. 286. Lou Tellegen : p. 129. Elza Ternary : p. 427. Terof : p. 233, 330. Rene Tetard : p. 442. Valentine Tessier : p. 82. Thales : p. 60, 469. Albert Thibaudet : p. 242. Helga Thomas : p. 427. Regina Thomas : p. 428. Alice Tissot : p. 98, 212, 233, 316, 372, 437, 455. Malcolm Tod : p. 237, 267, 350, 427. Nicolas Toporkoff : p. 398. Jean Toulout : p. 130, 158, 187, 215, 220, 234, 237, 242, 245, 261, -393, 454, 471. V. Tourjansky : p. 340, 398, 399, 400, 403, 416. Maurice Tourneur : p. 125, 201, 237, 426. Frantz Toussaint : p. 194, 237. Maurice Touz6 : p. 436. Felicien Tramel : p. 128, 210, 232, 259, 468. Georges Treville : p. 239. Jack Trevor : p. 429. Trewey : p. 38. Youcca Troubetzkoi : p. 239. Cecyl Tryan : p. 422. U Pierre Ulysse : p. 148. A. Valabregue : p. 353. Rudolph Valentino : p. 452, 454, Marcel Vallee : p. 218. Edmond Van Daele : p. 221, 233, 236, 249, 251, 259, 273, 338, 374, 385, 386, 398, 427> 433, 476. Marcel Vandal : p. 125, 141, 258, Ernest Van Duren : p. 235, 320, 469. Charles Vanel : p. 131, 214, 230, 232, 233, 237, 238, 260, 385, 386, 400, 401, 422, 426, 428, 477, 478, 479. IMna Vanna : p. 214, 259, 386. Vanni-Marcoux : p. 310, 390, 468. Simone Vaudry : p. 214, 230, 237, 401. Georges Vaultier : p. 215, 224, 362, 407, 472. Elmire Vautier : p. 232, 235, 239, 427, 468. Charles Vayre : p. 77. Pierre Veber : p. 236. Conrad Veidt : p. 231, 375, 478. Marie Ventura : p. 120. Armand Vercourt : p. 232. Michele Verly : p. 237, 393, 438, 468. Paul Vermoyal : p. 224, 230, 393, 398, 472. Robert Vernay : p. 50, 180, 437. Suzy Vernon : p. 232, 427, 467. Henry Vibart : p. 426. Marcel Vibert : p. 125, 215, 227, 472. Henry Victor : p. 314. Claudia Victrix : p. 215, 468. King Vidor : p. 163. Jean Vignaud : p. 425. Viguier : p. 214, 234. Yv. Villeroy : p. 130. Victor Vina : p. 222, 235,349,350, 353. Carl Vincent : p. 9. E.-E. Violet : p. 234, 236, 425, 426, 463. Solange Vlaminck : p. 231. Volbert : p. 268. Alexandre Volkoff : p. 259, 340, 397, 398, 399, 400, 402-409, 421, 4S8. Henri Vorins : p. 219, 422, 444. Emile Vuillermoz : p. 294, 322. INDEX DES NOMS CIT&S 5** W Georges Wague : p. 60, 194, 469. Lucien Wahl : p. 252. Fanny Ward : p. 184, 384, 386, 429. . Warwick Ward : p. 225, 422,^427. Jean Weber : p. 235, 468. Hanni Weisse : p. 429. Gaston Welle : p. 79/ 80. Irene Wells : p. 401. W. Wengeroff : p. 399. Ruth Weyher : p. 428. Pearl White : p. 174, 175, 428. Charlotte Wiehe : p. 123. Robert Wiene : p. 459. Oscar Wilde : p. 231, 317, 413. Louise Willy : p. 60, 128. Cady Winter : p. 236, 425. Nick Winter : p. 83, 95, 127. Pierre Wolff : p. 229. Jean Worms : p. 209, 348. Fred Wright : p. 429. Henry Wulschleger : p. 220, 401. X Guerrero de Xandoval : p. 353. Varvara Yanova : p. 234, 398. Jean d'Yd : p. 221, 242, 399. Jean Yonnel : p. 130, 214. Marcel Yonnet : p. 2$% Clara Kimball Young : p. 454. Yvonneck : p. 320. Tina de Yzarduy : p. 227, 399. Z Ferdinand Zecca : p. 41, 53, 65, 76> 77 > 79-8i, 87, 149. Wolfgang Zilzer : p. 356. Emile Zola : p. 208, 210, 283, 314, 353-355, 384, 426, 427. 428, 432< TABLE DES HORS-TEXTE 1. LES FRERES LUMIERE l6 2. LA PREMIERE AFFICHE DE CINEMA 17 3. EMILE REYNAUD 32 4. ETIENNE-J. MAREY 32 5. UNE SEANCE DU THEATRE OPTIQUE 32 6. LE PREMIER APPAREIL CINEMATOGRAPHIQUE 33 7. LE PREMIER CHASSEUR DAMAGES 33 8. GEORGES MELIES DANS « LA CONQUETE DU POLE » 48 9. UN DOCUMENTAIRE RECONSTITUE DE GEORGES MELIES 49 10. «LA JUSTICE ET LA VENGEANCE POURSUIVANT LE CRIME)), DE MELIES 49 11. CHARLES PATHE ET FERDINAND ZECCA 64 12. « LA PASSION DU CHRIST », DE ZECCA 64 13. LEON GAUMONT 65 14. ALICE GUY 65 15. « RIQUET A LA HOUPPE )), DE GEORGES MONCA 65 16. MAX LINDER 80 17. max linder dans « le premier cigare » 8l 18. un des premiers films de prince-rigadin 8l 19. une scene de « fantomas » 96 20. mlsidora dans « les vampires » 96 21. leonce perret : « leonce » 97 22. les premieres bathing-girls 97 23. une scene de « britannicus » 112 24. une scene de « l'assassinat du duc de guise » 112 25. «le retourd'ulysse»,avecjuliabartetetpaulmounet 113 26. « l'assommoir » 113 27. camille de morlhon 128 28. nick winter 128 29. « la reine elisabeth », avec sarah bernhardt 128 30. « HAMLET » 129 31. a LA GOUALEUSE », D'ALEXANDRE DEVARENNES 129 32. EMILE COHL I44 33. FANTOCHE, PREMIER PERSONNAGE DE DESSIN ANIME 144 34. DEUX DESSINS ANIMES D'EMILE COHL I44 514 HISTOIRE DU CINEMA 35. PRESENTATION DU CHRONOPHONE GAUMONT 145 36. « QUATRE-VINGT-TREIZE », d'ALBERT CAPELLANI 145 yj. « TROIS FAMILLES », D'ALEXANDRE DEVARENNES l6o 38. LE REVEIL DES MORTS DANS « j'ACCUSE » 160 39. fl MERES FRANCAISES»,DE JEAN RICHEPINET LOUIS MERCANTON l6l 40. « MATER DOLOROSA », D'ABEL GANCE 176 41. « LA DIXIEME SYMPHONIE » 176 42. (f BARRABAS », DE LOUIS FEUILLADE 176 43. judi^ : 176 44. « VENUS VICTRIX », DE GERMAINE DULAC 177 45. « LE TORRENT », DE MARCEL L'HERBIER I77 46. HENRI DIAMANT-BERGER 192 47. LOUIS FEUILLADE 192 48. HENRI POUCTAL I92 49. a L'ORPHELINE », DE LOUIS FEUILLADE I92 50. « MONTE-CRISTO », D'HENRI POUCTAL I93 51. a LES TROIS MOUSQUETAIRES », D'HENRI DIAMANT-BERGER . . I93 52. ROBERT BOUDRIOZ 208 53. HENRY-ROUSSELL ( 208 54. LEONCE PERRET 208 55. « KOENIGSMARK », DE LEONCE PERRET 208 56. « VIOLETTES IMPERIALES », D'HENRY-ROUSSELL 209 57. « LA TERRE PROMISE » 209 58. « L'ATRE », DE ROBERT BOUDRIOZ 209 59. LOUIS DELLUC 224 60. CANUDO (DESSIN DE PICASSO) 224 61. « FIEVRE », DE LOUIS DELLUC 224 62. « LA FEMME DE NULLE PART » 225 63. a l'inondation » 225 64. GERMAINE DULAC 24O 65. a LA FETE ESPAGNOLE », DE GERMAINE DULAC 24O 66. « LA SOURIANTE MADAME BEUDET » 24I 67. a LA COQUILLE ET LE CLERGYMAN » 24I 68. JEAN EPSTEIN 256 69. « LA BELLE NIVERNAISE » 256 70. a CGEUR FIDELE » 257 71. « LA CHUTE DE LA MAISON USHER » 257 72. « LE LION DES MOGOLS » 257 y^. ALBERTO CAVALCANTI 272 74. HENRI CHOMETTE 272 75. EUGENE DESLAW 272 76. a LA FILLE DE L'EAU », DE JEAN RENOIR 272 jy. « CINQ MINUTES DE CINEMA PUR », DE HENRI CHOMETTE 273 TABLE DES HORS-TEXTE 515 78. « TOUR AU LARGE », DE JEAN GREMILLON 273 79. MARCEL L'HERBIER . 288 80. « LE CARNAVAL DES VERITES », DE MARCEL L'HERBIER 288 81. « EL DORADO » 289 82. « don juan et faust » 289 83. « l'inhumaine » 289 84. « l'argent » 289 85. abel gance 304 86. *« la roue », d'abel gance 304 8y. « NAPOLEON » 305 88. JACQUES FEYDER 320 89. « l'atlantide », de jacques feyder 320 90. « l'image » 321 91. « CARMEN » 321 92. « CRAINQUEBILLE » 321 93. « LE VOYAGE IMAGINAIRE », DE RENE CLAIR 336 94. RENE CLAIR .• 336 95. « PARIS QUI DORT » 336 96. « entr'acte » 337 97. « un chapeau de paille d'ltalie » 337 98. « l'inhumaine », de marcel l'herbier 352 99. l'assassinat de marat dans », DE RAYMOND BERNARD » . . 385 114. ALEXANDRE VOLKOFF 400 115. IVAN MOSJOUKINE 4OO 116. W. TOURJANSKY # 400 117. UNE SCENE DU « BRASIER ARDENT » 4OO 118. a LES MILLE ET UNE NUITS », DE W. TOURJANSKY . 4OI 119. « LA MAISON DU MYSTERE », D'ALEXANDRE VOLKOFF 4OI 120. IVAN MOSJOUKINE DANS « LE BRASIER ARDENT » 416 5i6 HISTOIRE DU CINEMA 121. « KEAN », D'ALEXANDRE VOLKOFF 416 122. LADISLAS STAREVITCH 417 123. « LE ROMAN DE RENARD », DE STAREVITCH 417 124. « LA CIGALE ET LA FOURMI », DE STAREVITCH 417 125. CHARLES BURGUET 432 126. HENRY KRAUSS 432 127. ROGER LION 432 128. LUITZ-MORAT 432 129. RENE LEPRINCE . . . ' 432 130. GASTON RAVEL 432 131. « CHAMPI-TORTU », DE JACQUES DE BARONCELLI 433 132. « MIARKA, LA FILLE A L'OURSE », DE LOUIS MERCANTON 433 133. « FOIL DE CAROTTE », DE JULIEN DUVIVIER 433 134. « LA CITE FOUDROYEE », DE LUITZ-MORAT 448 135. « LES MYSTERES DE PARIS », DE CHARLES BURGUET 448 136. « L'lNCONNUE DES SIX-JOURS », DE RENE STI 449 137. DIMITRI KIRSANOFF ET NADIA SIBIRSKAIA 449 138. « L'AGONIE DES AIGLES », DE D. BERNARD-DESCHAMPS 449 139. « LA BATAILLE », D'E.-E. VIOLET 464 140. « TERREUR », D'EDWARD JOSE 464 141. « MADAME SANS-GENE », DE LEONCE PERRET 465 142. « LE ROI DU CIRQUE », D'E.-E. VIOLET 465 143. DONATIEN 480 144. LOUIS MERCANTON 480 145. RENE HERVIL 480 146. UN TRAVELLING EN 1927 480 147. LES DEUX BONAPARTE DU « NAPOLEON » D'ABEL GANCE 481 148. « LE COUSIN PONS », DE JACQUES ROBERT 481 TABLE Pages AVERTISSEMENT q PREMIERE PARTIE Naissance du cinematographe (1895) 1. LE CINEMATOGRAPHE LUMIERE 15 2. LE CINEMA AVANT LE CINEMA 23 DEUXI&ME PARTIE Jeunesse du cinema francais (1895-1918) 1. LES PREMIERS PAS ET LES PREMIERS FILMS 37 2. GEORGES MELIES, CREATEUR DU SPECTACLE CINEMATO- GRAPHIQUE • . . 43 3. ESSAIS EN TOUS GENRES 57 4. DEBUTS DE L'lNDUSTRIE : CHARLES PATHE ET LEON GAUMONT 63 5. A L'EXPOSITION DE 19OO 71 6. evolution de l'lndustrie : charles pathe et ferdinand zecca 75 7. max linder, premiere vedette 87 8. evolution de l'lndustrie ( suite) : leon gaumont et LOUIS FEUILLADE 97 9. influences : theatre et cinema. « le film d'art » io9 10. evolution de l'lndustrie (suite) : efforts divers 125 ii. emile cohl et le dessin anime 133 12. le cinema francais en i914 141 13. le cinema et la guerre 151 14. les films de guerre 163 15. le cinema francais pendant la guerre. naissance d'un art cinematographique 169 518 HISTOIRE DU CINfiMA TROISI&ME PARTIE La grande epoque (1919-1929) Pages i. des hommes et des ceuvres 205 2. l'avant-garde ' 241 louis delluc 245 germaine dulac 257 jean epstein 27i le vieux-colombier et les ursulines 285 3. l'ecole cinematographique francaise 293 marcel l'herbier 303 abel gance 321 jacques feyder 345 rene clair 359 leon poirier 371 jacques de baroncelli . . 383 raymond bernard 389 henri fescourt 393 4. collaboration franco-russe 397 5. collaborations internationales 419 6. une nouvelle generation 43i 7. les documentaires 439 8. les vedettes 451 9. le cinema francais en i929 483 10. index des noms cites 495 it. table des illustrations 513 ACHEVE D'IMPRIMER POUR ROBERT LAFFONT fiDITEUR A PARIS SUR LES PRESSES DES IMPRIMERIES REUNIES A CHAMBERY EN DfiCEMBRE MCMXLVII S